lettre du Patriarche Alexis II de Moscou

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Volodimir
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lettre du Patriarche Alexis II de Moscou

Message par Volodimir »

Je suis à la recherche d'éventuels commentaires qui auraient été fait sur la lettre du Patriarche Alexis II de Moscou en réponse à une lettre du Patriarche de Constantinople sur les fondements canoniques de l'Exarchat des églises de tradition russe en Europe occidentale et plus largement sur la diaspora orthodoxe dans le monde.

Par exemple les réactions de l'Exarchat, de la juridiction de Moscou, des RHF, ...de préférence sur le plan canonique.

Pouvez-vous m'indiquer si de tels documents existent ?
Volodimir
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Message par Volodimir »

Voici la lettre en question:


A Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée Archevêque de Constantinople-Nouvelle Rome



Votre Sainteté, Bien-aimé Frère et concélébrant en Dieu,



Nous vous saluons fraternellement et vous souhaitons de nombreuses grâces et miséricordes de la part de Dieu et de Notre Sauveur.

Nous avons reçu le message de Votre Sainteté N° 129 du 11 avril 2002 sur la situation de l'Archevêché des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale. En lisant cette lettre, nous avons été très troublés par le très grand nombre de reproches amers et d'accusations injustes que vous y formulez. Toutefois, nous souhaitons suivre le précepte du très sage Salomon (Proverbes 17, 9) "qui recherche l'amitié, oublie les torts ; y revenir sépare de l'ami". Ne souhaitant pas mettre à l'épreuve inutilement le sentiment d'amour fraternel entre nos Eglises, nous n'allons pas nous arrêter en détail sur l'examen de ces expressions peu heureuses car nous pensons qu'il s'agit plutôt de fâcheux malentendus provenant, à notre avis, d'une compréhension erronée des problèmes que vous avez soulevés. Voilà pourquoi nous pensons qu'il est plus utile de passer immédiatement à l'évaluation de l'interprétation de la règle 28 du quatrième Concile œcuménique proposée par Votre Sainteté, interprétation avec laquelle nous sommes en désaccord catégorique.

Cette règle définit réellement le domaine de responsabilité du siège patriarcal de l'Eglise de Constantinople en le délimitant par les diocèses anciens d'Asie (proconsulaire), de Thrace et du Pont, c'est à dire les provinces qui appartiennent maintenant à la Turquie, la Bulgarie et la Grèce. Il n'en découle pas du tout que doive être soumise au Patriarcat de Constantinople "toute province qui ne relève pas d'un autre siège patriarcal". Il apparaît évident que cette interprétation inexacte provient ici d'une interprétation erronée du terme "chez les étrangers" (en tis varvarikis) et du contexte de cette expression. Une telle interprétation erronée suppose qu'il s'agit ici non pas des peuples barbares vivant soit dans l'empire romain soit au-delà de ses limites, mais des entités administratives (définies par l’État) peuplées surtout de barbares. Or, il ne fait aucun doute que cette expression recouvre non pas les provinces mais les peuples, elle n'est pas utilisée au sens administratif et politique mais au sens ethnique. Cela découle de façon évidente des considérations que nous développons ci-dessous.

Comme vous le savez, à l'époque hellénistique et byzantine, le terme " varvaros " se rapporte aux représentants des peuples dont la langue, la culture et les mœurs ne sont pas grecques. Ainsi, Saint Grégoire de Nysse, dans son troisième discours contre Eunome, parle de " philosophie barbare " (varvariki filosofia), Eusèbe de Césarée parle des "barbarismes dans la langue grecque" (idiomata varvarika), Saint Épiphane de Chypre des " noms barbares " (varvarika onomata) et le maître de Saint Jean Chrysostome, Libanius, de "coutumes barbares" (iti varvarika). De même, l'Apôtre Paul entend par "barbare" toute personne ne parlant ni latin ni grec – langues officielles (cf 1 Cor. 14, 1) "Si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare (varvaros) pour celui qui parle et celui qui parle sera un barbare (varvaros) pour moi". De tels "barbares" pouvaient vivre aussi bien à l'extérieur qu’à l'intérieur de l'empire romain. L'Apôtre Paul prêchait pour les barbares (Rom. 1,14) sans franchir les limites de l'empire. Les Actes des Apôtres (28,2 et 4) nomment les habitants de l'Ile de Malte "des barbares", bien que cette île fasse partie de l'empire, et cela, uniquement parce que la langue locale est le punique. En ce qui concerne le terme "varvarikon", il est certes employé pour désigner les territoires situés en dehors des limites de l'empire romain. C'est dans ce sens que ce terme est utilisé par exemple dans le 63ème (52ème) canon du Concile de Carthage, où il est dit qu’en Mauritanie il n'y avait pas de conciles parce que ce pays se trouve à l'extrémité de l'Afrique, il est limitrophe d'une terre barbare (to varvariko parakitê). Néanmoins, ce terme peut aussi se rapporter à tout ce qui est barbare, et à ce titre – aux territoires qui, bien que peuplés des barbares, entrent dans la composition de l'empire.

C'est justement dans ce sens que ce terme est utilisé dans le canon de Chalcédoine. On n'y parle pas de peuples barbares en général, mais seulement de peuples bien déterminés, des peuples des provinces susmentionnées (tov proirimenon diikiseon), c’est à dire des barbares vivant dans les diocèses du Pont, de l'Asie et de Thrace qui faisaient partie intégrante de l'empire romain d'orient. Ainsi le canon soumet au siège de Constantinople les évêques des barbares vivant dans les limites ecclésiales de ces trois diocèses.

Tous les commentateurs des canons, Alexis Aristène, Jean Zonaras et Théodore Balsamon, de même que l'auteur du Syntagma alphabétique, Matthieu Blastaris, entendent par l'expression "en varvarikis" justement les peuples barbares et, qui plus est, uniquement les peuples soumis à la juridiction de ces trois diocèses, soulignant que les peuples barbares des diocèses voisins n'étaient pas soumis par cette règle à la juridiction de Constantinople, mais ils restaient sous la juridiction d'autres Eglises orthodoxes. Seuls sont soumis à l'Evêque de Constantinople, écrit Aristine, les métropolites du Pont, d'Asie et de Thrace, et c’est de lui qu’ils reçoivent la consécration épiscopale ; il en est de même pour les évêques des barbares dans ces diocèses, car le diocèse de Macédoine, d'Illyrie, de T! héssalie, du Péloponnèse et de tout l’Epire et les peuples barbares dans ce diocèse se trouvaient alors sous l'autorité de l’évêque de Rome (Syntagma d'Athènes 2, 286 ; Kormtchaïa, Edition 1816, p. 73). C'est l’évêque de Constantinople qui est chargé de la consécration épiscopale des peuples barbares qui se trouvent dans les diocèses précités, écrit Zonara, car les diocèses restants, c'est à dire : de Macédoine et de Théssalie, d'Ellade et du Péloponnèse, d'Epire et d'Illyrie étaient alors soumis à l’évêque de la Rome ancienne (Syntagma d'Athènes 2, 283, 284). Nous pouvons lire dans le Syntagma de M. Blastaris : l’évêque de Constantinople a aussi le droit de sacrer les évêques des peuples barbares limitrophes de ces diocèses, comme les Alains et les " Rous " car les premiers sont limitrophes du diocèse grave;se du Pont et les seconds du diocèse de Thrace (Syntagma d'Athènes VI, 257). Dans ce dernier cas, il s'agit d'une pratique ecclésiale tardive (le témoignage de Blastaris se rapporte au XIVe siècle) selon laquelle sont incluses dans la juridiction de l'Eglise de Contantinople les terres barbares attenantes aux trois diocèses mentionnés. Il est par ailleurs souligné que la juridiction de l'évêque de Constantinople a été étendue à ces territoire justement du fait de leur voisinage avec la province canonique définie par la 28e règle du Concile de Chalcédoine, bien que dans le texte même des règles la possibilité d'un tel élargissement ne soit pas prévue.

Ainsi les commentateurs anciens et faisant autorité confirment que le Concile de Chalcédoine n'a donné à l’évêque de Constantinople un droit sur les territoires "barbares" que dans les limites de trois diocèses, dont seul le diocèse de Thrace se situe en Europe. Aristène et Zonaras, par exemple, indiquent clairement qu'en Europe le droit pour l’évêque de Constantinople d'envoyer des évêques pour les barbares s'étend seulement au diocèse de Trace, car les autres diocèses sont soumis à l’évêque de Rome. En ce qui concerne les frontières de l’Eglise de Constantinople en Asie, Balsamon écrit, dans l’interprétation du canon 28 du IVe Concile œcuménique : " Sache qu'on appelle pontiques les métropolites riverains de la Mer Noire jusqu'à Trébizonde, asiatiques les mé! tropolites près d'Ephèse, de la Lycie, de Pamphilie et des environs, mais pas en Anatolie, comme disent certains. En Anatolie, c'est celui [l’évêque] d'Antioche qui possède le droit d'ordonner " (Syntagma d'Athènes II, 284).

Il convient également de constater qu'il ne s'agit pas dans ce canon de la diaspora mais des peuples "barbares " autochtones vivant non pas dispersés mais sur leurs propres terres. Ils sont devenus chrétiens surtout à la suite d'activités missionnaires : leur christianisme ne vient pas de leur patrie étrangère comme c'est le cas pour la diaspora. Et voilà pourquoi, on s'éloigne de la réalité historique et on mélange des concepts différents si on étend le champ d'application d’un canon concernant les peuples autochtones, devenus chrétiens par suite d'activités missionnaires, au phénomène de la diaspora composée de personnes qui partent en terre étrangère et qui ont été élevés dans la tradition orthodoxe de leur patrie. Ainsi l'affirmation de Votre Sainteté disant que par le 28e canon de Chalcédoine "entrent dans le domaine de responsabilité du Patriarche œcuménique l’Europe occidentale et toutes les terres nouvellement découvertes d'Amérique et d'Australie" est une affirmation qui semble être entièrement inventée et privée de tout fondement canonique. En effet ces terres éloignées n'ont aucun lien avec les trois diocèses mentionnés dans le canon et n'en sont même pas limitrophes, et, d’autre part, la majorité des fidèles des Eglises sur ces territoires ne sont pas des indigènes mais des représentants de peuples traditionnellement orthodoxes avec leurs traditions religieuses qu'ils souhaitent conserver. Pour ce qui est de l’appartenance juridictionnelle des territoires canoniques appartenant à l’Eglise de Rome avant le schisme de l’an 1054, aucune décision ayant autorité pan-orthodoxe n'a été prise par l’Eglise.

Tout cela est étayé aussi par des faits historiques indiquant que jusque dans les années vingt du vingtième siècle il n'y avait aucune autorité de fait du patriarche de Constantinople sur toute la diaspora orthodoxe dans le monde entier, et qu’il ne prétendait pas non plus à une telle autorité. A titre d'exemple, en Australie la diaspora orthodoxe était initialement desservie par Jérusalem et le patriarcat de Jérusalem y envoyait des prêtres. En Europe occidentale, dès le commencement, les paroisses et les communautés orthodoxes dépendaient canoniquement de leur Eglises mères et non pas de Constantinople, de même que dans d'autres parties du monde où pour suivre l’enseignement du Christ (Matthieu 28, 1-20) des missionnaires zélés des Eglises locales orthodoxes, y compris celle de Constantinople, prêchaient l'Evangile et baptisaient les aborigènes qui devenaient enfants de l’Eglise, qui les avait éclairés par le baptême.

Pour ce qui est de l'Amérique, dès 1794, l'orthodoxie sur ce continent a été représenté exclusivement par la juridiction de l'Eglise russe qui en 1918 regroupait 300 000 orthodoxes de nationalités différentes (Russes, Ukrainiens, Serbes, Albanais, Arabes, Aléoutes, Indiens, Africains, Anglais) ; y appartenaient également les grecs orthodoxes recevant l'antimension pour leurs paroisses de la part des évêques russe. Une telle situation était reconnue par toute les Eglises locales qui pour les paroisses américaines envoyaient leur clergé dans la juridiction de l'Eglise orthodoxe russe. Le patriarcat de Constantinople aussi s'en tenait à cette même pratique. Par exemple, lorsque en 1912 les Grecs orthodoxes d'Amérique adressèrent une requête pour l'envoi d'un évêque grec à Sa Sainteté le! Patriarche de Constantinople Joachim III, le Patriarche ne l’a ni envoyé lui-même, ni n’a adressé cette requête à l'Eglise orthodoxe de Grèce mais il a recommandé d'en référer à l'Archevêque Platon d'Aléoutie et d'Amérique du Nord afin que cette question soit tranchée par le Saint Synode de l’Eglise orthodoxe russe.

Le pluralisme juridictionnel en Amérique du Nord a commencé en 1921, lorsque a été créé l' " Archevêché grec d'Amérique du Nord et du Sud " sans l'accord de l'Eglise orthodoxe russe, qui n'en avait pas été informée. C'est justement à ce moment-là qu'apparaît ce que vous décrivez : " En dépit des Saints Canons, les Orthodoxes, en particulier ceux qui vivent dans les pays occidentaux, sont divisés en groupes ethnico-raciaux. Les Eglises ont à leur tête des évêques choisis pour des considérations ethnico-raciales. Souvent ces derniers ne sont pas seuls dans chaque ville et parfois n'entretiennent pas de bonnes relations et se combattent ", ce qui "est une honte pour toute l'orthodoxie et la cause de réactions défavorables qui se retournent contre elle ". Comme nous le voyons, la faute de cette triste situation n'incombe pas à l'Eglise russe. Au contraire, s'efforçant de faire entrer l'orthodoxie américaine dans le sillage canonique, en tant qu'Eglise Mère, en 1970, elle a accordé l'autocéphalie à son Eglise Fille. Par cet acte, l'Eglise russe a agi dans les limites de sa juridiction canonique, ayant en vue une future décision pan-orthodoxe concernant le rétablissement d'une Eglise orthodoxe locale unique en Amérique. Nous pouvons remarquer que, déjà en 1905, un projet de création de cette Eglise avait été présenté au Saint Synode par le saint Patriarche Tikhon qui était alors l’Archevêque d'Aléoutie et d'Amérique du Nord. Il est triste de constater que la Très Sainte Eglise de Constantinople n'a pas soutenu l’acte de 1970 et n'a pas contribué à l'union tant souhaitée. Jusqu'à présent, cela reste une cause de discorde et de mécontentement qu’éprouvent de nombreux Orthodoxes en Amérique en ce qui concerne leur statut.

Malgré l'affirmation de Votre Sainteté, à savoir " qu'aucun autre siège patriarcal n'a reçu le privilège ni le droit canonique " pour appliquer sa juridiction en dehors des provinces qui n'appartiennent pas aux territoires canoniques des Eglises autocéphales, l’histoire démontre que la 28è règle du IVe Concile œcuménique soumettant à Constantinople les trois diocèses mentionnés ne diminue en rien les droits des autres Eglises autocéphales, en particulier dans le domaine de la juridiction ecclésiastique sur le territoire des terres étrangères. Ainsi l'Eglise de Rome désignait les évêques dans presque toute l'Europe, Thrace exceptée, l'Eglise d'Alexandrie dans les pays au Sud de l’Egypte et par la suite sur presque tout le continent africain, celle d'Antioche à l'Est, en Géorgie, en Perse, en Arménie, en Mésopotamie ; la juridiction de Constantinople, quand à elle, pendant longtemps après le Concile est restée confinée aux frontières qu’étaient celles des diocèses d'Asie, du Pont et de Thrace avant ce Concile.

Historiquement, il convient également de constater qu’aussi bien la primauté d'honneur établie par la règle 3 du IIe Concile œcuménique, que les pouvoirs juridictionnels dans les trois diocèses ont été donnés à l'Eglise de Constantinople uniquement pour des raisons politiques, à savoir parce que la ville où se trouvait son siège a acquis le statut politique de capitale, est devenue " la ville de l’empereur et du sénat ". Ainsi le 28ème canon stipule : " Nous prenons la décision au sujet de la préséance de la Très Sainte Eglise de Constantinople, la Nouvelle Rome. Les pères en effet ont accordé avec raison au siège de l'ancienne Rome la préséance parce que cette ville était la ville impériale. Mus par ce même motif, les 150 évêques aimés de Dieu ont accordé la même préséance au Très Saint Siège de la Nouvelle Rome, pensant à juste titre que la ville honorée de la présence de l'empereur et du sénat et jouissant des mêmes privilèges civils que Rome, l'ancienne ville impériale, devait aussi avoir le même rang supérieur qu'elle dans les affaires d'église, tout en étant la deuxième après elle ". Nous n'avons pas pour le moment l'intention de nous lancer dans une discussion sur ce thème. Toutefois, il convient de ne pas oublier un fait évident : la situation actuelle de Constantinople après la chute de l'empire byzantin ne justifie absolument pas un recours trop insistant à ce canon, sans parler d'interprétations excessivement élargies à son sujet.

L'inclusion dans la juridiction de la Très Sainte Eglise de Constantinople de nouvelles provinces outre celles voisines de ces trois diocèses, qui a eu lieu au cours de l’histoire, n'est pas, d'après nous, liée à la règle 28 du IVe Concile œcuménique. Les raisons en furent tout à fait autres. Ainsi, les provinces mentionnées par Votre Sainteté d'Illyrie, d'Italie du Sud et de Sicile ne relevaient pas "toujours" de la juridiction du Patriarcat de Constantinople mais furent enlevées de force à l'Eglise romaine et transmises à l'Eglise de Constantinople par l'empereur iconoclaste Léon l’Isaurien, sans référence aucune au 28ième canon du Concile de Chalcédoine. Une des plus importantes raisons de ces actes de Léon l'Isaurien était que l'Eglise de Rome s'opposait à la politique iconoclaste de l'empereur byzantin dont le pouvoir politique s'étendait au territoire indiqué.

En ce qui concerne l'Eglise russe, elle était initialement soumise à l'Eglise de Constantinople non pas en vertu du canon 28 du IVe Concile œcuménique mais en vertu du principe général, selon lequel les peuples convertis se soumettent à l'Eglise mère qui les a christianisés tant qu'ils ne réunissent pas les conditions nécessaires à l'autocéphalie. En devenant église autocéphale, l'Eglise russe a reçu les mêmes droits de mission, au-delà de son territoire canonique, que les autres Eglises orthodoxes locales dans la mesure où, comme cela fut montré ci-dessus, les Saints canons ne donnent aucune préséance à quelque Eglise que ce soit pour la réalisation de ce droit.

Telle est l'authentique tradition pan-orthodoxe dans cette question et la Très Sainte Eglise de Constantinople l’avait toujours respectée jusqu'au moment où le Patriarche Mélétios IV a élaboré la théorie de la subordination de toute la diaspora orthodoxe à Constantinople. C'est précisément cette théorie, à l’évidence anticanonique, qui apparaît, pour employer une expression de Votre Sainteté, "hostile à l’esprit de l'Eglise orthodoxe, à l'unité de l’orthodoxie et à l'ordre canonique". Elle est précisément l’expression "d'une intention expansionniste qui n'a pas de fondements canoniques et qui est inacceptable sur le plan ecclésiologique". En prétendant à un pouvoir spirituel universel, elle ne correspond pas à la tradition canonique orthodoxe et à l’enseignement des Saints Pères de l’Eglise, et représente un défi direct à l’unité orthodoxe. En effet, il n'y a aucune raison de convenir avec l’affirmation que l’ensemble de la diaspora orthodoxe ne se trouve point sous la juridiction spirituelle du Patriarcat de Constantinople uniquement parce qu'il "tolère cette situation temporairement et pour des raisons d'économie". Cette dernière phrase a particulièrement suscité notre incompréhension et notre inquiétude car elle semble indiquer l’intention de la Très Sainte Eglise de Constantinople de continuer à mener à l'avenir une politique unilatérale d'expansionnisme étrangère à l'esprit d’amour fraternel et de conciliarité. A cet égard, il convient de rappeler une remarque juste du Patriarche Diodore de Jérusalem de bienheureuse mémoire figurant dans la lettre! à Votre Sainteté N° 480 du 25 juillet 1993, à sa voir que seul le Concile Pan-Orthodoxe a le droit de résoudre la question complexe de la diaspora. Ajoutons encore que ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Roumanie ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Pologne ne partagent la vision des problèmes de la diaspora orthodoxe exposée par Votre Sainteté : c'est ce qui ressort des rapports de ces Eglises aux réunions de la commission préparatoire pour le Saint et Grand Concile en 1990.

Compte tenu de ce qui précède, nous sommes tout à fait en droit de contester l'affirmation de Votre Sainteté, à savoir que l'Exarchat des Paroisses Russes en Europe est " une des formes de la sollicitude pastorale obligatoires " de l’Église de Constantinople. La thèse de subordination obligatoire de cet Exarchat à la juridiction du Patriarcat de Constantinople est réfutée par l'histoire même de cette structure ecclésiastique. Rappelons que dans les documents officiels de l'Eglise de Constantinople concernant la situation des paroisses russes en Europe occidentale il est reconnu que leur Eglise Mère est l'Eglise Orthodoxe Russe, et que le système établi d'administration de ces paroisses a un caractère provisoire. Il en est question sans ambiguïté dans le Tomos du Patriarche Photius du 17 février 1931. Commentant ce document, le Très Saint Patriarche Photius écrit dans une lettre au Métropolite Serge, Locum Tenens du Trône patriarcal, N° 1428 du 25 juin 1931 : " la situation doit rester dans cet état provisoire jusqu'à ce que, Dieu aidant, soit rétablie l’unité de la Sainte Eglise Sœur de Russie ". Dans ce même sens, Sa Sainteté le Patriarche Athénagoras, dans une lettre à l'Exarque des paroisses russes, l'Archevêque Georges d'Eudociade, N° 671 du 22 novembre 1965, témoignant du fait que "l’Eglise Russe s’est libérée des divisions et a acquis une organisation interne et a acquis une liberté d'action pour les affaires hors frontières ", annonce la suppression de l'Exarcat des paroisses russes de l'Europe occidentale " qui avait un caractère provisoire " et lui recommande de s'unir au Très Saint Patriarche de Moscou qui " pourra et devra toujours témoigner et manifester son amour paternel pour ces paroisses ". La reprise en 1971 par le Patriarcat de Constantinople dans sa juridiction, du diocèse des paroisses russes en Europe et sa transformation en Exarchat par le Tomos du 19 juin 1999, n'a en rien changé le caractère provisoire de la situation actuelle de l'Archevêché russe dans la mesure où ce tomos, dans son premier paragraphe, se réfère au tomos du Patriarche Photius. Ainsi, la Très Sainte Eglise de Constantinople elle-même, dans ces documents officiels, a reconnu sans ambiguïté le droit à l’union de l'Archevêché des paroisses russes en Europe occidentale avec l'Eglise Mère – l’Église Orthodoxe Russe sans y voir la manifestation " d'un état d'esprit extrêmement sécularisé et erroné " ou " d’une conception ethnico-raciale erronée".

En ce qui concerne les propos de Son Éminence le Métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad mentionnés par Votre Sainteté, propos tenus pendant son séjour à Paris du 10 au 12 février 2001, ce thème a déjà été évoqué au cours d'une série de négociations par les délégations des Patriarcats de Constantinople et de Moscou à Zurich le 19 avril 2001 et dans une lettre du Métropolite Cyrille au Métropolite de Philadelphie Méliton, N° 2062 du 17 juillet 2001. De passage à Paris, Son Éminence le Métropolite Cyrille a été invité par l'Archevêque Serge d’Eucarpie à une rencontre avec le Conseil de l’Archevêché. A cette rencontre, le hiérarque de notre Eglise n'a fait aucune proposition particulière, toutefois, lorsque on a demand&e! acute; au Métropolite quelle était sa vision de l’avenir de l'Archevêché , il a exposé la position de notre Eglise qui n'a jamais été dissimulé et à laquelle nous sommes irrévocablement attachés. Cette position est la suivante : l'existence d'une structure ecclésiastique isolée des paroisses russes en Europe est le résultat de la tragédie du peuple russe provoquée par la révolution. A l'heure actuelle, quand enfin les conséquences de la révolution sont surmontées, le retour des paroisses de l'émigration au sein du Patriarcat de Moscou serait tout à fait normal. Cette aspiration au rétablissement de l'unité spirituelle de notre peuple est reflétée dans la déclaration que vous avez évoquée, faite par le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe Russe le 8 novembre 2000 où ! il est question des enfants "qui habitent en dehors des limites d e l’Etat russe ", (mais pas " en dehors des limites de l'Eglise russe" comme cela est cité de manière inexacte dans Votre lettre). Cela nous attriste toujours de constater que le souhait légitime et naturel de rassembler à nouveau nos propres ouailles vivant dispersées pour des raisons historiques et politiques connues, fasse l'objet d'attaques si brutales et injustes et ne recueillent pas de compréhension auprès du Primat d’une Eglise qui a subi une tragédie semblable.

La question de la diaspora orthodoxe est un des plus importants problèmes des relations interorthodoxes. Etant donné sa complexité et le fait qu'il ne soit pas suffisamment régularisé, il entraîne de graves complications dans les relations entre les Eglises et sans aucun doute diminue la force du témoignage orthodoxe dans le monde contemporain. Néanmoins, nous espérons vivement que les efforts soutenus et insistants des Eglises Orthodoxes locales permettront finalement de trouver une solution pan-orthodoxe de ce problème lors du Saint et Grand Concile de l’Eglise Orthodoxe d'Orient. La responsabilité historique en paraît d'autant plus lourde pour les actes dirigés contre l’obtention d'un accord agréable à Dieu concernant cette question clé.

Voilà pourquoi pour le véritable bien aussi bien de l'orthodoxie que de l’Église de Constantinople qui nous est chère par des réminiscences historiques séculaires, nous appelons Votre Sainteté à suivre les préceptes des Saints Pères, exprimés dans le 8ième canon du IIIe Concile œcuménique, "que les canons des Pères ne soient pas enfreints, ni que sous le prétexte d'actes sacrés ne s'insinue l’orgueil de la puissance mondaine et que, sans nous en rendre compte, nous perdions peu à peu la liberté, que nous a donné par Son propre Sang, Jésus Christ Notre Seigneur, le Libérateur de tous les hommes". Fidèle à la tradition des Saints Pères, nous demandons instamment et sincèrement à Votre Sainteté de renoncer à un état d'esprit faisant obstacle à l’accord ardemment désiré et de déployer des efforts pour convoquer rapidement le Grand et Saint Concile.

Nous demandons à Dieu paix, santé et longue vie pour Votre Sainteté, nous vous donnons à nouveau l’accolade fraternelle et nous continuons à vous respecter et à vous aimer dans le Christ.

Alexis, Patriarche de Moscou et de toute la Russie
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Merci d’avoir publié ce texte. Je ne crois pas beaucoup que le patriarcat œcuménique soit fondé à réclamer par principe tous les territoires ne relevant pas d’une Église nationale. Je crois que le patriarcat de Moscou est fondé à rappeler que son action missionnaire dans le passé lui donne le droit de se considérer comme l’Église-Mère d’un certain nombre d’Églises (par exemple en Extrême Orient). Mais je me demande vraiment comment il peut proposer en Europe occidentale la création d’une “Orthodoxie locale de tradition russe”. Il me semble qu’il y a là une complète contradiction dans les termes. J’appelle de mes vœux la création en Europe occidentale d’une Orthodoxie locale de tradition orthodoxe. Il faudra avant tout que l’Église orthodoxe d’Europe occidentale crée des diocèses où se retrouveront l’ensemble des fidèles orthodoxes, quelle que soit leur origine, accueillant les fidèles issus de toutes les nations orthodoxes à côté des fidèles d’origine locale. Elle pourra accueillir en son sein les immigrés originaires des pays de tradition orthodoxe, et elle pourra très bien demander aux Églises de ces pays d’envoyer des prêtres. capables de les accueillir au début de leur vie en Occident, mais le sort normal d’un immigré est de s’intégrer dans le nouveau pays où il vit.

Quant au patriarcat œcuménique, plutôt que de revendiquer un droit, il ferait mieux de se montrer capable d’inciter les Églises qui relèvent de son autorité à se montrer missionnaires et de leur accorder l’autonomie, ce qui suppose la participation à un synode provincial. Il n’a qu’un seul argument en sa faveur, c’est d’être la seule Église orthodoxe au monde qui ne pose pas en principe l’appartenance nationale. C’est pourquoi l’Union européenne préférera probablement avoir affaire à lui plutôt qu’à un autre patriarcat, et c’est un principe canonique de l’Église orthodoxe d’écouter avec respect le pouvoir civil. Mais cela ne dispensera pas le patriarcat œcuménique de se montrer digne de ses principes. Actuellement, les paroisses “grecques” en France, qui sont placées sous l’omophore du métropolite de France du patriarcat œcuménique ont rétabli la présence du drapeau grec dans les églises (qu’elles avaient abandonné il y a un certain temps). Un jour ou l’autre la République française se fâchera.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Antoine
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Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

Message par Antoine »

Actuellement, les paroisses “grecques” en France, qui sont placées sous l’omophore du métropolite de France du patriarcat œcuménique ont rétabli la présence du drapeau grec dans les églises (qu’elles avaient abandonné il y a un certain temps). Un jour ou l’autre la République française se fâchera.
Si notre lecteur "invité" assidu, qui s'est auto-investi d'une mission de surveillance du forum, veut bien faire remonter l'info au Métropolite Emmanuel, la république lui en sera d'avance très reconnaissante.
Volodimir
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Message par Volodimir »

Jean-Louis, vous parlez d'une Eglise Orthodoxe d'Europe Occidentale.

Mais l'Europe, ce n'est pas une nation, concernant la France, ne s'agirait-il pas de rétablir une Eglise Orthodoxe locale, accueillant tant les orthodoxes de l'immigration que les locaux?

Mais quelle tradition liturgique serait celle de cette Eglise de France? Russe, grecque, roumaine ? Un français devra t'il intégrer l'une des traditions issue d'une Eglise-Mère, comme ce que propose Moscou, ou bien comme aux Etats Unis coexisteront plusieurs diocèses selon les ressortissant à intégrer ?

Pouvez-vous me préciser ce que vous entendez par "de tradition orthodoxe" ? Selon quel critères un français comme vous "choisira" sa famille liturgique, de chanter sur le mode slavon plutôt que byzantin, suivre le trebnik plutôt que l'euchologe, célébrer selon l'usage russe plutôt que grec ou roumain ou serbe ?
Envisagez vous une "unification" des usages?

Ce sont des questions que je me suis toujours posées, lorsque l'on ne vient pas d'un pays orthodoxe avec sa tradition propre, comment faire ?
pascal
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Message par pascal »

bonjour,

quelqu'un pourrait-il me transmettre la lettre du patriarche Batholomée Archevêque de Constantinople-nouvelle Rome qui est à l'origine de la réponse faite par le Patriarche Alexis II?

sinon comme volodimir je m'interroge sur la formule de Jean Louis Palierne d'Eglise Orthodoxe d'Europe Occidentale. Faut-il entendre par cette appelation Eglise Orthodoxe d'une nation d'Europe Occidentale ou est-ce autre chose?

merci en tout cas de ces éclairages instructifs.

sur la définition canonique pour une église occidentale j'en était resté à la formulation de W. Lossky..mais peut être à ce sujet vos positions sont-elles divergentes...il est vrai que ladite formulation est générale...
Glicherie
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Message par Glicherie »

- le territoire écclésiastique d'Occident, comme tel, appartient au Patriarcat de Rome. Donc, aucune des Églises locales d'Orient, ni celle de Constantinople, ni celle de Russie, ne peuvent s'approprier ce territoire en y fondant des diocèses nouveaux (par exemple, un diocèse de Paris, un diocèse de Rome, etc.). Une Église locale d'Occident ne pourra naître que du sol même de l'Occident, comme résultat d'une mission, d'une restauration de l'Orthodoxie occidentale avec ses traditions, son rite, sa spiritualité, le culte de ses Saints locaux. Ce but, qui ne sera réalisé, probablement, que par les générations suivantes, exige une collaboration des orthodoxes de nationalités différentes résidant en France et gouvernés par les Exarques légitimes de leurs Églises Mères. Encore une fois, cette formule se trouve dans la ligne de la pensée du Métropolite Serge de Moscou qui, tout en réfutant les prétentions du Métropolite Euloge, se basait sur le même principe : impossibilité pour une Église locale d'Orient de fonder un diocèse normal sur l'ancien territoire du Patriarcat de Rome.

J'imagine que c'est de cette définition que vous parlez ? Je ne sais quoi en penser. Toujours est-il qu'effectivement, il n'y a pas de diocèses normaux en France, mais des diocèses "off shore", même pour l'Eglise Russe.
La Métropole d'Europe Occidentale instaurée par le Patriarchat de Moscou n'aura probablement pas plus de diocèses français que n'en ont les Metropoles Grecques et Roumaine...

Est-ce à cela que Jean-Louis Palierne fait référence lorsqu'il dit qu'on nous refuse en France "le vrai visage de l'Orthodoxie" ?
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

A mon avis, l'idée du patriarche de Moscou d'une "Orthodoxie locale de tradition russe" se justifie, dès lors qu'existe aussi une "Orthodoxie locale de tradition grecque" et une "Orthodoxie locale de tradition roumaine".

Dans toutes les paroisses "de souche", il y a aussi des convertis autochtones. On ne peut pas faire une équation "paroisses francophones = convertis", "paroisses de souche = immigrés". En ce sens, ce n'est pas contradictoire de parler d'une "Orthodoxie locale de tradition russe".

On pourrait donc supposer que dans chaque pays coexistent des diocèses correspondant à des traditions différentes, mais qui seraient dotés d'un certain degré d'autonomie administrative (c'est déjà le cas pour la Métropole orthodoxe roumaine d'Europe occidentale et méridionale et c'est ce que le patriarche de Moscou propose pour la future Métropole orthodoxe russe d'Europe occidentale) et qui agiraient de manière coordonnée. Dans chaque diocèse il pourrait y avoir des évêques autochtones et des paroisses utilisant la langue du pays. Le lien maintenu avec chaque Eglise-mère permettrait de s'imprégner d'une tradition avant de pouvoir la transmettre.

Cela étant, je pense une chose: sur le plan liturgique, les communautés occidentales devraient s'en tenir le plus possible à l'usage grec. Les Slaves et les Roumains ont développé quelques usages particuliers après avoir d'abord reçu l'original grec. De mon point de vue, l'usage grec est celui qui est le plus universel et le plus proche des origines.

Même rattachés à la juridiction roumaine ou russe, nous devrions suivre la tradition grecque sur le plan liturgique - quitte à être parfaitement fidèles à l'héritage roumain ou russe sur les autres plans.

Ce que j'écris là ne vaut naturellement que pour les paroisses francophones, les autres devant rester fidèles aux usages reçus du pays d'origine.

Je vous signale sur Internet une étude d'une linguiste qui compare les gestes des fidèles pendant la liturgie dans des paroisses orthodoxes francophones et dans des paroisses orthodoxes en Roumanie, et se demande s'il n'y a déjà pas certaines attitudes qui seraient propres aux orthodoxes français: http://buweb.univ-angers.fr/PRESSES/pub ... umas~1.htm . Si cela était vrai, cela voudrait dire qu'une certaine osmose commence à se développer entre différents usages importés (grec, roumain, russe) et le contexte français. Au lecteur de juger.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Volodimir, merci pour ces questions que vous posez. Elles permettene d’abordre au fond certains aspects de la question

1. Vous posez la question :
Mais l'Europe, ce n'est pas une nation, concernant la France, ne s'agirait-il pas de rétablir une Eglise Orthodoxe locale, accueillant tant les orthodoxes de l'immigration que les locaux?
Sur la nature de l’Europe, je ne voudrais pas me lancer dans un débat politique qui sortirait totalement du sujet de notre groupe de discussion, mais je voudrait tout de même faire remarquer au minimum, et quelle soit l’analyse politique adoptée, que l’Europe a dès maintenant une réalité politique bien plus homogène que celle d’une simple fédération. Ce n’est pas tout à fait une nation, et elle ne prétend pas le devenir dans un avenir prévisible, mais elle en a déjà un certain nombre d’attributs. Même si certains disent qu’il y a plusieurs niveaux d’intégration, “plusieurs vitesses” de fonctionnement, le niveau minimum lui-même est déjà élevé. (Refuseriez-vous à la fédération des principautés malaises théoriquement souveraines le droit de former une unité internationale considérée comme la nation malaise ?)

De toutes façons le mode de fonctionnement canoniquement idéal serait des métropoles composées de plusieurs diocèses et regroupées en une métropole du second degré. C’est extrêmement souple, cela fonctionnait dès l’Antiquité et cela permet de s’adapter à des évolutions politiques.

Mais pour nous orthodoxes cette question est tout à fait secondaire à côté de l’exigence canonique essentielle qui veut que tous les fidèles de l’Église orthodoxe présents en un lieu donné soient réunis pour former une unique Église du lieu, c’est-à-dire une Église locale. Il n’y a plus ni Juifs ni Grecs, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car tous vous êtes un en Christ Jésus dit l’apôtre Paul aux Galates (qui formaient une ethnie pas parfaitement intégrée dans l’Empire). C’était dans l’Antiquité un trait caractéristique de l’Église des ressuscités, par rapport à tant d’autres groupements de cette époque : écoles philosophiques, religions à Mystères ou synagogues du Peuple élu, que de rassembler tous les fidèles dans l’assemblée eucharistique. Cependant les esclaves étaient alors exclus de tout autre groupe, et il y avait de nombreuses nations barbares assujetties, des classes sociales très différenciées etc...

Dans l’Église, pas question d’âge ni de sexe, de statut, de race, de langue, d’ethnie ou de nation, tous sont réunis dans la même assemblée eucharistique. L’Église n’est pas une structure nationale. Certes elle a éduqué les nations, elle a contribué à ce qu’on pourrait appeler leur promotion culturelle, intellectuelle et même elle leur a enseigné à se donner une structure juridique, mais sa vocation politique serait plutôt d’orienter vers la formation de grands ensembles multi-nationaux (l’Empire byzantin n’était pas un empire grec, le latin était la langue de l’État, le grec la langue de la culture et des échanges, et de nombreux peuples s’y intégraient tout en parlant d’autres langues).

C’est par une aberration de l’ère moderne (née en Occident à l’ère des Lumières) que les nations de tradition orthodoxe ont voulu créer des États-nations comme les occidentaux, et dans le monde orthodoxes on a même vu apparaître des Églises-États-Nations. Les Églises (qui sont une des dimensions de la vie nationale) se sont fait attribuer par le patriarcat de Constantinople le privilège de l’auto-céphalie (c’est-à-dire le droit pour une province ecclésiastique d’élire elle-même l’évêque qui préside le synode). Ensuite on a pris cela pour une dignité patriarcale, et on a considéré que le droit naturel à l’indépendance, qui devrait être reconnu à tout groupe ethnique comprenait nécessairement le droit de l’Église à avoir son patriarche.

L’Église est communion, et ceci vaut même pour l’Église répandue jusqu’aux extrêmités de la terre. L’Église s’est toujours fixé pour principe d’observer pour découpage administratif les découpages territoriaux fixés par le pouvoir civil, éventuellement à plusieurs degrés. Mais pas les différenciations ethniques, linguistiques etc. qui ne représentent pour l’Église qu’un défi toujours surmontable.

2. Vous demandez aussi :
Mais quelle tradition liturgique serait celle de cette Eglise de France? Russe, grecque, roumaine ? Un français devra t'il intégrer l'une des traditions issue d'une Eglise-Mère, comme ce que propose Moscou, ou bien comme aux Etats Unis coexisteront plusieurs diocèses selon les ressortissant à intégrer ?
Bien entendu l’Église ainsi administrée par unités territoriales, au sein desquels s’exerce le principe du consensus des évêques, ou synodalité (le président du synode est l’évêque du chef-lieu, mais ce n’est pas le chef pyramidal de ses collègues évêques) a vu apparaître de petites différences de coutumes locales (le klobouk blanc des métropolites russes est inconnu dans les autres églises orthodoxes sans que cela pose un problème de communion) sans importance au départ. En général les Églises qui accordent beaucoup d’importance à leur devoir de rester orthodoxes s’efforcent de réduire ou au moins de limiter les petites différences.

Il est fort compréhensible que des fidèles qui ont connu depuis leur petite enfance la liturgie célébrée en slave (mais qui en général ne la comprennent pas, parce que ce n’est plus leur langue slave vivante) souhaitent l’entendre même lorsqu’ils sont exilés dans un pays lointain (et en général le premier réflexe des transplantés est de se replier sur l’identité perdue, au moin symboliquement). Mais le slave n’est qu’une traduction du grec. Et les slaves doivent cohabiter, dans l’émigration, avec les Grecs, les Serbes, les Roumains, les Géorgiens, les Antiochiens etc, qui ont connu d’autres langues dans les églises de leurs pays, et avec... les indigènes, qui souhaitent comprendre ce qui est dit à l’Église, car la Liturgie est toujours la meilleure catéchèse.

Il arrive que des immigrés d’origine orthodoxe, entendant pour la première fois la Liturgie en français, par exemple les Matines de la Résurrection qu’ils peuvent enfin comprendre (ils vivent depuis soixante-dix ans en France) s’écrient « Je ne savais pas que c’était si beau !»

Et quand je vois que la tradition liturgique de certains pays orthodoxes amène à vélébrer des liturgies dans une église obscure, crépusculaire, portes royales soigneusement closes, fidèles agenouillés (c’est interdit par les canons qui considèrent que l’agenouillement est réservé aux pénitents qui devraient quitter l’église avant l’anaphore), je me demande si de telles traditions sont bien des écoles d’orthodoxie. En fait il faut bien reconnaître d’autre part que l’ensemble des Églises orthodoxes a subi à l’époque moderne (surtout XVIII-XIXèmes siècles) l’influence de la culture occidentale, de son piétisme, de son académisme, de son individualisme, de son rationalisme, de son moralisme.

Je pense donc que la nécessité de construire en Europe occidentale des Églises orthodoxes locales issues d’un “melting-pot” de traditions diverses, mais nourries de ces divers apports, multi-nationales et pliri-linguistiques, peut être pour l’Église orthodoxe un pas vers son nécessaire retour aux sources.

Au fait, puisque vous vous réclamez de la tradition slavonne (ce n’est absolument pas un reproche), connaissez-vous la manière dont cette tradition est vécue chez les slaves des Balkans (il en existe plusieurs variétés, je ne veux pas entrer dans le débat). Et connaissez-vous personnellement des orthodoxes arabophones ? Il y en a beaucoup en France, et leur tradition a beaucoup de prestige auprès des Français.

3. Suit votre troisième question :
Pouvez-vous me préciser ce que vous entendez par "de tradition orthodoxe" ? Selon quel critères un français comme vous "choisira" sa famille liturgique, de chanter sur le mode slavon plutôt que byzantin, suivre le trebnik plutôt que l'euchologe, célébrer selon l'usage russe plutôt que grec ou roumain ou serbe ?
Envisagez vous une "unification" des usages?
Il y a encore cinquante ans, la tradition russe jouissait d’un énorme prestige en France. L’orthodoxie russe était représentée par nombre d’éminents penseurs de tendances diverses. Ce prestige s’est peu à peu détérioré. Cependant s’accroissait sans cesse le nombre des occidentaux qui s’adressaient à l’Église orthodoxe pour y trouver une nourriture spirituelle qu’ils n’attendaient plus des Églises traditionnelles de l’Occident. La grande majorité de ceux qui quittent les Églises d’Occident ne vont pas vers les Églises d’Orient, mais la petite fraction qui s’y adresse n’est pas constituée, comme le prévoyaient ceux qui avaient naguère fondé l’Orthodoxie francophone, par une petite élite intellectuelle déchristianisée, mais surtout par gens ordinaires qui conservaient la nostalgie d’une vraie Église. Ce n’étaient pas non plus des gens qui recherchaient une Église “au service du prochain”, comme l’auraient voulu toujours ces mêmes initiateurs. Les occidentaux qui s’adressent à l’Église orthodoxe recherchent avant tout une Église où on puisse apprendre à prier. Il y avait là un malentendu fondamental.

Aujàued’hui le mode va plutôt vers les origines méditerranéennes. Beaucoup ont été repoussés par l’Église d’Antioche, “qui ne veut pas s’occuper des Français”. Beaucoup maintenant sont séduits (à mon avis à très juste titre) par la beauté dépouillée de la musique byzantine, qui fait contraste avec la musique polyphonique russe, beaucoup trop “mondaine”. Mais quelles qu’elles soient, les Églises orthodoxes implantées en Occident ne sont pas du tout prêtes et n’ont pas du tout l’intention de faire des efforts pour accueillir des européens occidentaux, et le patriarcat œcuménique ne conforme pas du tout ses actes à ses prétentions d’être la seule Église supra-nationale (et formellement il est le seul à le proclamer).

Les usages liturgiques ne devraient pas poser un problème. Le Trebnik slave n’est théoriquement que la traduction de l’Euchologe grec, de même d’ailleurs que tous les livres liturgiques slaves ne sont théoriquement que des traductions des livres liturgiques grecs. On s’est beaucoup battu en Russie pour corriger les livres liturgiques pour se conformer au grec, et quand on s’écartait d’un usage grec on disait que c’était parce que les grecs avaient altéré leurs livres et qu’on avait pu reconstituer le texte primitif — en grec bien sûr. Les différences subsistantes devraient donc ne plus être que d’ordre folklorique (peu importe la couleur du klobouk des métropolites).

Si on adopte la langue parlée aujourd’hui par les “indigènes” on a de nouveau accès à la beauté de la Liturgie.

4. Pour finir :
Ce sont des questions que je me suis toujours posées, lorsque l'on ne vient pas d'un pays orthodoxe avec sa tradition propre, comment faire ?
Ben... J’vois pas. Je continue à me demander par quel invraisemblable malentendu on peut nous parler d’une Orthodoxie locale de tradition russe, ce qui est un défi au bon sens. J’appelle de tous mes vœux la création d’une Église locale de tradition orthodoxe. Il peut s’agir d’une métropole d’Europe occidentale, avec des diocèses locaux, où s’amalgameront des fidèles d’origine et de tradition différente, dans des liturgies communes, de langue principalement locale, mais se montrant fort accueillante et bienveillante aux usages, aux langues des immigrés, pouvant même demander aux Églises d’origine des immigrés d’envoyer un clergé capable de les accueillir, au moins à l’origine, mais dans le cadre des Églises locales.

En tout état de cause le destin de tout immigré est de s’intégrer au pays d’accueil, même dans le cas des immigrés d’origine orthodoxe. Qu’on ne dise pas qu’ils refuseront. Tous le font, tôt ou tard, éventuellement après quelques générations. Dans ma vie professionnelle, j’ai eu des collègues Papadopoulos, Markovitch, Teodorescu, Kovalov ou Petrovitch etc... Quand ils commençaient à s’acclimater, ils quittaient l’Église de leurs parents pour aller chez les catholiques. Les Russes ont conservé un peu plus lontemps leur identité nationale parce qu’ils étaient issus des classes instruites. Actuellement la quasi-totalité sont devenus des cadres supérieurs de la société occidentale, et une toute petite partie d’entre eux s’adresse encore à l’Église russe pour les mariages et les enterrements. Tout près de chez moi, dans mon quartier d’immigrés pauvres, il y a un gros paquet de Serbes. Ce sont maintenant des retraités. Leurs enfants ont épousé des français et ont perdu leur identité nationale depuis longtemps. Ils passent leur temps entre eux, au café, à discuter des nouvelles de là-bas, mais ne vont jamais à l’église.

Un dernier mot : le pouvoir civil lui aussi a toujours son mot à dire sur ce genre de questions, et la tradition orthodoxe exige que l’Église en tienne soigneusement et respectueusement compte. Or il est bien évident que l’Union européenne, comme d’ailleurs les gouvernements nationaux, préféreront toujours avoir affaire au patriarcat œcuménique. Qu’on n’aille pas crier à une compromission avec le Pouvoir ! C’est la règle que c’est toujours fixée l’Église orthodoxe. Elle n’a jamais porté la tiare. Par contre les gouvernements occidentaux seront de plus en plus demandeurs de l’intégration des immigrants, et cela risque de peser dans le débat interne aux orthodoxes.
Jean-Louis Palierne
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pascal
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Message par pascal »

pour répondre à Glicherie, oui je faisais référence à cette formulation de W. Lossky.

pour en revenir à la position du patriarche de Moscou, si j'en crois la règle canonique qu'il cite, c'est à dire la règle 28 du IVème concile oecuménique, celui de Chalcédoine donc, j'ai un pédalion qui énonce:

28. Voeu pour la primauté du siège de Constantinople.
Suivant en tout les décrets des saints pères et reconnaissant le canon lu récemment des cent cinquante évêques aimés de Dieu, réunis dans la ville impériale de Constantinople, la nouvelle Rome, sous Théodose le grand, de pieuse mémoire, nous approuvons et prenons la même décision au sujet de la préséance de la très sainte Église de Constantinople, la nouvelle Rome. Les pères en effet ont accordé avec raison au siège de l'ancienne Rome la préséance, parce que cette ville était la ville impériale, mûs par ce même motif les cent cinquante évêques aimés de Dieu ont accordé la même préséance au très saint siège de la nouvelle Rome, pensant que la ville honorée de la présence de l'empereur et du sénat et jouissant des mêmes privilèges civils que Rome, l'ancienne ville impériale, devait aussi avoir le même rang supérieur qu'elle dans les affaires d'église, tout en étant la seconde après elle; en sorte que les métropolitains des diocèses du Pont, de l'Asie (proconsulaire) et de la Thrace, et eux seuls, ainsi que les évêques des parties de ces diocèses occupés par les barbares, seront sacrés par le saint siège de l'église de Constantinople; bien entendu, les métropolitains des diocèses mentionnés sacreront régulièrement avec les évêques de leur provinces les nouveaux évêques de chaque province, selon les prescriptions des canons, tandis que, comme il vient d'être dit, les métropolitains de ces diocèses doivent être sacrés par l'évêque de Constantinople, après élection concordante faite en la manière accoutumée et notifiée au siège de celui-ci.

sur cette base la position de Constantinople paraît donc difficilement tenable. il semblerait bien qu'il s'agisse des barbares des 3 diocèses précités, et pas d'autre chose, mais peut être ai-je une traduction discutable...

d'autre part, comment interpréter en corollaire la deuxième règle in fine du Concile de Constantinople qui énonce:

2. Du bon ordre à garder dans chaque province et de la primauté qui revient aux grands sièges d'Alexandrie, d'Antioche et de Constantinople, et de ce qu'un évêque ne doit pas intervenir dans un évêché autre que le sien.
Les évêques qui sont à la tête d'un diocèse ne doivent pas s'immiscer dans les affaires des Églises qui sont hors de leurs limites, ni jeter par là le trouble dans les Églises. Mais, conformément aux canons, l'évêque d'Alexandrie administrera uniquement les affaires de l'Égypte, les évêques d'Orient gouverneront les Églises du seul Orient, tout en gardant la préséance reconnue par les canons à l'Église d'Antioche, et les évêques du diocèse d'Asie administreront les affaires de l'Asie seule, et ceux du Pont uniquement les affaires du Pont et ceux de la Thrace, les affaires de la Thrace seule. A moins d'être appelés, les évêques ne doivent jamais intervenir hors de leurs diocèses pour des élections d'évêques ou quelqu'autre acte ecclésiastique. Tout en observant au sujet des diocèses la règle prescrite ci-dessus, il est évident que, conformément aux ordonnances de Nicée, le synode provincial décidera des affaires de toute la province. Quant aux Églises de Dieu qui sont parmi les nations barbares, elles doivent être gouvernées selon la coutume établie du temps de nos pères.
pascal
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Message par pascal »

j'oubliais de dire que j'aimerai qu'on m'éclaire, sur :" Quant aux Églises de Dieu qui sont parmi les nations barbares, elles doivent être gouvernées selon la coutume établie du temps de nos pères."

merci
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

En relisant la lettre du patriarche Alexis II qui était à l'origine de cette file, je m'aperçois qu'il adresse des critiques à "l'Église orthodoxe d'Amérique" (OCA). Je voudrais dire que depuis l'envoi de cette lettre, le patriarcat de Moscou a modifié son attitude vis-à-vis de l'OCA. Une délégation de l'OCA, conduite par son métropolite, a été reçue au patriarcat de Moscou avec éclat (il y a de nombreuses photos sur Internet), pui elle remis à l'Église de Russie l'icône de la Bogoroditsa (de la Mère de Dieu) dite "de Kazan", il y a eu des concélébrations etc, etc. Il y a même une paroisse de Moscou qui sert aussi en quelque sorte de représentation officielle de l'OCA à Moscou.

L'OCA représente un bon exemple de ce que nous devrions faire en Europe : c'est l'ancien diocèse de l'Alaska du temps où l'Alaska faisait partie de l'Empire russe. Il est devenu un diocèse orthodoxe aux USA dans les années 1850. Il y avait peu de Russes alors parmi ses fidèles et il regroupait l'ensemble des orthodoxes. Des Russes sont arrivés nombreux surtout dans les années 1930 et après la seconde guerre mondiale. L'OCA est toujours très largement inter-ethnique. Elle compte maintenant de nombreux fidèles, prêtres et évêques américains qui ne sont pas d'origine orthodoxe.La langue anglaise côtoie la langue russe (et d'autres langues) dans l'enseignement et dans l'ensemble de la vie ecclésiale.

Il y a cependant un petit problème canonique. L'ensemble des Églises orthodoxes reconnaissent de fait l'existence de l'OCA, mais elle ne figure pas sur les listes officielles, sur les diptyques etc. Cela vien des circonstances qui ont présidé sa rupture avec Moscou (dans les années 1950 ???) et de la réticence du patriarcat œcuménique, lié par son Diocèse grec d'Amérique (le "GOA") fondé par Mélétios Métaxakis alors qu'il était archevêque d'Athènes, avant de devenir patriarche œcuménique.

Cependant récemment l'OCA a été reçue officiellement aussi par le patriarcat œcuménique.
Jean-Louis Palierne
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

En ce qui concerne l'OCA, elle est en effet issue, au départ, du diocèse russe qui couvrait toute l'Amérique du Nord et dont le siège était à San Francisco.

Après la Révolution de 1917 et les troubles qui ont affecté la vie de l'Eglise en Russie, une grande partie des paroisses non-slaves qui se trouvaient dans la juridiction de ce diocèse (que l'on a appelé à partir de 1924 la Métropole ou la Métropole russe) ont repris contact avec leurs Eglises-mères. En gros, à partir de 1917, les Arabes, les Bulgares, les Grecs, les Roumains et les Serbes sont partis chacun de leur côté.

Mais la grande majorité de l'émigration russe qui est arrivée aux Etats-Unis à partir de 1920 et essentiellement après 1945 (soit par arrivée d'émigrés de la première vague qui avaient passé la période 1920-1945 en Chine et en France, soit par arrivée d'émigrés de la deuxième vague sortant des camps de réfugiés en Allemagne) s'est rattachée à l'Eglise russe hors frontières dont les relations avec la Métropole ont été complexes et conflictuelles.

Le gros des fidèles de la Métropole russe était dès les années 1920 constitué par d'anciens uniates ruthènes et ukrainiens ramenés à l'Orthodoxie par saint Alexis Toth.

La chance de cette Métropole, c'est d'avoir obtenu le ralliement des Bulgares et des Roumains qui avaient rompu avec leurs Eglises-mères à cause du communisme. Le diocèse que dirigeait Mgr Valérien (Trifa) a été à l'origine de l'archevêché roumain de l'OCA. Il y a aussi eu le ralliement de la plus grande partie des paroisses albanaises (les Albanais d'Amérique se sont divisés à propos de la politique de Mgr Théophane Noli qui maintenait les relations avec l'Eglise d'Albanie sous domination enver-hodjiste, malgré les événements de 1951: le plus grand nombre est resté avec Mgr Théophane, puis a rejoint l'OCA en 1972, tandis que le reste a formé un diocèse dans la juridiction de Constantinople qui ne compte plus aujourd'hui que trois paroisses).
En effet, les Roumains d'Amérique du Nord se sont divisés en 1951 et le groupe majoritaire, conduit par Mgr Valérien, a rejoint la Métropole en 1960. Le groupe majoritaire dans l'émigration bulgare a rompu avec son Eglise-mère et a rejoint la Métropole en 1963.
Les groupes minoritaires de l'émigration bulgare et roumaine ont maintenu jusqu'à ce jour des diocèses liés à leur Eglise-mère.

La Métropole, devenue multi-ethnique, a été poussée vers un rôle missionnaire et une intégration dans la réalité américaine par ses deux grands théologiens, les prêtres Jean Meyendorff et Alexandre Schmemann, tous deux d'origine russe. En ce qui concerne le père Schmemann, il semble qu'il ait émigré aux Etats-Unis parce qu'il y entrevoyait une ouverture missionnaire qui n'existait pas dans son milieu en France.

La Métropole a eu des relations compliquées avec le patriarcat de Moscou à l'époque de la guerre froide, notamment parce que, à la demande du gouvernement des Etats-Unis, elle avait pris dans sa juridiction l'Eglise orthodoxe du Japon. Mais cela s'est considérablement amélioré au cours des années 1960 et c'est le patriarcat de Moscou lui-même qui a accordé l'autocéphalie à la Métropole, devenue "Orthodox Church in America", en 1970. Il n'y a jamais eu de contestation de la part du patriarcat de Moscou sur les conditions et la portée de cette autocéphalie.

Les autres Eglises orthodoxes ont refusé cette autocéphalie, en faisant valoir qu'il fallait d'abord unifier toutes les juridictions orthodoxes présentes sur le continent nord-américain avant d'accorder une autocéphalie.

Par exemple, l'Eglise de Roumanie considère que l'OCA n'est qu'une Eglise autonome. Mais, en fait, tout en maintenant son propre diocèse en Amérique du Nord, l'Eglise de Roumanie a repris depuis longtemps des relations tout à fait normales avec l'archevêché roumain de l'OCA; par exemple, l'archevêque Nathaniel (Pop) a participé à la réunion des évêques roumains de la diaspora à Limours.

Mais toujours est-il qu'à part le patriarcat de Moscou, aucune Eglise orthodoxe ne mentionne l'OCA parmi les Eglises autocéphales.

L'OCA a longtemps prétendu compter 1 million de fidèles, mais on pense que le chiffre réel est inférieur à 155'000, du moins aux Etats-Unis. Elle comprend neuf diocèses territoriaux pour les Etats-Unis (Anchorage, Chicago, South Canaan, New Haven, Dallas, New York, Washington, Los Angeles et Cranberry Township) et un pour le Canada (Ottawa). Ces diocèses territoriaux comptent quelque 106'000 baptisés.
Ces diocèses ont au moins 90% de leur activité liturgique en anglais et le slavon et le russe n'ont plus qu'une place tout à fait secondaire. Sans compter qu'il doit probablement y avoir un usage des langues amérindiennes dans le diocèse d'Alaska. L'héritage russe est beaucoup plus présent dans l'Eglise russe hors frontières, ainsi qu'au sein des 33 paroisses qui sont restées au sein du patriarcat de Moscou en 1970. A cela s'ajoutent trois diocèses "ethniques", l'Archevêché roumain, l'Archevêché albanais et l'Evêché bulgare. Si la langue et la culture roumaines sont relativement vivantes dans l'Archevêché roumain (quoique celui-ci ait aussi accueilli pas mal d'autochtones), les juridictions albanaise et bulgare de l'OCA sont devenues quasi-exclusivement anglophones. (En ce qui concerne les Albanais, c'est ce que Mgr Théophane, traducteur de Shakespeare en langue albanaise, avait voulu depuis les années 1930.) Ces diocèses ethniques comptent quelque 49'000 baptisés, dont environ 30'000 dans l'Archevêché roumain.

A noter que l'OCA est, avec la juridiction patriarcale roumaine, la seule Eglise orthodoxe en Amérique du Nord à avoir accepté l'existence de paroisses francophones au Québec.

Mais il n'en reste pas moins que, aux Etats-Unis comme en Allemagne ou en France, c'est l'émigration grecque qui porte, au moins numériquement, le poids de l'Orthodoxie: l'Archevêché grec compterait près de trois fois plus de fidèles que l'OCA (440'000 contre 155'000), et il faut encore ajouter des milliers de vieux-calendaristes (peut-être 30'000).

Les chiffres que je cite provient des calculs faits en 2001 par Alexis Krindatch de l'Institut de Géographie de Moscou.
pascal
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Message par pascal »

bonjour,

au risque de paraître insistant, quelqu'un peut-il m'éclairer sur la deuxième régle du concile de Constantinople in fine :Quant aux Églises de Dieu qui sont parmi les nations barbares, elles doivent être gouvernées selon la coutume établie du temps de nos pères.

parce que, tant qu'à être considéré à tort ou à raison comme un barbare, j'aimerai connaître la coutume en usage pour le cas qui me concerne...

merci de vos éclairages
pascal
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Message par pascal »

lors d'un de mes messages sur ce fil, j'évoquais un pedalion en ma possession, et j'évoquais même plus loin dans le même message l'éventualité d'une traduction discutable.
il s'avère que je viens de me rendre compte que la version qu'un ami m'a transmise est celle que l'on trouve par un lien mentionné sur un autre salon, qui renvoie chez les VCO.

d'après une mise en garde de Jean Louis Palierne, la traduction serait discutable, ce qui me pousse à vous renouveler ma demande, à l'aune d'une réserve sur la qualité de la traduction que je vous ai livrée.

merci de votre attention et de vos commentaires souvent très instructifs.
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