Claude le Liseur a écrit :Je suis petit à petit en train de reconstituer les morceaux du puzzle et j'en arrive de plus en plus à la conviction que l'ajout du Filioque dans le Credo attribué au concile de Tolède de 589 est une pure invention.
Je posterai deux messages sur le sujet. Un concerne mes doutes sur la véracité de la décision monstrueuse attribuée au concile de Tolède par l'historiographie "allant dans le sens du dialogue oecuménique". Le deuxième message porte sur la question qu'a posée Antoine la semaine dernière: quel Credo récitait-on avant Charlemagne?
D'abord, deux découvertes fortuites.
Puisque l'Espagne suscite beaucoup d'empathie ces temps-ci et que j'étais lassé de mes histoires d'exception de compensation du débiteur cédé dans la faillite du cédant, je lisais hier soir pour m'endormir l'excellente Histoire des Espagnols dirigée par le professeur Bartolomé Bennassar dans la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont (Paris 1992).
Et j'y découvre que le Filioque était une croyance arienne, en tout cas des ariens d'Espagne!
Professeur Pierre Bonnassie, "Le temps des Wisigoths", in Bennassar, Histoire des Espagnols, p. 35: "L'arianisme n'était rien d'autre qu'un christianisme simplifié, dépouillé pour une large part de ses mystères. Dans la Trinité divine, seul le Père était un, inengendré et éternel. Le Fils procédait du Père, et l'Esprit, à son tour, procédait du Fils (souligné par moi - NdL) . Page 36, les efforts du roi wisigoth Léovigilde pour susciter des ralliements à l'arianisme: "Concessions dans la pratique des conversions: pour être admis dans le culte arien, une simple déclaration d'intention suffira, au lieu d'un nouveau baptême comme précédemment. Concessions sur les questions dogmatiques: l'égalité du Père et du Fils est admise, seul le Saint-Esprit restant relégué à un rang subalterne (souligné par moi - NdL) . Bonnassie indique que cette soudaine insistance sur la procession ex Filioque, alors admise dans un sens arien, se situe au début des années 580; la conversion du roi Reccarède à l'Orthodoxie est, comme on le sait, de 586 ou 587.
Avouez que l'Histoire officielle qui veut que le concile de Tolède de 589 ait inséré le Filioque dans le Credo pour bien montrer aux Wisigoths à peine repentis de l'arianisme l'égalité du Père et du Fils devient difficile à gober. Le concile aurait voulu montrer aux Wisigoths les différences doctrinales entre christianisme orthodoxe et arianisme en modifiant le Credo des orthodoxes pour le rendre conforme à une doctrine arienne sur laquelle insistait particulièrement Léovigilde, l'assassin de saint Herménégilde - c'est-à-dire une doctrine qui représentait tout le passé que l'on voulait rejeter? Où est la logique là-dedans?
Et comment penser que saint Léandre, qui passe pour avoir été d'origine grecque, qui était un ami de saint Grégoire Dialogue, qui avait été envoyé comme ambassadeur à Constantinople où le patriarche saint Jean le Jeûneur lui avait dédié un de ses écrits, aurait présidé un concile qui se serait doté d'un Credo différent de celui professé par Rome et Constantinople?
Deuxième découverte fortuite. Pour les listes de saints d'Occident qui sont nécessaires à la rubrique "Calendrier des saints" de notre forum, je fais usage de l'édition en 17 tomes des Petits Bollandistes de Mgr Paul Guérin (1874), complétée en 3 tomes par Dom Paul Piolin, le tout réimprimé en 2001 par un éditeur kto intégriste, les Editions Saint-Rémi. C'est un outil de travail à la fois précieux et agaçant. Précieux, parce que Mgr Guérin a voulu être exhaustif et parce qu'il y est parvenu. Agaçant, parce qu'il n'est qu'exhaustif: le travail de Mgr Guérin est en fait une compilation de sources diverses où les lettres envoyées par des curés de campagne tiennent une place considérable. Mgr Guérin compilait avec un minimum de vérification et sans aucun esprit critique. A le lire, on a l'impression d'avoir un ouvrage du XIVème siècle, en tout cas antérieur à l'époque où Valla a posé les fondements de la critique historique en réfutant la fausse Donation de Constantin. Le travail de Mgr Guérin est aussi dépourvu de tout esprit de synthèse, se contredit dans les dates, etc., raisons pour lesquelles Dom Piolin l'a complété, sans pour autant supprimer toutes les erreurs. Sans même parler du ton constamment polémique et méprisant à l'égard des protestants et des orthodoxes, la mauvaise foi (peut-être due à l'ignorance, puisqu'il recopiait parfois n'importe quoi) de Mgr Guérin est parfois comique: ainsi, saint Sava, premier archevêque de l'Eglise orthodoxe autocéphale de Serbie, et dont on sait à quel point il était hostile au papisme, et transformé en vicaire du pseudo-patriarche "latin" de Constantinople (le prélat vénitien mis en place par les Franks lors du saccage de la ville en 1204) dans une notice qui commence par un "seule l'Eglise catholique (i.e. vaticane, aux yeux de Mgr Guérin - NdL) produit des saints", qui est du plus bel effet quand on raconte les vertus d'un évêque, certes de l'Eglise catholique, mais la seule, la vraie, pas celle à laquelle pensait Mgr Guérin: l'Eglise catholique orthodoxe... Enfin, malgré mon agacement devant sa mauvaise foi et son manque de scientificité, je lui suis quand même reconnaissant, à Mgr Guérin, de l'avoir fait, cette compilation!
Voilà que je lis, dans le tome IV des Petits Bollandistes de Mgr Guérin, page 445, à la date du 16 avril, sur la notice de saint Thuribe, évêque d'Astorga en Espagne, mort en 460, où Mgr Guérin affirme que ce saint évêque réunit contre les priscillanistes un concile regroupant les évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Portugal et d'Andalousie (on sent déjà le faux: le Portugal et l'Andalousie n'existaient pas au Vème siècle - NdL) : "Ce synode, pour expliquer la procession du Saint-Esprit, ajouta au symbole de Constantinople le terme Filioque" (suit une longue argumentation reprise des polémistes papistes anti-orthodoxes antérieurs, du type Anselme de Cantorbéry ou l'Acoquin, pour nous expliquer que le Filioque était contenu dans la pensée (!) des Pères du IIème concile, et que ceux qui lui sont hostiles sont des hérétiques, le tout sur un fond augustinien de confusion entre la personne du Saint-Esprit et la relation d'amour entre le Père et le Fils).
On notera que Mgr Guérin ne donne ni la date, ni le lieu de ce concile; il le situe seulement sous le pontificat de saint Léon Ier de Rome et l'épiscopat de saint Thuribe d'Astorga, donc entre 440 et 460.
Tiens, me dis-je, voilà une notice de Mgr Guérin qui ouvre la voie à bien des réflexions. Il doit avoir trouvé dans un ouvrage antérieur, le Martyrologe des Saints d'Espagne de Salazar, la mention de ce mystérieux synode sans lieu ni date qui permettrait de faire remonter l'insertion du Filioque bien avant le IIIème concile de Tolède de 589. A moins qu'il ne l'ait inventé lui-même - peu importe. Ce qui importe, c'est de découvrir qu'il y a eu à une époque chez les filioquistes une tentative de faire remonter l'insertion du Filioque dans le Credo à un concile antérieur à celui de 589, et que plus personne ne parle de ce mystérieux concile du Vème siècle.
La question me vient évidemment à l'esprit: quelle raison ai-je de penser que l'insertion du Filioque par le concile de 589, telle que me l'enseigne l'Histoire officielle, soit plus digne de foi que l'insertion par un synode galicien du Vème siècle, telle que Mgr Guérin (ou de la source qu'il utilise) essayait de le faire accroire en 1874? Je ne vois pas pourquoi je croirais à la deuxième fable plutôt qu'à la première.
Lisant dernièrement un article de l'archevêque Georges Wagner (1930-1993) intitulé
Le dogme pneumatologique du deuxième concile et son contexte théologique dans la tradition patristique, contenu dans l'excellent recueil
La liturgie, Expérience de l'Eglise. Etudes liturgiques. Edition des Presses Saint-Serge - Institut de théologie orthodoxe, Paris 2003 ; j'y découvrait la mention d'un concile de Tolède en 447 où aurait été adjoint pour la première fois le
filioque.
Comparaison faite avec l'ouvrage de Lampryllos qui lui fait état du concile de 589, je remarquais une chose quelque peu étrange. Comment le concile de 589 pouvait être le IIIe de Tolède comme l'écrit C. Lampryllos, tout en ayant eu un concile en 400, 447, 527 (ou 531), et 589 ? Ce qui m'ammena à entreprendre quelques recherches.
Un
Dictionnaire des Conciles par Alletz, Filsjean, Paris, 1835 (disponible sur internet) fait bien état de ce concile de 447 où "les Pères y confessent que le Saint-Esprit y procède du Père et du Fils." Quant au concile de 589 l'on y apprend que parmi ces ordonnances fut proclamé le chant du "symbole du concile de Constantinople, à l'imitation des Eglises orientales, mais avec l'addition du
Filioque. Au reste c'est dans ce concile qu'il en est parlé pour la première fois."
Ce qui est pour le moins contradictoire et étrange, mais qui en tout cas je pense, répond à votre question quant à ce fameux concile du Ve siècle entre 440 et 460, et qui fait remonté l'insertion d'un peu plus d'un siècle dans le temps.
Mais comme le bizarrerie concernant les conciles de Tolède ne s'arrête pas là, voulant vérifier ces données, j'ai consulté le
Dictionnaire des conciles par Peltier, Migne, tome II, 1847, qui lui ne parle pas du
filioque en 447 mais seulement en 589.
Par contre l'on apprend qu'entre 396 et 589 (je ne tiens pas compte des conciles suivant ici) il n'y eu pas trois ni quatre concile à Tolède comme pouvait le laisser suggérer le nom de IIIe pour celui de 589, mais bien cinq conciles de Tolède en 396, 400, 447, 527 (ou 531), 589, ne tenant pas compte du conciliabule ariens de 581 (ou 585), ni la rencontre de 587 entre ariens et orthodoxes. Celui de 400 étant dit Ier, celui de 527 IIe et celui de 589 IIIe.
Bref, désolé d'avoir été si long mais tout cela me semble vraiment étrange.
Il semble que la thèse de Lampryllos est pour le moins osée et il me semble aujourd'hui plus cohérent de croire à la falsification quasi-totale des actes de ces conciles, comme vous l'écriviez ici :
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