Le Monde, les Eglises chrétiennes et la laïcité

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Axel
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Le Monde, les Eglises chrétiennes et la laïcité

Message par Axel »

L'appel commun des Eglises chrétiennes contre une loi sur le voile
LE MONDE | 08.12.03 | 13h43
Trois jours avant la remise du rapport de la commission Stasi sur la laïcité, catholiques, protestants et orthodoxes se sont unis pour adresser un texte au président de la République, lundi 8 décembre. Ils y expriment leur "inquiétude" sur la tournure prise par le débat.
Les églises sont inquiètes. Depuis quelques semaines, elles avaient multiplié les signaux d'alarme. A Lourdes le 10 novembre, à l'issue de l'assemblée plénière des évêques, Mgr Jean-Pierre Ricard avait fait part de ses craintes sur une possible "régression de la liberté religieuse". Le pasteur Jean-Arnold de Clermont a dénoncé dernièrement "un argumentaire antireligieux, comparable à ce qu'on devait entendre en 1905". Avant la remise du rapport de la commission Stasi sur la laïcité, le 11 décembre, les représentants des Eglises catholique, protestantes et orthodoxes ont voulu lancer un dernier avertissement. Dans un texte commun, sous la forme d'une lettre envoyée lundi 8 décembre au président de la République, ils redisent leur opposition à une loi prohibant les signes religieux à l'école : "Notre conviction est que ce n'est pas en légiférant que l'on résoudra positivement les difficultés actuelles."Mais, plus encore que l'alternative loi ou pas loi, c'est la tournure prise par le débat public qui irrite les Eglises.
"Ce débat, en effet, a pris des accents qui ressemblent parfois à ceux d'une époque que l'on pouvait penser révolue, celle d'une laïcité de "combat", alors même que nos Eglises pouvaient se réjouir depuis quelques décennies d'une laïcité "apaisée". Celle-ci permettait d'aborder sereinement les questions nouvelles posées par l'inscription de l'islam dans la société française, le Conseil français du culte musulman étant devenu le partenaire nécessaire pour rechercher des solutions à ces questions." Les responsables chrétiens saluent la création de la commission Stasi, qui permet "une large écoute des composantes de la société française". Tous ont été auditionnés. Et c'est d'ailleurs leurs interventions, très proches sur le fond, qui les ont convaincus de signer en commun ce texte adressé à Jacques Chirac.

"GUERRE DES DEUX FRANCE"

Les Eglises redisent ensuite "leur profond accord sur une vision commune de la laïcité" et sur la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Une fois posé ce préalable, elles exposent leur interprétation de la laïcité à la française : "La laïcité (...) n'a pas pour mission de constituer des espaces vidés du religieux, mais d'offrir un espace où tous, croyants et non-croyants, puissent débattre, entre autres choses, du tolérable et de l'intolérable, des différences à respecter et des écarts à empêcher, et ceci dans une écoute mutuelle, sans taire les convictions et les motivations des uns et des autres, mais sans affrontement ni propagande." Pour les responsables chrétiens, l'école peut être "un des lieux d'apprentissage d'un tel débat", en particulier grâce au "nécessaire enseignement du fait religieux dans le cadre scolaire".

Cette unanimité des religieux autour de la loi de séparation est en soi une nouveauté. Non que les Eglises chrétiennes aient rejeté jusqu'ici la laïcité. Mais, ces derniers temps, des nuances étaient venues s'immiscer entre catholiques et protestants. Le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante, réclamait un "toilettage" de la loi de 1905, surtout en ce qui concerne les associations cultuelles. A l'inverse, les responsables catholiques insistaient sur la nécessité de ne pas toucher à l'édifice de la laïcité. Cette dernière position apparaissait surtout comme défensive, l'Eglise catholique ne souhaitant pas une remise en cause de son statut, qui est régi au moins autant par les accords de 1923-1924 entre la République et le Saint-Siège que par la loi de 1905.

Les évêques catholiques étaient aussi particulièrement sensibles à l'importance de ne pas rallumer une "guerre des deux France". D'une certaine façon, le mal est déjà fait. Les déclarations publiques de certains membres de la commission Stasi, prêts à remettre en cause des principes acceptés comme les aumôneries de l'enseignement public ou le statut concordataire de l'Alsace-Moselle, ont ému les milieux catholiques et protestants. Les confidences de René Rémond, membre de la commission Stasi, mettant en garde les évêques contre "les intégristes et les fondamentalistes de la laïcité", sont allées dans le même sens (Le Monde du 7 novembre).

Les responsables chrétiens expriment ensuite leur scepticisme à l'égard d'une loi contre les signes religieux, dont le foulard islamique. "Ne vaudrait-il pas mieux multiplier les moyens de médiation dont on sait l'influence positive ?" Ils ne veulent pas paraître méconnaître " l'état de soumission de la femme que peut représenter, en certains cas, le port imposé du voile". Mais ils doutent de l'efficacité d'une loi qui, en outre, apparaîtrait comme discriminante et pourrait avoir des effets pervers. "N'est-il pas surprenant que nous n'ayons plus confiance en la valeur pédagogique du cadre de vie scolaire commune et du débat qu'il permet, pour lui préférer la sujétion à la loi, au risque de l'exclusion ou du rejet vers des pratiques communautaristes qui ne pourront que s'en sentir renforcées ?", interrogent-ils.

Les responsables des Eglises chrétiennes concluent leur lettre en mettant en avant "la réussite de l'intégration", qui est selon eux "le véritable enjeu du débat actuel". "Nous constatons que les milieux où les revendications islamistes trouvent leur plus large écho sont le plus souvent ceux des "ghettos" que nous avons laissé se constituer aux banlieues de nos grandes villes." C'est la raison pour laquelle les éventuelles mesures prises "n'auront de réelle efficacité que si elles sont accompagnées de mesures en vue de resserrer et souvent de créer le lien social".

Cette lettre devait être déposée à l'Elysée, lundi 8 décembre au matin. Initialement, les représentants des trois grandes confessions chrétiennes avaient demandé à rencontrer le président de la République en début de semaine. Celui-ci n'a pas répondu positivement à leur requête, peut-être pour ne pas paraître favoriser les religions avant d'arbitrer en faveur de telle ou telle mesure.

Xavier Ternisien


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57 % de Français favorables à une loi


Une majorité des Français (57 %) sont favorables à une loi interdisant le port de tout insigne religieux apparent à l'école, selon un sondage réalisé auprès de 1 001 personnes par l'institut CSA pour France 3 et France-Info, et rendu public dimanche 7 décembre. A l'inverse, 41 % sont opposés à une loi et 2 % ne se prononcent pas. Le pourcentage d'opinions favorables à un tel texte s'élevait déjà à 55 % en octobre et à 53 % en novembre, selon deux précédentes études du même institut.

Dans un entretien publié par Le Journal du dimanche du 7 décembre, Malek Boutih, secrétaire national du PS chargé des questions de société, confirme qu'il est favorable à une loi "interdisant tous les signes religieux et politiques, tous". "La plupart des musulmans pratiquants, affirme-t-il, ne souhaitent pas que leur identité religieuse prenne la place de leur identité républicaine."

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.12.03
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