Pendant que j’élaborais laborieusement mon message précédent, Antoine écrivait le sien, et nous avons posté sur le Forum au même moment. Maintenant que j’ai lu le sien, je voudrais ajouter quelques remarques.
Je crois que l’une des difficultés de la discussion sur la validité de ce qui se passe au sein des groupes qui ont quitté l’Église vient de ce que la
Tradition canonique que l’Église a trouvée dans l’héritage apostolique (dans ce que saint Basile le Grand, dans son
Traité du saint Esprit (repris dans les canons Basile 91 et 92) appelait la “Tradition arcane secrète”, c’est-à-dire non-écrite, un enseignement que nos esprits modernes, avec leur logique rationnaliste, ont du mal à assimiler : c’est que si les sacrements conférés hors de l’Église n’ont pas en eux-mêmes la force de la Grâce, s'ils ont été conférés par des gestes corrects et avec des paroles correctes, l’Église (la seule, la vraie) peut et doit respecter ce qui a été fait, en tant que
coquilles vides et leur apporter la Grâce
qui leur fait défaut. Et pour leur apporter la Grâce, il n’est pas nécessaire de recommencer tous les rites défectueux, il suffit de l’un d’entre eux.
En particulier il est strictement interdit de réitérer le geste du Baptême s’il a été effectué dans les formes correctes. C’était en particulier le cas des Ariens, que les Pères ont toujours considéré comme l’une des hérésies les plus graves dogmatiquement, mais qui avaient conservé l’usage du Baptême dans la forme orthodoxe. Les Conciles et les Pères ont toujours affirmé que dans leur cas il ne faut pas “réitérer” le Baptême, mais les oindre du saint Chrême qui dans ce cas apporte la Grâce du Baptême et de la Chrismation à la fois. Et pour ceux que nous appelons en général maintenant les “anti-chalcédoniens”, il suffit de les toucher de la main (“chirothésie”) pour leur conférer la Grâce du Baptême et de la Chrismation. Et l’évêque peut aussi recevoir un prêtre de tels groupes par une concélébration qui confère tout à la fois. Et comme il y avait dans le détail des différences entre Églises locales pour le classement et le traitement des groupes extérieurs à l’Église, je cite à nouveau le texte qui me paraît le plus clair sur ce point, il est du pape de Rome saint Grégoire le Grand :
Nous avons appris de l'enseignement ancien des Pères que tous ceux qui ont été baptisés dans l'hérésie au nom de la Trinité, lorsqu'ils re-viennent à la sainte Eglise, doivent être rappelés dans le sein de la mère Eglise, soit par l'onction du Chrême, soit par le toucher de la main, soit par la profession de la foi. C'est pourquoi l'Occident régénère les ariens par le toucher de la main, l'Orient par l'onction du saint Chrême en vue de l'entrée dans l'Église catholique. Mais les monophysites et d'autres, elle les reçoit par une simple profession de la vraie foi, parce que le saint Baptême qu'ils ont reçu chez les hérétiques reçoit alors les forces de la purification lorsque les uns ont reçu l'Esprit Saint par l'imposition de la main, et que les autres ont été unis au sein de l'Église sainte et uni-verselle par la profession de la vraie foi.
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Et puisque dans le concret les cas sont rarement simples, c’est à l’évêque de
discerner le traitement convenable. Voici un des meilleurs exemples de ce discernement, tiré du
Pré spirituel de Jean Moschus (au chapitre 197), qui nous rapporte un récit concernant la jeunesse de saint Athanase. Les faits doivent se dérouler vers 310.
Saint Alexandre, qui fut pape d’Alexandrie […] regardait un jour la mer. Il voit sur le rivage des enfants qui jouaient, comme le font d’habitude les enfants, et qui imitaient un évêque et faisaient les céré-monies qui sont dans l’usage de l’Église. En les observant plus attenti-vement, il vit qu’ils imitaient certaines parties secrètes des saints Mystè-res. Il s’en émut et appela aussitôt les clercs, leur montra ce qu’ils faisaient et leur dit d’aller chercher tous les enfants et de les lui amener. Quand ils furent devant lui, il leur demanda en quoi consistait leur jeu et ce qu’ils faisaient.
Eux, saisis de crainte parce qu’ils étaient des enfants, commencèrent par nier, puis lui racontèrent toute l’affaire en détails, disant qu’ils avaient fait baptiser quelques catéchumènes par Athanase, celui que ces enfants avaient institué comme leur évêque. Alors Alexandre, s’informant avec soin auprès d’eux pour savoir lesquels ils avaient baptisés, et reconnaissant qu’ils avaient tout fait selon l’usage de nos rites, en fit part à ses clercs et décida que ceux qui avaient reçu le saint Baptême ne devaient pas être baptisés une seconde fois.
Mais il rendit à leurs parents Athanase et les autres, après les avoir ins-titués comme clercs, pour qu’ils fussent élevés dans la crainte et le ser-vice du Seigneur, particulièrement Athanase, qu’il consacra à Dieu quelque temps plus tard.
Après avoir accompagné Alexandre en qualité de diacre au 1er Concile œcu-ménique de Nicée (325), Athanase sera son successeur. Nos esprits rationnels pourraient discuter indéfiniment de la parfaite et claire connaissance de la foi chrétienne et des canons que pouvaient avoir le pseudo-évêque, l’enfant Athanase et ses pseudos co-liturges et les pseudo-catéchumènes. Ils n’avaient aucun droit ni aucun pouvoir de conférer la Grâce — pas plus que les schismatiques. C’est l’archevêque Alexandre qui leur a conféré la Grâce, mais il a respecté les “coquilles vides” qu’étaient les pseudo-Mystères célébrés par jeu.
Le respect et la connaissance des canons s’étant affaiblis au cours des Temps modernes, on a cru qu’il s’imposait et qu’il était possible de prendre des mesures ”d’économie” et de diplomatie inter-ecclésiastique, mais il s’agit bien de l’observance exacte des canons. Mais je crois qu’il est indispensable de remonter aux sources pour bien comprendre ce qui se passe.