du nouveau sur saint Etienne de Hongrie

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Claude le Liseur
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du nouveau sur saint Etienne de Hongrie

Message par Claude le Liseur »

Ce post fait suite au fil "saint Etienne de Hongrie" de décembre 2002, que l'on peut consulter sur la rubrique "ancien forum", et sur au fil "saints pour le 29 septembre du calendrier ecclésiastique", que l'on peut consulter sur la rubrique "calendrier des saints".

Divers travaux de recherche qui sont parvenus à ma connaissance semblent bien confirmer que le patriarche oecuménique de Constantinople et son synode ont agi avec sagesse en canonisant le 20 août 2000 le premier roi couronné de Hongrie Vajk, devenu Etienne au saint baptême.

J'espère, dès que j'aurai un peu moins de travail et que je pourrai revenir sur le forum général, écrire quelques réflexions sur cette question pour montrer comment les partisans de la Papauté ont complètement falsifié l'histoire des origines de la Hongrie, et à quel point le geste du patriarche oecuménique Barthélémy et du synode du Patriarcat oecuménique a été prophétique.

Toujours est-il que j'avais cité sur le forum "calendrier des saints" le livre du père Erdei, Îngradirile politice si religioase ale Bisericii Ortodoxe Române din Transilvania, Oradea 2001, pp. 26-27,selon lequel Etienne Ier de Hongrie aurait attaqué et tué en 1028 un prince orthodoxe magyar, baptisé à Vidin en 1002, Ochtum ou Achtum, qui régnait sur le Banat. Le livre du père Erdei présentait Achtum comme un bon orthodoxe et Etienne comme déjà papisant.

En fait, j'ai trouvé sur Internet, à l'adresse www.geocities.com/amadgearu/ahtum.html , un article de l'historien roumain Alexandre Madgearu, publié en 1993 à Resita dans la revue Banatica, et dont le père Erdei n'a absolument pas tenu compte dans son livre.

Il ressort des travaux de Madgearu et d'autres historiens que le récit de la défaite d'Ohtum qui aurait permis à Etienne Ier de remplacer les moines de rite byzantin par des bénédictins de rite latin repose entièrement sur une seule des deux versions de la vie de Gérard (Gellert), l'évêque vénitien envoyé pour latiniser les Magyars. Cette Legenda major sancti Gerardi a été en fait récrite dans un esprit de haine anti-orthodoxe et dans le but d'exalter la famille Csanad dont l'ancêtre Chanadianus aurait été baptisé dans le rite latin et aurait obtenu l'intervention miraculeuse de saint Georges pour venir à bout de Ochtum baptisé dans le rite orthodoxe. Naturellement, un tel récit ne correspond pas du tout à la situation du début du XIème siècle, et il faudra attendre le deuxième quart du XIIIème siècle pour voir le début d'une pareille hostilité entre romano-catholiques et orthodoxes dans ces régions.

En fait, il ressort des travaux des historiens récents que la guerre entre le roi Etienne et le prince Achtum a eu lieu vers 1003-1004, dans le cadre plus général de la guerre entre l'Empire byzantin et la Bulgarie (donc entre deux nations orthodoxes, ce qui suffit déjà à anéantir la légende d'une guerre religieuse entre Etienne et Achtum). Ochtum était vassal de la Bulgarie, et Etienne a vu dans la guerre entre Bulgarie et Empire une occasion de soumettre tous les princes hongrois à l'autorité de la dynastie d'Arpad. C'est ainsi qu'une querelle féodale a été transformée par les chroniqueurs d'obédience vaticane en triomphe de la foi papale sur les "schismatiques orientaux" (triomphe d'ailleurs placé par eux vingt-six ans avant le schisme, pour faire bonne mesure). Comme si tous les belligérants, Etienne, Achtum, Basile II et les Bulgares, n'avaient pas été de la même religion...

A vrai dire, le fait que la guerre entre Etienne et Ochtum n'ait été qu'un épisode de la guerre entre Byzance et les Bulgares fait même du roi Etienne un allié fidèle de Constantinople. Une perspective insupportable pour les historiens hongrois ultérieurs, qui devaient absolument faire de saint Etienne le roi qui avait tourné le dos à Byzance ("à la tentation orthodoxe orientale", pour reprendre les termes délicats de Miklos Molnar).

D'où aussi la légende du baptême d'Etienne par Adalbert de Prague: fils d'une princesse orthodoxe hongroise, Sarolta, baptisée par l'évêque missionnaire grec saint Hiérothée, Vajk, selon toute probabilité, avait lui-même été baptisé dans son enfance sous le nom d'Etienne d'après le rite byzantin que suivait sa mère. Le passage d'Etienne, devenu adulte, au rite latin qui était celui de sa femme allemande Gisèle n'avait aucune signification anti-orthodoxe ou anti-byzantine dans ce contexte, comme le prouve le fait qu'il ait lui-même fondé un monastère de rite byzantin.
Quant au couronnement (date probable: le 1er janvier 1001) avec la couronne envoyée par le pape et patriarche de Rome Sylvestre II, il prend tout son sens quand on sait que son père Géza avait reçu sa couronne de l'empereur de la Nouvelle Rome. Cela avait surtout pour signification que le nouveau royaume chercherait à maintenir une position d'équilibre entre l'Empire germanique et l'Empire de Constantinople. Dans le fil "La papauté moderne jugée par Sylvestre II", j'ai reproduit des textes de Sylvestre II qui montrent bien que celui-ci avait encore une ecclésiologie orthodoxe et que le fait qu'Etienne se soit tourné vers lui ne saurait guère passer pour un reniement de l'Orthodoxie.

Même Mgr Guérin, oubliant un instant sa passion de propagandiste papiste, nous apprend, au tome X des Petits Bollandistes, édition de 1874 réimprimée en 2001, p. 424, que saint Etienne combla de ses largesses la Ville Gardée de Dieu, le bastion de la foi orthodoxe: "Il étendit aussi sa piété hors de ses Etats et jusque dans Rome, dans Constantinople et dans Jérusalem (...) Il fit bâtir à Constantinople un temple, qu'il fournit de tout ce qui était nécessaire pour y entretenir le service divin..." Construire une église à Constantinople, n'était-ce pas une étrange manière de "tourner le dos" à l'Orthodoxie byzantine?

En fait, la victoire d'Etienne sur Ahtum va lui permettre de construire un puissant royaume européen là où il n'y avait qu'un agglomérat de principautés à peine sorties du nomadisme. A la Pannonie où les Magyars étaient désormais l'élément majoritaire, il ajoute des principautés où les Magyars n'étaient que la minorité politiquement dominante.
La création d'un Etat solide regroupant Magyars, Slovaques, Roumains de Transylvanie et du Banat, Serbes du Banat, Ruthènes des Carpates et bientôt Croates sous l'autorité des Arpadiens fut précisément possible parce qu'il n'y avait pas de volonté de persécuter la foi orthodoxe des Serbes, Roumains et Ruthènes et il n'y en eut pas pendant les cent cinquante premières années après le schisme de 1054.
Jusqu'au XIIIème siècle, il sera possible à la noblesse roumaine de Translyvanie, par exemple, de conserver une certaine autonomie politique et une totale liberté religieuse et culturelle dans le lien féodal de vassalité à l'égard des rois de Hongrie. Ce n'est qu'à partir du XIVème siècle que l'on imposera à cette noblesse le choix entre assimilation religieuse et linguistique ou exil vers la Moldavie et la Valachie.

Quant à l'Eglise hongroise, même devenue nominalement romano-catholique, gardera des traces d'orthodoxie jusqu'à la fin du XIIème siècle (prêtres mariés, Grand Carême observé selon la pratique orthodoxe, etc.)
Erdei (pp. 50-51) s'inscrit lui-même en faux contre la vision traditionnelle catholique romaine répétée sans esprit critique par les historiens orthodoxes selon laquelle les rois de Hongrie auraient tenté de faire disparaître l'Orthodoxie sur leur sol dès le schisme de 1054. Dans ce cas-là, comment expliquer que le concile de Szabolcs, présidé en 1092 par le roi Ladislas (considéré comme un saint de l'Eglise catholique romaine...) ait prévu des punitions contre ceux qui ne s'en tiendraient pas à l'usage byzantin pour le début du Grand Carême?
Naturellement, il est difficile, quand on voit les siècles d'atroce persécution des orthodoxes roumains de Translyvanie par les Trois Nations (Magyars, Szeklers et Saxons), la politique acharnée des gouvernements hongrois de la période 1867-1945 contre l'Orthodoxie (ayant culminé dans le génocide à petite échelle organisé par Horthy en Voïvodine et en Transylvanie occupées), ou les actuelles provocations anti-orthodoxes de la prétendue Union démocratique des Magyars de Roumanie de penser que l'Etat hongrois, dans sa première grandeur, s'est voulu le pont entre Rome et Constantinople, mais, pourtant, telle a été l'attitude des successeurs de saint Etienne l'Apostolique. Ce n'est qu'à partir du début du XIIIème siècle que, sous la pression papale, les derniers descendants d'Arpad entreprendront une politique anti-orthodoxe et anti-roumaine.

Le royaume de Hongrie ne se fera d'ailleurs finalement le persécuteur des orthodoxes de Transylvanie qu'à partir du XIVème siècle et du remplacement de la dynastie d'Arpad par la dynastie angevine, et cette nouvelle attitude, en rupture avec la volonté d'équilibre manifestée par les successeurs d'Etienne, même après le schisme, portera en elle la disparition finale du grand royaume bâti par les Arpadiens.

Pour revenir à mon point de départ, il y aurait encore beaucoup à écrire sur la falsification de l'Histoire des premiers siècles de la couronne de saint Etienne. Retenons juste pour le moment que la défaite d'Achtum face à Etienne a lieu en 1003 ou 1004. L'arrivée du Vénitien Gérard et le début d'un prosélytisme filioquiste et anti-orthodoxe se situe entre 1030 et 1038. On est donc loin de la version des historiens catholiques romains, et que répète à leur suite l'orthodoxe Erdei, d'une "croisade" d'Etienne de Hongrie contre Achtum...
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