Nature humaine

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Elisabeth
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Message par Elisabeth »

Le problème du péché et de la culpabilité, bien que très important et traité par Antoine avec beaucoup de clarté ( sauf peut-être "La superoxyde dismutase à manganèse (MnSOD) détoxifie l'anion superoxyde en peroxyde d'hydrogène, lui-même oxydé en eau par la gluthation peroxydase (GPx).", où je n'ai pas tout saisi...) , n’apporte pas de réponse à ma question initiale.
J’y reviens donc, et je vais essayer cette fois d’être plus claire:

J’ai posé la question du rapport entre théologie et science non pas en général, mais au sujet de la nature adamique d’avant la chute et de notre nature déchue, donc au sujet de la chute en tant qu’événement historique.

Il me semble que d’après notre conception théologique du monde, la chute ne peut pas être envisagée uniquement comme une image de notre chute personnelle, mais doit nécessairement correspondre à un moment réel ayant eu pour conséquence la modification de la nature humaine. C’est par le péché d’un seul que la mort est devenue un principe de notre nature, de même que l’inclination au péché, et il ne nous est plus loisible maintenant d’échapper à l’un comme à l’autre (là je parle de la mort physique, puisque gloire à Dieu, nous pouvons échapper à la mort spirituelle en nous greffant au Christ). C’est ce que dit St Paul en Romains 5, 14 : « cependant la mort a régné de puis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir » Avec ou sans péchés personnels (i.e chute personnelle) nous mourons tous, nous subissons tous la loi de la nature que nous avons hérité. Même le nouveau-né qui a à peine ouvert les yeux et n’a vraisemblablement pas eu la possibilité de péché peut mourir. Nous subissons les conséquences du péché avant même d’avoir péché.

Alors, si la chute est historique, quand la situons –nous ?

J’ai regardé rapidement l’article sur le site de l’évêque Alexandre indiqué par Tanios, mais il est long. Il essaye de trouver les correspondances entre le récit de la création dans la Genèse et l’histoire du monde et de la vie telle qu’elle est retracée par la science actuelle. Il fait correspondre le moment de l’ « infusion » (c’est le terme qu’il emploie) du souffle Divin qui donne à la forme de glaise l’image de Dieu et en fait l’être humain, à l’apparition de l’homo sapiens, et plus précisément au moment où celui-ci commence à avoir une activité artistique de symbolisation et à enterrer ses morts. En faisant ce genre de lecture de la Genèse, on ne peut pas éviter de se retrouver devant le problème de la chute, qui pourtant n’est pas du tout évoqué dans cette étude. Mais je n’ai pas encore tout lu en détail.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Non Élizabeth,

Par le péché d'un seul la mort n'est pas devenue un principe de notre nature, mais en nous octroyant une vie transitoire, soumise (ce qui n'était pas le cas de notre existence adamique antérieure) aux éléments de ce monde et à leurs contingences, la Providence divine nous place à chaque instant de la brève durée de notre vie devant la nécessité d'affirmer si notre choix est bien d'adhérer à la volonté de Dieu ou de la rejeter. Il n'y a même pas en réalité de mort physique car au Jour glorieux de la résurrection générale tous ressusciteront avec un corps glorieux adulte (même les embryons qui n'ont pas vu le jour) et c'est alors que commencera la vraie vie pour s'élever de grâce en grâce toujours désireux de la plus haute grâce.

Je me permets de vous citer un texte issu du Concile de Carthage. Au milieu d'une série de décisions canoniques qui nous paraissent un peu longuettes, on trouve ce texte théologique, conclusion de la lutte que l'Église venait de soutenir contre l'hérésie donatiste, magnifiquement dense et précis. (les sous titres sont des rajouts anciens)

[Qu’Adam n’a point été créé mortel par Dieu]

Quiconque dit qu’Adam, le premier homme créé, a été créé mortel en ce sens que pécheur ou non il serait mort en son corps, c’est-à-dire qu’il aurait été soumis à la nécessité de quitter son corps, non pas comme châtiment de son péché mais par une nécessité de sa nature, qu’il soit anathème.

[C’est bien pour la rémission des péchés que l’on baptise les tout petits]

De même il a été décidé que quiconque nie qu’il soit nécessaire de baptiser les nouveaux-nés sitôt qu’ils sont sortis du ventre de leur mère, ou bien affirme qu’ils seraient baptisés pour la rémission de leurs péchés, sans avoir été contami-nés par la faute originelle d’Adam en quoi que ce soit qui doive être purifié par le bain de la nouvelle naissance, d’où découlerait que pour les enfants la formule pour la rémission des péchés ne devrait pas être entendue au sens propre, mais en un sens analogique, qu’il soit anathème. Car il ne faut pas comprendre les mots de l’Apôtre : Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort est passée à tous les hommes, parce que tous ont péché autrement que dans le sens où les a toujours compris l’Église catholique répandue dans le monde. Par suite de cette règle de foi, même les tout-petits, qui ne sont pas encore capables de commettre de pécher par eux-mêmes, sont véritablement baptisés pour la rémission de leurs péchés, afin que ce qui les a contaminés par leur engendrement soit purifié par leur régénération.

[Que la grâce de Dieu ne donne pas seulement la rémission des péchés, mais procure aussi l’aide nécessaire pour ne plus pécher]

De même il a été décidé que quiconque dit que la grâce de Dieu, qui apporte la justification par notre Seigneur Jésus Christ, vaudrait seulement pour la rémis-sion des péchés que l’on a déjà commis, sans nous procurer aussi l’aide néces-saire pour ne plus en commettre d’autres, qu’il soit anathème.

[Que la grâce du Christ non seulement nous apporte la connaissance de ce qu’il faut faire, mais nous inspire aussi l’amour nécessaire afin que ce que nous savons, nous puissions aussi le faire]

De même quiconque dit que cette grâce que Dieu nous donne par notre Sei-gneur Jésus Christ ne viendrait nous aider à ne plus commettre de péchés que parce qu’elle nous révélerait et nous manifesterait la compréhension de ce qu’est le péché, en sorte que nous sachions et ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut recher-cher, sans nous procurer également et d’aimer et d’avoir la force d’accomplir ce que nous savons devoir faire, qu’il soit anathème.

Si en effet l’Apôtre dit que : La science gonfle alors que l’amour édifie , il serait très impie de croire que nous ne recevrions la grâce du Christ que pour de-venir orgueilleux, tandis que nous ne la recevrions pas pour être édifiés, alors que tant l’un que l’autre sont un don de Dieu : et savoir ce qu’il faut faire et aimer le faire, en sorte que l’édification par l’amour ne nous laisse pas nous enfler de connaissance. Car de même qu’il est écrit, en parlant de Dieu : Lui qui enseigne la connaissance à l’homme , il est également écrit : L’amour vient de Dieu .

[Que sans la grâce de Dieu nous ne pouvons accomplir aucune œuvre bonne]

De même il a été décidé que quiconque dit que la grâce de la justification ne nous aurait été donnée que pour nous permettre d’accomplir plus facilement ce que nous pourrions faire livrés à notre libre arbitre, c’est-à-dire que si la grâce ne nous était pas donnée nous pourrions, certes sans facilité, mais nous pourrions tout de même accomplir les commandements divins, qu’il soit anathème. Parlant en effet des fruits des commandements, le Seigneur ne disait point : « Sans moi vous pouvez difficilement faire quelque chose », mais : Sans moi vous ne pou-vez rien faire .

[Que la parole des saints : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, est non seulement pleine d’humilité, mais aussi pleine de vérité]

De même il a été décidé que ces paroles de saint Jean l’apôtre : Si nous di-sons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vé-rité n’habite pas en nous , quiconque croit pouvoir les interpréter de manière à dire que ce serait seulement par humilité que nous ne devons pas affirmer n’avoir point de péché, mais qu’en vérité il n’en serait pas ainsi, qu’il soit anathème. L’Apôtre poursuit en effet en ajoutant ces mots : Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner et nous purifier de toute iniquité . Ces paroles nous révèlent clairement qu’il ne s’agit pas ici de propos de simple humilité, mais bien de la vérité même. L’Apôtre en effet aurait pu dire : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous exaltons nous-mêmes, et l’humilité n’habite pas en nous », mais puisqu’il a dit : nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’habite pas en nous, il démontre clairement que celui qui dit n’avoir point de péché dit non pas le vrai, mais le faux.

[Que lorsque les saints disent dans la prière dominicale : Remets-nous nos dettes, ils prient pour eux-mêmes]

De même il a été décidé que quiconque prétend que lorsque les saints disent dans la prière dominicale : Remets-nous nos dettes, ce ne sezrait pas pour eux-mêmes qu’ils prient, puisqu’ils n’ont plus besoin de faire cette demande, mais que ce serait seulement pour autrui, pour tous ceux qui se trouvent encore dans la foule des pécheurs, et que chacun des saints en particulier n’aurait pas besoin de dire : « remets-moi mes dettes », mais : Remets-nous nos dettes, parce qu’il faudrait comprendre que le juste fait cette demande pour les autres plutôt que pour lui-même, qu’il soit anathème.

Lorsque Jacques l’Apôtre par exemple disait : Nous péchons tous de bien des manières , il était saint et juste, Pourquoi donc a-t-il mis le mot “tous”, sinon pour accorder le sens de ce qu’il disait à celui du psaume où l’on lit : N’entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant ne sera trouvé juste devant toi ; et dans la prière du très-sage Salomon : Il n’est point d’homme qui ne pèche . ; et dans le livre du saint Job les mots : Sur la main de tout homme il est écrit que tout homme doit connaître sa faiblesse ; c’est aussi pourquoi le saint et juste Daniel utilise le pluriel dans sa prière : Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité , et tout ce qu’il confesse encore avec tant d’humilité et de sincérité, et afin qu’on ne puisse pas croire, comme certains le pensent, qu’il n’y parlerait pas de ses propres péchés, mais seulement de ceux de tout son peuple, il ajoute aus-sitôt après : Je priai et confessai mes péchés et les péchés de mon peuple au Sei-gneur notre Dieu . Il n’a pas voulu seulement dire en effet : « nos péchés », mais il a bien précisé qu’il s’agissait de ceux de son peuple et des siens, comme s’il avait prévu à l’avance que les siens le comprendraient si mal.

[Que c’est en toute vérité que les saints peuvent dire : Remets-nous nos dettes]

De même il a été décidé que quiconque prétend que les paroles mêmes de la prière dominicale, où nous disons : Remets-nous nos dettes, seraient dites par les saints comme expression de leur humilité, mais non comme expression de la vé-rité, qu’il soit anathème. Qui pourrait en effet supporter qu’un homme en prière mente, non pas aux hommes, mais au Seigneur Lui-même, en disant sur ses lè-vres qu’il demande à être pardonné, tandis qu’il prétendrait en son cœur ne pas avoir les péchés qui devraient lui être pardonnés ?[/quote]
Jean-Louis Palierne
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Elisabeth
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Message par Elisabeth »

Ma terminologie est certainement douteuse. En parlant de principe je voulais juste dire que depuis la chute la mort est un processus inéluctable à l’œuvre dès notre naissance. Nous sommes passés d’une condition immortelle ( par grâce) à une condition mortelle, cette « vie transitoire soumise aux éléments de ce monde et à leurs contingences » dont vous parlez. Que cette mortalité soit un don de Dieu, nous permettant de passer à une vie nouvelle, je suis d’accord. Mais même si dans une perspective chrétienne la mort est un passage donnant l’accès à la vie éternelle et pas la fin de tout, je ne comprend pas trop pourquoi vous dites qu’ « en réalité il n’y a pas de mort physique ». Nous pouvons échapper à la mort spirituelle (la véritable mort) par l’union au Christ, mais je ne vois pas trop comment nous pourrions échapper à la mort du corps. Nous devons mourir pour réssusciter.

Sinon merci pour ce texte du concile de Carthage.
Je ne comprend pas le 2e point [C’est bien pour la rémission des péchés que l’on baptise les tout petits] . Le texte parle à la fois des « tout-petits, qui ne sont pas encore capables de commettre de pécher par eux-mêmes » et de la nécessité qu’ils soient « véritablement baptisés pour la rémission de leurs péchés ». S’ils n’ont pas commis de péchés et que nous n’héritons pas du péché d’Adam mais de ses conséquences, alors quels sont les péchés qui leurs sont remis lors du baptême ?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Les tout-petits sont évidemment incapables de commettre personnellement une faute, mais par le fait même de leur engendrement dans la descendance d’Adam ils ont pris part au péché des ancêtres (c’est ainsi que les orthodoxes désignent ce que d’autres appellent le péché originel). Tous nous participons d’une nature amputée et contaminée. C’est de cette tare héritée que la Grâce divine du Baptême vient nous laver. Adam était le Roi de la Création, qui a été totalement entraînée avec lui dans sa chute. La chute d’Adam a été une catastrophe cosmique.

Nous restons immortels, ce qui avait été accordé par la Grâce divine à Adam (car en tant qu’être créé il ne possédait point l’immortalité). La catastrophe cosmique causée par la chute d’Adam aurait donc dû être éternelle. La mort telle que nous la subissons aujourd’hui, nous a été accordée pour nous fournir une deuxième chance pour notre “rattrapage”. Et avec la mort, la procréation d’une descendance par les moyens que nous connaissons aujourd’hui. Nous y avons gagné la possibilité d’une vie éphémère qui nous permet de choisir l’obéissance à Dieu.

Au Baptême, la Grâce de Dieu ne vient pas seulement pour la rémission des péchés que nous avons personnellement commis, mais aussi pour nous purifier de notre contamination héréditaire, c’est-à-dire pour nous régénérer.

Par la mort qui met fin à notre vie éphémère dans monde déchu que nous connaissons actuellement, l’âme immortelle est séparée du corps, mais bien que le corps se dissolve dans les éléments de la terre, il n’est pas aboli à jamais car l’âme le reconstituera à l’instant glorieux du Jugement, lorsque le Seigneur viendra en gloire. La possibilité même de cette reconstitution paraissait étrange lorsque les hommes s’imaginait que le corps était constitué par les éléments matériels mêmes qui y sont entrés. Mais nous savons aujourd’hui que les éléments qui forment notre corps sont en échange permanent avec notre environnement, et que la cohérence en est assurée par un code génétique.

C’st bien le même corps qui réapparaîtra alors.

De nous-mêmes et de la vie intérieure de notre âme, les démons ne savent voir que nos passions, c’est-à-dire la face corrompue de notre être. Ils n’en saisissent pas l’essentiel. C’est pourquoi ils réclament de notre âme la part qu’ils croient leur appartenir alors qu’elle entreprend, une fois séparée du corps, sa migration vers la longue attente du Jour final. Mais notre communion au Seigneur, à ses saints Mystères et avec tous les saints sera plus forte.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Elisabeth a écrit :Il me semble que d’après notre conception théologique du monde, la chute ne peut pas être envisagée uniquement comme une image de notre chute personnelle, mais doit nécessairement correspondre à un moment réel ayant eu pour conséquence la modification de la nature humaine.[...]
Alors, si la chute est historique, quand la situons –nous ?
En repartant de quelques pistes qu' Elisabeth , Georges , Barbare du nord ont lancées dans les messages précedent voici quelques réflexions sur cette question.

La genèse est un récit théologique. Le texte nous renseigne sur l’homme pris ontologiquement. Et son histoire se déroule dans un cadre paradisiaque extérieur aux conditions dans lesquelles la science est susceptible de mener son enquête, dans une autre temporalité que celle mesurable par la science historique et physique. Le récit de la genèse n’a pas de chronologie mais une hiérarchie. Elle ne connaît pas de jour premier "prote" mais elle connaît le jour un "hemera mia" .
Elle connaît implicitement la création ex nihilo mais elle ne connaît pas de commencement au sens historique du Big Bang ;. (Big bang qui d’ailleurs commence à 10 puissance moins 43 , car au-delà les astrophysiciens butent sur le mur de Planck et n’ont pas de théorie quantique de la gravité qui pourrait nous renseigner sur un avant big bang.)
Elle connaît le "en arkhei" : « dans son principe Dieu créa ». Principe est plus juste que commencement car il suppose une continuité de la création comme énergie divine qui la maintient en chaque instant. La création n’est pas un coup de baguette divine, mais une durée d’où peut naître le temps comme catégorie conceptuelle a priori. . Lafaye écrit : « les principes et les éléments d’une chose sont ce qui la font être, les causes ou les fondements de son existence. Principe a une signification plus étendue : il exprime tout ce qui préexiste à un objet et lui donne l’être. ». Ou encore pour Leibniz, le principe de raison suffisante est celui « en vertu duquel nous considérons qu’aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement. » L’expression "en son principe" montre bien que le monde s’origine continuellement en Dieu. (Jean-Louis Palierne avait parfaitement raison de relever que « la mort n'est pas devenue un "principe" de notre nature » elle n'en est qu'un "accident") .
Le temps du récit de la Genèse n’est pas celui du "Khronos" mais celui de "l’aïôn", celui des réalités spirituelles. Et vouloir faire coïncider les deux est une erreur. Le concordisme essaie de pénétrer vainement "l’aïôn" avec les outils du "Khronos" et les similitudes sont trompeuses. Le récit de la Genèse se lit dans la prière à la lumière des Pères et non pas avec un manuel d’anthropologie ou d’astrophysique.

La paléontologie peut nous décrire l’homo habilis et en retracer l’ évolution à partir d’un stade qui n’est plus l’archétype fait à l’image de Dieu et à sa ressemblance, mais l’anthropos au stade ultime d’un processus d’involution déclenché par la chute. Elle étudie alors l’homme dans ce nouveau contexte et suit son évolution en prise avec de nouvelles modalités bien différentes des modalités paradisiaques décrites par les pères. Tout l’univers a été mis en cohérence avec le nouvel état dans lequel Adam tombait, car Adam récapitulait en lui la totalité de l’univers.(La science nous indique que nous sommes composés de 10 puissance 29 quarks et électrons qui se trouvaient dissociées dans la purée de particules élémentaires. Mais Chuuuuuut ! Pas de concordisme s’il vous plait)

Saint Irénée par exemple nous dit que « Dieu pouvait dès le commencement, donner à l’homme la perfection, mais l’homme était incapable de la recevoir, car il n’était qu’un petit enfant. » Quand les Pères parlent de l’enfance de l’homme, il s’agit bien là d’une enfance spirituelle et non pas d’une enfance biologique et historique.
Le commentaire que donne Jean Damascène sur le paradis(cf ci-dessous) montre bien que les Pères et l’Ecriture ne le situaient pas dans un lieu et temps accessibles à la connaissance historique, mais qu’il s’agit bien de réalités spirituelles.

Ainsi, pour répondre à la question d’Elisabeth sur l’historicité de la chute, nous pouvons dire que le récit de la chute n’est pas un récit mythologique qui ferait de la chute le prototype de notre chute personnelle à chacun mais qu’elle se déroule réellement dans une temporalité spirituelle ante-historique qui échappe complètement à la recherche scientifique.

Beaucoup de choses spirituelles sont de cet ordre. L’eau du baptême peut être analysée par tous les moyens, on n’y trouvera pas une substance de régénération de notre nature ; elle n’est pas un élixir de jouvence.
De même l’analyse chimique du pain et du vin après l’épiclèse ne donnera jamais un résultat différent de celui d’avant l’épiclèse.

Nous voyons bien que pour la foi ce sont les réalités spirituelles qui pénètrent les réalités naturelles et sensibles.

Et maintenat, place à St Jean Damascène : la foi orthodoxe ed de l’Ancre
Livre II chap. XI

Le Paradis.

Dieu, allant modeler l’homme, de la création visible et invisible, «à l’image et à la ressemblance», comme un roi et seigneur de la terre et de ce qu’elle contient, établit d’abord un royaume pour qu’il y passât une vie bienheureuse de félicité. C’était le divin paradis, planté par la main de Dieu en Eden, dépôt de toute délice et de toute joie du coeur (Eden veut dire volupté). Il était à l’Orient dans la région la plus élevée de la terre; L’air y était le plus doux, le plus léger et le plus pur. Orné de plantes perpétuellement en fleurs et au parfum exquis, baigné de lumière, il dépassait en beauté toute idée qu’on puisse s’en faire avec nos sens; contrée réellement divine, c’était le pays digne de celui qui était l’image de Dieu, où ne séjournait nul être dénué de raison mais seulement l’homme façonné par les mains divines.

En son milieu était le bois de vie, planté par Dieu, et le bois de la connaissance. Ce dernier était une sorte d’épreuve, d’exercice et de test de l’obéissance et désobéissance de l’homme; d’où son nom de bois de la connaissance du bien et du mal. Ou bien il donnait à ceux qui le mangeaient la vertu de connaître leur propre nature, ce qui est un bien pour les parfaits, et un mal pour les imparfaits et leur désir avide; nourriture trop solide pour qui est encore tendre et habitué au lait. Le créateur notre Dieu, voulait que nous soyons sans nul souci, ni troublés par mille objets, ni que la vie nous fût un sujet d’anxiété toutes choses qui échurent à Adam. Car il goûta de l’arbre, il connut qu’il était nu et se fit des ceintures avec des feuilles de figuier. Avant d’y goûter « ils étaient nus tous deux, Adam et Eve, et n’éprouvaient aucune honte» ; c’est de cette impassibilité que nous voulait Dieu, car c’est là le sommet de l’impassibilité, et qu’en outre, délivrés des soucis, nous ayons un seul travail, chanter sans fin ni cesse le créateur, comme les anges; et que nous vivions dans la douceur de sa contemplation en lui remettant le soin de nous-mêmes. C’est ce qu’il nous a déclaré par le prophète David : «Remets au Seigneur ton propre soin et il te nourrire» (Ps.44-23). Et dans les Evangiles, enseignant ses propres disciples, il nous dit : «Ne vous mettez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez» (Mat. 6-25) et encore: «Recherchez le Royaume de Dieu et sa justice et toutes choses vous seront données en plus». (ib. 33) et à Marthe : «Marthe, Marthe, tu te fais du souci et du trouble pour beaucoup de choses: une seule chose est nécessaire, Marie a pris la bonne part et elle ne lui sera point ôtée». (Luc. 10-14.) Cette part, c’est de s’asseoir à ses pieds et d’écouter ses paroles.

Le bois de vie était le bois ou bien capable d’opérer la vie, ou bien donné seulement à ceux qui étaient dignes de vie, non destinés à la mort. Certains ont entendu le paradis comme sensible, d’autres comme intelligible. Cependant, me semble-t-il, puisque l’homme est créé avec des sens et un intellect, tel devait être son sanctuaire très saint, sensible et intelligible, et possédant ces deux polarités. Avec son corps l’homme habitait une contrée divine et de la plus extraordinaire beauté ainsi que nous l’avons décrite; avec son âme il vivait en un lieu sublime et de toute beauté, demeurant en Dieu qui demeurait en lui et lui faisait un vêtement splendide; car il était entouré par la grâce, dans le délice du seul fruit suave de la contemplation, nourri par elle comme un autre ange; c’est d’ailleurs pour cela qu’il est digne d’être appelé le bois de la vie. C’est une vie que la mort ne tranche pas qui est donnée par la douceur de participer à Dieu à ceux qui la reçoivent. C’est cela aussi que Dieu a appelé aussi : tout bois : «De tout bois qui est dans le paradis vous mangerez en nourriture».

C’est lui ce tout dans lequel et par lequel tout subsiste.

Le bois de la connaissance du bien et du mal c’est la pénétration de contemplations difficiles c’est-à-dire la sur-science de sa propre nature qui d’elle-même révèle la magnificence du Demiurge. Elle n’est bonne qu’à l’homme parfait, tourné vers la contemplation, qui ne craint pas de chute ni de retournement parce qu’il a progressé vers cette contemplation en s’affermissant avec le temps. Elle ne l’est pas au contraire à celui, encore enfant, qui brûle de s’élancer; il manque de l’épreuve du temps et d’une base plus ferme, plus solide, dans le souci assidu du seul bien, tiré qu’il est par les soins du corps et distrait par lui.

Je crois donc que le paradis avait ces deux aspects et que la tradition de nos Pères théophores, (ils enseignaient de l’une et l’autre façon) est vraie, on peut comprendre, avec ce : tout bois, la surconnaissance de la puissance divine venue à partir des choses créées; le divin Apôtre dit : «Les choses invisibles de Dieu sont perçues par l’intellect à partir des faits depuis la création du monde» (1.Rom. 1,20.). De toutes ces intuitions et de ces contemplations, celle qui nous concerne, celle de notre constitution, je veux dire, est par nature la plus élevée ; David le dit: «Ta connaissance de moi est admirable.» (Ps. 138-6) c’est-à-dire de ma structure. Cette science était dangereuse pour Adam, tout frais encore modelé, pour la raison que nous avons dite.

Le bois de la vie c’est la pensée divine inhérente à tout ce qui est sous nos sens, et la montée, à travers le sensible, à la cause créatrice et demiurgique du tout; ce qui est aussi appelé : tout bois ; c’est ce qui apporte la pleine et indivisible, l’unique partcipation au bien. Le bois de la connaissance du bien e tdu mal, c’est la nourriture sensible et délectable qui paraît douce mais qui en réalité jette celui qui la prend sous les coups du mal. Dieu dit en effet : «Vous mangerez pour nourriture de. tout bois dans le paradis». Il veut, je pense, dire ceci : que l’homme monte par toutes les créatures vers moi, le créateur, pour cueillir le seul fruit qui résume tous les autres, moi, la vie véritable ; que toute chose t’apporte pour fruit la vie, que ton existence propre soit ta participation à ma vie et tu deviendras alors immortel. «Du bois de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras point; le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort.» Par nature la nourriture sensible prend la place de ce qui s’est épuisé et elle s’élimine au lieu secret de corruption. On ne peut donc échapper à la corruption, dès lors que l’on a en partage la nourriture sensible.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Pour une fois qu’un fil tentait de tenir ensemble science et théologie, je n’ai pas envie de le laisser partir dans les limbes du forum.
Si, Antoine, on peut parler de récit mythique de la chute car le mythe n’est pas la symbolisation de quelque destin individuel mais un langage permettant d’exprimer sous forme de parabole des vérités que le discours rationnel ne peut cerner. Il peut y avoir dans le discours mythique une distance plus ou moins grande du type au prototype, avec tous les risques d’hérésie que cela comporte, mais le Christ lui-même a enseigné en paraboles.
La grande difficulté pour faire coller l’évolution telle que la paléontologie nous la révèle (je ne parle pas du darwinisme qui, lui, est une théorie discutable, mais du simple constat de complexification de l’écosystème que l’on ne peut pas nier sans acrobaties intellectuelles) et le récit de la chute tient effectivement à la notion de temps. Il y a deux espaces-temps entremêlés dans le récit de Genèse 2 et 3, quelque chose qui ressemble à la Terre telle que nous la connaissons et quelque chose qui ne peut se placer que dans un « ailleurs ».
Comparons avec à la fois Genèse 1 et les données scientifiques. En G1, l’homme est créé après les animaux et les plantes ; itou pour la paléontologie. En G2, il est modelé avant les animaux.
En G1, il est créé « homme et femme », donc sexué dès l’origine. En G2, il est d’abord indifférencié, ha adam, le rouge, puis est tiré de lui eve, la vivante, la vie et alors seulement ils deviennent ish et isha, lui et elle.
En G1, il est « créé » : le rédacteur emploie le verbe bara qui ne peut avoir qu’un seul sujet, Dieu. En G2, il est modelé et tiré de la adamah, littéralement le rouge tiré de la rougeur ; c’est intéressant du point de vue linguistique car, selon les règles de l’hébreu, c’est adamah qui dérive de la racine adam ; tout se passe comme s’il était modelé à partir des potentialités de sa propre nature.
En G1, il reçoit une bénédiction, la royauté sur l’univers et le commandement de croître et se multiplier. En G2, il est confronté à deux « arbres » qui jamais ne poussèrent ailleurs que dans le projet divin, arbre de vie et arbre de la connaissance « du bon et du mauvais », donc des valeurs. Je suis sur cette exégèse en total accord avec Antoine, la chute correspond à un décentrage du regard et du désir qui fait passer de la vie à la définition sans Dieu des valeurs.
Mais tout cela se passe dans un espace-temps qui n’est pas celui de l’univers et de l’histoire de la planète Terre. La Bible elle-même le montre. Si l’on prend en compte les conséquences pour l’ensemble de la création – ou du moins pour la planète Terre – on pourrait dire que G2 nous présente (sur le mode mythique) une modélisation divine de la création visible et tangible mais une modélisation opérative et qui confronte Dieu à la liberté de sa créature. Ce qui voudrait dire que adam-eve fut/est/sera ( ???) effectivement créé dans cette modélisation et répercuté sur l’univers où, dans un autre déroulement temporel, il était également créé et béni comme le roi potentiel de la création. Mais cette modélisation n’a pas besoin de se situer avant le Big Bang. L’un des apports de la physique contemporaine, c’est la découverte de la complexité du temps. Notre temps « irréversible » (passé, présent, futur) se déploie à partir d’un substrat où tout est à la fois réversible et contemporain et qu’on appelle fort improprement le « vide quantique » sans lequel l’univers s’effondrerait en quelques fractions de seconde ; d’autre part, même dans l’univers « déployé » comme dirait David Bohm, des chercheurs comme Costa de Beauregard (le physicien d’Orsay, le cousin du père Marc Antoine) ou comme le grand Feynman ont pu montrer que certains événements dépendent de « potentiels avancés », en d’autres termes que la cause a lieu après l’effet, selon nos horloges. Enfin, l’expérience d’Alain Aspect à Orsay nous montre qu’entre le vide quantique et les objets macroscopiques, à l’échelle des particules élémentaires, il existe une « non-séparabilité » foncière qui se joue de l’espace et du temps même si elle s’exprime par et dans l’espace et le temps.
Science et Bible, en deux langages distincts et qu’il serait hasardeux de vouloir traduire au mot à mot l’un en l’autre, nous parlent de la même chose, de la possibilité qu’un événement situé hors de l’univers visible se répercute en lui, y compris sous la forme d’un bug. Et quel bug! Celui qui fait de la Terre au moins un coupe-gorge où la seule règle serait de manger avant d'être mangé.
Mais justement, d'où vient à l'homme le sentiment indéracinable qu'il s'agit d'un bug et que la mort ne devrait pas exister ? Et même, le sentiment que la part animale, simiesque pour tout dire, de nos comportements, le côté primate évolué, est un échec ? Sentiments tellement indéracinables que l'on trouve un récit mythique de la chute dans TOUTES les traditions. Je ne connais pas d'exception.
Pourquoi l’incarnation du Christ et sa résurrection n’ont-elles pas abolies les conditions issues de la chute ? Pourquoi sommes nous en tension entre l’homme de la chute et l’homme de la résurrection ? Là, désolée, mais le Christ ne nous l’a pas dit. Il nous a simplement dit que son invention, qui est aussi son corps mais pas le même, l’Eglise, est le levain qui va transformer la pâte. Je n’aurais pas la présomption de parler à Sa place. Mais j’ai comme la certitude que c’est un don d’amour et de respect, même s’il nous semble amer.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
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