Mission Orthodoxe en Afrique : l'évêque du Ghana Pantéléimôn

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

eliazar
Messages : 806
Inscription : jeu. 19 juin 2003 11:02
Localisation : NICE

Mission Orthodoxe en Afrique : l'évêque du Ghana Pantéléimôn

Message par eliazar »

J’ai relevé le texte de cet entretien de notre frère suisse Michel-Maxime Egger avec l’évêque Pantéléimôn sur le site < http://religioscope.info/article_244.shtml >.

Au cas où des soulignements apparaîtraient, seuls ceux des titres et sous-titres appartiennent au document initial. Les autres sont de mon fait.

Ce que dit l’évêque du Ghana de l’œcuménisme, de l’hérésie mais plus encore de l’exigence active qui résulte de notre engagement dans la Foi Orthodoxe est particulièrement important.

"L’Orthodoxie a un grand avenir en Afrique" –
Entretien avec Mgr Panteleimon, évêque du Ghana
Michel-Maxime Egger
28 Nov 2003, 19:00
Les orthodoxes ghanéens le surnomment déjà «Panteleimon le bâtisseur», tant il est actif dans la construction d’églises et l’ordination de prêtres. Né en 1955 sur l’île de Kalymnos, émigré de 1958 à 68 aux États-Unis où il a acquis la citoyenneté américaine, cet ancien vicaire du Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie est devenu évêque du Ghana en janvier 2000. Il nous parle de son itinéraire, de sa vision de la mission et de l’œcuménisme.

De quand date votre vocation missionnaire?Très jeune, j’ai ressenti l’appel dans mon cœur, le désir de participer au travail missionnaire. A 14 ans, il était clair dans ma tête que je deviendrais un jour évêque. C’était le seul but de ma vie, ce que je répondais quand on me demandait ce que je voulais faire quand je serais grand. Cela a été confirmé par mon père spirituel, l’un des derniers saints de la Grèce, bien que pas encore canonisé, le père Amphiloque de Patmos. Il a prophétisé à propos de mon ordination. Quand j’avais 15 ans, il a dit à la mère abbesse du monastère de Kalymnos: «Un jour, tout le monde va venir baiser la main de cet enfant.» Quand j’ai été ordonné évêque dans cette même île de Kalymnos, plus de 14.000 personnes sont venues à mon ordination. A l’école déjà, mes professeurs et mes camarades de classe ne m’appelaient pas par mon nom, mais «Père».Le monachisme était donc une voie «naturelle»…
Je suis devenu moine en 1975, diacre en 1980 et prêtre en 1983. Je suis resté moine pendant onze ans au monastère Saint-Panteleimon de Kalymnos; c’est de là que vient mon nom. Pour moi, le monachisme a été une période de préparation. Le but de la vie monastique – c’est comme cela que je la vois – est de se préparer à retourner dans le monde pour aider les autres. À Kalymnos, notre monastère était très engagé dans le travail missionnaire au Zaïre.

Spirituellement, l’un des moments clés de votre vie est votre grave maladie au milieu des années 90…
Effectivement. J’ai eu un cancer qui m’a pour ainsi dire paralysé pendant deux ans (janvier 85-juillet 86). Je n’avais plus aucune sensation, rien. Je ne pouvais plus bouger. J’étais soigné dans le meilleur hôpital d’Athènes, avec les meilleurs spécialistes. Les métastases s’étaient répandues dans toutes les parties du corps. J’ai eu tous les traitements possibles et imaginables, les plus sophistiqués et les plus forts, mais sans résultat. Les professeurs ont donc décidé de tout arrêter et de me laisser mourir en paix. Du point de vue médical, il n’y avait plus aucun espoir. Mon évêque et les prêtres locaux discutaient déjà les modalités de mes funérailles.
Mais la grâce de Dieu agit là où les pouvoirs humains cessent. Cela faisait un mois que j’étais alité, avec plus de 42oC de fièvre. Les médecins ne me donnaient plus que deux jours à vivre quand, d’une manière miraculeuse – par l’intermédiaire de la Mère de Dieu – j’ai été guéri. En une nuit, la température est complètement tombée, et j’ai pu retrouver une certaine mobilité. Les médecins m’ont examiné: plus aucune trace de cancer. De fait, deux semaines avant que je ne tombe malade, alors que j’étais en pleine forme, ma sœur a vu en rêve la Mère de Dieu en infirmière, qui me tenait dans ses bras, en disant: «Votre frère est mourant, mais je vais le guérir. Il lui faudra deux ans pour pouvoir se remettre sur pied, mais il marchera.» C’était un signe et une confirmation que la Mère de Dieu allait accomplir un miracle pour moi.
C’est alors que vous partez pour l’Afrique?
Après ma maladie, j’ai eu la chance de pouvoir rejoindre le Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie et de toute l’Afrique. Je suis retourné en Afrique du Sud – à Johannesbourg, puis au Cap – où j’avais déjà été prêtre et prédicateur d’une communauté grecque entre 1987 et 1993. Nous y avons fait un gros travail. Nous étions très bien organisés. Je m’occupais de cours, d’études bibliques en anglais et en grec que nous diffusions par cassettes vidéo et audio. En 1997, je suis allé à Alexandrie où j’ai été pendant deux ans vicaire patriarcal et directeur des services de presse. Enfin, le 18 janvier 2000, je suis arrivé à Accra, en qualité de premier évêque de ce diocèse. Il couvre onze pays, ce qui est un défi énorme pour la diffusion de l’Orthodoxie: Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Sierra Leone, Guinée, Liberia, Guinée-Bissau, Cap Vert, Sénégal, Gambie. Pour l’instant, nous ne sommes présents qu’au Ghana et avons une paroisse à Abidjan, qui a démarré en mars 2002. Dans quelque temps, j’envisage d’aller dans les pays anglophones comme la Gambie et la Guinée, plus faciles pour moi à cause de la langue.
Pourtant vous êtes allés en Côte d’Ivoire, pays francophone. Pourquoi?
L’histoire de la Côte d’Ivoire est symptomatique de la manière dont je conçois la mission. Depuis des mois, je ressentais un appel intérieur à aller à Abidjan. C’était d’une certaine manière – sur un plan rationnel – absurde, car nous ne connaissions absolument personne, n’avions aucun point de chute. Mais cet appel était si fort, si insistant que je ne pouvais même plus dormir. Finalement, nous sommes partis en voiture, avec mon chauffeur et mon assistante. Dix-huit heures de route. Un voyage infernal, dangereux et surtout épuisant.
Arrivés dans la capitale, nous nous sommes installés dans un hôtel et avons étudié l’annuaire téléphonique, à la recherche de noms à consonance grecque. Nous avons trouvé une personne qui nous a aidés à passer une annonce en français dans la presse locale, annonce indiquant qu’un évêque orthodoxe était de passage à Abidjan. Dix jours plus tard, rien ne s’était passé.
Alors que nous nous apprêtions à rentrer, nous avons reçu le téléphone d’un jeune homme nous informant qu’un groupe d’Ivoiriens cherchaient l’Orthodoxie. Nous les avons reçus, ils nous ont raconté comment, à la recherche de leurs racines chrétiennes, ils avaient conclu que l’Église orthodoxe était la seule vraie Église. Ils étaient déjà étonnamment bien formés, éduqués, et très sérieux. Nous avons testé leur sincérité. Nous avons fait une catéchèse accélérée, et peu après nous avons ordonné prêtre leur leader, le père Jérémie Sylvanus Pépin, qui s’est révélé être le fils spirituel du père orthodoxe Marc Do Behanzin, vicaire au Bénin de l’évêque Alandros (Nigeria).
Nous étions partis le 10 mars; le 24 mars, nous avons célébré la liturgie au domicile de Jérémie avec son groupe; les 6 et 7 avril, j’ai ordonné Jérémie diacre puis prêtre; le 10 avril, nous avons baptisé la communauté. Voilà comment la mission marche: il faut faire confiance à Dieu, attendre et répondre aux signes qu’Il nous donne. Nous ne devons pas faire ce que nous pensons, mais le laisser agir. C’est très simple.
Comment se développe l’Église orthodoxe au Ghana?
Elle est en pleine croissance. Quand j’ai été consacré évêque, l’œuvre missionnaire au Ghana était pour ainsi dire inconnue; moi-même je savais à peine ce qui se passait ici. Aujourd’hui, trois ans plus tard, avec les publications et articles que nous avons produits, ce travail est maintenant bien connu dans le monde orthodoxe. Il y a actuellement quelque 5000 orthodoxes dans ce pays, soit 2000 de plus que lorsque nous sommes arrivés. Tous des Africains, à l’exception d’une poignée de Grecs, quelques Russes et Libanais. Quand j’ai débarqué, il y avait 3 prêtres et un diacre; aujourd’hui, il y a 22 prêtres et quasiment autant d’églises, dont 7 en construction. De plus en plus de régions du Ghana sont intéressées à recevoir l’Orthodoxie. Pour vous donner une idée, 60% de la population – environ 20 millions d’habitants – est chrétienne, notamment des méthodistes, catholiques, anglicans, presbytériens et pentecôtistes.
Comment et où les prêtres sont-ils formés?
C’est moi qui m’en occupe. Je les forme, leur enseigne les bases de la foi, de la théologie, de l’histoire de l’Église. Il y a bien un séminaire à Nairobi (Kenya), fondé en son temps par l’archevêque Makarios III (Chypre), mais mon rêve est de créer un séminaire en Afrique de l’Ouest; je préfère investir l’argent ici plutôt qu’en billets d’avion pour envoyer des gens au Kenya.
Pardonnez-moi cette question qui vous paraîtra peut-être indiscrète, mais combien sont-ils payés?
Ils gagnent grosso modo 50 dollars par mois. Cela suffit pour s’en sortir, car la plupart sont des paysans qui travaillent la terre. De plus, le diocèse prend en charge les frais scolaires, les dépenses médicales, la sécurité sociale de la famille. Actuellement, je couvre les dépenses scolaires de 114 enfants, tous ceux du clergé et encore d’autres, de tous les niveaux jusqu’à l’université.
Avez-vous d’autres activités, à côté de l’ordination de prêtres et de la construction d’églises?
Quel est le sens du travail missionnaire? C’est la continuation du travail du Christ pour le salut de l’humanité. Or, le Christ prêchait la Parole de Dieu, mais en même temps Il guérissait (santé) et enseignait les gens (éducation). Si nous ne faisons pas tout cela, nous sommes dans le péché.
Ainsi, nous avons six écoles primaires et une école professionnelle – Saint Peter’s Business College à Larteh – où il est possible de recevoir une formation commerciale (secrétariat, etc.). Sauf pour cette dernière, où il faut payer un modeste écolage, toutes les écoles sont gratuites. Les familles qui le peuvent paient un petit quelque chose pour le repas de midi de leurs enfants. Il n’est pas nécessaire d’être orthodoxe pour accéder à nos écoles. Ce que nous offrons, comme tout le travail missionnaire, est d’abord un acte d’amour. Nous devons regarder et considérer tous les êtres, orthodoxes ou non, comme des enfants de Dieu.
À Larteh, nous construisons un nouveau centre de formation. Le but est de pouvoir offrir un parcours complet: primaire, secondaire, secondaire supérieur, école commerciale, et pourquoi pas un jour un institut de théologie. L’objectif est d’avoir un lieu où un enfant peut suivre tout un cursus dans un cadre orthodoxe, devenir ainsi un bon orthodoxe. J’ai une vision à long terme pour cette région. On a besoin d’un lieu, d’une base pour rayonner. Maintenant, tout est trop dispersé, éparpillé.
Nous avons également des activités médicales. Nous avons eu plusieurs équipes de médecins, venus de Rhodes – «Les docteurs du cœur» – pour visiter des villages et prodiguer des soins médicaux gratuits. La santé est l’un des gros problèmes de ce pays; chaque année plus d’un million d’enfants meurent de la malaria, de la lèpre ou d’autres maladies. Mon assistante, Evangelia, est infirmière de profession; elle travaillait comme assistante d’un chirurgien de l’œil.
Nous n’avons pas de dispensaire ou de clinique, pas encore. Mais quand nous recevons des médicaments, nous allons d’un endroit à l’autre – là où il n’y pas de médecin. Le prêtre local annonce notre arrivée, et nous nous installons sous un arbre ou dans un autre endroit approprié. Nous essayons de combiner consultations médicales, catéchèse et études bibliques. Evangelia consulte et distribue les médicaments que nous avons réussi à obtenir gratuitement de sociétés pharmaceutiques en Grèce. Le but est d’atteindre en priorité les gens qui sont trop pauvres pour aller chez le médecin. Nous sommes la seule Église du pays à dispenser des soins gratuitement.
Comment financez-vous toutes ces activités?
Les salaires du clergé sont payés par l’Orthodox Christian Mission Center (OCMC, USA) et l’Apostoliki Diakonia de l’Église de Grèce. Pour tout le reste, le fonctionnement du diocèse, les frais scolaires, etc., je dois collecter des fonds en Grèce. Le patriarcat ne me donne quasiment rien. Ce n’est pas facile. Surtout pour moi, avec ma pauvre santé, mes problèmes de mobilité. L’une des difficultés, c’est d’assurer la continuité; on ne peut pas faire des projets à moyen terme, car on ne sait jamais si on aura les moyens nécessaires. C’est très fatigant, car il faut aller chaque année en Grèce pendant plusieurs semaines. Il faut voyager dans le pays. À chaque endroit, il faut obtenir la bénédiction de l’évêque local, puis l’accord des prêtres, pour pouvoir parler du travail missionnaire dans les paroisses.
Les gens nous aident beaucoup. Je suis toujours étonné de leur générosité, qui se manifeste dans le nombre d’églises que nous sommes en train de construire et dans cette maison où nous sommes maintenant et où je vis, et qui n’existait pas il y a trois ans. Ils comprennent bien l’importance du travail que nous accomplissons. Malheureusement, il faut le dire, ce n’est pas toujours le cas du clergé. Les prêtres vivent souvent très repliés sur leur paroisse, avec un champ de vision réduit à leur petit pré carré et troupeau. Mais quid du commandement de Dieu d’aller faire des disciples de toutes les nations en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit? Il y a là une carence, une attitude qui n’est pas juste, pas conforme à l’Évangile. C’est bien de prendre soin de sa paroisse, mais il faut élargir la conscience que l’on en a, acquérir le sens de l’Orthodoxie comme réalité universelle et cosmique. Une fois qu’on a couvert les besoins de sa paroisse, que fait-on de l’argent qui reste?
Si l’Église et ses clercs se réveillaient, le travail missionnaire pourrait se répandre comme du feu, car nous pourrions y consacrer toute notre énergie plutôt que de devoir courir le pays comme des mendiants. Il suffirait par exemple que chaque paroisse de Grèce ou d’ailleurs, dans des pays nantis, décide de parrainer une paroisse dans un pays de mission pauvre. Cela serait déjà un pas énorme dans la bonne direction. Quelle paroisse ne peut donner 1000 euros par an pour soutenir une communauté, payer les frais scolaires d’un enfant? Si ce n’est pas possible, cela veut dire que quelque chose cloche.
Il est temps que les orthodoxes comprennent que la mission est le devoir de tous. Ce n’est pas seulement la responsabilité du patriarcat d’Alexandrie, de l’évêque local ou de certains fidèles, mais de tous les orthodoxes, clercs et laïcs, qui constituent le Corps du Christ.
Répondre