Claude le Liseur a écrit :Quand j'étais adolescent, j'étais beaucoup plus sensible à la chouannerie qu'aux guerres de Vendée - influence du XXe siècle, de l'imagerie romantique du guérillero, et le guérillero de chez nous, c'est bien le Chouan embusqué derrière la haie et attendant le passage d'un détachement bleu dans un chemin creux . Et puis, il y a Balzac, même si ce n'est pas son meilleur roman... mais tout de même mieux que Quatre-vingt treize de Victor Hugo, avec sa confusion entre Vendée et Bretagne, son emphase insupportable, ses situations improbables, ses caractères faux, qui m'a à jamais vacciné contre la lecture du grand Totor.
En 1988, je suis allé à Quiberon, et je me suis bien rendu compte qu'on était en train de jeter aux poubelles de l'histoire tout ce passé (effet de l'action du clergé post-1960). Le mausolée de Cadoudal était dans un état de déréliction déplorable.
En revanche, j'ai pris mes vacances de l'année en Anjou et en Vendée le mois dernier et, là-bas, le souvenir des guerres de Vendée est autrement plus présent en 2011 que celui de la Chouannerie l'était au Morbihan en 1988. Pourtant, là-bas aussi, le clergé catholique romain post-1960 a essayé de balayer ces souvenirs (cf. Reynald Secher, La Chapelle-Basse-Mer, village vendéen). Mais voilà, il y a eu, à partir de 1977, l'aventure prodigieuse du Puy-du-Fou et le cercueil a été décloué (cf. Philippe de Villiers, Le Puy-du-Fou. Un rêve d'enfant).
Alors je me suis plongé dans les sept livres que Gabory avait consacrés aux guerres de Vendée et qui ont été repris en un seul volume dans la collection Bouquins chez Robert Laffont. Il y a vraiment matière à réflexion.
Les guerres de Vendée sont d'un intérêt incomparable, non seulement parce qu'il s'agit d'un exemple significatif de résistance d'un peuple au pseudo-sens de l'Histoire ou parce qu'il s'agit de la première expérience génocidaire en Europe (la destruction de la Vendée militaire par les douze colonnes infernales républicaines de janvier à mai 1794), mais parce que le souvenir de la Vendée était très présent chez les communistes lorsqu'ils s'emparèrent de la Russie en 1917, Lénine ou Trotsky n'ayant cessé de voir des "Vendées" partout. D'une manière générale, d'ailleurs, Lénine et Trotsky étaient obsédés par leurs "grands ancêtres " français: au moment de l'écrasement de l'insurrection des marins de Cronstadt, en 1921, Lénine déclarait: "Ils veulent faire Thermidor... Mais il n'y aura pas de Thermidor." D'où, par exemple, le sobriquet "armées blanches" donné aux adversaires des communistes, en référence aux Vendéens de 1793, qui, eux, arboraient vraiment le drapeau blanc - référence absolument dénuée de sens en Russie où le drapeau monarchique était tricolore.
Or, à la lecture de Gabory, je suis frappé par les différences entre les Vendéens de 1793 et les armées blanches de la Russie de 1918, même si leurs ennemis, eux, avaient plus de ressemblances que de différences. Un fait m'a frappé, en particulier. En Russie, le noyau des armées blanches était constitué de militaires de carrière - servant en général avec des grades inférieurs à ceux qu'ils avaient eus dans l'armée impériale. En France, pratiquement tous les cadres de l'armée -en particulier les nobles - servaient la République comme ils allaient d'ailleurs servir tous les régimes successifs . Le général républicain qui met au point le plan qui viendra à bout de l'armée vendéenne en octobre 1793 n'est autre que le marquis de Canclaux (qui, à la suite d'un nouveau retournement de veste, condamnera à mort le maréchal Ney en 1815). Le commandant des colonnes infernales n'est autre que Turreau de Linières, à prétentions nobiliaires et qui sera fait baron d'Empire en 1812. Les armées royalistes (la "Vendée militaire") sont en revanche constituées de paysans qui trouvent les cadres qu'ils peuvent - souvent d'anciens officiers subalternes qui ont quitté l'armée depuis des années. Mais, parmi leurs chefs les plus prestigieux, on a un voiturier, Cathelineau, qui fut le premier généralissime de l'Armée catholique et royale; un garde-chasse, Stofflet; un jeune homme de 21 ans, La Rochejacquelein, généralissime après la mort de Cathelineau et la blessure d'Elbée, celui dont Napoléon écrira: "Il n'avait que vingt ans. Qui sait ce qu'il aurait donné s'il avait vécu plus longtemps."
C'est vraiment une différence frappante: en Russie, un noyau de militaires de carrière s'agrège surtout des étudiants, des membres des classes moyennes et supérieures, très peu d'ouvriers (il y eut toutefois, dans l'Oural, un bataillon de l'armée blanche constitué d'ouvriers des usines d'Ijevsk, qui montaient à l'assaut au son... de l'accordéon); en Vendée, un noyau de paysans s'agrège quelques anciens militaires de carrière et hobereaux respectés (parfois sous la contrainte: il est clair qu'un Charette, un La Rochejacquelein, un d'Elbée furent quelque peu contraints par les paysans à se mettre à leur tête) et quelques membres des classes moyennes (Gabory signale ici ou là un ancien médecin ou un ancien bourgeois parmi les officiers vendéens, mais c'est rare, la bourgeoisie étant en très grande majorité républicaine, puisqu'enrichie par la confiscation des biens de l'Eglise et la destruction de la communauté paysanne).
De même, en Vendée, la révolte a une motivation essentiellement religieuse (et le nombre des royalistes s'effondrera lorsque Bonaparte rétablira la liberté religieuse en 1800) alors qu'en Russie, la motivation des armées blanches est essentiellement politique (même des raisons de politique extérieure jouent: certains prennent les armes contre les communistes à cause de leur capitulation devant l'Allemagne).
Il s'ensuit que, d'un point de vue sociologique, la véritable "Vendée" russe, ce ne fut pas les armées blanches, ce fut les armées vertes: les insurrections paysannes, dont la plus fameuse fut celle de Tambov, réprimée à coup de gaz de combat par Toukhatchevski en 1922. Pourtant, les paysans verts de Russie et d'Ukraine ne se battirent jamais contre les communistes au nom de Dieu et du tsar, tandis que les paysans blancs du Poitou et d'Anjou se battirent contre les républicains au nom de Dieu et du roi. Indice probable de la sécularisation au cours du XIXe siècle.
Il reste un mystère là-dedans. On sait que le coût humain de la rébellion royaliste fut énorme dans les régions soulevées de la "Vendée militaire" (c'est-à-dire la majorité du département de la Vendée, une partie du Maine-et-Loire et des Deux-Sèvres, le sud de la Loire-Inférieure, aujourd'hui Loire-Atlantique): entre un quart et un tiers d'une population estimée à environ 600'000 personnes avant l'insurrection blanche. La seule virée de Galerne, d'octobre à décembre 1793, aurait coûté 40'000 morts à la population de ces régions. Les colonnes infernales républicaines, de janvier à mai 1794, c'est-à-dire après la destruction de la grande Armée catholique et royale, ont exterminé quelque 40'000 habitants civils de l'ancienne zone insurgée, exécutant le châtiment décidé par la République... avec surtout pour effet de pousser les survivants à reprendre les armes, et les hésitants, les neutres et les tièdes à les rejoindre pour venger leurs morts. Et, de fait, la tannerie de peaux humaines installée par les républicains à Angers ou les fours dans lesquels ils jetèrent les femmes des Epesses n'étaient guère de nature à faire croire à la fin des hostilités. En revanche, ce dont on parle moins, c'est des pertes de l'armée républicaine. On peut en effet se demander comment, étant donné la disproportion des forces en présence, les armées paysannes ont pu mener contre la République une guerre en rase campagne pendant neuf mois (12 mars - 23 décembre 1793), puis mener la guérilla pendant les deux années suivantes, et que ces paysans en armes aient pu être considérés comme une menace sérieuse par un régime dont l'armée était la meilleure du monde (grâce à l'artillerie que Gribeauval avait mise en place sous Louis XVI) et qui, aux frontières, taillait des croupières aux armées autrichienne, prussienne ou espagnole. Et pourtant, les faits sont là: à l'été 1794, la Convention déclarait que la Vendée avait été le tombeau de plusieurs armées. Quand on sait que, dans la première phase de la guerre, les royalistes faisaient grâce à leurs prisonniers (contrairement aux républicains qui, dès le début, exterminaient systématiquement les leurs), et que la pratique d'exécuter les soldats républicains prisonniers ne s'imposa qu'à partir du passage des colonnes infernales, on imagine que les pertes des armées républicaines sur le terrain ont été démesurées eu égard à leur supériorité en équipement. 30'000 soldats, 37'000, peut-être plus, peut-être beaucoup plus? Gabory donne l'exemple de l'armée de Mayence, celle que commandait Kléber et qui remporta la victoire décisive sur les royalistes à Cholet le 17 octobre 1793, tombée de 14'000 à 4'000 hommes en deux ou trois mois de combats! (Toutefois, cette diminution d'effectifs devait aussi comprendre des blessés, des malades, et des déserteurs.) La bataille de Cholet, pourtant désastreuse pour les Blancs, coûta à la vie à pas moins de quatorze officiers supérieurs républicains. Gabory parle de batailles où le nombre de tués dans l'armée républicaine était de dix fois supérieur à celui des paysans royalistes, et il l'attribue à l'habileté au tir des Vendéens. N'était-ce pas plutôt la conséquence de la tactique des armées républicaines, du culte de l'attaque en masse, tactique qui devait porter les fruits que l'on sait en 1914? Ceci étant, si l'on s'arrête au seul chiffre des pertes au combat, sans prendre en compte les dizaines de milliers de morts de la répression (dont les colonnes infernales ne sont qu'une partie), il n'est pas sûr que l'avantage soit en faveur de l'armée régulière contre les paysans insurgés. En Russie, il semble que les pertes au combat de l'Armée rouge aient été supérieures à celles des Armées blanches, mais cela peut s'expliquer par une situation exactement inverse de celle de la Vendée: noyau de militaires de carrière dans l'insurrection, trop grand nombre de conscrits peu entraînés dans l'Armée rouge. En tout cas, c'est pour moi le véritable mystère de cette insurrection vendéenne. Je comprends que, dans le cadre de la Chouannerie, les pertes blanches aient pu être inférieures aux pertes bleues, parce que c'est dans la nature d'une guérilla ou d'une guerre de partisans qu'il soit difficile d'infliger des pertes importantes à des insurgés qui, par définition, agissent en petits groupes et cherchent à se disperser dès la fin d'un engagement (d'où le fait, aussi, qu'il faille souvent à une armée régulière des effectifs plus importants dans une guerre de partisans que dans une guerre conventionnelle: j'ai lu que les Allemands avaient dû, pendant la deuxième guerre mondiale, stationner 400'000 soldats en Yougoslavie pour faire face aux tchetniks de Mihailovic et aux partisans de Tito). Mais, dans le cas de la Vendée, s'agissant d'affrontements en rase campagne (il existait même une cavalerie vendéenne dont les hommes montaient en sabots, n'ayant pas de bottes de cavalerie), je n'arrive pas à m'expliquer qu'une armée qui avait été forgée par d'excellents organisateurs comme Gribeauval, qu'une armée qui allait tout de même être le socle de la Grande Armée de Napoléon, qu'une armée qui multipliait les victoires sur l'Europe coalisée, ait pu essuyer des pertes si importantes et connaître des défaites si cuisantes face à des levées paysannes? La foi a-t-elle, cette fois-là, soulevé des montagnes (Mt 17,20)?
Au sujet des guerres de Vendée et du massacre des Vendéens, que vous évoquez, je viens de découvrir sur cette page
de Reynald Secher, Ed. Cerf. Auteur que vous citez dans votre message mais pour un autre ouvrage.
un extrait d'une interview de l'auteur suite à la déprogramation a la dernière minute d'une émission enregistrée sur France Culture où il présentait son livre.
L'auteur, suite à la découverte d'archive officielle, montre comment ce massacre des Vendéens (hommes, femmes, enfants et vieillards) a été programmé par le Comité de salut public (Républicain, révolutionnaire). En guise de conclusion de son interview, R. Secher, compare la situation française vis à vis des massacres de Vendée, aux Turcs vis à vis des Armémiens, et la qualifie de mémoricidaire. Car en effet en France on honore des criminels, dit il, en faisant référence au Panthéon (Paris).
Le blog Métanoia donne égalemant un lien vers une reportage TV diffusé récement sur FR3