La Mère de Dieu est-elle aussi la Mère des Baptisés ?

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

eliazar
Messages : 806
Inscription : jeu. 19 juin 2003 11:02
Localisation : NICE

La Mère de Dieu est-elle aussi la Mère des Baptisés ?

Message par eliazar »

Nous lisons dans l’évangile selon saint Jean que Nicodème, qui était un Pharisien, dirigeant des Juifs, vint de nuit interroger Jésus parce qu’il croyait, déjà, qu’Il était un Docteur, et envoyé de Dieu. Au cours de leur entretien, il posa cette question : « Comment un homme peut-il naître, quand il est vieux ? Peut-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère et renaître ? »
Cette question est une question sérieuse, pas une boutade ; Nicodème la pose avec ferveur – de même que Marie, l’épouse vierge de Joseph, avait demandé à l’Ange : « Comment cela se fera-t-il ? Puisque je ne connais point d’homme ? ».

Aussi voyons-nous Jésus répondre à Nicodème : « En vérité, en vérité je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Le Verbe incarné n’élude pas la question de Nicodème, il la transcende et va de suite à l’essentiel. Ce faisant, il ne la contredit pas non plus.

Un peu plus tard, étant sur la croix et au point d’expirer, voyant près de Sa mère le disciple qu’il préférait, le Christ "dit à Sa mère : « Femme, voilà ton fils ». Ensuite, Il dit au disciple : « Voilà ta mère ». Et dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui."

Le « dès cette heure-là » n’est certainement pas une clause de style, car c’est Jean lui-même qui rapporte cette ultime parole de son Maître bien-aimé, et chaque mot en est resté inoubliable pour lui, et plein de sens. Or nous ne pouvons douter qu’ils soient restés tous deux au pied de la croix jusqu’à Sa mort. Ce qui laisse entendre que c'est spirituellement que s'accomplit "dès cette heure-là" cette maternité-filiation voulue par Dieu.

L’interprétation que les chrétiens d’occident donnent de la Maternité universelle de la Mère de Dieu se fonde en grande partie sur ces deux passages de l’Évangile : en confiant Jean à Sa mère, c’est l’ensemble des chrétiens qu’Il lui désigne comme Ses fils, et en confiant Sa mère à Jean, c’est à l’Église toute entière qu’il confie le culte filial de celle qui n’était jusqu’à ce moment qu’une fille d’Israël, mère de Jésus.

Ce culte s’est développé au cours des siècles et a posé question à un grand nombre. Les Protestants l’ont récusé, les catholiques romains l’ont poussé jusqu’à une sorte d’hyperdulie, et la papauté romaine est même allée jusqu’au faux dogme d’une immaculée conception de Marie « depuis le premier instant de sa conception »…

Qu’en est-il dans la doctrine orthodoxe ? Les Pères ont-ils traité d’une maternité spirituelle de la Mère de Dieu qui s’étendrait sur tous ceux qui ont été Baptisés « dans l’eau et dans l’Esprit » ?

Je pose cette question car un étonnant saint breton (ou plus exactement vendéen) de l’époque louis-quatorzième, Louis-Marie Grignion de Montfort, a écrit un remarquable traité de la « Vraie Dévotion » à la Mère de Dieu, dont la thèse essentielle est que le Baptisé ne peut accéder au Royaume qu’en retournant (par sa vie spirituelle et de façon « mystique », cachée) dans le sein de Marie pour y être « formé » jusqu’à sa taille spirituelle parfaite – de même que l’humanité de Jésus l’a été corporellement.
J’ai toujours considéré cet enseignement comme compatible avec la Foi orthodoxe. Il y a du reste plusieurs icônes qui approchent de cette conception du rôle marial : Marie Source de Grâces, Marie Consolatrice des Affligés, etc.

Mais j’ai constaté jusqu’ici que l’essentiel de l’enseignement touchant les voies qui conduisent à la « sainteté », dans l’orthodoxie, semble concentré dans la notion de reconnaissance de notre état de pécheurs, et dans la pratique de la prière continuelle (ou prière du cœur, ou prière du Nom de Jésus) associée à la pratique de la pénitence quand elle n’est pas confondue avec elle.

J’aimerais donc savoir :
1° si ce n’est pas une simple trace chez moi de mon ancienne formation spirituelle kto ?
2° s’il existe une doctrine patristique orthodoxe comparable à cet enseignement de Louis-Marie Grignion de Montfort – qui n’a du reste été vraiment connu que plus d’un siècle après sa mort, quand son manuscrit a été découvert au milieu d’autres papiers dans une vieille malle qui lui avait appartenu?

Merci de tout cœur à qui pourrait m’éclairer sur ce point, qui est loin d’être pour moi secondaire.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Antoine
Messages : 1782
Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

Message par Antoine »

XB!

Eliazar , tu as bien raison de poser cette question à un moment où
Le Président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur Jean-Pierre Ricard, et l’évêque de Tarbes et Lourdes, Monseigneur Jacques Perrier, ont invité le Saint Père à venir en pèlerinage à Lourdes, aux environs du 15 août 2004, à l’occasion du 150ème anniversaire du dogme de l’Immaculée Conception.
On voit en effet que les dévotions mariales latines sont toutes tirées vers une justification a postériori de ce dogme hérétique et pour renforcer celui de l'infaillibilité papale; Lourdes n'étant qu'un de ces moyens dans lequel on a tout mis en scène et travesti pour l'embrigadement des fidèles.
Il n'ya rien de tel que les élans sentimentaux de faux mysticisme pour tomber dans les hérésies les plus dramatiques.
J'ose espérer que les évêques orthodoxes n'iront pas en représentation à Lourdes sauf à aller en délégation officielle dénoncer cette hérésie.En tout cas on voit bien que le Pape encore une fois, grand utilisateur du double langage permanent, adresse un camouflé clair et net à tous ceux qui mettent leur espoir dans un oecuménisme sans avenir.

Marie — Mère de l’Église ?*

Au terme d’une session qui suscitait tant d’espoirs d’ordre à la fois ecclésiologique et oecuménique, le pape Paul VI a prononcé un discours qui n’a pas manqué d’être douloureusement ressenti tant par les protestants que par les orthodoxes.

L’un des points les plus importants du discours a été la proclamation solennelle par le pape d’un nouveau titre de la Vierge: Marie — Mère de l’Eglise. Cette proclamation a donné l’occasion au pape de passer outre à une forte opposition des père conciliaires et de faire prévaloir son autorité sur celle du collège des évêques, et cela au moment même où le principe de la collégialité épiscopale venait d’être voté par le Concile.

Mais ce n’est pas seulement cette réaffirmation des droits exclusifs du pape qui heurte la conscience orthodoxe. Le titre même de Marie — Mère de l’Eglise, ignoré de la Tradition, soulève de nombreuses difficultés d’ordre théologique. La maternité spirituelle de Marie est formellement reconnue par la tradition de l’Eglise indivise. Cette maternité est proclamée par le Christ lui-même. C’est dans ce sens que l’Eglise orthodoxe, tout comme l’Eglise catholique, interprète les paroles du Christ: « Femme, voici ton fils », et « voici ta mère » (Jn 19, 26-27), dites quelques instants avant sa mort et adressées du haut de la croix à sa Mère et au disciple bien-aimé. Cette maternité, l’Eglise est certaine de l’avoir vécue dans ce qui constitue sa manifestation essentielle, c’est-à-dire dans l’aide qui est envoyée aux chrétiens par le fait des prières d’intercession de Marie. Or, en dépit de tout cela, cette maternité de Marie vis-à-vis des fidèles n’est presque jamais nommée. La tradition liturgique byzantine, par exemple, est très nette sous ce rapport. Elle invite les fidèles à prier Marie comme une Mère aimante et à avoir confiance dans les prières qu’elle adresse à son Fils pour tout le peuple chrétien, mais lorsqu’elle parle de sa maternité, il s’agit toujours de sa maternité divine. Marie — c’est la Théotokos, la Mère de Dieu, la Mère de la Lumière, etc. Et même lorsque, comme dans le kontakion final de l’Acathiste, on s’adresse à Marie comme à la Mère glorifiée, sans aucune autre référence, c’est toujours de sa maternité divine qu’il est question, comme le montrent les paroles qui suivent ce titre dans cette demande d’intercession.

Pourquoi évite-t-on ainsi de parler de la maternité de Marie vis-à-vis des fidèles? Est-ce que, au moment où cette dévotion mariale prenait corps, l’Eglise n’avait pas encore entièrement explicité la vérité touchant la maternité spirituelle de Marie? Dans une certaine mesure, oui. Mais, d’autre part, il ne faut jamais perdre de vue que si Marie est devenue la Mère des fidèles, si, comme le dit l’épître aux Hébreux citant les paroles du psaume messianique, le Christ ne rougit pas de nous nommer frères (He 2, 11 et ss.; Ps 22 ss.), c’est parce que, par le fait de la grâce de la Rédemption, il a fait de nous les enfants adoptifs du Père. Et s’il y a eu notre adoption par Marie, c’est uniquement pour nous donner une sorte de signe visible de notre adoption par le Père. Nul ne peut songer un instant à mettre sur le même plan ces deux adoptions. Et c’est sans doute aussi pour ne pas donner à notre adoption par Marie le sens qu’elle ne pouvait pas avoir, que l’Eglise n’a pas insisté sur la maternité spirituelle de Marie vis-à-vis des fidèles. Et c’est parce que cette maternité n’est qu’un simple signe, un signe donné pour l’Église et dans l’Eglise, que nous ne croyons pas possible de parler de Marie comme de la Mère de l’Église.

En effet, où cette maternité s’exerce-t-elle? Elle s’exerce dans l’Église et non au-dessus de l’Eglise. Marie, par ses prières, assiste les fidèles, elle les aide précisément à réaliser leur vocation d’enfants de Dieu. Marie elle-même fait partie de l’Église et ne peut être, en aucune façon, opposée à l’Église, même sous l’angle de sa maternité spirituelle. En effet, ce titre de Mère de l’Église risquerait d’évoquer une sorte de pouvoir qu’aurait reçu Marie vis-à-vis de l’Eglise considérée comme un corps ou une entité. Or, il ne peut en être ainsi, la maternité spirituelle ne place pas Marie au-dessus de l’Eglise ontologiquement ou hiérarchiquement. On peut la présenter comme un charisme avec lequel Marie est entrée dans l’Eglise et qui la ferait Mère dans l’Eglise et non Mère de l’Eglise.

Il est vrai que les rapports Marie-Eglise dans l’optique orthodoxe ne se réduisent pas à la seule maternité spirituelle de Marie, mais ils peuvent découler d’autres réalités christologiques ou ecclésiologiques. Et l’on serait tenté, notamment, de justifier le titre de Mère de l’Eglise par le raisonnement suivant: Marie, Mère du Christ, par là même est Mère de Son Corps mystique, qui est l’Eglise. Oui, mais n’est-ce pas un peu perdre de vue que Marie c’est l’humanité du Christ? Car c’est par elle, en s’incarnant dans son sein, qu’il a assumé notre humanité à tous. Marie donc, c’est plutôt le corps du Christ lui-même et, par là, la personnification de l’Eglise et non la Mère de l’Eglise. Et, en effet, comme Théotokos, comme Mère de Dieu, elle témoigne dans l’Eglise de cette autre réalité: comme le Christ s’est incarné par la chair dans le sein de Marie, ainsi est-il appelé à naître par la grâce dans le coeur de chaque chrétien, afin que sur ce dernier puissent s’accomplir les paroles de l’apôtre: « Et si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Donc, là aussi, en partant de l’ontologie de l’incarnation, nous dirons que Marie est l’expression de ce qui est l’ontologie de l’Eglise, qu’elle en est le coeur mystique, et même l’archétype, la réalisation la plus parfaite du mystère de l’Eglise, mais nous hésiterons toujours à l’appeler Mère de l’Eglise, même si, en défmitive, ce titre tient moins de la théologie que de la simple dévotion.

* Note sur la 3e session du Concile du Vatican, Le Messager orthodoxe,n°8 27-28 (III-IV), 1964.

Extrait de : Alexis Kniazeff :
" La Mère de Dieu dans l’eglise orthodoxe."
Ed du Cerf , Paris 1990 P203 à 205
eliazar
Messages : 806
Inscription : jeu. 19 juin 2003 11:02
Localisation : NICE

Message par eliazar »

Cher Antoine,

Je te remercie vivement de cette référence au P. Alexis KNIAZEFF. Elle vient en effet bien à son heure, comme tu l'as si bien vu, et répond exactement à ma question - et du reste le manuscrit de Louis-Marie Grignion de Montfort était bien composé de notes personnelles correspondant à la "simple dévotion" et non à une quelconque intention théologique, car loin de le publier, il n'avait jamais parlé de ce manuscrit de son vivant et ne l'a pas non plus utilisé au cours de sa carrière de prédicateur populaire, quoiqu'il soit parsemé de rappels scripturaires et visiblement inspiré par l'esprit d'enfance spirituelle de l'évangile de saint Luc.

Par contre, je suis atterré qu'une main masquée se soit permis de déposer au cœur de la nuit et de cette réponse une phrase aussi globalement étrangère au sujet que :
"J'ose espérer que les évêques orthodoxes n'iront pas en représentation à Lourdes sauf à aller en délégation officielle dénoncer cette hérésie."

L'ayant lue trop vite, à mon habitude, j'allais répondre à l'emporte pièce par la célèbre citation de Grock : "Sans blâââgue ?!'

Heureusement, une affirmation de type plus doctrinal m'est revenue en mémoire à point nommé :

"Un Vladika sur le sol des Lourdais
"On ne le verra jamais!
"Un Vladika sur le sol bigourdan
"C'est un rêve assurément."
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Répondre