Jean-Marie Gourvil :
Vous posez la question, qui est notre question à tous :
comment soutenir ceux qui se tournent vers l'orthodoxie, qui ont une soif évidente de la vie de l'Eglise et éviter qu'on ne leur présente qu'une voie édulcorée ?
Oui, je crois que la soif de “spiritualité” (c’est un mot très contestable, mais la réalité est bien vivante) des Français orthodoxes est considérable. Mais je ne crois pas que l’attitude du "groupe moderniste russe de Paris" soit imputable à l’histoire russe récente, c'est-à-dire qu'il soit le résultat des persécutions de l'ère soviétique. L'origine de ce groupe remonte à la grande tentation moderniste de l’Église russe, soit au moins au début du XXème siécle.
C’est ce complot qui est responsable de ce qu’au désir d’Orthodoxie des occidentaux on présente une bouteille qui porte une étiquette mensongère. Dessus il est écrit “Orthodoxie” ; dedans on trouve une autre mixture.
J’aimerais bien connaître votre exposé de Vézelay d’il y a quelques années. Il me semble d'ailleurs me souvenir que j’en avais alors indirectement entendu parler. Pourriez-vous me le communiquer ?
Le groupe moderniste, la Fraternité, fait peser sur l’Orthodoxie en France une censure implacable, qui interdit toute expression d’une opinion différente de la leur, non seulement dans les formes d’expression qu’ils contrôlent directement (SOP, Contacts, Messager, Saint Serge, diverses formes de colloques et de sessions d’étude) mais même dans les lieux d’expression où ils ne devraient pas pouvoir intervenir (édition, presse et radio) grâce à l’iappui de leurs amis “les responsables de l’œcuménisme catholique”, qui les informent et qui relaient leurs interventions.
Seuls échappent au pouvoir des modernistes quelques éditeurs marginaux (comme l’Âge d’homme) et notre Forum, grâce à la liberté d’expression sur Internet. Il est beaucoup plus lu que ne pourrait le laisser croire le nombre des intervenants, et il est surveillé par ceux qu’il inquiète. (je précise que je suis loin d’approuver la totalité de ce qui s’y écrit, mais il est bon qu’on puisse y écrire librement)
Un effet pervers de cette censure est que les orthodoxes “critiques” sont isolés les uns des autres et ne se connaissent pas, ne peuvent pas s’informer, ni affiner leurs analyses, ni échanger leurs réactions.
Que peut-on faire ? Il y une seule chose qu’ils ne peuvent pas empêcher, c’est la publication d’ouvrages orthodoxes. Ils peuvent seulement empêcher qu’on en parle (et ils en entravent donc la diffusion. Mais il y aura toujours des lecteurs (et il y a aussi les bibliothèques). Et on devrait pouvoir un jour faire lever cette censure totalement anticanonique
. Savez-vous que des orthodoxes — qu'en général je ne connais même pas — se sont organisés pour diffuser mon livre ?
Le groupe des activistes modernistes est en voie d’érosion démographique. Il comprend une poignée de personnes âgées et usées et une autre poignée de plus jeunes, dévorés par une vie active très prenante. Il n’y a pratiquement pas de relève. Ils avaient jadis fondé l’orthodoxie francophone en espérant que cette communauté (échappant nécessairement un peu à l’inertie des hiérarques et des “juridictions”) pourrait un jour fournir un modèle et des cadres pour la rénovation de l’Église russe délivrée du joug communiste. Ils pensaient pouvoir y accueillir une petite élite d’intellectuels occidentaux venant des milieux extérieurs aux Églises d’Occident (dont ils admiraient la présence dans la science theologique académique, et dans l’action sociale). C'est dans cette perspective, et seulemant dans cette perspective, qu'ils ont mis en avant le mot d'ordre d'"Église locale".
L’épreuve des faits leur a apporté un triple désaveu.
1. Ils n’ont pas été capables de renouveler les effectifs de leur groupe. Même les émigrés d’origine russe finissent par s’intégrer dans la société française, souvent à un haut niveau, et même si ils se souviennent encore (rarement) de leur Église, ils n’ont pas de temps à lui consacrer. C’est ce que je disais plus haut. Il faut ajouter qu’ils pensaient qu’ils pensaient pouvoir toujours trouver des évêques-marionnettes, recrutés parmi des veufs très pieux et influençables.
2. Peu avant la chute du communisme, le groupe moderniste de Moscou faisait sa réapparition. Il a été balayé par la ruée des néo-fidèles russes vers le traditionnalisme, parfois sous ses formes les plus rétrogrades. Et “l’École de Paris” a été dénoncée par ceux qui retournent à l’Orthodoxie. Et il ne jouit plus d’aucun prestige dans le monde orthodoxe non-russe.
3. Les modernistes n’avaient pas prévu l’intérêt que ressentiraient les occidentaux pour l’enseignement spirituel orthodoxe. Ils n’avaient pas prévu que ce seraient des occidentaux qui justement voient dans l’obsession d’engagement social des Églises d’Occident l’une des causes de leur décadence spirituelle.
Le mot d'ordre d'"Église locale" se retourne contre les projets primitifs.
Pour le moment, le groupe moderniste arrive encore à paralyser l’épiscopat orthodoxe. Pour combien de temps ?