MARC-GENEST a écrit :
S'agissant des "ordres mineurs": lecteur, acolyte, sous-diacre: à quelles fonctions correspondent-elles au sein de l'Eglise et des liturgies?
Bonjour, j'ai acheté à Alba Iulia le manuel de liturgie générale du prêtre Ene Braniste (1913-1984), professeur à la faculté de théologie de Bucarest, où il y a des informations qui répondent mieux à votre question.
Prêtre professeur Ene Braniste,
Liturgica generala, 3ème édition revue et corrigée par le professeur Eugen Dragoi, tome I, Editions de l'Evêché du Bas-Danube, Galati 2002, pp. 87-93 consacrées aux clercs inférieurs.
Comme je n'ai pas le temps de saisir six pages de texte roumain et de les traduire ici, je vous résume les principaux points de ce chapitre du manuel du père Braniste:
- Contrairement à l'opinion exprimée sur l'ancien forum en mai 2002 selon laquelle les clercs inférieurs ne feraient pas partie du clergé (alors pourquoi prie-t-on à la liturgie pour l'épiscopat, les prêtres, les diacres, et ensuite "pour tout le clergé et pour tout le peuple"?), le père Braniste rappelle que les clercs inférieurs, dans l'Eglise primitive, étaient inscrits sur le canon, c'est-à-dire le catalogue des clercs; ils étaient appelés clercs (
klirikoi) ou serviteurs (
ypiretai).
- Sur l'ordre d'apparition chronologique des ministères inférieurs: seules les diaconnesses (
diakonai) et les veuves (
khirai,
viduae) sont mentionnées dans les Ecritures (Rom. XVI:1 et I Tim V:9, ainsi que Tit II:3). Les ministères inférieurs se sont développés au fur et à mesure que l'Eglise grandissait en taille, et surtout après la paix de l'Eglise en 313: vierges consacrées (
parthenai), exorcistes (
exorkistai,
exorcistae), acolytes (
akolouthoi,
acolythi) qui n'existaient que dans les Eglises de tradition latine (Rome et Carthage) et correspondaient plus ou moins à des sous-diacres, portiers (
thyroroi,
ostiarii), fossoyeurs (
kopiakoi,
fossores) qui ont existé sous saint Justinien Ier sous le nom de doyens (
dekanoi), chantres (
psaltoi,
psalmitae), qui étaient une sorte de dédoublement du lecteur, et, naturellement, les deux seuls ministères inférieurs consacrés par chirothésie qui existent encore dans l'Eglise orthodoxe: celui de lecteur(
anagnostos,
citet en roumain) et celui de sous-diacre (
ypodhiakonos, i
podiacon en roumain).
-Justinien avait fixé le nombre des serviteurs de la basilique Sainte-Sophie à 90 sous-diacres, 110 lecteurs et 25 chantres, augmenté sous Héraclius en 612 à 70 sous-diacres, 160 lecteurs, 25 chantres et 75 portiers.
-A Rome, au temps du pape Corneille (251-253), il y avait 44 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolytes, 50 exorcistes, lecteurs et portiers.
-Le ministère de lecteur est mentionné depuis la fin du IIème siècle. Leur fonction archétypale est la lecture (ou plutôt la cantilation) depuis la tribune appelée ambon des passages des saintes Ecritures qui sont lus à l'église, à l'exception des péricopes évangéliques dont la lecture est réservée au clergé majeur (et en principe aux diacres). Cette fonction comprenait aussi celle de conserver chez soi les livres saints, ce qui valut le martyre à de nombreux lecteurs au cours des grandes persécutions comme celle de Dioclétien où on exigea la
tradition des livres saints. En fait, cette fonction comprenait aussi la lecture des encycliques, des lettres pastorales, des vies de saints, etc. Au fil du temps, on a rajouté d'autres fonctions: allumer les lampes, porter les cierges, assurer l'enseignement catéchétique... Comme lecteurs illustres, le père Braniste mentionne saint Jean Chrysostome au début de sa carrière, et Théodore le Lecteur, historien du début du VIème siècle. De nos jours, ils portent le stikharion.
Le grand canoniste Théodore Balsamon (fin du XIIème siècle) exigeait que les lecteurs soient vêtus de sombre (i.e. portent l'habit ecclésiastique) même dans la rue. Cela n'a sans doute jamais été vraiment mis en application.
Les lecteurs sont excessivement rares de nos jours (quoiqu'ils existent encore) et, souvent, leurs fonctions sont remplies par un chantre qui n'a pas eu de chirothésie.
- Le ministère de sous-diacre est mentionné depuis le IIIème siècle. En dehors des tâches liturgiques (entretien des saints vases, etc.), ils avaient comme tâche archétypale le maintien de la discipline pendant les offices. Leur importance était telle qu'ils avaient tendance à se prendre pour des diacres. De nos jours, ils portent le stikharion et l'orarion croisé. Le professeur Braniste mentionne qu'ils existent surtout dans les cathédrales et les monastères, mais j'ai connu au moins un cas d'un homme qui était sous-diacre dans une paroisse parce que sa femme avait refusé de consentir à son ordination de diacre.
Le père Braniste explique que les ministères inférieurs sont surtout des étapes avant l'ordination: on est d'abord béni lecteur, puis sous-diacre, avant d'être ordonné diacre, puis prêtre.
En fait, les gens qui restent longtemps lecteurs ou sous-diacres le sont souvent pour des raisons matrimoniales (hommes célibataires non-moines ou refus de l'épouse pour l'ordination au diaconat).
A noter qu'il existe des ministères propres aux monastères, plus ou moins vivants selon les endroits: canonarque, ecclésiarque, etc.
Canons sur les sous-diacres: Apôtres can. 43, Laodicée can. 21, 22, 24, 25 et 43, Carthage can. 40...
Canons sur les lecteurs: Apôtres can. 43, Laodicée can. 24, Carthage can. 22 et 40...
A noter que l'Eglise des Gaules attribuait à certains clercs inférieurs le titre honorifique, inconnu ailleurs me semble-t-il, d'archi-sous-diacre (
archisubdiaconus): "Qu'à la mi-carême les prêtres aillent chercher le chrême, et si l'un d'eux, retenu par la maladie, ne peut venir, qu'il délègue à l'archidiacre son archi-sous-diacre, et cela avec le chrêmeau et un linge, comme on fait pour transporter les reliques des saints." (Concile d'Auxerre, can. 6, traduction Jean Gaudemet et Brigitte Basdevant,
Les canons des conciles mérovingiens, tome II, Sources chrétiennes n° 354, Le Cerf, Paris 1989, p. 491.)
Les clercs inférieurs dans la loi de l'Empire romain:
- édit du 5 février 330 (Code Théodosien XVI 2,7; Joannou,
La législation impériale et la christianisation de l'Empire romain, p. 70): "Les lecteurs, hypodiacres et autres clercs catholiques (= orthodoxes, NdL), accusés par les hérétiques de Numidie ( = les donatistes, NdL), doivent aussitôt être libérés."
-édit du 5 mars 377 (Code Théodosien XVI 2,24; Joannou , p. 78) : "Les clercs: prêtres, diacres, sous-diacres, exorcistes, lecteurs, portiers et tous ceux qui ont le titre de premiers (?), sont exemptés des charges publiques personnelles."
- édit du 11 décembre 399 (Code Théodosien XVI, 2, 36; Joannou, p. 93): "Les curiaux, devenus évêques, prêtres ou diacres, doivent ou se trouver un remplaçant, ou abandonner leur patrimoine à la curie; devenus lecteurs, sous-diacres et clercs à qui les privilèges des clercs ne sont pas dus, ils garderont personnellement leurs charges."
etc. etc.
En espérant que ces quelques informations trouvées chez Braniste et Joannou constituent une réponse plus complète à votre question.