Antoine Khrapovitsky sur la réception des convertis

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Jean-Louis Palierne
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Antoine Khrapovitsky sur la réception des convertis

Message par Jean-Louis Palierne »

Sur quels principes doit-on se guider
pour revoir les convertis?


Métropolite Antoine Khrapovitsky

Les canons qui régissent les rapports que les évêques, et d’une manière générale tous les fidèles de l’Église, peuvent entretenir avec les personnes qui se trouvent hors d’elle se trouvent dans les textes suivants: Canons Apostoliques, 10, 12, 45, 45 et 65 ; 1er Concile œcuménique, canons 8 et 19 ; 2ème Concile œcuménique, canon 7 ; 6ème Concile œcuménique, canon 95 ; Concile de Laodicée, canons 7, 8 et 33 ; Concile de Carthage, canons 68 et 79 ; et les Règles canoniques de saint Basile le Grand, 1 et 47.

Certains de ces canons indiquent clairement la procédure qui doit être utilisée pour recevoir les hérétiques et les schismatiques lorsqu’ils le souhaitent et le demandent, après qu’ils aient renoncé à leurs erreurs, confessé la vraie foi et reconnu l’Église véritable.

Ces canons ne doivent naturellement pas faire oublier que le Baptême est nécessaire pour tout homme, bien qu’il ne faille pas oublier que l’Église ait connu très anciennement des cas où le saint Esprit est descendu sur des hommes qui n’avaient pas encore été baptisés, si bien que le Baptême qu’il reçurent après ne représentait plus qu’un signe de respect que l’on doit également garder pour la discipline de l’Église terrestre à laquelle il les réunissait :

Alors que Pierre prononçait encore ces mots, l’Esprit, l’Esprit saint, tomba sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Et tous ceux de la Circonsion qui croyaient et qui avaient accompagné Pierre furent stupéfaits de ce que le don du saint Esprit se fût répandu même sur les Gentils, car ils les entendaient parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre leur répondit : « Peut-on refuser l’eau du Baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit, l’Esprit saint, tout comme nous ? » Et il commanda de les baptiser au nom du Seigneur. (Actes 10 :44-48)

Plus loin l’apôtre Pierre commente une nouvelle fois cet événement : Et comme je commençais à parler, le saint Esprit tomba sur eux, comme il l’avait fait au commencement. Alors je me rappelai la parole du Seigneur, qu’il avait dite : Jean a baptisé avec de l’eau, mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit saint. Car si Dieu leur a donné le même don qu’à nous qui avons cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je moi, pour pouvoir m’opposer à Dieu ? (Actes 11 :15-17)

Sans nous attarder sur le commentaire de ces affirmations, nous devons, bien sûr, noter nous aussi que la descente du saint Esprit que les Actes nous rapportent, dans le passage que nous venons de citer, n’a pas dispensé ceux qui avaient cru de l’obligation de se faire baptiser dns l’eau, et beaucoup de ceux qui sont issus de l’hérésie ont dû satisfaire à cette obligation, pour obéir au canon 46 des divins Apôtres, bien qu’ils eussent déjà reçu le baptême des hérétiques.

Néanmoins les Conciles ultérieurs ont établi une claire distinction entre ceux qu’il convient de « purifier par le vrai Baptême » (Canon 39 du 6ème Concile œcuménique et 1ère Règle de saint Basile le Grand), ceux qu’il convient derecevoir par le 2ème Mystère et ceux qui doivent l’être par le 3ème Mystère et être reconnus dans leurs ordres précédents. Tout cela fixé dans plus de détails dans le 7ème canon du 2ème Concile œcuménique et dans le 95ème canon du 6ème Concile œcuménique, dans la 1ère Règle de Basile le Grand et ailleurs.
Tous cependant procèdent de la même idée que l’on peut déceler dans le 68ème canon du Concile de Carthage, c’est-à-dire que les hérétiques et les schismatiques sont privés de la Grâce, qui ne peut être reçue que là où on est uni à l’Église : il ne peut exister de Grâce partielle, malgré l’opinion des catholiques. Si nous comparons cette position avec celle qui est exprimée dans d’autres canons des Conciles, nous allons voir qu’ils sont en complet accord.
Pour cela nous devons faire les remarques suivantes concernant la législation conciliaire concernant cette quetion :
1. Ces canons ont varié (a) en fonction du temps ; (b) en fonction du lieu.
2. Leur plus ou moins grande rigueur n’a pas été tant déterminée par le caractère de l’hérésie ou du schisme que par la diversité des rapports que les hérétiques ou les schismatiques entretiennent avec l’Église.
3. Quelquefois les autorités œcuméniques ont déclaré que leur décision n’était pas définitive, et quelque fois même ils diffèrent leur décision pour attendre de nouveaux Conciles de l’Église. Étudions ce second point :
Dans son canon 68, le Concile de Carthage a décidé : « …il a été décidé d’envoyer des lettres à nos frères dans l’épiscopat, et surtout au siège apostolique, où préside, comme nous l’avons dit, notre vénérable frère dans le sacerdoce Anastase, puisqu’il connaît le grand besoin où se trouve l’Afrique, afin que pour la paix et l’utilité de l’Église et des donatistes eux-mêmes, leurs clercs, quels qu’ils soient, s’ils adoptent de meilleures résolutions et désirent passer à l’unité catholique, soient reçus en conservant les mêmes dignités, pourvu que ce soit la décision et la volonté de chaque évêque catholique gouvernant l’Église en chaque lieu, s’il considère que c’est ce qui convient à la paix des chrétiens. C’est ainsi que l’on a agi jusqu’à présent, le fait est avéré, à l’égard de ce schisme, comme en témoigne l’exemple de nombreuses Églises d’Afrique où cette erreur a surgi, et même de presque toutes les Églises. »
Nous voyons ici l’application d’un principe qui a déjà été souligné. La manière dont on doit traiter les diverses catégories de dissidents ne dépend pas tant de la qualité de l’hérésie que de la disposition spirituelle du candidat, et du bénéfice qu’on pense pouvoir en tirer pour la sainte Église.
De ce point de vue il est particulièrement important de bien comprendre la signification de la 1ère règle canonique de saint Basile le Grand :

« Les cathares font eux aussi partie de ceux qui se sont séparés. Il a cependant été décidé par nos Pères, c’est-à-dire par Cyprien et chez nous par Firmilien, de les soumettre, tant cathares qu’encratites et hydroparastates, à cette même sentence parce que leur séparation avait pris naissance à propos d’un schisme, et que la grâce du saint Esprit ne repose plus sur ceux qui se sont séparés de l’Église en sorte que la continuité a été interrompue et que la transmission fait donc défaut. Il en résulte que ceux qui ont été les premiers à se séparer de nos Pères portaient l’imposition des mains, et qu’en vertu de cette imposition des mains, ils avaient possédé le don de l’Esprit. Redevenus cependant laïcs du fait de leur séparation, ils n’avaient plus le pouvoir, ni de baptiser, ni d’imposer les mains, car ils en avaient déchu. C’est pourquoi ces Pères ont décidé de purifier par le vrai Baptême, celui qui est donné par l’Église, ceux qui ont été baptisés par eux lorsqu’ils viennent se joindre à l’Église. »

Ces dispositions étabissent clairement que chez les hérétiques et les schismatiques, l’Église ne reconnaît ni le sacerdoce, ni aucun autre des Mystères, et qu’elle considère qu’il est naturel qu’elle les soumette au Baptême de l’Église. Toutefois saint Basile admet, dans cette Règle qu’il est possible d’adopter encore une autre manière pour les admettre. C’est ce que nous allons voir aussitôt après : « Mais puisque les Églises d’Asie ont décidé de recevoir globalement leur baptême pour des raisons d’économie, que ce Baptême soit reçu. » Un peu plus loin, saint Basile écrit encore : « Il faut que nous rejetions le baptême [des encratites] et que nous baptisions quelqu’un qui après avoir reçu le baptême chez eux voudrait entrer dans l’Église. Mais si cela devait constituer un obstacle à l’économie générale, il convient que nous suivions ici aussi la coutume et que nous observions les économies instituées chez nous par les Pères. Je crains en effet que puisque nous cherchons à affaiblir leur hostilité à l’égard de notre Baptême, la rigueur de notre proposition ne crée un empêchement pour ceux qui cherchent leur salut. »

Efforçons-nous donc maintenant de généraliser toutes ces indications qui ont été formulées à des époques différentes et tentons de concilier leur plus ou moins grande rigueur.

Tout Mystère présente deux faces : l’une est visible, et l’autre est invisible. La seconde ne peut être conférée que dans l’Église et par la foi et une prière sincère, selon les paroles de l’apôtre Pierre : C’est le signe qui maintenaznt nous sauve, car nous aussi nous revêtons le Baptême, non pas pour enlever la saleté de la chair, mais pour donner notre réponse à Dieu avec bonne conscience, par la résurrection de Jésus Christ (1 Pierre 3:21). Nous pouvons retrouver les mêmes idées dans l’enseignement de saint Jean Damascène. Chez ceux qui sont baptisés sans la foi, « l’eau reste de l’eau » seulement. Lorsque les hérétiques et les schismatiques reçoivent la grâce visible du baptême, de la chrismation et des ordres sacrés, ils sont entièrement dépourvus des dons qui sont attachés à ces Mystères sacrés pour ceux qui se trouvent dans l’Église. Certains donc, parmi eux, dans le dessein d’alléger la souffrance de leur vie spirituelle et « pour l’édification de tous », reçoivent la permission d’entrer dans l’Église sans la face visible des Mystères du Baptême ou des ordres sacrés (c’est-à-dire par la 2ème procédure, ou bien par la 3ème), mais en accomplissant sur eux un autre acte mystérique, par lequel ils reçoivent la grâce du Baptême, de la Chrismation ou des ordres sacrés (c’est par exemple le cas des catholiques romains, des nestoriens et des donatistes).

Beaucoup de gens sont troublés par cette question : comment est-il possible de remplacer un Mystère par un autre ? Mais à l’évidence nous nous fondons ici (et non pas nous, mais les saints canons que nous venons de citer) sur ces paroles de l’Évangile : Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure (Jean 3 :34). En d’autres termes, parmi les hérétiques ceux qui, prêtres ou laïcs, ont reçu chez les hérétiques le baptême ou la chrismation, n’ont reçu qu’un signe vide (la forme extérieure) de ce Mystère, qui, seulement lorsqu’ils reçoivent le Mystère qui les unit à l’Église (chrismation ou pénitence), reçoit alors en complément la Grâce. Il faut ajouter cette pratique, qui a été établie dans l’Église, que seul un évêque peut recevoir les hérétiques ou les schismatiques « dans leurs ordres précédents » ; s’ils sont reçus par un prêtre, ils ne peuvent entrer dans l’Église qu’en tant que simples laïcs. Cela veut dire qu’un prêtre schismatique ne peut recevoir le sacerdoce véritable, lorsqu’il est réuni à l’Église, que s’il est reçu par un évêque ; un prêtre ne peut pas accorder cette Grâce lorsqu’il reçoit un prêtre. C’est seulement sur la base de cette conception des mystères de l’Église que l’on peut comprendre les règles qu’elle a promulguées pour recevoir les hérétiques et les schismatiques selon telle ou telle procédure ; c’est seulement sur cette base qu’il est possible de concilier les décisions des saints Apôtres concernant la réception des hérétiques et des schismatiques avec les Canons qui ont été fixés par les Conciles postérieurs, permettant de ne pas les baptiser et de les recevoir par la seconde, ou même par la troisième procédure. C’est pourquoi il est futile, de la part des théologiens catholiquers, de blâmer les orthodoxes de faire preuve d’une telle diversité dans leurs pratiques.

Généralement on souligne que la condition posée pour l’entrée dans l’Église des schismatiques est qu’il y avait bien chez eux, avant qu’ils ne soient convertis, la succession apostolique, alors que selon la Règle canonique de saint Basile le Grand que nous avons déjà citée nous pouvons voir qu’aucun schismatique ne possède aucune succession apostolique et ne peut en avoir, car toute hiérarchie qui déchoit hors de l’Église « n’est plus constituée que de laïcs qui ne peuvent plus conférer la grâce du saint Esprit, puisqu’eux-mêmes en sont dépourvus. » Il en résulte que lorsqu’il s’agit de choisir de la procédure de réception qu’il faut adopter, il est pour le moins secondaire, voire même totalement inutile de poser la question de la succession des schismatiques.

Outre les canons des Conciles que nous venons de citer et de ceux des saints Pères, nous pouvons aussi nous rapporter aux paroles (que nous venons également de citer) de saint Basile le Grand qui disent que chaque Église se doit d’observer les coutumes qui ont été établies par elle-même, et qu’on doit se laisser guider par la prise en considération du bénéfice que l’Église peut en tirer, ainsi que des dispositions des hérétiques, qui peuvent avoir changé (pour le pire ou pour le meilleur). C’est ainsi qu’une considération particulière était accordée aux Nestoriens, biens que leur hérésie fusse considérée comme l’une des pires, dans la mesure où elle avait divisé notre Unique Médiateur (1 Tim 2:5) en deux personnes et refusé à la très sainte Vierge le titre de Mère de Dieu. Mais à l’époque où ce canon fut promulgué, ils avaient oublié leur fanatisme, et ils cherchaient à se réunir avec l’Église véritable. C’est là la raison pour laquelle les Églises tantôt accroissent et tantôt relâchent leur rigueur dans la procédure à utiliser pour les recevoir. C’est ainsi qu’en 1620, sous le patriarche Philarète, les latins furent réunis par l’eau, tout comme les païens, parce qu’à cette époque, c’est-à-dire à l’époque de l’introduction de l’Union, ils avaient entrepris un programme de propagande très séducteur, mais lorsque le tsar annexa la Petite Russie (1653) et que l’année suivante il entreprit une campagne victorieuse contre la Lithuanie, et lorsque de nombreux uniates commencèrent à demander leur retour à l’Orthodoxie, le Concile de 1667, en dépit de toute la sévérité qu’il avait montré envers ceux qui avaient déserté l’Église, décréta que les catholiques romains devraient être reçu en suivant la troisième procédure. La sainte Église qui se trouvait placée sous le joug turc était placée dans des conditions bien différentes. Alors, c’était l’hérésie et le schisme qui étaient plus forts, et c’est pourquoi la pratique des Églises orientales prit une direction toute différente de celle qu’avait adoptée l’Église russe. Alors que nos ancêtres baptisaient les latins, les Grecs se contentaient de leur conférer la chrismation, et alors que nous avions déjà adopté le règlement de 1667 et que nous les recevions par la troisième procédure, au concile de 1754, auquel praticipèrent la totalité des quatre patriarches orientaux, ils décidèrent de rebaptiser les catholiques et les protestants. (c’est bien plus tard qu’ils ont révoqué ce décret, et ils l’ont fait sans recourir à une nouvelle décision conciliaire, cédant alors à un principe d’opportunisme).

J’ai toujours considéré les Vieux Croyants avec une sympathie et un respect particuliers, bien qu’ils nous considèrent nous, les orthodoxes comme “des hérétiques de la seconde catégorie”, et qu’ils reçoivent ceux qui entrent dans leurs communautés par la chrismation, même les évêques (le cas le plus récent a eu lieu en Russie en 1925, et le premier avait eu lieu en Roumanie en 1846, lorsqu’ils reçurent dans leur communauté Arsène, le premier évêque grec qui les ait rejoints). Or leur opinion sur la question dont nous parlons est différente.
Il semble que les Vieux Croyants aient adopté les vues des latins concernant cette question. Ils sont certes les plus farouches à s’opposer à l’hérésie latine, au sujet de laquelle ils ont écrit, comme le faisaient nos ancêtres dès le XVIIème siècle, « l’hérésie latine est la plus terrible de toutes les hérésies. » Un malentendu fait cependant qu’ils ont assimilé, en ce qui concerne l’enseignement sur les Mystères une doctrine qui suit le Grand et le Petit Catéchismes du XVIIème siècle, que l’on ne considère comme orthodoxes qu’à la suite d’un malentendui et qui adoptent l’enseignement purement latin dans sa partie concernant les Mystères et la “satisfaction”. Ils sont cependant considérés chez les Vieux Croyants comme des ouvrages infaillibles, en tant que livres faisant partie des “vieux écrits”.. Comme la plupart des livres grecs et slaves de cette époque et des époques précédentes, ces livres étaient en réalité constitués de paraphrases des livres latins, qu’on s’était contentés d’expurger de celles des erreurs latines qu’avait exposées le patriarche Photios dans sa Lettre encyclique du IXème siècle. C’est la raison pour laquelle, à l’instar des Latins, déclarent que les “Nikonites” (c’est-à-dire nous) sont “des hérétiques de la seconde catégorie”, et c’est pourquoi ils chrisment avec de l’huile (ils nont pas de saint Chrême), non seulement les laïcs qui viennent chez eux, mais les prêtres et les évêques, tout en les recevant en même temps dans leurs ordres — ce qui est à pleurer ou bien à rire.

Les théologiens latins — ces scolastique si ennuyeux — font comme eux, portant contre les orthodoxes l’accusation d’avoir altéré la procédure de réception des hérétiques et des schismatiques selon les époques et les lieux, alors qu’en cela nous ne faisons qu’appliquer ce que veulent dire les canons et suivre les pratiques antiques de l’Église. On ne peut réduire purement et simplement un Mystère à un opus operatum, par lui c’est aussi la Grâce de Dieu qui vient se déverser, car elle est conservée dans le sein de la sainte Église orthodoxe.

Devons-nous considérer qette pratique est en accord avec notre eneignement concernant l’Église et la Grâce, ou bien avec l’enseignement des latins et la manière dont il comprend les sacrements, opere operato, donnant aux fidèles la Grâce, et accordant en quelque sorte aux hérétiques et aux schismatiques une demi-grâce ? Le canon 57 du concile de Carthage rejette cette dernière opinion, dans la mesure où il déclare que c’est seulement dans la seule Église véritable : « cette Église que l’on appelle “la colombe” et qui est l’unique Mère des chrétiens, dans laquelle nous pouvons recevoir tous les Mystères de l’éternité et de la vie destinés au salut de notre âme. Pour ceux qui persistent dans l’hérésie, ces Mystères ne peuvent procurer qu’un plus grand châtiment de condamnation, car ce qui eût été pour eux l’horizon le plus lumineux à rechercher pour la vie éternelle s’ils étaient restés dans la vérité, est devenu pour ceux qui sont dans l’erreur un horizon d’obscurité et d’encore plus grande condamnation. »
On peut vérifier en lisant ce canon que les hérétiques et les schismatiques ne possèdent aucune Grâce. Si cependant ce même canon, dans les lignes qui précèdent celles que nous venons de citer, affirme qu’ils doivent être « reçus dans l’unique Église par le toucher de la main », il est clair que ce qu’ils obtiennent ainsi, c’est d’être délivrés du péché des Ancêtres, c’est-à-dire de la souillure du péché, et cela justement par le toucher de la main. C’est-à-dire que par cet autre Mystère, le premier est également conféré, c’est-à-dire qu’ils reçoivent la grâce du Baptême. Toute compréhasion mécanique, ou simplement formelle, des Mystères et de l’Église peut conduire les gens, et même sont qui sont instruits, à adopter les croyances, aux superstitions et aux actes les plus stupides. C’est ainsi que, sous l’influence de la scolastique occidentale, le zèle pour la foi, bien qu’il soit digne du plus grand respect, a pu conduire à l’épisode comique que voici :

Durant les années 80 du XIXème siècle, un évêque grec qui s’adonnait à des spéculations (il s’agit probablement de l’évêque Lycurgue, mais peut-être fais-je une erreur de nom), visitait l’Angleterre. Certains prêtres anglais, qui nourrissaient des doutes concernant la validité de leurs ordres (cela voudrait-il dire qu’ils doutaient aussi de leur Église ?) lui demandèrent de les ré-ordonner, ce que fit le voyageur, désirant bien sûr en tirer un profit substantiel (Tite 1:11). Se rappelant cependant la règle canonique selon laquelle les évêques ne doivent pas exercer leurs fonctions dans un diocèse qui leur est étranger sans le consentement de l’autorité ecclésiastique locale, ils s’embarquèrent en compagnie de cet évêque dont nous parlons et gagnèrent la haute mer et c’est là, sur le bateau, qu’ils reçurent de lui leur “ordination”, tout en restant cependant encore membres du clergé de l’Église d’Angleterre. C’est ainsi qu’en voulant filtrer un moucheron ils furent amenés à avaler un chameau, car il est bien clair que si l’Église de Grèce est bien l’unique Église véritable, une fois qu’on y est entré il est impossible de rester membre de l’Église d’Angleterre, mais que si l’on reste anglican, il est impossible de recevoir l’ordination d’un évêque de l’Église grecque qui jusqu’à présent reste étrangère à l’anglicanisme.

La pratique contemporaine en matière de réception peut être définie dans ses lignes de la manière suivante : Il faut qu’il y ait :
1. La succession apostolique dans la communauté à laquelle appartenait la personne à recevoir ;
2. Un baptême conféré de manière correcte (c’est-à-dire par une triple immersion au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit) ;
Lorsque ces deux conditions sont remplies, il ne faut pas réitérer le rite du Baptême. Et si la communauté en question possédait aussi le rite que l’on appelle la Chrismation (ou onction par le saint Chrême), celui qui demande à être reçu dans l’Orthodoxie doit l’être par la troisième procédure, c’est-à-dire seulement par le Mystère de la Pénitence. C’est ainsi que nous procédons avec les latins, les arméniens et les nestoriens; cela est en accord avec le canon 95 du 6ème Concile œcuménique et les autres canons. Une telle réception est dite “de la 3ème catégorie” ou bien “dans leurs rangs antérieurs”, c’est-à-dire que si le candidat était un clerc, il le reste dans l’Orthodoxie après sa réception Doit-on en conclure que l’Église reconnaît le baptême, la chrismation et les ordres que le candidats a reçus alors qu’il se trouvait encore hors de l’Église, comme porteurs de la Grâce et comme valides ?

La pratique contemporaine, que nous tenons de l’enseignement latin sur les sacrements, et qu’il avaient adoptée bien longtemps avant de s’être séparés de l’Église (comme on peut le constater par exemple en nous rapportant à la 47ème Règle canonique de saint Basile le Grand) est fondée à l’évidence sur la théorie selon laquelle les hérétiques et les schismatiques possèdent quelque chose qui ressemble à la Grâce, en quelque sorte une demi-grâce.

Les Vieux Croyants ne manquaient pas de réels motifs, alors que je me trouvais encore en Russie, de me poser la question suivante : si vous considérez que les hérétiques et les schismatiques sont dépourvus de la Grâce, tout comme les païens, pourquoi refusez-vous de recevoir “dans leurs rangs” un rabbi Juif lorsque vous le baptisez, ou même un pasteur luthérien ?

Voici de quelle manière je leur ai répondu : tout d’abors, eux-même n’en ont aucun désir, mais aussi et surtout ils ne possèdent pas cette face visible des Mystères qui sont conférés lorsque l’on accorde dans l’Église la Grâce invisible — tout au moins dans l’intérêt de la discipline de l’Église, et peut-être aussi pour d’autres raisons.

La nature conditionnelle de cet aspect du problème est si grande que les saints Pères, les canonistes, ont laissé provisoirement irrésolues certaines questions de caractère liturgique. C’est ainsi que saint Basile le Grand laisse sans décision définitive certaines questions concernant la manière de recevoir les hérétiques et les schismatiques dans l’Église et qu’en reconnaissant pleinement la légitimité des diverses attitudes qui ont été prises à leur égard par différentes Églises, et laisse certaines questions ouvertes aux décisions de nouveaux Conciles et à des définitions plus précises des autorités ecclésiastiques (Règle 1).
Nous avons déjà vu que le canon 68 du Concile de Carthage décide que les évêques donatistes doivent être reçus dans leurs ordres précédents « pourvu que ce soit la décision et la volonté de chaque évêque catholique gouvernant l’Église en chaque lieu, s’il considère que c’est ce qui convient à la paix des chrétiens. »
Nous pouvons donc conclure que la réception dans l’Église orthodoxe :
1. dépend du discernement pastoral de chaque évêque, et que
2. ce discernement est conditionné par le bien de l’Église en général.
Nous pouvons maintenant ajouter que ce même canon définit aussi la manière dont nous devons procéder aux réceptions par rapport avec celle qui est en usage dans l’Église de Rome et dans d’autres Églises. Ce même canon 68 poursuit en effet : « Ce n’est pas que l’on veuille annuler ainsi les décisions du concile qui a eu lieu outre-mer, mais c’est pour que cette manière d’agir reste bien établie à l’égard de tous ceux qui veulent rentrer dans l’Église catholique, afin qu’ils ne puissent rencontrer aucun empêchement à leur retour vers l’unité. »

De telles décisions seraient tout à fait impossibles dans l’Église si l’on adoptait, pour parler de la manière de recevoir, un point de vue aussi dogmatique que celui qui est adopté sur chacun des Mystères par l’Église latine, ainsi que par nombre de théologiens russes contemporains, c’est-à-dire cette stricte différenciation de la Grâce des divers Mystères qui est si enracinée dans nos propres écoles théologiques.

Saint Basile le Grand lui-même, si rigoureux qu’il ait été dans sa défense du dogme de l’autorité ecclésiastique, parlant, toujours dans sa même classique 1ère Règle de la manière de recevoir les cathares, s’exprime sur un ton très hypothétique et confitionnel, et admet que les deux pratiques puissent exister. Voici comment il s’exprime au sujet des Encratites : « Puisque rien n’a été décidé officiellement en ce qui les concerne, je crois donc qu’il faut que nous rejetions leur baptême si cela ne doit pas se faire au détriment du bien général. »

Poursuivant, saint Basile relativise son affirmation et, bien qu’il eût décidé de recevoir par la Chrismation, il ajoute : « Je sais bien aussi que nous avons reconnu aux frères qui s’étaient rangés avec Izoïs et Saturnin leur rang d’évêques, si bien que nous ne pouvons plus refuser l’appartenance à l’Église à ceux qui en faisaient partie, car en reconnaissant leurs évêques nous nous sommes fixé une sorte de règle. »

Si nous adoptons le pount de vue que j’ai proposé, il apparaît bien que tout cela forme un ensemble raisonnable et cohérent, mais si l’on adopte le point de vue des latins, cela apparaît impossible. C’est pourquoi adopter un mode de réception pour ceux qui entrent dans l’Église (il s’agit donc des hérétiques et des schismatiques) est une question qui relève de l’économie ecclésiale, c’est-à-dire du discernement des évêques locaux et des Conciles, ainsi que de l’existence dans les communautés d’où proviennent les candidats [à l’Orthodoxie] de formes extérieures des Mystères du Baptême et des ordres sacrés.

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Publié en anglais sous le titre “The Basis on which Economy may be used in the Reception of Converts” dans Orthodox Life vol. 30, n° 4, juillet-août 1980, pp. 33-35, où se trouve la note finale suivante : « Cet article a été publié initialement dans le journal The Christian East (Vol. VIII, 1927, pp. 60-69) sous le titre “Why Anglican Cergy could be Received in their Orders” et il est republié ici dans une forme légèrement abrégée » Traduit de l’anglais par Jean-Louis Palierne
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
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