Pascal nous rappelle
Que le Phanar a cru bon de lever les anathèmes contre Rome (…). Est-ce ce qui explique la virulence avec laquelle certaines églises s'en prennent au patriarcat oecuménique? C'est une chose que j'ignorait. Concrètement quelle incidence cela peut-il avoir? hormis le fait que ça ressemble à un des aspects de l'oecuménisme qui revient de fait à entretenir ce partage de l'Europe que l'on nous ressasse depuis la petite enfance dans nos leçons d'histoire entre l'Europe occidentale et l'europe occidentale avec à gauche de la catre les "ktos" et à droite, les "orthos"
La levée des anathèmes par le patriarcat œcuménique ne concerne que les Églises qui se trouvent placées sous son autorité, c’est-à-dire essentiellement les communautés de l’émigration grecque en Occident. Les conséquences pratiques en sont très faibles, car les communauté de l’émigration grecque ont des conceptions idéologico-politico-culturelles essentiellement helléno-centriques, qui n’empêche nullement les Grecs en Occident de travailler en privé très activement à leur intégration économique et professionnelle. Il sont pratiquement absents de la scène inter-orthodoxe, sauf quelques individualités. À ma connaissance, seule la métropole de Belgique a une existence “locale”
Je vois plus loin que Pascal demande également où et quand ces anathèmes ont été levés. Sauf erreur de ma part il me semble que c’était à l’occasion d’une visite qu’Athénagoras fit à Paul VI. Me trompé-je ?
Il est bien évident que derrière les formes initiales de l’écuménisme il y avait des conceptions de type “partage du monde”. Mais depuis l’arrivée de l’Église romains dans le mouvement œcuménique, celui-ci a servi de cadre à de bombreuses manœuvres vaticanesques cherchant à la fois à pénétrer en Russie tout en paralysant l’Église de Russie au nom de la fraternité œcuménique. On peut dire maintenant que ce double jeu a échoué.
Parlant de l’ÉCOF j’avais dit que (je me cite)
Je répète que le problème que pose le soi-disant “rite des Gaules” ne vient pas du texte de la Liturgie eucharistique elle-même (mais il semble que ce soit ce texte que les autorités orthodoxes ont pris soin d’étudier, mais plutôt
1. De ce que l’ensemble de tous ces textes liturgiques ne sont pas le fruit d’une longue tradition orthodoxe, mais la création de quelques individus pressés par le besoin d’alimenter une opération ecclésiastique.
2. De ce que ces textes sont accompagnés d’un ensemble d’usages et de pratiques exaltant unilatéralement l’esprit communautaire.
J’ai déjà parlé de cet
excès de pratiques communautaires. Je m’aperçois qu’il faut préciser que ce qui est en cause, ce n’est pas tant chaque pratique en particulier, prise isolément, que leur excès et leur accumulation, et même leur synergie, qui est en cause. Le baiser de paix transmis depuis l’autel à l’ensemble de la communauté, c’est excessif, le triple Amen lancé par la communauté à l’anaphore, c’est excessif, mais l’ensemble de ces excès avec quelques autres finit par créer une participationnite obsédante, dont certains n’arrivent plus à se détacher (comme on le voit avec ceux qui acceptent d’adhérer à l’Église cote pour conserver leur “si belle Liturgie”.
Une autre caractéristique de l’ÉCOF dont on a jusqu’à maintenant peu parlé, c’est que c’est une secte qui fonctionne en milieu ouvert. En général les sectes font d’énormes efforts, pratiquent toutes sortes de pressions, pour garder leurs membres. À l’ÉCOF ces efforts se limitent à la pratique liturgique. Dès qu’on voit qu’un membre de la communauté “décroche”, on ne s’y intéresse plus. Ce qui permet un turn-over énorme, dont les membres n’ont pas conscience. Je voyais que certains accusent ceux qui vont maintenant chez les coptes, d’avoir été membres de l’ÉCOF pendant quinze jours… Il y a peut-être parmi eux des membres qui venaient d’entrer. Mais un bon nombre font partie du noyau le plus ancien de l’ÉCOF, depuis trente ans ou plus, et qui ont tenté de “déposer” leur évêque (!!!) parce qu’ils avaient vu de longues années de choses inacceptables. Mais il y a toujours eu à l’ÉCOF une rotation considérable.
Pascal a tout à fait raison de poser le problème de la
validité des ordinations conférées par mgr Germain depuis que l’Église de Roumanie l’a rejeté. En fait je crois que jusqu’à présent la plupart des prêtres qui ont été acceptés par les Églises canoniques ont été ordonnés dans l’ÉCOF lorsqu’elle était encore formellement canonique par son rattachement à la Roumanie (et en matière canonique les formes comptent.
Pascal parle de la
Liturgie “des Gaules” célébrée quatre fois par an à Louveciennes, et y voit ou bien un illogisme, ou bien un argument pro-ÉCOF. Mais je crois qu’il se trompe de méthode. Ce n’est pas une question de oui ou non : est-ce orthodoxe ou non ?
L’Église orthodoxe sait bien qu’un certain nombre de Liturgies autre que saint Jean Chrysostome/saint Basile ont été célébrées jadis dans l’Église. Certaines (saint Jacques ou saint Marc sont bien connues et célébrées encore dans quelques communautés antiques en voie d’extinction (because Moyen-Orient…). Elles sont aussi parfois célébrées dans des Congrès de spécialistes d’histoire liturgique, ou à l’occasion d’événements anniversaires. Il faudrait des gens beaucoup plus calés que moi pour en parler. La liturgie mozarabe, qui est encore célébrée dans une chapelle de la cathédrale (catholique mais antique) de Tolède pourrait aussi l’être par des orthodoxes. Il y a aussi des tentatives de résurrection de l’antique liturgie celtique dont au moins une tentative est très intéressante pour les historiens orthodoxes.
D’autre part il y a eu dans l’Église russe une tentative de construction (sinon plusieurs) d’une liturgie orthodoxe de type occidental, destinée à être célébrés par des communautés venant de la communion anglicane ou des vieux-catholiques ou des uniates. On y avait beaucoup cru fin XIXe-début XXe. Il y a aux États-Unis de tels groupes dans le cadre de l’Église orthodoxe d’Amérique (OCA) et de l’Archevêché antiochien. Le résultat semble discutable, dans la mesure où il est surtout utilisé par des traditionnalistes de ces Églises qui ont pu ainsi rester traditionnalistes en se rattachant à l’Église orthodoxe, mais en restant repliés sur eux-mêmes pour pouvoir dire à ceux qui sont restés : « Vous voyez bien que nous avions raison. »
C’est en se référant à ces tentatives que Evgraf Kovalevsky a demandé au patriarcat de Moscou en 1936 d’approuver pour la France une “liturgie de saint Germain de Paris” mais qui était moins une adaptation à l’Orthodoxie qu’un rhapsodie d’éléments divers, auxquels la Liturgie de saint Cermain de Paris apportait surtout une ordre structurel un peu particulier. Cette Liturgie a été approuvée en 1936 par le patriarche Serge (je ne sais si on a enfin réussi à retrouver cet acte dans les archives), puis après la guerre par saint Jean Maximovitch (mais là aussi il faudrait connaître les réserves qu'il avait formulées peu avant sa mort), puis par l’Église de Roumanie lorsqu’elle “pris en charge” l’ÉCOF de monseigneur Germain, le successeur d'Evgraf Kovalevsky. Comme pour toutes les Liturgies qui ont un statut “d’exception” dans l’Église orthodoxe, il faut en plus être autorisé à la célébrer.
L’ÉCOF n’ayant plus d’existence canonique le problème est de savoir si un groupe a aujourd'hui l’autorisation canonique d’utiliser cette Liturgie. Lorsque certains membres de l’ÉCOF ex-roumaine ont choisi de rester dans le patriarcat de Roumanie, abandonnant l’ex-ÉCOF devenue schismatique à son triste sort, ils ont demandé à l’Église de Roumanie, qui a formé pour eux un “doyenné des paroisses francophones” de conserver cette Liturgie. Ils y ont été autorisés seulement quatre fois par an.
Heu, je ne suis pas sûr d’avoir été clair. Dies-moi Pascal ?
Cela dit je répète que l’ÉCOF a été
un pourvoyeur important d’orthodoxes véritables (donc ex-ÉCOF) et depuis quelques années on peut constater que l’ÉCOF aura permis aux juridictions orthodoxes présentes en France de constituer un clergé orthodoxe francophone, malgré l’inertie de ces juridictions pendant un demi-siècle. C’est un curieux retour de bâton de l’histoire, mais cela posera peut-être quelques problèmes à l’avenir.
Le
groupe de Béthanie a été fondé par un ancien prêtre catholique qui s’était marié et qui a fait de “l’entrisme” dans l’ÉCOF (à l’époque roumaine) pour obtenir une réhabilitation orthodoxe dans ses ordres antérieurs. Une fois prêtre il a fondé une communauté à Gorze en Moselle, appelée “Béthanie” qui mélange yoga, ésotérisme, sessions de “prière du cœur”, astrologie et Liturgie des Gaules. Très rapidement cette communauté a perdu contact avec l’ÉCOF. Habilement elle a su néanmoins flatter les pontes de la Frat et à obtenir leur protection auprès de
l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, qui a bien failli se la rattacher. Un rapport de Jean-Claude Larchet a mis les choses au point, et cette communauté a dû se rapprocher de l’Église copte.
Sur la constitution d’une branche francophone de l’Église copte, nous en avons déjà abondamment parlé, et nous aurons certainement l’occasion d’y revenir. Probablement les gens de Béthanie auront bientôt l’occasion d’y rencontrer leurs anciens amis de l’ÉCOF-JPP.
Pascal s’étonne de ce que je puisse parler de
l’essoufflement du Mouvement œcuménique. Il faut bien voir que les Églises protestantes membres du CŒE ne sont plus maintenant qu'une minorité du monde protestant, où la majorité est maintenant composée d’une multitude de groupes de base évangéliques. De plus les Églises luthériennes et épiscopaliennes sont entrées dans une crise dont nul ne peut prévoir l’issue (à cause de l’ordination des femmes et de l’acceptation de l’homosexualité).
En fait lorsque les orthodoxes parlent des relations œcuméniques, ils parlent essentiellement des relations entre le Vatican et les Églises orthodoxes. Le pape Wojtyla a multiplié les coups tordus en direction de l’Orthodoxie. Il en est résulté une prise de conscience même des éléments les plus enclins à l’écuménisme, et un échec général de ses entreprises de débauchage. Le voilà obliger de réciter le symbole orthodoxe. Oui, je parle d’échec.
Pascal a souligné l’importance que doit avoir le
monachisme pour le développement de l’Église, et Éliazar a vigoureusement appuyé. Que Oui !
Mais il faut bien voir qu’un demi-siècle durant l’influence du modernisme sur l’Orthodoxie française a été catégoriquement opposée à l’existence du monachisme. On m’a rapporté la scène où un étudiant en théologie venait de présenter brillamment une thèse de théologie. Félicitations des professeurs, puis un “pot” comme de coutume. Question posé au nouveau docteur en théologie : « Et maintenant où allez-vous ? -- je retourne dans mon monastère. » Éruption de colère des professeurs « Mais non, il ne faut surtout pas faire ça ! »
Un autre moine s’installe en France. Il rencontre un jour un groupe de prêtres : « Votre présence ici est pour nous une insulte !»
De manière générale on peut dire que depuis un demi-siècle et plus un bon nombre de jeunes gens qui se destinaient à la vocation monastique en ont été détournés systématiquement et délibérément par toutes sortes de pressions. On est un peu moins rigoureux pour les femmes, car il vaut mieux regrouper un peu à l’écart des “communautés (= des paroisses) un certains nombre de personnes à “problèmes psychologiques”.
Ceci est un des aspects majeurs du règne du modernisme orthodoxe en France. C’est également l’un des points où l’on peut noter la parenté entre l’ÉCOF et le modernisme classique. L’un des signes les plus net du changement de cap dans l’Orthodoxie francophone est que maintenant la création de nouveaux monastères ne peut plus être endiguée.
Jeanne Saint Gilles (Bienvenue !) pose plusieurs questions concernant l’Archevêché de la rue Daru :
- j'ai lu que l'Evêque Mgr Gabriel a été élu : mais par qui? S'agit-il de l'application des décisions du Concile de Moscou qui permet l'élection des évêques? Quelqu'un peut-il m'éclairer sur ce point?
- autre point : pourquoi tout cette histoire sur le rattachement ou pas à Moscou? Quelles sont les craintes des uns et des autres?
-on m'a dit à ce sujet que cela s'est fait par référendum paroisse par paroisse. Est-ce exact? Comment se fait-il que le retour à Moscou n'ait pas eu lieu étant donné que le communisme est fini.
L’évêque Gabriel (il était auparavant évêque auxiliaire du précédent archevêque) a été
élu par l’Assemblée générale de l’Archevêché, composée de clercs et de laïcs représentants les paroisses et monastères. Ceci est conforme aux décisions du Concile de Moscou, à l’exception de quelques adaptations au droit français.
Toutefois l’élection a dû être
confirmée par le patriarcat œcuménique. C’est alors que
l’intronisation a pu avoir lieu.
On dit parfois, ou on laisse dire que l’Archevêque de la rue Daru a été élu, conformément aux statuts de l’Archevêché, en omettant de préciser qu’il doit être confirmé par un synode. Il y a là un point très important. En effet Toute la tradition canonique de l’Église impose que tout évêque doit être élu par un synode d’évêques et selon le premier des Canons apostoliques
que tout évêque reçoive l’imposition des mains de deux ou de trois évêques.
Ce qui implique qu’on ne peut concevoir un évêque qui ne participerait pas à un Synode composé de ses égaux et qui n’aurait pas été “fait” par ce Synode.
Un évêque n’est pas le président démocratique d’une communauté dont il exprime les aspirations. Il est le représentant de l’Église répandue dans l’univers, venu en ce lieu comme médecin, comme juge, comme maître et comme pasteur. Il peut avoir été choisi et présenté au Synode épiscopal par sa communauté, mais ce n’est pas nécessairement une bonne chose.
“L’histoire du rattachement à Moscou” se résume à ceci qu’alors on discutait au sein de l’Archevêché sur l’élection du futur archevêque, une lettre du patriarcat de Moscou a été envoyée à l’ensemble des juridictions russes et de leurs paroisses en Europe occidentale, tant de l’Église “hors frontières” (ERHR), de l’Archevêché de la rue Daru, qui se trouve hors du PM depuis 1931, que des évêchés directement rattachés au PM, proposant la réunion de toutes ces communautés en une
métropole des paroisses de tradition russe en Europe occidentale, à laquelle était promise une grande autonomie. Beaucoup de gens y ont vu l’annonce d’une opération d’envergure du PM pour la récupération des paroisses russes de tout bord.
Il faut savoir que l’Église russes (celle du PM) possède un “Département des Relations extérieures”, donc une sorte de ministère des Affaires étrangères, structure parfaitement anti-canonique, héritée de la période communiste, qui manifeste maintenant une activité autonome débordante. Il est certain qu’en évoquant le thème d’une Église locale il a posé le doigt “là où ça fait mal”, mais cela se retourne contre lui, car personne ne voit pourquoi une église locale serait “de tradition russe”, et comment elle pourrait l’être. Il faut comprendre d'autre part que la manière brutale du PM dans sa lutte contre les "sectes", essayant d'agir avec l'aide du gouvernement, cependant qu'il développe tout un réseau d'œuvres sociales d'encadrement, tout cela suscite une vive méfiance en Occident. Le PM a retrouvé sa légitimité, mais pas sa maturité. La grande majorité des prêtres sont de formation très récente.
J’avais conclu l’un de mes messages en affirmant :
Pour ma part je fais confiance au charisme épiscopal. Il me semble que nous avons maintenant un évêque qui, ô miracle pour l’Orthodoxie française, prend ses responsabilités au sérieux. D’autre part je suis frappés de voir se multiplier des tentatives de formation de paroisses et de monastères indigènes. Ce sont à mon sens deux faits énormes.
Antoine feint de croire que je ne parle que
du charisme épiscopal de cet évêque là en particulier, et non pas du précédent, ni des autres confrères. Dans ce cas ce n'est pas un charisme épiscopal, c'est un charisme de la personne.
.
Mais non, c’est bien du charisme épiscopal
en général que je parlais. Si tous les évêques du monde dans l’histoire avaient obéi au charisme dont ils sont porteurs, que ne serait l’Église ! La plupart n’ont été que des évêques médiocres.
Nous avons enfin un évêque qui porte le souci pastoral du peuple qui lui a été confié. Son allocution au cours de la dernière réunion diocésaine en témoigne, comme tant d’autres gestes concrets. Je ne sais rien de plus, et j’estime que c’est déjà beaucoup. C’est là-dessus que je fonde mon estimation, en espérant (en espérant seulement) ne pas me tromper.
Antoine précise ainsi sa pensée :
Je ne pense pas que l'avenir d'une Eglise locale soit complètement bouché. Je pense qu'il ne serait pas bon qu'elle naisse maintenant. Les conditions ne sont pas réunies et elle ne se construirait pas sur la Tradition. (la tentative écofienne en est une belle illustration) On ne fait pas une Eglise dans l'a-dogmatisme et sur des sentiments oecuméniques toujours prêts à ignorer les différences considérées comme subalternes au profit d'on ne sait quelle réalité plus importante vécue communément. Il y a une grande différence entre l'implantation de l'orthodoxie telle qu'elle s'est faite par le passé dans des territoires païens et telle qu'elle peut se faire aujourd'hui sur des territoires considérés comme relevant de la juridiction de Rome. Le dialogue se fait avec Rome et pas avec les fidèles que l'on filtre au compte gouttes, retardant le plus possible leur entrée dans l'orthodoxie. C'est Rome qui doit devenir orthodoxe et ce n'est pas demain la veille.
[…]
Pour l’instant je pense que le temps n’est pas à l’implantation d’une Eglise locale, parce que le dialogue théologique tel qu’il est pratiqué ne s’appuie plus sur une confession dogmatique intransigeante, sans compromission, comme l’ont toujours fait nos Pères.
Pour implanter une Eglise locale il faut confesser la Vérité telle qu’elle a toujours été proclamée.
Je ne pense pas que maintenant l’Archevêché de la rue Daru considère l’Europe occidentale comme un territoire relevant de la juridiction de Rome. Regardez comment actuellement se créent des paroisses et des monastères francophones. Quant au dialogue avec les fidèles, il est certes aujourd’hui très faible, car les modernistes font écran. Je souhaite que notre Forum soit une contribution à son développement.