les principes que je suis pour le calendrier des saints

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Claude le Liseur
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les principes que je suis pour le calendrier des saints

Message par Claude le Liseur »

Je me permets d'écrire ici une note liminaire rappelant les principes que je suis pour rédiger la rubrique "calendrier des saints" de ce forum.

Le problème concerne les saints occidentaux qui figurent dans les martyrologes catholiques-romains et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de canonisation de la part de l'Eglise orthodoxe.

Pour les personnes mortes avant 794 et le début du travail de sape de Charlemagne pour séparer l'Occident de l'Orthodoxie, il n'y a pas de problème, le patriarcat de Rome de cette époque étant resté orthodoxe.

La chute de l'Occident hors de l'Orthodoxie, constatée par les patriarcats orientaux en 1054, a été le résultat d'un travail de sape mené pendant deux siècles par les partisans du Filioque et de la Papauté, travail de sape qui s'est heurté à des résistances, entraînant une "guerre civile" au sein de la théologie occidentale. Le parti filioquiste (essentiellement appuyé sur l'Empire germanique) en est sorti victorieux, imposant dès lors toutes sortes d'innovations doctrinales et disciplinaires, en particulier au moment de la "Réforme grégorienne".

Au cours de cette lutte, certains papes et patriarches de Rome ont clairement pris parti pour la foi orthodoxe: saint Léon III (pape de 795 à 816; mémoire le 12 juin), qui condamna le Filioque en 809 et fit suspendre au-dessus du tombeau de saint Paul des boucliers d'airain sur lesquels était gravée la vraie formule du Credo en grec et en latin; Benoît III, pape de 855 à 858, qui recommanda chaleureusement aux patriarches orientaux de ne recevoir dans leur communion aucun pape de Rome qui n'aurait pas professé le symbole de Nicée et Constantinople sans altération; Jean VIII, pape de 872 à 882, qui reconnut la légitimité de saint Photios et mit fin au schisme de son prédécesseur Nicolas Ier; saint Adrien III, pape de 883 à 885, qui se déclara pour la procession monodique du Saint-Esprit.

D'autres papes de Rome furent clairement hérétiques ou schismatiques: Léon IV, pape de 847 à 855, qui utilisa les Décrétales pseudo-isidoriennes à l'appui de ses prétentions; Nicolas Ier, pape de 858 à 867, schismatique et véritable inventeur de la doctrine hérétique de la Papauté; Etienne V, pape de 885 à 891, qui prétendit interdire l'emploi du slavon dans la liturgie en Moravie; Serge III, pape de 904 à 911, qui accorda à l'empereur byzantin Léon VI la permission d'un quatrième mariage, ce qui amena saint Nicolas le Mystique, patriarche de Constantinople, à le rayer des dyptiques.

Pour la plupart des autres, par exemple le sublime mathématicien auvergnat Sylvestre II (pape de 999 à 1003), on ne connaît pas exactement leur position. Beaucoup d'orthodoxes qui se sont intéressés la question penchent en faveur de son orthodoxie, en raison de son opposition à la doctrine de la Papauté, opposition dont j'ai déjà cité un exemple sur ce forum.

De même, je suis assez enclin à trancher en faveur de Pascal Ier, pape de 817 à 824, qui figure au calendrier de l'Eglise catholique romaine. Il fut un défenseur énergique de la cause des saintes Icônes alors menacée en Orient comme en Occident. Je vais essayer de me renseigner plus amplement sur lui.

Le dernier pape et patriarche de Rome vraiment favorable à l'Orthodoxie, Philagatos, pape sous le nom de Jean XVI, fut soumis à un traitement terrible par les soldats d'Otton III , avec la bénédiction du pape allemand Grégoire V et malgré les protestations de saint Nil de Rossano: langue coupée, yeux crevés, nez coupé, exhibition humiliante dans les rues, monté à l'envers sur un âne (998). Il fut ensuite enfermé dans un monastère où il mourut en 1013, quelques mois avant le triomphe définitif de l'hérésie.
Ces nouvelles méthodes peu orthodoxes donnaient le ton de ce qu'allait bientôt être la nouvelle religion: il n'est pas indifférent de noter que le premier bûcher d'hérétiques est dressé à Orléans en 1022. La chute hors de l'Orthodoxie s'accompagne ainsi immédiatement de l'apparition de la violence caractéristique de la Papauté, le pieux pape Jean XVI n'ayant été que la première victime avant des millions d'autres, jusqu'à nos frères serbes immolés sous le régime de Pavelic et du cardinal Stepinac en 1941-45.

A noter que les papistes d'aujourd'hui font de Jean XVI un antipape, ce qui a beaucoup de saveur quand on voit que dans la liste officielle des papes il y a un Jean XV (985-996) et un Jean XVII (1003), mais pas de Jean XVI entre les deux. Si le Romain Siccone prit le nom de Jean XVII à son avènement sur le trône pontifical en 1003, c'est qu'il devait bien savoir, lui, moins savant que les cuistres modernes, que Jean XVI avait été un vrai pape...

Après le martyre de Jean XVI, il y eut une alternance de papes romains et de papes serviteurs de l'Empereur germanique jusqu'en 1012. Alors le trône échut au comte Théophylacte de Tusculum, cardinal de Porto, qui devint pape sous le nom de Benoît VIII. Empêtré dans des querelles politiques, celui-ci fit appel à l'aide du roi Henri II d'Allemagne, qui, en échange de son aide, obtint la couronne impériale et ... l'insertion définitive du filioque dans le Credo (14 février 1014).

A partir de cette date de 1014, on peut considérer que l'Orthodoxie était morte en Occident: 220 ans de répression avaient fait leur oeuvre, et le dernier bastion orthodoxe d'envergure, le patriarcat de Rome, venait de tomber.

Dès lors il convient de clore à 1014, et non 1054, le calendrier des saints orthodoxes d'Occident.

Dans l'intervalle entre 1014 (chute sans rémission de l'Eglise de Rome dans l'hérésie) et 1054 (schisme final entre le patriarcat de Rome et les patriarcats occidentaux), les résistances aux innovations germaniques ont continué, mais nous n'en savons en définitive que peu de choses. A Rome, il y a eu des orthodoxes clandestins dont l'un s'enfuit en Russie et est inscrit au calendrier orthodoxe sous le nom de saint Antoine le Romain (mémoire le 3 août); mais quand ont-ils disparu?
Les Italiens orthodoxes ont réussi à faire vivre le monastère des Amalfitains au Mont Athos pendant encore plus d'un siècle après le schisme de 1054; c'est donc qu'ils devaient être suffisamment nombreux.
En Italie du Sud hellénisée, l'Orthodoxie est restée dominante jusqu'à la fin du XIème siècle, et a survécu dans des poches de résistance (de plus en plus difficilement après la création de l'Inquisition en 1215) jusqu'au XVIème siècle.
Il y a aussi eu des résistances au papisme et au filioquisme en Angleterre (raison pour laquelle le pape Alexandre II appuya la conquête de ce pays par les Normands en 1066) et dans les pays celtiques (raison pour laquelle le pape Adrien IV autorisa en 1155, par la bulle Laudabiliter, le roi d'Angleterre Henri II à entreprendre la conquête de l'Irlande "en vue d'étendre les bornes de l'Eglise, de faire connaître la vérité à des peuples ignorants et grossiers et d'extirper des champs du Seigneur des pépinières de vices"- ce langage suggère bien que l'Irlande ne devait pas être en communion avec la Papauté...), résistances qui prirent définitivement fin avec la suppression de la métropole celtique de Dol-de-Bretagne en 1199.
En définitive, c'est dans les pays les plus tardivement gagnés au christianisme - Bohême, Scandinavie et Hongrie - qu'une influence orthodoxe parvint à se faire sentir le plus durablement (jusqu'au premier quart du XIIIème siècle en Hongrie).

Pour tous les Occidentaux ayant vécu en communion avec le patriarcat de Rome entre 1014 et la rupture définitive de 1054, je ne retiens dans notre calendrier que les trois sur lesquels l'Eglise orthodoxe s'est prononcée: saint Olaf de Norvège (mort en 1030), saint Etienne de Hongrie (mort en 1038) et saint Procope de Sazava (mort en 1053). De ce dernier, en particulier, il est attesté qu'il fut un résistant aux innovations. Le monachisme orthodoxe qu'avaint incarné saint Procope parvint à se maintenir en Bohême jusqu'en 1095.

La question de la canonisation orthodoxe pourrait se poser pour le roi d'Angleterre Edouard le Confesseur, mort en 1066, car l'Eglise anglo-saxonne avait rompu avec Rome depuis 1052 et ne pouvait donc pas tomber sous le coup des anathèmes de 1054; c'est Guillaume le Conquérant qui remit l'Angleterre dans l'obédience romaine.

Cependant, pour les Occidentaux qui ont vécu après 1014, je m'en tiens aux trois qui ont fait l'objet d'un culte dans l'Orthodoxie, dont deux ont été officiellement inscrits au calendrier.

Ayant ainsi posé les bornes de 794 et de 1014 (sauf pour les trois saints reconnus par l'Orthodoxie pour la période 1014-1054), que faire au sujet des personnages ayant vécu entre 794 et 1014 et qui ne figurent pas encore au calendrier de l'Eglise orthodoxe?
Pour certains, nous savons qu'ils ont refusé les innovations: saint Léon III, saint Angobard de Lyon... Nous savons aussi que d'autres sont des hérétiques qui ont été rajoutés au calendrier des diocèses d'Occident (le pseudo-bienheureux Charlemagne, par exemple).
Mais pour la plupart, nous ne savons pas quel parti ils ont réellement pris dans le long conflit qui a amené la séparation de l'Occident d'avec l'Orthodoxie.
Les critères de - mort avant 1014; - vénéré avant 1054; - n'ayant pas fait la promotion active de l'hérésie ne sont pas suffisants, car l'on risque de mettre au calendrier des hérétiques sur lesquels nous ne sommes pas informés. Pour certains personnages, leur vie de thaumaturge (saint Géraud d'Aurillac, saint Odon de Cluny) plaide en faveur de leur Orthodoxie. Mais l'Eglise orthodoxe ne s'est prononcée pour l'instant que sur saint Ansgar (Anschaire, Oscar), évêque de Hambourg mort en 865, canonisé par une conférence des évêques européens de l'Eglise russe hors frontières tenue à Genève sous la présidence de l'archevêque saint Jean Maximovitch les 29 et 30 septembre 1952.

Je suis forcé d'appliquer en l'état actuel des choses des critères dont je reconnais qu'ils sont subjectifs, mais qui essaient d'être prudents.
Il est évident que la Germanie a été gagnée très tôt par l'hérésie, comme le montrent les persécutions infligées dès 880 par un clergé allemand filioquiste aux orthodoxes tchèques. A priori, je ne retiens pas de saint allemand postérieur à 794, sauf saint Oscar canonisé par l'Eglise russe hors frontières et des cas particuliers où la sainteté est indiscutable comme sainte Gunhild ou des martyrs morts par la main des Vikings au IXème siècle. Idem pour les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal, la Slovénie et la Croatie.
Pour les régions restées le plus longtemps fidèles à l'esprit de l'Orthodoxie - Italie, Provence, Scandinavie, îles britanniques -, je pars du principe inverse, et, sauf engagement manifeste en faveur de l'hérésie, j'ai tendance à inscrire dans ce calendrier toutes les personnes figurant sur les calendriers catholiques-romains mortes avant 1014.

Les cas difficiles restent les pays francophones: Belgique, France hors Provence, Luxembourg, Monaco, Suisse, qui se trouvent dans une situation intermédiaire entre les Eglises locales en pointe de l'hérésie et les Eglises locales restées le plus longtemps orthodoxes. Le problème est d'autant plus délicat que la France, dans ses frontières actuelles, représentait un bon quart de la population de tout l'Occident.
En principe, j'inscris au calendrier ceux qui ont vécu avant 950, et je suis circonspect pour ceux qui ont vécu après 950, tout en reconnaissant que la période qui pose le plus de problèmes va de 950 à 1000. J'essaie de trouver des traces indéniables d'orthodoxie dans leur Vita.

Un autre principe est que j'exclus tous les personnages qui ont été trop manifestement liés à l'Empire germanique dont on a vu les interventions incessantes contre les papes orthodoxes de Rome entre 962 et 1014, d'autant plus qu'on a trop manifestement voulu les canoniser pour justifier ce qui s'est passé. Je ne retiens donc pas, par exemple, la mémoire de l'impératrice Adélaïde (fille de la reine Berthe dont le souvenir est longtemps resté vivant en Suisse romande).

Mon attitude ne préjuge naturellement pas de la sainteté d'Occidentaux qui ont vécu entre 794 et 1054 et que je ne retiens pas dans le calendrier. On l'a vu, l'esprit d'Orthodoxie a survécu en Irlande, en Italie,en Scandinavie ou en Hongrie jusqu'à la fin du XIIème siècle, et ce qui reste des sublimes fresques de Berzé-la-Ville est là pour nous montrer qu'il avait encore laissé des traces chez les moines de Cluny cinquante ans après le schisme. Le problème n'est pas là.

Le but que je recherche, c'est de ne pas commettre d'imprudence qui aboutirait à rendre un culte public à des personnages qui s'avéreraient en fait avoir été des ennemis de l'Orthodoxie et des responsables conscients des événements qui ont amené à la chute et à la rupture.

Naturellement, les quelques principes que j'ai exposés ici ne sont qu'un pis-aller tant que l'Eglise ne se sera pas prononcée officiellement sur l'opportunité d'inscire au calendrier ecclésiastique la mémoire de tel ou tel Occidental. On aura constaté que le Patriarcat oecuménique de Constantinople n'a pas eu peur, en 2000, de procéder à la canonisation officielle du roi Etienne de Hongrie. Quelle Eglise locale aura le courage d'inscrire au calendrier les deux papes orthodoxes martyrs de Rome, Jean VIII, assassiné à coups de marteau en 882, et Jean XVI, mutilé dans d'atroces conditions en 998?
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Hier, j'ai eu à appliquer les principes énoncés plus haut en écrivant la liste des saints du 2 janvier du calendrier ecclésiastique, liste que l'on peut trouver dans le forum "calendrier des saints".

En effet, tant le calendrier des saints orthodoxes du patriarcat de Rome établi par le prêtre André Philips de l'Eglise russe hors frontières en Angleterre que le calendrier 2004 de la "Fraternité orthodoxe en Europe occidentale" font figurer à cette date "saint" Adélard, abbé de Corbie en Picardie (Corbie qui devient étrangement "Corveg" sur le calendrier de la "Fraternité orthodoxe en Europe occidentale").

Or, à propos de ce petit-fils de Charles Martel, mort en 826 (en 827 selon la "Fraternité orthodoxe en Europe occidentale"), il suffit de se reporter au tome Ier des Petits Bollandistes, par Mgr Paul Guérin, camérier de Léon XIII (édition des Editions Saint-Rémi, Cadillac 2001, qui reproduit le texte de la 7ème édition de 1874) pour lire, page 85, ce qui suit: "Adélard fut député par Charlemagne et le concile d'Aix-la-Chapelle, 809, auquel il avait assisté, vers le pape Léon III, pour faire approuver par le Saint-Siège l'addition, au Symbole, de ces deux mots, filioque, destinés à exprimer plus clairement (sic! - NdL)que le Saint-Esprit procède à la fois du Père, et du Fils, comme d'un seul principe."

On voit par conséquent qu'Adélard de Corbie non seulement fut filioquiste, mais qu'en plus il fut parmi ceux qui tentèrent de faire tomber le patriarcat de Rome, à ce moment citadelle de l'Orthodoxie en Occident, dans l'hérésie dont l'usurpateur Charlemagne faisait la promotion pour justifier ses prétentions impériales.

Les conséquences de l'attitude qui consiste à recopier les calendriers catholiques romains en s'arrêtant à 1014 ou 1054 et sans lire les vies des saints sont dangereuses: si on suit le calendrier du père Philips ou celui de la "Fraternité orthodoxe en Europe occidentale", on aboutit ainsi à faire la promotion dans l'Orthodoxie du culte d'un personnage qui figura parmi les premiers responsables de la tragique séparation de l'Occident d'avec l'Orthodoxie.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Chers amis, je suis confronté à un grave problème qui me tourmente, et je peux vous en parler maintenant que j'ai réglé mes problèmes avec Treeplan: dois-je inscrire au calendrier des saints pour le 12 février la mémoire de Benoît d'Aniane, mort en 821?

Au départ, le 24 janvier dernier, en rédigeant cette rubrique, j'avais suivi sans troubles de conscience le choix du hiéromoine Macaire de Simonos-Petra qui l'a inscrit dans son Synaxaire en langue française.

Comme je l'ai déjà mentionné, la question n'est pas de se prononcer sur les vertus de Benoît d'Aniane, qui semble avoir été un grand ascète, mais de ne pas proposer à la pieuse vénération des orthodoxes des gens qui auraient en fait été des fauteurs de schisme.

Dans le cas de Benoît d'Aniane, plusieurs points posent problème. Le père Jean Décarreaux, historien catholique-romain, se montre réservé à l'égard de la réforme monastique de Benoît d'Aniane, in Moines et monastères à l'époque de Charlemagne, Tallandier, Paris 1980, pp. 51 sq. : "Benoît d'Aniane alla beaucoup plus loin que le Patriarche (saint Benoît de Nursie - NdL) dans le sens de l'organisation, du contrôle général et de la surveillance journalière. Il y eut même dans la clôture une prison monastique. L'unification, qui correspondait aux vues de Charles, répondait sans doute chez Benoît à une disposition personnelle. Caporalisme? Le mot est fort. On dirait peut-être plus volontiers absence de discrétion, le mot d'or cassinien." (p. 55) "Une autre innovation, franchement discutable et qui ne répondait pas à l'esprit de la règle cassinienne, tendait à faire de l'office divin, non pas la première, mais la seule occupation du moine." (p. 55) "L'office divin n'est jamais de meilleure qualité quand il est chronométriquement démesuré. Il tourne au contraire à vide. L'étude, qui devrait le nourrir, est dépréciée, le travail manuel estimé vil et l'orgueil communautaire, nourri par la paresse, se glisse le long des stalles. Si le monastère est riche, les moines deviennent des archimoines." (p. 56)
Il y a d'autres choses qui me font tiquer à propos de cette réforme monastique: le recours au pouvoir séculier pour imposer une règle uniforme à tous les monastères de l'Empire carolingien; le fait que certains historiens pensent qu'il y avait déjà là l'idée d'organiser le monachisme en un ordre dont Benoît d'Aniane aurait été le supérieur général, ce qui est complètement étranger à l'esprit de l'Orthodoxie; l'appartenance de Benoît d'Aniane au cercle qui gravitait autour de Charlemagne et dont est sorti le filioquisme qui devait séparer l'Occident de l'Orthodoxie.
Mais, d'un autre côté, il y a aussi des arguments qui plaident en faveur de la réforme monastique de Benoît d'Aniane: l'impossibilité de faire survivre le monachisme dans l'anarchie qui existait à ce moment-là; la nécessité d'en finir avec l'extrémisme ascétique du monachisme celtique déséquilibré et impraticable à long terme. Par conséquent, ce qui me tourmente le plus est un fait beaucoup plus grave qu'une réforme monastique "caporaliste".

En fait, sur le site du hiéromoine matthéiste père Cassien (Braun), j'ai trouvé un très intéressant article de Dominique Béziat ( http://perso.club-internet.fr/orthodoxie/bul/19.htm ) qui émet un soupçon terrible. Je cite:

"C'est peut-être à ce passage que les moines franks de Palestine faisaient allusion, dans leur lettre au pape Léon III (809), en affirmant avoir lu le Filioque chez saint Grégoire le Grand et dans la Règle de saint Benoît. Si on ne trouve nulle part dans la "Règle" originelle de saint Benoît la double procession de l'Esprit saint, on peut se demander si les moines franks de Palestine ne désignaient pas la règle révisée par Benoît d'Aniane, abbé unificateur proche de Charlemagne et favorable au Filioque (souligné par moi - NdL) ; cette règle fut en effet élaborée à partir de 787 et imposée en 817; les moines de Palestine poubaient donc déjà la connaître."

Vous comprenez sans doute ma gêne. L'affaire des moines franks de Palestine, en 809, marque la première résistance de l'Orient orthodoxe à la nouvelle religion inventée par Charlemagne. (Quand on voit tout ce que Charlemagne avait mis au point pour préparer une rupture dès cette époque-là, on ne peut que s'étonner que l'Orthodoxie occidentale ait connu plusieurs périodes de rémission, même en Germanie, et qu'il ait fallu attendre 1014 pour l'adoption définitive du Filioque et 1054 pour la rupture finale: nous sommes redevables de ces deux siècles de sursis aux sentiments plus chrétiens des successeurs de Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve, à la chute des Carolingiens en Germanie, à la résistance de certains papes comme Jean VIII le martyr, de certains évêques jusqu'aux dernières années du Xème siècle, de certains moines, probablement en même temps disciples de la réforme monastique de Benoît d'Aniane.) Je m'en voudrais donc de recommander l'inscription au calendrier des saints d'un homme qui aurait falsifié la règle de saint Benoît de Nursie pour y introduire le filioque et qui aurait ainsi été directement à l'origine de cette querelle de 809.

Ne sachant vraiment pas quoi penser des soupçons exprimés par M. Dominique Béziat, je serais heureux de recevoir vos avis, opinions, commentaires, afin d'éclairer ma lanterne. Merci d'avance.
eliazar
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Message par eliazar »

Mon cher Claude,
Il me semble que la seule chose à faire soit de retrouver, et d’examiner à la lettre le texte de la règle révisée par Benoît d’Aniane. Tant que cela n’aura pas été fait, on ne peut s’appuyer que sur des assimilations par la datation : du type « Benoît est mort en 821, sa règle a été imposée dès 817, donc elle contenait le Filioque ».

Posé de cette manière, je trouve évidemment que c’est un peu court.
Mon objection principale aux suppositions de Béziat (des suppositions gratuites, en tout état actuel de cause) est l’invraisemblance que cette règle ait contenu le Filioque, et ait tout de go été acceptée (sans luttes, sans protestations, sans que personne n’en fasse appel à aucun concile, fut-ce local) par tous les higoumènes de tous les monastères de l’empire carolingien. D’où serait alors sorties les luttes dont nous voyons ici ou là les traces pendant plus d’un siècle encore après 821 ? Par génération spontanée ?
D’autre part, comment supposer que tous les moines étaient terrorisés à ce point par le pouvoir central ? Nous savons bien que cela ne correspond pas à la réalité politique de ces temps. Encore moins à la réalité doctrinale. Ou bien auraient-ils tous été clonés sur un modèle théorique arrêté à Aix-la-Chapelle une fois pour toutes ? C’est évidemment une caricature : il n’y a qu’à voir les combats idéologiques menés pour ou contre l’augustinisme, qui ne touchaient qu’à des sujets qui deviennent très mineurs si on les compare à la structure même de la Sainte Trinité …

Ces remarques de simple bon sens une fois dites, je reconnais que la composition d’un synaxaire n’a pas pour but de dogmatiser la sainteté reconnue par Dieu, dans le secret de Son cœur, à tel ou tel homme ou femme connu ou inconnu, dans cette bergerie ou dans une autre - mais de le (la) présenter à l’ensemble des baptisés comme un bon modèle à suivre. J’ai beaucoup d’amour et d’admiration pour Benoît d’Aniane - comme j’en ai pour Jean Hus (dont je crois qu’il a surtout été brûlé pour son rapprochement intérieur des exigences d’une foi orthodoxe, aussi proche spirituellement que géographiquement) et pour Jeanne d’Arc, dont les minutes du procès me donnent la certitude qu’elle était une grande sainte. Dans le cas de Jean Hus, les dates l’excluent d’un synaxaire orthodoxe – quel que puisse être mon sentiment personnel : il y faudrait un grand saint, comme Jean Maximovitch… Dans le cas de Jeanne d’Arc, ma certituide personnelle ne m’empêche pas de trouver inadmissible que le P. Antoine Contamin (et son évêque serbe Luka) exposent son icône au plus hautd ‘une église orthodoxe AVANT toute décision au moins synodale de l’Église de Serbie. Dans celui de Benoît d’Aniane, il n’y a pas à hésiter non plus à l’éliminer du Synaxaire - mais SI NOUS AVONS LA PREUVE que j’estime nécessaire : le texte, dans la règle promulguée par Benoît – mais aussi la quasi certitude que Benoît l’avait déjà appliquée (avec le Filioque inclus) dans plusieurs de ses monastères avant 809. Sinon, mon cher Claude, nous condamnerons un grand saint sur des suppositions d’un homme qui ne l’a pas connu, qui n’a visiblement pas lu sa règle non plus, et qui n’est sûr de rien, puisqu’il se couvre à droite et à gauche par des « peut-être ».
La question demeure : cette règle existe-t-elle ? Et comment les moines franks de Jérusalem pouvaient-ils en être si certains en 809, alors qu’elle n’a été promulguée dans les monastères géographiquement proches de Benoît qu’en 817 ? N’ont-ils pas, du reste, affirmé avoir lu ce Filioque déjà dans saint Gégoire le Grand et dans la règle de Benoît de Nursie ? Pouvons-nous déjà accorder plus d’importance à un double « peut-être » de Béziat plus qu’à celle que nous avons, sur ces deux points, de leur imposture ?

Peut-être est-ce de l’anti-militarisme primaire, chez moi, mais je t’avoue me méfier terriblement des exécutions « pour l’exemple ». Elles ont toujours été le fait d’officiers supérieurs qui se prenaient pour Dieu – et qui évitaient soigneusement d’aller tâter du feu auquel leurs soldats étaient exposés par leurs soins.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dans le premier message de ce fil, j'avais indiqué qu'il fallait un examen au cas par cas pour les personnes considéres comme saintes et mortes dans les pays d'Europe occidentale entre 794 et 1014, à l'exception des quatre canonisés par l'Eglise orthodoxe (saint Oscar de Hambourg, saint Olaf de Norvège, saint Etienne de Hongrie et saint Procope de Sazava).

Première réserve: l'examen s'impose aussi pour de rares précurseurs du filioque ayant vécu avant 794 (cela ne doit pas représenter plus de cinq ou six cas), car, après tout, cette doctrine n'a pas été inventée par Charlemagne tout seul. Même si on sait aujourd'hui que les actes du concile de Tolède de 589 ont été falsifiés et que le filioque n'y apparaissait en fait pas.

Deuxième réserve plus importante: pour le catépanat d'Italie et la Sicile, les dates qui nécessitent un examen d'orthodoxie ne sont pas 794 et 1014, mais 1155 et ... 1480.

Ces régions correspondent à quatre régions de l'actuelle république italienne: Sicile, Calabre, Basilicate et Pouilles, soit près de 70'000 kilomètres carrés aujourd'hui peuplés de quelque 12 millions d'habitants.
La situation avant le schisme de 1054 était la suivante:
- la Sicile (25'700 kilomètres carrés) était, depuis la conquête maghrébine de 827-901, un émirat soumis à un processus d'islamisation assez violent; la population était vers 1054 pour les deux tiers islamisée et pour un tiers orthodoxe de rite byzantin et de langue grecque;
-le catépanant d'Italie (quelque 44'000 kilomètres carrés) était une possession de l'Empire légitime, à majorité grecque et minorité latine; les Grecs représentaient la presque totalité de la population en Calabre et dans la terre d'Otrante (sud-est des Pouilles), une appréciable minorité en Basilicate et dans le reste des Pouilles. Le catépanat était placé sous la juridiction ecclésiastique du patriarcat de Constantinople. Les évêques grecs et les évêques latins y étaient sous la juridiction de Constantinople, et les évêques latins du catépanat sont ainsi restés orthodoxes après le schisme de 1054.

La famille normande des comtes d'Hauteville a entrepris la conquête privée (!) d'un vaste domaine comprenant le catépanat d'Italie, augmenté de la Sicile et de la Campanie, soit l'origine du royaume des Deux-Siciles. En 1071, Robert d'Hauteville, entré dans l'Histoire sous le surnom de Robert Guiscard, s'empare de Bari, capitale du catépanat, mettant définitivement fin à la présence byzantine en Italie.

Les conséquences religieuses de la conquête normande se feront sentir très tard. Les évêques latins du catépanat sont détachés de la juridiction de Constantinople et des diocèses latins sont peuplés en Sicile (Sicile qui sera peuplée de nombreux colons français et allemands). Mais, en raison de relations assz mauvaises avec la Papauté (Robert Guiscard avait retenu le pape Léon IX comme prisonnier pendant près d'un an en 1053), l'Eglise latine du royaume normand se comportera d'abord comme une espèce d'Eglise autocéphale et ne sera soumise à la Papauté que progressivement. En outre, le patriarcat de Constantinople parvint à maintenir un métropolite à Reggio di Calabria au moins jusqu'à la fin du XIIème siècle, même si le métropolite de Santa Severina dut se soumettre à la juridiction au moins nominale de la Papauté en 1089.
Les autres évêques grecs durent aussi se soumettre à la juridiction de la Papauté, mais, en fait, ils conservèrent leur foi orthodoxe au moins jusqu'au premier quart du XIIIème siècle, voire plus tard. N'oublions pas que l'uniatisme ne fut vraiment inventé qu'au concile de Florence en 1438: auparavant, conserver le rite byzantin, c'était conserver la foi orthodoxe (on se souvient qu'en 1369, le pape exigea de Jean V Paléologue l'abjuration de la foi et des rites de son peuple). Les diocèses grecs d'Italie du sud furent progressivement latinisés: Santa Severina (vers 1200), Crotone (vers 1250), Oppido (vers 1350), Rossano (1460), Gérase (1497), Gallipoli (1513) et Bova (1572). Mais on peut considérer que les quatre derniers diocèses grecs étaient uniates depuis au moins 1438, voire avant (Barlaam le Calabrais, l'ennemi de saint Grégoire Palamas, avait été fait évêque de Gérase quelque 80 ans auparavant). Nous constatons ainsi un maintien d'un épiscopat orthodoxe au moins jusqu'en 1204.


Surtout, les premiers rois normands, bien qu'eux-mêmes de rite latin et théoriquement filioquistes, ne cessent de combler de faveurs les monastères de rite byzantin, de langue grecque et de foi orthodoxe.
L'Eglise orthodoxe dans le royaume normand d'Italie et de Sicile devint une Eglise surtout monastique. Même si Robert Guiscard commença à introduire le monachisme latin soi-disant bénédictin (en fait déjà déformé, surtout par Pierre Damien) dès 1080, ses successeurs Roger Ier et Roger II n'hésitèrent pas à fonder des monastères grecs et orthodoxes, et à donner des privilèges à ceux qui existaient déjà. En 1092, Roger Ier exempte le monastère grec Saint-Michel de Troina, en Sicile, de la juridiction de l'ordinaire latin du lieu. En 1133, Roger II créa l'archimandritat, qui donnait à au monastère grec du Sauveur à Messine la juridiction sur une fédération de monastères, en dehors de toute juridiction épiscopale ou civile. Cette situation permettait ainsi aux monastères de rester les bastions de la foi orthodoxe malgré les difficultés des évêques grecs à résister aux pressions contre la foi et le rite. (Une situation qui n'est pas sans rappeler celle du célèbre monastère de Peri au Maramures à une époque ultérieure.)

Il faudra attendre le règne de Guillaume Ier (1154-1166) pour voir, en 1155, le début d'une réelle persécution contre la foi orthodoxe dans l'ancien catépanat et en Sicile. La chute de Constantinople aux mains des croisés papistes en 1204 sonna le glas de l'Orthodoxie en Italie du sud. Tandis que les diocèses furent pourvus de titulaires uniates, puis latinisés, la langue grecque cessa d'être majoritaire en Calabre à la fin du XIVème siècle. Le maintien de la foi orthodoxe devint de plus en plus difficile: l'Inquisition, approuvée en 1215, était désormais en mesure de traquer les orthodoxes, mais il y en avait encore au début du XIVème sièce, puisque c'est parce qu'il se croyait orthodoxe que Barlaam le Calabrais vint à Constantinople. Les monastères grecs furent transformés en un ordre monastique uniate, l'"Ordre de Saint-Basile", sorti de l'imagination du pape Innocent III en 1198.

Tout s'enchaîna: perte de la foi orthodoxe, désormais persécutée activement; perte de la langue grecque, devenue minoritaire en Calabre dès 1400 et qui ne serait plus comprise aujourd'hui que par quelque 10'000 personnes dans une dizaine de villages de Calabre et de la terre d'Otrante; absence du rite byzantin. Le monachisme italo-grec, même devenu uniate, était considéré comme moribond en 1457-1458, et le dernier diocèse uniate passa au rite latin du jour au lendemain en 1572.

Il subsiste aujourd'hui une juridiction uniate, dite italo-grecque, avec un diocèse en Sicile et un autre en Calabre: elle ne concerne que les Arbereshes, descendants de réfugiés albanais fuyant les Turcs au XVème siècle et uniatisés par la suite; seul le monastère uniate de Grottaferrata est encore théoriquement de langue grecque. Mais, dans tout cela, l'Orthodoxie n'a aucune part.

On peut donc considérer que l'Orthodoxie s'est maintenue parmi les populations de langue latine de ce coin d'Occident jusqu'en 1071. Pour les populations de langue grecque, l'uniatisation et la papification en commencent qu'en 1155, date qui joue le rôle de celle de 794 pour le reste de l'Europe occidentale.
Il est plus difficile de fixer un terme: 1204? 1215? 1438? 1453?

Je préfère être extrêmement large. Il est clair qu'il n'y a plus eu de présence orthodoxe en Sicile et en Italie du sud après le raid dévastateur de Mehmet II sur Otrante en 1480. Je retiendrai donc cette date comme le terminus ad quem pour les listes de saints orthodoxes d'Italie du sud et de Sicile, tout en ne me faisant guère d'illusions sur la possibilité d'une survie réelle de la vie orthodoxe dans ces régions au-delà de 1215 (apparition de l'Inquisition).
Par conséquent, j'inscrirai dans mon calendrier tous les saints de rite byzantin qui sont morts dans l'ancien catépanat et en Sicile avant 1155, et je ferais un examen pour ceux qui sont morts entre 1155 et 1480.
eliazar
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datations d'orthodoxie en Italie méridionale

Message par eliazar »

C’est extrêmement intéressant.
Deux requêtes (non urgentes) :

1° qu’en est-il de la région de Naples, où les us et coutumes grecs (par exemple, la présence et vénération d’une ou plusieurs icônes byzantines à la place d’honneur dans de nombreux foyers populaires), ainsi que la langue, ont survécu si longtemps ?

2° pourrais-tu donner une liste de tes références ?

D’avance un grand merci.

Éliazar
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

En ce qui concerne Naples, je n'ai aucune information. Mais la question pourrait être posée pour de nombreuses villes d'Italie. Un des paradoxes de l'Italie, c'est que c'est à la fois le pays qui fut le plus longtemps contrôlé par la Papauté (les patriotes du Risorgimento jetés dans les oubliettes de Pie IX en ont su quelque chose...) et finalement un des pays les moins papistes de l'Europe occidentale (Venise accordant la liberté de culte - mais non d'apostolat! - aux orthodoxes dès 1454, l'importance de Trieste dans l'histoire de la Serbie, le futur saint Maxime le Grec venant tranquillement faire la révolution à Florence aux côtés de Savonarole, etc.). Je crois que Venise (malgré son rôle sinistre en Orient!), Trieste, la Calabre n'ont jamais fait partie à part entière de "l'Occident".
Ma seule supposition, c'est que l'Orthodoxie a dû survivre en Campanie jusque vers 1200. En tout cas, la région d'Amalfi a pu fournir des moines orthodoxes pour le célèbre monastère latin du Mont Athos, Amalfion, au moins jusqu'en 1198 (144 ans après le schisme!). Ensuite, je ne sais pas comment le monastère a fait pour survivre (en recrutant, je suppose, des Francs d'Orient convertis à l'Orthodoxie - après tout, un Montfort est bien devenu un saint de l'Eglise orthodoxe de Chypre), mais ce monastère bénédictin orthodoxe a survécu de plus en plus difficilement jusqu'en 1287, date à laquelle il se trouvait dans un tel état de déréliction qu'il a fallu le faire passer au rite byzantin et à la langue grecque.

Pour les Italo-Grecs, orthodoxes de la Sicile et du catépanat d'Italie, LE livre de référence est:

David Paul HESTER

Monasticism and Spirituality of the Italo-Greeks

Analecta Vlatadhon n° 55

Patriarchikon Idhrima Paterikôn Meletôn (Institut patriarcal d'études patristiques)

Thessalonique 1992

(474 pages)

Sinon, je serais reconnaissant à tout mécène qui serait prêt à m'offrir / me prêter / me photocopier / me numériser l'ouvrage de F. Giunta, Bizantini e bizantinismo nella Sicilia normanna, Palerme 1974, qui doit sans doute être riche en informations sur le sujet qui nous intéresse.

Runciman, dans The Sicilan Vespers, mentionne à peine la survie du rite grec en Sicile à la fin du XIIème siècle et il ne dit rien pour la Calabre. Il est vrai que, de 1268 à 1282, le royaume des Deux-Siciles fut usurpé par Charles d'Anjou, après une conquête où il fut aidé par le Pape contre les Hohenstaufen légitimes qui avaient maintenu une brillante civilisation dans le Mezzogiorno. (Ce n'est qu'à partir du règne de Charles d'Anjou que le Mezzogiorno a commencé à prendre du retard sur le reste de l'Italie.) Ces Angevins étaient fanatiquement anti-orthodoxes: on a pu le voir quand ils ont mis la main sur la couronne de Saint-Etienne en 1301 et qu'ils ont transformé la monarchie hongroise en machine de guerre contre l'Orthodoxie. Rien ne laisse supposer qu'ils aient été meilleurs en Italie méridionale et en Sicile et nous pouvons rendre grâces au peuple sicilien d'avoir organisé ces vêpres si fameuses du 30 mars 1282. Malheureusement, les Angevins ont pu se maintenir sur le continent jusqu'à la mort de leur dernière reine Jeanne III en 1435.
Cependant, l'aventure de Barlaam le Calabrais montre qu'il restait encore des orthodoxes en Calabre après le règne de Charles d'Anjou. Mais dans quel état de misère et de clandestinité?

Je vais essayer de me procurer The Normans in Sicily, de Norwich, pour voir ce qu'il écrit à propos de tout cela.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Honte sur moi, Eliazar! J'ai complètement oublié de te mentionner dans la bibliographie un autre livre, plus limité car il s'agit d'une monographie sur la terre d'Otrante - il ne parle donc ni de la Calabre, ni de la Sicile:

Basile Koukousas

I eparchia Ydhrountos tis Notiou Italias. Elliniki parousia kai Orthodhoxia stin kato Italia (L'éparchie d'Otrante d'Italie du sud. Présence grecque et Orthodoxie en basse Italie.)

Editions Tertios, Katérini 2002 (310 pages avec de nombreuses photos; texte grec avec deux résumés de deux pages chacun en italien et en un français hésitant)

Il indique (p. 167)que la dernière mention d'un métropolite grec pour le siège d'Otrante est de 1079. La papification, puis la latinisation, semblent avoir été plus rapides dans la terre d'Otrante qu'en Calabre. Pour les Italo-Grecs de cette région, l'Orthodoxie n'a probablement pas survécu au-delà de 1200.
Mais Koukousas insiste sur le rôle des Albano-Grecs qui se sont réfugiés dans la région au XVème siècle et qui ont un temps contré ce processus. C'est pour les désorthodoxiser et les uniatiser que les papes fondèrent le Collegio Greco de Rome. Les Albano-Grecs (Arbereches) ont réanimé une petite présence orthodoxe pendant deux siècles et n'ont été définitivement uniatisés qu'au milieu du XVIIème siècle. Ils le sont encore jusqu'à aujourd'hui. Alors que la langue grecque est pratiquement morte dans l'ancien catépanat, avec moins de 10'000 locuteurs au moins passifs dans une dizaine de villages de la Calabre et de la terre d'Otrante, 100'000 Arbereches continueraient à utiliser l'albanais (ou un dialecte albanais?) en Italie méridionale et en Sicile, et ils disposent de deux évêques uniates et d'une trentaine de paroisses dites "italo-grecques", en fait albano-italiennes, où l'on continue à célébrer la liturgie byzantine dans un grec que plus personne ne comprend. Naturellement, tout ceci n'a plus aucun rapport avec la foi orthodoxe, et en plus il paraît que même sur le plan esthétique cette imitation de l'Eglise grecque n'est pas très convaincante.

N.B. Te souviens-tu que Napoléon Bonaparte, grand inventeur de titres de noblesse de fantaisie devant l'Eternel, avait donné à l'ex-oratorien Joseph Fouché, son ministre de la Police, le titre de "duc d'Otrante"?
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Pour en finir avec le cas de Benoît d'Aniane, un correspondant, théologien qui a longuement étudié sa biographie et à qui j'avais demandé son opinion, m'envoie un long commentaire dont je reproduis ici la conclusion:

"Résultat de la manoeuvre où le dénommé Benoît d'Aniane et d'Inden aura joué un rôle de plus en plus considérable au fur et à mesure qu'il avançait en âge:

- La lignée sacrée des Mérovingiens, écartée du trône, noircie et ridiculisée. (...)

- L'établissement d'un nouvel ordre tyrannique aux conséquences incalculables, jusqu'à nous, en Europe et dans ce qui fut l'Empire romain de la Nouvelle Rome, seule héritière de l'Ancienne.

- La chrétienté d'Occident, à jamais coupée de ses racines authentiques. Le patriarcat d'Occident étant dûment germanisé et instrumentalisé, poussé vers des développements de prépotence mondaine, d'élaborations théologiques, vers l'âge de Plomb qui va suivre, et tout le reste conduisant, de Charybde en Scylla, jusqu'à l'agonie de l'Occident chrétien qui se déroule irrésistiblement sous nos yeux à présent.

Le réquisitoire n'est pas mince après des attendus qui s'étendent sur plus de douze siècles...

Par ces causes et considérants, je regarde comme exécrable la mémoire de ce Benoît. Et non seulement la sienne, mais aussi celle de ses manipulateurs de jeunesse, de ses collaborateurs et émules. (...)

- Pour finir, un petit profil, à main levée, de l'âme damnée d'une cause idéologique (le plan carolingien): le sujet, fasciné par sa position à la Cour, ayant renoncé au moi, dûment et progressivement "initié" par plus fort que lui ("la cellule") assume fanatiquement, non sans intelligence pratique et manipulatrice des institutions pré-existantes, l'ordre bénédiction, les évêques, le projet carolingien d'empire.
C'est un harki. Dont l'ambition échappe aux conditionnements du moi-je et de la libido. Cette dernière sublimée dans l'auto-castigation mortificatrice. Qui n'est pas sans nous rappeler les parcours du combattant des "marines".
On ne voit pas, chez le sujet, de vocation intérieure. L'entrée à St-Seine paraît plutôt être l'exécution d'une mission reçue de la "cellule" impériale qui l'estime apte à accomplir un certain travail dans le monde monastique dont la subversion et la collaboration sont indispensables à la réussite de ce "plan"."
eliazar
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Benoît d'Aniane, Charlemagne et le filioquisme

Message par eliazar »

Mon cher Claude,

C'est une bien dure conclusion que celle que tu viens de nous résumer en si peu de paroles. Plus dure encore pour moi qui n'avais de Benoît qu'une connaissance légendaire, mais une grande tendresse pour ce qu'il avait été l'higoumène et l'introducteur à la vie monacale de mon saint de confirmation kto, Guilhem d'Orange (fondateur du monastère de St-Guilhem du Désert), ce vieux soldat des croisades contre les Sarazins et le sujet de la célèbre "Chanson de Guillaume d'Orange" qui fit tant rêver le Moyen-Age ... et les ados kto de mon type.

Maintenant, ce n'est pas le tout - de démolir les rêves des jeunes gens!
Encore faut-il reconstruire, comme dit papa Bush à son majordome élyséen. Je te propose donc quelque chose qui te coûtera moins cher qu'au contribuables français de participer avec enthousiasme à la reconstruction des dégâts irréparables apportés par leur véritable grand patron aux derniers vestiges de notre préhistoire religieuse, sur la terre sacrée de l'Irak moderne.

La conclusion de ton ami doit être étayée par son étude elle-même. Tu dis qu'elle est longue : ne peux-tu nous la découper en feuilleton hebdomadaire, pendant quelques semaines ? Le sujet est extrêmement important; je ne le dis pas pour moi, et dans l'esprit de ce qui précède, mais très sérieusement.

Il s'agit en somme d'arriver à comprendre comment un jeune Occident récemment converti, et si héroïquement amoureux du Christ, a pu en arriver à la "gesta Dei per Frankos", puis enfin à l'hérésie suivie de la rupture quasi totale avec l'Église du même Christ. Jusqu'aux massacres de chrétiens si soigneusement dissimulés sous des tonnes de lyrisme par les historiens (kto, forcément!) des Croisades.

Si je me suis lancé, à un moment où personne ici n'y croyait vraiment, dans cette longue et difficile aventure d'un Synaxaire des Saints Orthodoxes des Gaules et de la France (pour lequel je ne remercierai jamais assez Apostolos, et toi-même, ainsi qu'Irène et René pour leur collaboration si assidue, et si riche) - c'est bien parce que je suis persuadé que la clé "mystique" du retour de l'Orthodoxie dans nos terres occidentales se trouve justement dans la "révélation", le dévoilement, de ce que l'Orthodoxie a réellement été, ici-même, au temps de notre enfance, puis de notre pré-adolescence chrétienne.

Comme nombre d'ados en crise, l'Occident est passé ensuite par la grande crise qui conduit tant de jeunes à l'athéisme de l'âge adulte. Cette crise se produit le plus souvent lors de l'élargissement du monde que représente pour eux la "sortie" d'une famille chrétienne protégée et l'entrée dans la compagnie de faux amis - ces "mauvaises fréquentations" contre quoi nos pères nous mettaient vainement en garde.

Ceux qui reviennent à Dieu dans leur âge mûr sont généralement un tout petit nombre - en comparaison de tous ceux qui se sont "définitivement" perdus dans le désert de ce monde de miroir aux alouettes, essentiellement fait d'illusions et de satisfactions en forme de mirage. Mais ce sont ceux qui comptent, et les seuls. C'est pour eux que travaillent les saints, à toutes les générations : par la prière et la pénitence, mais aussi, un peu, par la transmission de la connaissance de Dieu, par la "traduction" qu'ils leur font des écrits fondateurs. Et aussi, par l'histoire de leur propre "famille" : ce qui est aussi la démarche de la psychanalyse curative, au fond, mais dans un sens résolument non chrétien bien sûr.

Revisiter l'histoire de ceux qui nous ont "mis au monde" - dans ce cas précis, les grands saints orthodoxes de nos origines - est aussi le moyen de comprendre pourquoi nous sommes tombés si bas. Et pour les plus chaceux d'entre nous, le moyen de revivre dans nos profondeurs ce "retour sur soi" que les caroubes et la contemplation désespérée des porcs firent accomplir au Fils Prodigue.

L'histoire de nos Saints Fondateurs ne peut se passer de l'explication du processus qui a finalement fait capoter l'adolescence (historique) de notre peuple dans le fossé où nous nous traînons encore aujourd'hui, même si quelques-uns commencent à se réveiller, après ce long coma de mille ans.

Alors ? C'est dit ?
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Jean Béziat
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benoît d'aniane et Hraban Maur

Message par Jean Béziat »

Je réponds à Eliazar (que je n'avais pas revu depuis une liturgie à "Sébastopol" il y a une dizaine d'années, et que je salue au passage).
Premièrement, concernant Benoît d'Aniane, le problème n'est pas tant de savoir si son "Supplément" à la Règle bénédictine contient ou non le Filioque - ce que je ne crois pas - que de savoir quel Symbole les sacramentaires de l'époque (ex. : Gellone et Angoulême) utilisaient pour la messe. Apparemment, Gellone utilisait un symbole des apôtres. Nous ne sommes guère avancés !... J'ai traduit il y a quelques années un Ordo baptismal d'Auch de cette même époque: en lisant entre les lignes, on devine que le Symbole devait aussi être celui des Apôtres... Ce qu'il faut, c'est cesser de se bercer de naïveté : Charlemagne s'entoure dès 790 de "théologiens" dont on ne sait trop si c'est lui qui les influence ou si ce sont eux qui l'influencent : Alcuin et deux wisigoths, Théodulfe et Witiza (Benoît d'Aniane). Après avoir obtenu du pape Hadrien 1er un exemplaire du Sacramentaire Grégorien, il demande à Benoît de le copier en ajoutant un "Supplément" où figurent quelques usages locaux que veut conserver l'église franke : et l'on voudrait que n'y figure pas le chant du Credo filioquiste, que dès 790 (Livres Carolins) et 794 (Concile de Frankfort) Charlemagne avec insistance demande à tous ses sujets d'adopter (en même temps que le rejet du 7e Concile Oecuménique et un iconoclasme des plus délirants) ??? Tout ce que j'ai réussi à savoir, c'est que Charlemagne avait bien fait ajouter le chant du Credo à l'ordinaire de la liturgie grégorienne. Pour plus de détails (?), je renvoie au grand spécialiste, le bénédictin Jean Deshusses, et à ses trois ouvrages sur le sujet (Spicilegium Friburgense, tomes 16, 24 et 28; 1971 et 1992, 1979 et 1988, 1982 et 1992). A noter que depuis quelque temps la question se pose de l'attribution du "Supplément" à Benoît. En fait, Alcuin pourrait en être l'auteur (cf. Deshusses et Bernard Ph., in Studi medievali, 39, 1; 1998). Mais cela ne change rien à l'affaire : Charlemagne, violemment filioquiste et iconoclaste, s'est entouré de "théologiens" anglo-germaniques eux-mêmes filioquistes (Alcuin et Théodulfe) et iconoclastes (cf. Théodulfe et Germigny-les-Prés. En 825 encore, le concile de Paris en remettait une couche). Dans le même ordre d'idées, il convient de savoir que tous ces courtisans-théologiens avaient constitué une sorte de fratrie sur le modèle de l'antiquité, où ils s'attribuaient des noms pompeux, comme Pindare, etc... Et on voudrait qu'ils fussent en désaccord sur ce qui constituait les fers-de-lance de la grotesque "théologie" carolingienne, à savoir le Filioque et l'iconoclasme ? Ils se rendirent ensemble en 794 et en 799 en Septimanie et en Espagne comme missi dominici afin d'en ramener un rapport sur l'hérésie adoptianiste, hérésie qu'ils combattirent, notamment, avec la massue du Filioque - comme le montrent bien les actes du Concile de Frankfort -, et l'on voudrait qu'ils ne fussent point filioquistes ? Alcuin, Théodulfe et Benoît furent chaleureusement recommandés par Charlemagne, qui alla jusqu'à consigner leur élection dans les actes mêmes des conciles (!), et...
Passons à Hraban Maur. A ce sujet, je me contenterai de retranscrire un échange de courrier entre ma misérable personne et le grand spécialiste des manuscrits de Karlsruhe, Bill Schipper, le 13 février 2004:
- à la question, quid de la datation exacte des manuscrits du De Naturis Rerum, B. Schipper répond :
L'Aug.68 est du 3e quart du IXe s., probablement 850-860 (n.b. : Hraban est mort en 858);
- à la question, quid d'une éventuelle falsification, B. Schipper répond :
Si vous entendez par "falsification" une "modification", la réponse est non. J'ai un format digital des manuscrits sur lequel je jetterai un oeil lorsque j'aurai un moment, dans le but précis d'y rechercher une modification. J'ai fait le tour de mes notes sur la portion incriminée (Livre 1) du manuscrit Aug.96, et n'y ai trouvé aucune modification au sens où vous l'entendez...
No comment !...
Voilà pour aujourd'hui.
En Christ
Jean
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