Les enfants pendus de l'île de Chypre

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eliazar
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Les enfants pendus de l'île de Chypre

Message par eliazar »

Des élections viennent d’avoir lieu en Grèce, ce dimanche 7 mars 2004.
Ces élections ne peuvent pas ne pas avoir de retentissements sur la situation dans l’île de Chypre. Et en tant que Méditerranéen, il est impossible que la question de Chypre ne soit pas dans ma gorge comme une arête de poisson, depuis tant et tant d’années.

Pas seulement en tant que Méditerranéen, mais aussi et peut-être en premier lieu en tant que Chrétien, et Chrétien Orthodoxe. Le douloureux problème de Chypre est en effet celui de l’Orthodoxie toute entière, qui ne cesse de défendre la civilisation du Christ, comme une digue défend les terres nourricières de son héritage contre le raz-de-marée islamiste : c’est à dire contre la persécution et l’apostasie forcée que ce raz-de-marée a toujours représenté pour les peuples chrétiens partout où la digue a cédé au cours de l’histoire.

Dès le début de l’Islam, et une fois l’Arabie païenne (mais tolérante) conquise par Mahomet et ses adeptes, la terre sacrée de Palestine a été inondée par eux. Il reste encore une infime minorité chrétienne et orthodoxe parmi les spoliés palestiniens d’aujourd’hui, mais le chef d’état de ce peuple de pauvres, Yasser Arafat, se voit interdire le droit d’aller adorer le Christ à Bethléhem la nuit de Noël. Les derniers survivants chrétiens palestiniens sont écrasés entre le pouvoir légal anti-chrétien de l’état terroriste d’Israël et la vague de violence terroriste de leurs frères de sang qui sont devenus peu à peu musulmans sous l’empire ottoman – et qui sont aujourd’hui majoritaires.

Un processus similaire a transformé au cours des siècles le peuple de l’Anatolie chrétienne orthodoxe, terre des plus grands saints et des plus grands Pères de l’Église du Christ, en un peuple majoritairement renégat du Christ – et déchiré en son propre sein entre un pouvoir d’état terroriste et une révolte latente tout aussi terroriste : celle du peuple opprimé et des plus pauvres, mais aussi ... d'un peuple jadis héritage du Christ, mais devenu musulman…

C’est aussi ce qui est en train d’arriver à nos frères chrétiens orthodoxes du Kosovo. C’est aussi ce qui se profile à l’horizon du peuple chrétien orthodoxe de l’île autrefois sainte de Chypre, dont les reliques de son premier Évêque et illuminateur, mon saint patron Lazare le Premier Ressuscité, n’ont pu échapper à être brisées à coups de marteau, réduites en miettes par la dynamite ou jetées à la mer que parce que la Providence divine les avait mises à l’abri … dans une sainte ville de Constantinople qui allait hélas être bientôt inondée elle aussi par l’islam - et qui est même devenue capitale de l’empire ottoman.

Je sais que nous avons des frères Grecs et des frères Chypriotes parmi nous, même s’ils s’expriment peu souvent et avec une grande discrétion. Cette discrétion confine au mutisme lorsqu’il s’agit de Chypre. Je crois pouvoir deviner pourquoi. Ils se sentent émigrés dans un occident hostile à l’orthodoxie. Ils ont constaté cette hostilité (par exemple) lorsque la France « noble et généreuse » aurait pu voler au secours d’un peuple opprimé ou attaqué par une puissance contre laquelle il ne pouvait plus se défendre – et qu’au lieu de le faire, elle a volé au secours de ses bourreaux et les a aidés (militairement ou diplomatiquement) à persécuter les chrétiens orthodoxes soumis au joug de l’islam, dépouillés, assassinés, violés, poussés à l’apostasie ou la mort.

Le fait que la France défende le laïcisme a du reste des conséquences de neutralité active, dans le domaine religieux, qui lui ont permis dans le passé d’aider avec la même impartialité les bourreaux des peuples juifs - et même de leur livrer ceux qui s’étaient réfugiés chez elle. Ce qui ne les encourage pas pour l’avenir de leur propre peuple, s’il devait être soumis demain aux mêmes dangers. Par ailleurs, le chef d’état actuel (qui est de tous les chefs d’état qui se sont succédés à la tête de la France depuis deux siècles celui qui a recueilli le plus fort pourcentage d’adhésion parmi les citoyens français) les a récemment confirmés dans cette nécessaire prudence en déclarant que l’Europe avait autant de racines musulmanes que de racines chrétiennes. Ce qui veut dire de toute évidence que le peuple français qui l’a porté au pouvoir en un triomphe sans précédent se lavera les mains comme lui-même, quand le prochain pouvoir musulman commencera le prochain bain de sang chrétien – surtout si ce sang est orthodoxe. C’est une vieille tradition française.

Et pourtant, je voudrais dire ici à nos frères Grecs et à nos frères Chypriotes que nous sommes, dans ce Forum, dans une enclave orthodoxe en terre de France. C’est à dire qu’ils sont chez eux, comme partout où le Christ est présent.

Et que le signataire de ces lignes aimerait connaître leur témoignage, et savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils craignent, ou ce qu’ils espèrent - après ces élections et à la veille probable (puisque voulue par l’empire étasunien) de la mise en application du nouveau plan pour faire sauter la digue fragile qui sépare Chypre en deux et protège encore les derniers chrétiens sur la dernière partie non immergée de leur île sainte. C’est à dire : le Plan Annan.

Car ce qui risque d’arriver à nos frères de Chypre fait partie de notre vie, même si nous sommes nés par hasard citoyens français : il n’y a plus ni Grecs, ni Juifs…
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eliazar
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Les enfants pendus de l'île de Chypre

Message par eliazar »

PS – Il est ici huit heures passées, et avant qu’on me reproche une fois de plus de faire de la politique sur un Forum religieux, je tiens à rappeler à ceux que j’aurais pu scandaliser qu’il s’est tout de même trouvé un Évangéliste (et non des moindres) pour parler ouvertement du massacre des innocents – et pas dans un simple forum, mais dans l’Évangile.

Et que concernant l’iniquité de Chypre, il y a eu au moins un Évêque, Christodoulos d’Athènes, pour en parler ouvertement – et non dans un simple forum, mais tête nue dans sa propre cathédrale, le dimanche 22 février 2004 ; en disant par exemple :

« …"Je vous appelle à un paroxysme de prières … / … Des enfants de 18 ans ont été pendus pour la liberté de l'île (de Chypre) dans les années 1950. Tout cela est jeté au rebut aujourd'hui".

Cela ne m’empêche pas, naturellement, de demander pardon à ceux que j’aurai pu offenser, ou dont j’aurais troublé le saint Carême.
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Bien chers frères et soeurs,

Aujourd'hui, nos frères orthodoxes de Chypre doivent voter sur un plan de réunification de l'île préparé sous l'égide de l'Islamérique. Toutes les forces anti-orthodoxes du monde se sont liguées pour imposer le "oui" à ce plan qui consacrerait une nouvelle avancée du Dar-el-Islam et une nouvelle défaite de l'Europe et du christianisme.

Prions pour que nos frères orthodoxes de Chypre aient le courage de voter dans la paix de leur conscience, sans se laisser impressionner par les menaces des Etats-Unis.

Les Anglo-Saxons ont pu livrer par la violence 37% de l'île aux islamistes; prions pour qu'il n'arrivent pas à leur en livrer la totalité par la menace.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dhoxa tou Theou!

Nos frères orthodoxes de Chypre ne se sont pas laissés impressionner par les menaces de Washington, Bruxelles et Ankara, et ils ont voté dans le sens de la dignité, du refus de capituler et de ce que leur recommandait l'Eglise (l'Eglise de Chypre avait appelé à voter non).

Le peuple chypriote a repoussé le plan Annan à 76%. Les colons mahométans établis dans la partie Nord de l'île, sur les 37% du territoire qui leur ont été livrés par Henry Kissinger en 1973, ont voté oui à 60%; mais comme il fallait un vote positif des deux parties, le plan Annan est enterré.

Naturellement, le choeur anti-orthodoxe a commencé à chanter les litanies habituelles (vous savez, ceux qu'on a entendus chanter les louanges d'Izetbegovic, de l'UCK, des Tchétchènes): dès ce matin dans Le Temps (ce qui veut dire que l'on s'attendait à ce résultat), ce soir sur le journal de TF1, et cela va empirer pendant quelques jours, et puis ils passeront à autre chose. Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Alain Besançon, Julia Kristeva ou Jean-Arnault Dérens y trouveront encore une occasion de faire leur boulot et nous livreront encore quelque brillante analyse de l'incompatibilité entre Orthodoxie et caractère européen.

Et cela ne changera rien au fait que le droit vient aujourd'hui, pour une fois, de l'emporter sur la force, et que le peuple chypriote a eu le courage de refuser la consécration du fait accompli.

La Commission européenne vient d'annoncer qu'il y aura des récompenses pour la partie qui a voté oui: avec quel argent?

Prions Dieu pour qu'Il protège nos frères orthodoxes de Chypre face à toutes les menaces!
eliazar
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Message par eliazar »

TE DEUM LAUDAMUS, en effet !

La commission européenne pourra toujours récompenser les "bien votants" avec notre argent - volé à nos paysans et à nos ouvriers - mais le risque, maintenant, est qu'elle fasseaux vrais Chypriotes ce qui avait été fait antérieurement aux Danois, lorsque ils avaient refusé l'Euro.

On les a renvoyé voter une autre fois, et ils ont cédé.

Le problème est que les Chypriotes ne sont peut-être pas aussi "commerçants" que les Danois ?

Par contre, je suis choqué par la virulence bien peu chrétienne de ce lecteur Claude qui veut ôter le pain de la bouche aux pauvres intermittents du spectacle que sont MM. et Mme Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Alain Besançon, Julia Kristeva et Jean-Arnault Dérens. A quels rateliers pourraient-ils encore manger, s'ils se permettaient de ruer dans leurs brancards dorés ?

Ne faut-il pas que tout le monde vive ? Même si M. de Talleyrand et moi-même n'en voyons guère la nécessité ?

Allons, ne tirez donc plus sur les chevaux d'ambulances, cher Lecteur ... Ce sont de pauvres rosses; ne le soyez pas trop avec eux!
Jean Malliarakis
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Chypre

Message par Jean Malliarakis »

Merci et Bonjour cher Eliazar de Gascogne

Je vous réponds en vitesse voyant les beaux textes que vous avez écrits sur ce sujet.

Vous avez effectivement compris ce que ressentent les Grecs, de Chypre et d'ailleurs : un sentiment de terrible isolement, de trahison et d'incompréhension séculaire peut-être millénaire !

Les chrétiens, et bien entendu d'abord les chrétiens orthodoxes doivent être solidaires aussi de tous ceux qui sont aux premières loges de l'offensive islamique, notamment lorsqu'il s'agit de chrétiens oubliés : Soudanais du sud, Coptes d'Égypte, Arméniens, Nestoriens d'orient etc.

Depuis 30 ans, la Grèce et Chypre ont compris qu'il n'y a rien à attendre des Européens de l'ouest. De sorte que tout a été fait pour se défendre par les moyens dont dispose l'Etat grec, notamment le droit de veto au sein de l'Union européenne, sachant que les gros hypocrites de l'union européenne y trouveraient leur compte puisqu'il s'agit de mettre sur le dos des Grecs les aléas de la négociation avec la Turquie, etc.

Mais tout cela c'est de la politique, pas de l'orthodoxie...

Donc on pourrait développer cette question, c'est vrai. Mais on se trouverait alors dans un questionnement "national" et dans une attitude polémique, alors que l'heure devrait être à la construction d'une Europe chrétienne, abattant les cloisons entre les parties protestantes, catholiques et orthodoxes de l'Europe : difficile n'est-ce pas.

Et comme les paroles ne changent pas le monde, autant se taire.

Faut-il casser les pieds aux autres orthodoxes en leur racontant nos malheurs, nos humiliations d'être toujours désignés comme les méchants du film ?

La aussi, ce serait excessif. Coté victimes du racisme anti orthodoxe de l'occident, il y a nettement plus à plaindre que les Grecs, qui ont maintenant parfaitement l'habitude.

Je pense à nos frères Serbes par exemple. Voila un peuple qui ne s'attendait pas à ce qui lui est arrivé, ses dirigeants n'avaient rien prévu, et d'ailleurs ce n'était pas des orthodoxes mais d'anciens cocos. Or c'est comme chrétiens orthodoxes qu'on a diabolisés et persécutés les Serbes, et qu'on les a réduits à la situation de peuple le plus pauvre d'Europe aujourd'hui.

Si nous voulons avoir une VRAIE pensée de solidarité orthodoxe, elle se résume aujourd'hui, d'abord, en trois syllabes : KO - SO- VO !

Mais c'est vrai, je ne veux pas oublier Chypre. J'y pense depuis plus de 40 ans. C'est très beau Chypre. C'est aussi très grec, plein de superbes églises peintes, témoignages de la résistance médiévale à la persécution occidentale, qui disent par des fresques notre foi orthodoxe. Ces églises peintes font officiellement partie du patrimoine de l'humanité. Lisez le poème de Jacques Lacarrière "Une île grecque". Je vous enverrai si vous le voulez toutes les références utiles. Il y a aussi un très bon petit livre guide de M. Perrin "Chypre" aux éditions de la Manufacture.

Au fond, sans le savoir, les Grecs ont fait un peu leur depuis plusieurs années la formule française s'agissant de l'Alsace-Lorraine : "pensons y toujours, n'en parlons jamais".

Amitiés en Christ

Jean Malliarakis
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Mon cher Jean,

Une preuve que ça ne va pas s'arranger au Kosovo: trouvé sur le site www.religion.info de Jean-François Mayer des informations à propos de la diligence avec laquelle les troupes d'occupation onusiennes poursuivent le vandalisme anti-orthodoxe au Kosmet.

Depuis l'OTANasie de l'Europe organisée par MM. Clinton, Blair, Schroeder, Chirac, Jospin, D'Alema et leur mère spirituelle Madlenka Albright en 1999, 140 lieux de cultes orthodoxes ont été détruits par des "éléments incontrôlés" au Kosovo et en Métochie et personne n'a été arrêté. Et il en ira de même pour la grande vague de porgroms de mars...

Mais je ne serais pas étonné de voir des icônes volées au Kosovo réapparaître sur le marché de l'art aux Etats-Unis...
Thierry-VCO
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Message par Thierry-VCO »

Christ Est Ressuscité!


Voici un lien du collectif pour la paix en Yougoslavie, concernant le Kosovo
http://www.gael.ch/collectif/
et à lire en tout cas pour les suisses, je ne sais pas si ce magazine est disponible en France,dans le dernier numéro de l'Echo magazine un intéressant reportage
sur la situation de l'Eglise orthodoxe au Kosovo.

Bien à vous

Thierry
Thierry-VCO
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Message par Thierry-VCO »

Thierry-VCO
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Message par Thierry-VCO »

Christ Esr Ressuscité!


Petit à petit la Turquie gagne du terrain et déjà Colin Powell fait un lapsus révélateur concernant Chypre occupée.

Début d'article seulement.

[infogrece] · Publié le Vendredi, 07 mai 2004 à 02:58 (UTC+1)


Tapis rouge pour le Premier ministre Turc en visite en Grèce. Au même moment, les Etats-Unis reconnaissent l'Etat turc du Nord occupé de Chypre
Le Premier ministre Turc, Recep Tayyip Erdogan, a débarqué ce soir à Athènes pour une visite officielle en Grèce. M. Ergodan est arrivé accompagné du ministre des Affaires religieuses, Mehmet Aydin, qui a rang de ministre d'Etat. Pour la première fois un Premier ministre turc rendra visite à la communauté musulmane de Thrace, longtemps téléguidée et instrumentalisée par la Turquie. En même temps aux Etats-Unis, le Secrétaire d'Etat américain Colin Powell recevant le représentant de la communauté turcochypriote, Mehmet Ali Talat s'est adressé à lui en tant que Premier ministre, une première dans le langage protocolaire pour un Etat qui n'a jamais été reconnu par les Etats-Unis ni par le reste de la communauté internationale.

http://www.info-grece.com/article.php?sid=1754
Thierry
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dans le concert de bêlements anti-grecs et anti-orthodoxes de la presse francophone, un journal non-conformiste se distingue.

Article de Périco Legasse, in Marianne (hebdomadaire dirigé par Jean-François Kahn), n° 367 du 3 mai 2004, page 48:

"Chypre. Le non justifié des Grecs

Alors que l'Union européenne s'élargit, le 24 avril dernier, les Chypriotes grecs ont rejeté à 75% - en dépit d'intenses pressions internationales - le plan de réunification de l'île. A l'inverse, la minorité turque approuve sans réserve ce mariage imposé. Impossible de n'y rien comprendre sans remonter à juillet 1974, lorsque la junte militaire au pouvoir à Athènes tente d'imposer de vive force le rattachement de la totalité de l'île à la mère patrie. D'où l'intervention immédiate de l'armée turque, soucieuse de protéger sa communauté. Nicosie et le nord de l'île sont occupés par les descendants des janissaires. S'ensuivent trois décennies d'exil, la création de deux Etats antagonistes et une guerre civile froide entrecoupée de tentatives de conciliation sous l'égide des Nations unies. Il serait un peu court de faire porter aux seuls Chypriotes grecs l'échec de la consultation concoctée par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. Après l'approbation des deux populations, l'île réunifiée aurait intégré l'Union européenne. Le divorce perdurant, seule la partie grecque ralliera l'ensemble communautaire, l'entité turque (bien moins développée au plan économique et uniquement reconnue par Ankara) demeurant en marge. Une situation paradoxale puisque les Grecs, ardents défenseurs de la réunification, se retrouvent dans le rôle des empêcheurs. En fait, l'interdiction qui leur était faite d'acheter des terres dans l'enclave turque ou d'y bénéficier de droits civiques véritables leur semblait inacceptable. C'est dire si la diplomatie européenne manque de tact lorsqu'elle accuse le président Tassos Papadopoulos, chef des Chypriotes grecs, d'avoir trahi ses engagements. Les conditions de la réunification étaient par trop inacceptables depuis que Kofi Annan s'était aligné sur les exigences de l'homme fort de la minorité turque, Rauf Denktash. Un diktat prévoyant que seuls 10% des Grecs partis en 1974 auraient eu le droit de revenir dans le nord de l'île. Pas de dérogation, non plus, pour les enfants d'exilés morts depuis cette date. Enfin, la zone neutre qui sépare les deux "camps" aurait été placée sous le contrôle de l'armée turque. Quel dirigeant aurait pu accepter des clauses aussi exorbitantes sans perdre la face devant son peuple?"

Excellent entrefilet qui donne une bonne idée du fonctionnement étrange de la diplomatie de l'ONU et de l'Europunie.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dans un très bel article publié dans le Figaro, l'académicien Maurice Druon, auteur des Rois maudits mais aussi du Chant des Partisans, ancien ministre de la Culture, rend hommage au vote courageux de nos frères orthodoxes de Chypre et le compare avec la lutte héroïque du peuple grec face à l'invasion italienne en 1940-41, et rappelle quelques vérités politiquement incorrectes sur ce que fut le processus d'islamisation à Chypre (valable aussi pour l'Albanie ou la Bosnie-Herzégovine, ou ailleurs...).

L'article est disponible sur le site du Figaro à l'adresse

http://www.lefigaro.fr/debats/20040601.FIG0031.html

Pour une fois, je reproduis l'article in extenso, tant il mérite d'être lu:

L'Europe s'arrête à Chypre

PAR MAURICE DRUON de l'Académie française
[01 juin 2004]


En répondant à l'ultimatum mussolinien de 1940 par son fameux: «Okhi, non!», le général Metaxas, pourtant dictateur lui-même, non seulement inscrivit son nom dans l'histoire, mais sauva l'honneur et l'avenir de la Grèce.
En répondant par le même «okhi» au référendum sur la cinquième version, épaisse comme un dictionnaire, du plan onusien pour la réunification de leur île, les Chypriotes grecs ont encouru l'opprobre à peine déguisé des conseils de Bruxelles. Et pourtant ils ont probablement sauvé l'Union européenne.

La plupart des gens qui s'attachent à régler le sort de Chypre, et M. Kofi Annan comme les autres, ne connaissent rien d'elle. Ils croient faire preuve de savoir en l'appelant en souriant «l'île d'Aphrodite» parce que la mythologie fait surgir des ondes la déesse de l'Amour sur son rivage occidental. A part ce cliché, ils en ignorent à peu près tout.

Savent-ils qu'au temps d'Homère, déjà, Chypre avait des rois puissants qui donnent encore audience aux morts dans les clairs tombeaux où ils ont fait placer leur trône?

Savent-ils que, sur ce long radeau ancré à l'est de la Méditerranée, dans le golfe des trois continents du Vieux Monde, toutes les civilisations, de l'Antiquité à la Renaissance, se sont arrimées, ont échangé leurs connaissances et se sont fécondées les unes les autres? Savent-ils que, dès les IXe-VIIe siècles avant Jésus-Christ, Chypre exportait ses poteries aux décors géométriques dans tout l'univers connu?

L'industrie humaine doit à Chypre la découverte du cuivre et de la fonte des métaux. La philosophie doit à Chypre Zénon de Cition, le fondateur du stoïcisme. Le christianisme doit à Chypre la conversion du premier Romain par saint Paul.

L'Europe enfonce à Chypre ses racines parmi les plus profondes. Tout cela est généralement oublié, sauf des Chypriotes, qui n'ont pas oublié non plus que Byzance accorda à leur chef politique et religieux, l'ethnarque, de signer à l'encre rouge, prérogative des empereurs porphyrogénètes, pas plus qu'ils n'ont oublié leurs siècles les plus florissants, les plus prospères, sous leurs rois français, les Lusignan, et sous les marchands vénitiens, quand leurs vaisseaux parcouraient tout le Mare Nostrum et quand Famagouste comptait autant d'églises qu'il y a de jours dans l'année.


Qu'apportèrent à Chypre les trois cents ans d'occupation ottomane ? Rien. Le déclin et la désolation. Qu'était-elle devenue, la Makaria, la fortunée, la parfumée que chantaient les vieux poètes ? Elle n'avait gardé que la valeur stratégique que lui donnait de toujours sa position de passerelle entre l'Orient et l'Occident. C'est ce que comprit bien Disraeli, lorsque, en gratification du rôle d'«honnête courtier» qu'il avait joué dans la guerre russo-turque, il obtint que Chypre passât sous la souveraineté anglaise. Voilà ce dont il faut se souvenir quand on se penche sur le problème chypriote.

C'est seulement en 1959, après quatre ans d'une lutte menée par le général Grivas et l'archevêque Makarios, que Chypre accéda à une indépendance dont elle n'avait bénéficié qu'une fois, à l'époque d'Alexandre le Grand, pour les services qu'elle lui avait rendus. Le conquérant universel avait de ces magnanimités.

J'ai connu Chypre durant cette indépendance. C'était un pays heureux. La minorité turque y vivait en parfaite symbiose avec la majorité grecque, une symbiose qui allait jusqu'aux mariages mixtes. D'ailleurs, quels étaient-ils, ces Chypriotes turcs ? Des Chypriotes grecs convertis, pour raison de convenance, pendant la domination ottomane, et des familles immigrées du Proche-Orient. Les oppositions d'ordre religieux étaient inexistantes.


Ce bonheur dura peu ; quinze ans. En 1974, le gouvernement des colonels, le plus bête qu'ait eu la Grèce en trois mille ans, aidé par des agents des services secrets américains qui l'égalèrent en stupidité, lancèrent une opération pour renverser l'ethnarque Makarios. Aussitôt, le gouvernement turc, sautant sur l'occasion, envoya son armée envahir Chypre.

Trois puissances, aux termes du traité de Londres de 1959, étaient garantes de l'indépendance de Chypre : la Grèce, la Grande-Bretagne, la Turquie.

Constantin Caramanlis, rappelé d'urgence à Athènes, rattrapa l'énorme bévue des colonels et évita une guerre gréco-turque. La Grande-Bretagne, bien qu'elle eût à Chypre sa plus forte base militaire extérieure, dotée de 8 000 hommes et d'une aviation puissante, ne bougea pas. Juridiquement et humainement, c'était un grand scandale. Mais elle n'avait pas l'appui des Etats-Unis qui, trois ans plus tôt, avaient brutalement obligé la France et l'Angleterre à arrêter l'opération de Suez dont l'état-major se trouvait précisément à Chypre. Quant à la Turquie, elle envoya une deuxième vague de troupes. Elles y sont depuis trente ans.


L'année qui suivit le drame, appelé à clôturer un symposium sur Chypre, je m'avançai à déclarer, dans une intervention dont Jacqueline Romilly veut bien se souvenir et qu'elle appelle le discours de Delphes : «Les nations qui ont une histoire courte ont tendance à ignorer ou à négliger le passé des autres. Elles s'exposent par-là à de lourds mécomptes. Cette ignorance, ou cette négligence, est particulièrement grave quand les nations dont l'histoire est courte sont en position dominante ou hégémonique.» Et j'ajoutai, ce qui me fit accuser de catastrophisme par le journal Le Monde : «Quand on regarde la composition ethnique des nations de cette région du monde, quand on observe leur répartition dans les blocs et les systèmes internationaux, quand on se rappelle que des nostalgies peuvent toujours de réveiller chez des peuples qui furent conquérants, quand on n'omet pas de peser, chez d'autres qui leur font face, le courage atavique et la capacité de résistance à l'oppression, certes il n'est pas difficile d'imaginer ce que pourrait engendrer tout affrontement armé : la dissémination rapide du conflit, la tache d'huile qui devient tache de feu, les Balkans incendiés, la désintégration du flanc oriental de l'Europe, la rupture des équilibres méditerranéens... Puisse l'occupation de Chypre, accomplie dans l'indifférence des États, ne pas apparaître un jour comme un fait aux conséquences comparables à celles de l'Anschluss (1).» Bien que la Pythie fût voisine du théâtre antique où je parlais, je ne délirais pas complètement.


Pour ce qui est de Chypre, la Turquie, après trente ans, entretient toujours, dans la moitié nord, une armée nombreuse ; elle en a chassé deux cent mille habitants d'origine grecque ; elle y a implanté des milliers de colons turcs ; elle a rasé des églises ou les a transformées en mosquées, elle a créé une république chypriote turque qu'elle est seule à reconnaître. L'île est partagée par une ligne de démarcation qui traverse la capitale, Nicosie, comme un autre mur de Berlin, dont les détachements des Nations unies doivent assurer la garde. Et alors que le niveau de vie n'a cessé de baisser dans la partie turque, les Chypriotes grecs ont rétabli, de leur côté, une remarquable prospérité.

On comprend qu'ils aient repoussé un plan dit de réunification qui fabriquait une fédération bicéphale où subsistait un gouvernement turc et laissait en place une partie des troupes turques.


L'affaire chypriote est tristement exemplaire, et nous éclaire sur la réponse qu'il convient de donner à l'insistante candidature de la Turquie à entrer dans l'Union européenne. Il y a des réalités qu'il ne faut pas se masquer. La première tient à la géographie, «la seule composante invariable de l'histoire», disait Bismarck. Ce n'est pas d'avoir conquis Constantinople en 1453 qui a rendu la Turquie européenne, ni le petit bout de Thrace qu'elle possède depuis qui fait équilibre aux 780 000 kilomètres carrés de l'Anatolie. Le Bosphore peut nous faire rêver ; mais la capitale de la Turquie, Ankara, est en Asie. L'Europe géographique, et idéalement politique, va «de l'Atlantique à l'Oural», elle ne va pas de l'Atlantique à l'Euphrate.

En quoi la Turquie a-t-elle participé à la culture européenne, quels apports y a-t-elle faits ? Les armées ottomanes sont allées jusqu'à Vienne. Elles ont maintenu leur domination pendant plusieurs siècles sur le Sud-Est européen. Elles n'ont suscité partout que des réclamations d'indépendance, et n'ont laissé que le chaos balkanique.

Il serait paradoxal, et même dangereux, que la Turquie intégrât l'Union alors que maints peuples des Balkans sont encore incapables d'y être admis. Et il serait scandaleux qu'on envisageât cette entrée alors qu'une partie de Chypre est toujours sous occupation turque.


Le revenu individuel en Turquie est de moitié inférieur à la moyenne européenne. Imagine-t-on l'afflux massif de pauvretés qui déferlerait sur l'Europe si la Turquie jouissait, pour ses soixante millions d'habitants, du bénéfice des accords de libre circulation et de libre installation ? Ce n'est pas dénier aux populations turques leurs qualités et leurs vertus que de constater qu'elles se réfèrent à des valeurs différentes des nôtres.

Les défenseurs de la candidature de la Turquie font valoir que, dans les tensions présentes avec le Proche et le Moyen-Orient, cette dernière pourrait avoir un rôle de tampon apaisant parce qu'elle représente un islam modéré. Mais que cela veut-il dire, un islam modéré ? Demandez aux Kurdes comment ils vivent cette modération. L'Iran aussi, avant Khomeiny, était regardé comme un islam modéré.

L'européanisation et la laïcisation de la Turquie qu'avait entreprises Kemal Atatürk deviennent un souvenir. Le parti au pouvoir se proclame islamique. Le port du voile se répand de nouveau, avec toute sa signification symbolique. Et l'on avance sans être démenti que neuf mille prisonniers politiques peuplent les ergastules.

Il y a des risques à ne pas prendre. Qui souhaite vraiment l'entrée de la Turquie dans l'Union ? Les États-Unis, parce qu'ils y ont les bases orientales de l'Otan. Il y a trente ans qu'un lobby anglo-saxon travaille à Strasbourg en faveur de la Turquie. Les États-Unis et la Grande-Bretagne pour partie voient là le moyen de contrôler l'Europe, de l'empêcher de devenir autre chose qu'un marché, et de la réduire à une sorte d'Otan économique.

L'organisation d'un grand partenariat avec les pays de l'est et du sud de la Méditerranée serait à la fois plus réaliste et plus prudent. Dans le scrutin du 13 juin, dont les Français auraient grand tort de se désintéresser car il est beaucoup plus important pour leur avenir que les élections régionales, la question première à poser aux candidats est celle de leur position, clairement exprimée, sur l'admission de la Turquie. Notre vote devrait être fonction de leur réponse.


1) Reproduit dans Circonstances politiquesII (Editions du Rocher 1999).
eliazar
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Message par eliazar »

Sur le site orthodoxie@yahoogroupes.fr, Christophe Levalois rappelait hier ce qui suit :

« Il n'est pas trop tard pour revenir sur les déclarations de la semaine dernière concernant la Constitution européenne, laquelle sera peut-être adoptée les 17 et 18 juin.
« Je rappelle ce qui est en jeu : la mention du christianisme dans la constitution. Sept pays (Italie, Lituanie, Malte, Pologne, Portugal, République tchèque et Slovaquie) ont fait savoir qu'ils étaient très attachés à cette mention. En outre, la Grèce s'est déclarée également favorable en précisant néanmoins qu'elle ne bataillera pas pour cela. La France est l'un des principaux opposants à celle-ci.
« La semaine dernière à Dublin, lundi exactement, le premier ministre français a dit qu'il n'était pas hostile à cette évocation, mais en rajoutant qu'un consensus est indispensable pour cela.
« Le rappel à l'ordre fut presque général et brutal. Deux réactions sont notables. Dès mardi, le ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, a affirmé que l'Union Européenne n'est pas un "club judéo-chrétien", mais une "construction laïque". Au passage, je ne peux m'empêcher d'observer que l'expression "club judéo-chrétien" est presque un décalque de celle du premier ministre turc, le 30 avril, sommant les Européens de choisir entre la constitution d'un "club chrétien" ou d'une "coalition de valeurs".
« Revenons à Michel Barnier, mercredi, devant l'Assemblée nationale, il a réitéré son propos. Il a ajouté concernant l'actuel projet sans référence au christianisme: "La France continue de penser qu'il faut s'en tenir là, parce que chacun peut se reconnaître dans ce texte quelle que soit sa croyance, sa religion ou sa philosophie".
« Il est vrai que le chef de l'État lui-même a, l'année dernière, surpris beaucoup de personnes, et scandalisé beaucoup d'autres, en affirmant que "Les racines de l'Europe sont autant musulmanes que chrétiennes" (propos rapporté dans Le Figaro du 29 octobre 2003) !
« Le même jour, pour le Parti socialiste, Pierre Moscovici, selon les termes d'une dépêche de l'Agence France Presse "a mis en garde mercredi les autorités françaises contre toute tentation de concéder une "référence à un héritage chrétien" dans la Constitution européenne, en soulignant que ce serait "absolument inacceptable". » … / …

On pourra consulter la suite de ce texte de notre frère orthodoxe Christophe Levalois sur son Forum de référence : <orthodoxie@yahoogroupes.fr>. Mais pour m’en tenir à ce passage initial, une question me semble bien se poser, et de plus en plus nettement en cette veille d’élections européennes :

- De quelle source commune peut bien provenir une telle convergence de pensée (philosophique aussi bien que politique – pour ne pas dire areligieuse) chez des chefs d’État et des ministres aussi officiellement divergents (pour ne pas dire opposés) que MM. Chirac, Moscovici et Barnier, en ce qui concerne la France – et entre des nations aussi officiellement divergentes (sur la définition de l’identité européenne) dans cette Constitution que : la France, la Pologne, la Grèce et la Turquie ?

Question accessoire, mais pas vraiment secondaire :

- Qu’est-ce qui peut bien expliquer que trois nations européennes qui s’affichent aussi nettement comme porte-drapeaux du christianisme que la Pologne (pour le Vatican), la France (comme « fille aînée de l’Église ») et la Grèce (pour l’Orthodoxie) puissent dans le même temps déclarer : celle-ci qu’elle ne bataillera pas pour une définition chrétienne de l'Europe, et celles-là qu’elle ne s’opposera pas à l’admission de la Turquie (la Pologne) ou que l’Europe a autant de racines musulmanes que chrétiennes (la France) - ce qui n’est du reste même plus seulement une prise de position politique et idéologique : c’est une ânerie magistrale, doublée d’un mensonge historique d’une énormité encore jamais atteinte par un chef d’État, même analphabète ?

"Veillez dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d'échapper à ce qui doit arriver" (Lc 21, 36)
pcc: Eliazar
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