sabeth a écrit :Tout cela est vraiment intéressant !
Justement à propos de traductions françaises de la liturgie orthodoxe : existe-t-il un liturgicon pour la Divine Liturgie orthodoxe ? Le seul "liturgicon" que j'ai
trouvé est greco-catholique, donc pas orthodoxe et ne contenant évidemment pas un sanctoral orthodoxe. Le liturgicon dont je parle est édité au Liban.
Oui, nous connaissons pour la plupart le
Liturgicon de feu Mgr Néophyte Edelby, auquel vous faites allusion. Il est assez répandu, et même utilisé, parmi les orthodoxes francophones pour les raisons suivantes:
- Il a été fait en bon français, par des uniates syro-libanais dont on connaît l'amour de la culture française.
- La liturgie des uniates grec-catholiques melkites arabes est, dans l'ensemble, restée fidèle à ce qu'elle était avant la création de cette communauté par la diplomatie française au XVIIIe siècle. Elle n'a pas connu les mêmes coupures avec les traditions liturgiques que chez les uniates ukrainiens (créés par le royaume de Pologne en 1596), carpatho-russes (créés par les Habsbourg en 1646) ou roumains (créés par les Habsbourg en 1701), de telle sorte que le texte des divines Liturgies des uniates melkites arabes, traduit en français dans le
Liturgicon de Mgr Néophyte Edelby, est utilisable par les orthodoxes. Les uniates melkites ont par exemple conservé le même cycle de lectures liturgiques pour les dimanches que le patriarcat de Constantinople.
- La diffusion en a été bien organisée et le livre est facile à trouver.
Pour un utilisateur orthodoxe, il y a quelques modifications à faire: par exemple, le Vatican a imposé aux grec-catholiques melkites d'adopter la Fête-Dieu et de remplacer le dimanche de saint Grégoire Palamas (2e du Grand Carême) par une fête des Reliques. Mais ceci ne concerne guère le noyau du
Liturgicon de Mgr Edelby, à savoir le texte des divines Liturgies, étant répété que les uniates arabes ont beaucoup mieux préservé leurs traditions liturgiques que les uniates européens. Autrement dit, un prêtre uniate melkite arabe célèbre normalement la liturgie à peu près comme un prêtre orthodoxe. Il n'en va pas forcément ainsi d'un prêtre uniate transylvain.
Mais le
Liturgicon de Mgr Edelby présente aussi quelques défauts. Il est centré sur l'office eucharistique, alors que les heures canoniales jouent un rôle très important dans la piété orthodoxe et que les offices les plus fréquentés de la Semaine Sainte sont précisément des services sans eucharistie. Le
Liturgicon de Mgr Edelby ne reflète donc que de manière imparfaite la vie liturgique orthodoxe, où la célébration de la divine Liturgie est précédée de celle de l'orthros (matines).
Un autre défaut est lié au fait que les communautés uniates, par définition, ne peuvent aspirer à l'universalité, n'étant jamais, malgré leur meilleure volonté - et Dieu sait si la bonne volonté abonde parmi les uniates melkites arabes - que des morceaux que les circonstances politiques d'autrefois ont détachés du corps du Christ et qui persistent alors que les circonstances politiques qui les ont engendrés ont disparu. Il y a donc forcément dans tout missel uniate un certain provincialisme et un certain fixisme - sanctoral figé et ethnique, par exemple.
C'est pour remédier à ces défauts du
Liturgicon de Mgr Edelby (qui reste malgré tout un ouvrage utile recommandable) que feu l'archimandrite Denis Guillaume d'éternelle mémoire avait publié un authentique bréviaire orthodoxe en français, sous le titre
Le Spoutnik - nouveau Synecdimos (Diaconie apostolique, Parme 1997, 1'280 pages). L'ouvrage qu'avait composé le grand traducteur remédiait aux deux défauts du
Liturgicon de Mgr Edelby:
- Il reflétait mieux la piété orthodoxe telle qu'elle est vécue, puisqu'il contenait non seulement le texte des divines Liturgies et les lectures des dimanches de l'année, comme le Liturgicon melkite, mais aussi trois acathistes (à la Trinité, à la Mère de Dieu et à tous les saints), l'office de la petite paraclisis, les prières de la table et les prières secrètes du lucernaire, l'ordinaire des vêpres et des matines, les principaux offices du grand Carême, et les tropaires des principales fêtes du Ménologe.
- Il échappait au fixisme et au provincialisme uniates en reproduisant les propres - composés par l'archimandrite Denis Guillaume - des saints orthodoxes les plus vénérés dans les pays francophones: saint Maurice d'Agaune, martyr en Valais; saint Rémy, évêque de Reims en Champagne; saint Hubert des Ardennes, évêque de Liège en Wallonie; saint Willibrord d'Echternach au Luxembourg; saint Martin le Miséricordieux, évêque de Tours en Touraine; saint Saturnin ou Sernin, premier évêque de Toulouse en Languedoc; sainte Geneviève, patronne de Paris; sainte Gudule, patronne de Bruxelles en Brabant; saint Hilaire, évêque de Poitiers en Poitou; saint Honorat, moine de Lérins dans la baie de Cannes; sainte Dévote, patronne de la principauté de Monaco; saint Amand, évêque de Maastricht en Limbourg; saint Victor de Marseille en Provence; saint Irénée, évêque de Lyon. Comme le soulignait lui-même le père Denis, le tour d'horizon n'était pas complet malgré le variété géographique de cette sélection. Même si la France, la Belgique, la Suisse, le grand-duché de Luxembourg et la principauté de Monaco étaient représentés, il manquait de vastes pans de la Francophonie: aucun saint du Maghreb francophone (un office à saint Cyprien de Carthage, par exemple, eut été le bienvenu...), aucun saint du Val-d'Aoste et aucun saint du Machreq francophone (on aurait pu penser par exemple au propre de saint Joseph de Damas...). Et pour le reste, ni la principauté d'Andorre, ni les dix-neuf républiques francophones d'Afrique noire, ni Madagascar, ni les Mascareignes (Maurice + Seychelles + La Réunion), ni les îles françaises du Pacifique et le Vanuatu, ni l'Amérique francophone (Québec, Acadie, Louisiane, Haïti, Antilles françaises, Guyane, communautés franco-américaines et franco-canadiennes) n'ont encore donné naissance à un saint canonisé dans l'Orthodoxie, bien que les orthodoxes soient nombreux à Montréal et qu'il y ait des missions orthodoxes fort actives à Madagascar, en Haïti et dans l'Afrique centrale francophone (Congo, RDC, Cameroun). (Je précise encore une fois que, lorsque je parle de Francophonie, je parle des trente-huit pays (en comptant l'Italie pour le Val-d'Aoste, la Syrie qui fait de louables efforts pour redonner au français la place qu'il y avait perdue depuis les années 1960, et les USA où l'on recense tout de même 1'500'000 personnes qui parlent français à la maison) où notre langue est effectivement utilisée, et que je ne prends bien sûr pas en compte trente-deux (32 !) gouvernements qui assistent de manière totalement opportuniste et illégitime aux sommets de la Francophonie, alors qu'ils n'ont aucun rapport de près ou de loin avec la langue française (sauf peut-être la Grèce où le français est encore un peu parlé).
- Ajoutons que le
Spoutnik de Mgr Denis se terminait par un lexique du culte et de la liturgie de 208 pages qui reste un des mieux faits dans le genre.
Et tout ceci au format poche!
Mais voilà, une sorcière Carabosse s'était immiscée parmi les nombreuses fées penchées sur le berceau du
Spoutnik de Mgr Denis Guillaume: contrairement au
Liturgicon de Mgr Néophyte Edelby, cet ouvrage n'a pas connu la diffusion qu'il méritait. Je ne sais même pas si on peut encore le trouver dans le commerce ou s'il a succombé aux mêmes problèmes de diffusion et de distribution que la plupart des autres ouvrages de l'archimandrite Denis.
Quoiqu'il en soit, si vous pouvez mettre la main sur le
Spoutnik, n'hésitez pas: c'est un livre qu'on ne cesse de lire et relire avec un bonheur sans cesse renouvelé.
Mais ne jetez pas pour autant le
Liturgicon de Mgr Edelby, qui est aussi un ouvrage précieux, même si, il faut le reconnaître, son éclat pâlit dès lors qu'on le met à côté du Spoutnik.