La question du Calendrier

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Antoine
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La question du Calendrier

Message par Antoine »

Irène, le: Ven 07 Nov 2003 12:52 à la rubrique questions vous écriviez:
On pourrait ouvrir une rubrique sur le calendrier, pour INFORMER de façon impartiale et sans passion les lecteurs qui aimeraient comprendre et chacun pourrait expliquer sa vision à ce sujet, mais j'aimerais vraiment voir supprimer un ou deux messages que je trouve perturbants et peu "chrétiens".
Katherine ayant écrit de son côté:
• Sa position [la position d'Antoine] est contraire, là aussi, à celle de l'Église. Il serait plutôt malhonnête de donner aux lecteurs ses opinions personnelles et de ne pas les renseigner d'abord sur ce que dit l'Église. Antoine sait aussi bien que moi que l'Église a condamné le calendrier papal par un grand nombre de conciles depuis la fin du 16e siècle jusqu'en 1903 et que l'on ne peut pas effacer de telles condamnations. L'innovation est donc indéfendable.
C'est là aussi que j'ai du mal à croire à la réalité de sa foi en la sainteté de l'Église. Quand on examine le texte de ces condamnations, il est clair qu'elles sont dictées par l'Esprit saint, l'Esprit de prophétie qui prévoyait les désastres que ce calendrier allait apporter à l'Église.
C'est cela qu'il faut montrer d'abord aux lecteurs et ensuite seulement ce que Antoine pense personnellement du calendrier et qui est contraire à la position de l'Église.
Et il est important que les lecteurs sachent aussi qu'une opinion personnelle contraire aux déclarations de tant de conciles unanimes s'appelle une hérésie, hélas. Et pourtant Antoine se veut orthodoxe. Alors, là aussi il y a une contradiction. Je ne dis pas qu'il soit hérétique : il se trompe sans doute de toute bonne foi. D'une bonne foi dans la science… de crainte d'être taxé d'obscurantisme sans doute.
Il n'y a aucun doute possible que sans cette innovation il n'y aurait pas eu de division dans l'Église orthodoxe. Et Antoine qui dit pleurer ces divisions est le premier à en défendre la cause. Quelle contradiction encore !
Pour moi, ce qui est très triste à voir c'est qu'il se place constamment au-dessus de l'Église, de sa propre autorité, toujours prêt à la juger, à contester ses canons, sa Tradition[...]
Il est inutile de préciser que la position d'Antoine( <<qui se veut orthodoxe>> ) ne lui est pas "personnelle" mais qu'elle est partagée par tous ceux qui sont au nouveau calendrier et par ceux qui encore à l'ancien sont en train de préparer leur réforme calendaire inévitable.
Katherine va donc vous <<renseigner d'abord sur ce que dit l'Église>> telle ques les défenseurs invétérés du calendrier Julien l'interprêtent puis nous vous donnerons également d'autres indications qui justifient la mise en place et l'usage d'un nouveau calendrier.
Sachez toutefois que je ne suis pas,pour des raisons que je vous exposerai, un partisan de ce que l'on appelle faussement "nouveau calendrier" et que l'on devrait appeler "Julien révisé" mais que je ne suis pas prêt à un schisme pour cette question et pas prêt à rompre la communion avec qui que ce soit sur cette question.

Et comme
Il serait plutôt malhonnête de donner aux lecteurs ses opinions personnelles et de ne pas les renseigner d'abord sur ce que dit l'Église.
, il convient donc que cède d'abord la parole à "l'Eglise", préséance oblige. Et puis pour que je puisse me placer
au-dessus de l'Église, de ma propre autorité, toujours prêt à la juger, à contester ses canons, sa Tradition
il faut bien qu'elle se déclare d'abord...
Irène
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Message par Irène »

Alors, Catherine, accepteriez-vous de faire l'historique du problème du calendrier, sans porter un jugement sur personne, mais en temps que membre d'une juridiction qui est restée dans l'orbite du "vieux calendrier"? Vous savez que mon souci concerne ceux qui lisent les inter-ventions des membres du forum et qui ne sont pas obligatoirement informés. Ainsi Antoine pourra donner de même la position d'un Orthodoxe qui se trouve dans une juridiction du calendrier dit "néo-calendariste".
Amitiés à tous.
eliazar
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Calendrier, en l'absence de Katherine

Message par eliazar »

Comme je crois que Katherine ne répondra pas (pour diverses raison, parmi lesquelles son actuel voyage en Angleterre), je me permets de vous soumettre trois textes de notre ami Jean-Louis Palierne, datant de décembre 2002.
Ils avaient donné lieu à une intéressante discussion, à la suite de la réponse faite par Katherine au troisième de ces textes de Palierne, qui lui était du reste directement adressé. Le cas échéant, Antoine pourrait en republier l’essentiel.

1° En guise de préambule :
Je voudrais faire quelques remarques d’ordre général à l’occasion d’une série de débats qui se déroulent depuis quelque temps sur ce Foorum.

Il est incontestable malheureusement qu’au milieu du XXe siècle des tendances au confusionnisme supra-ecclésial se sont manifestées dans l’Église orthodoxe. Elles ont peut-être au début été attisées par certaines forces étrangères à l’Église orthodoxe, mais au début elles avaient peu à voir avec les manœuvres anti-orthodoxe de l’Église catholique qui jusque là n’utilisait contre l’Orthodoxie que les tentatives d’uniatisme. De son côté lorsque l’Église orthodoxe subissait l’influence des Églises d’Occident, c’était toujours parce qu’elle s’efforçait d’atteindre à un “niveau de qualité” comparable à celui qu’elle prêtait aux occidentaux -- pour mieux soutenir la compétition. Pour décrire l’envahissement du monde intellectuel orthodoxe par les modes et les concepts nés en Occident, Florovsky employait l’expression de “nouvelle
captivité de Babylone”. Mais même ainsi occidentalisés, les orthodoxes combattaient les tentatives d’intrusion des catholiques dans leur monde.

Ainsi s’explique que l’Orthodoxie ait connu ce qu’on appelle souvent le “modernisme” orthodoxe. Il est particulièrement visible dans la théologie académique et dans l’exégèse. La pratique liturgique à l’opposé s’est montrée très conservatrice -- et c’est peut-être ce qui a permis d’éviter une plus grave altération de l’Église orthodoxe. On a constaté aussi des tentatives pour modifier les structures canoniques de l’Église, qui se transformerait alors en une fédération de communautés de base de laïcs bien présents dans le monde, jouant un rôle dans la société par leur valeur éthique et savante et aussi par leur réussite sociale, fédération où les “cadres intermédiaires” (prêtres et évêques) seraient chapeautés par une sorte d’États généraux des délégués (clercs et laïcs) des paroisses et des diocèses. Devant ces États généraux, le patriarche aurait donc eu à jouer le rôle d’un souverain constitutionnel, s’appuyant sur des groupes de théologiens, ses conseillers. C’était le sens du Concile pan-russe de 1917, qui fut dispersé par le coup d’État bolchevik.

Les “modernisations” qui furent imposées surtout au patriarcat œcuménique (par le patriarche-aventurier Mélétios Métaxakis) et dans les Églises roumaine et grecque comportaient aussi toute une série de dispositions concernant la calendrier, la formation académique, le raccourcissement des offices, l’allègement des jeûnes, les évêques mariés, le remariage possible des prêtres, l’habillement et la barbe du clergé, etc... Et toutes ces tendances étaient vigoureusement anti-monastiques.

C’est ce modernisme qui permet de comprendre que des prêtres orthodoxes puissent estimer que leur devoir est de détourner des chrétiens hétérodoxes qui cherchent à entrer dans l’Église orthodoxe. Ou bien que l’on cherche à pousser au mariage des jeunes gens qui voulaient embrasser la voie monastique. Ou bien que l’obsession de liturgies participatives conduise à supprimer l’iconostase. Ou bien que la question traditionnelle adressée à celui qu’on vient d’élire à l’épiscopat lui soit posée par un prêtre au nom d’une réunion clérico-laïque. Ou bien que l’on s’étonne que l’on puisse dire des Pères “qu’ils nous enseignent”, et d’ailleurs “si l’on écoute les Pères commenter l’Écriture on peut dire n’importe quoi”. Ou bien que l’on essaie de corriger l’hymnographie de la Liturgie “en tenant compte des résultats de l’exégèse moderne”. etc, etc.

Ceci est beaucoup plus important et beaucoup plus grave que l’épisode œcuménique qui a fait entrer à partir des années 50 la plupart des Églises orthodoxes dans le COE et qui semble maintenant toucher à sa fin. En fait il n’y a plus guère qu’en France qu’on trouve des œcuménistes orthodoxes. Mais le traumatisme causé par les faiblesses des juridictions orthodoxes devant les pressions du mouvement œcuméniste (qui avait été rejoint par la dérive de l’Église catholique) ce traumatisme est tel que certains orthodoxes désemparés ne voient plus que c’est le modernisme qui a tant nui à la santé l’Église orthodoxe et à la pureté de sa Tradition. Ils se bloquent sur un problème de frontières et leur paranoïa obsessionnelle fait que certains rappellent Don Quichotte chargeant les moulins à vent (qu’il prenait pour des Sarazins). Il y a des vocations refoulées d’inquisiteur.

Je suis attentivement une liste de discussion où s’expriment des orthodoxes américains. On y voit périodiquement des zélotes de l’Orthodoxie diffuser des photos censées représenter des cérémonies de concélébration entre évêques catholiques et orthodoxes, ou bien des citations de journaux à sensation qui abondent dans le même sens. Jusqu’où nos évêques nous emmèneront-ils ?

Mais chaque fois qu’on cherche à préciser les faits, on s’aperçoit qu’il s’agit de simples rencontres de courtoisie que la propagande transforme en bobards. Il y probablement eu jadis quelques bavures (dans les années 60 ou 70 ?) Il y bien longtemps qu’il n’y a plus qu’un très vain et très vide ballet diplomatique où les discussions n’en finissent plus de tourner en rond. Bien sûr quand on voit à quoi mène tous ces bavardages, c’est encore trop (mais il y a toujours des photographes pour prendre des photos qui prêtent à confusion). Mais ne parlons pas de concélébrations.

À ce sujet je voudrais faire remarquer que lorsque l’on parle de canons qui interdisent “de prier en commun”, le mot “prier” ne doit pas être compris dans le sens très général qu’il reçoit aujourd’hui. Lorsque les canons de l’Église antique parlent de prières, ou de services, ou d’offrandes, ce sont des euphémismes qui désignent les célébrations eucharistiques. On avait alors le sens du sacré, et on employait des périphrases pour désigner ces célébrations. Ce qui est strictement prohibé par les canons, c’est donc la communion à l’autel, la communauté d’autel entre les orthodoxes et les hérétiques. Cela n’autorise pas à laisser entendre qu’il n’y a qu’une seule Église, ni une Église “transcendante”, ni une super Église, ni une communion invisible etc... Mais cela n’interdit pas de parler ensemble, car il faut bien le faire pour ramener les hérétiques à l’Orthodoxie. On devrait seulement faire attention à ne pas donner l’impression d’une Église invisible commune. Quant à saint Marc d’Éphèse, il n’a pas hésité à aller discuter à Florence pour y discuter avec les catholiques, dans le cadre d’une délégation orthodoxe dont il se doutait bien qu’elle céderait aux pressions catholiques, mais il a exposé fermement et
courtoisement les positions traditionnelles de l’Orthodoxie.

C’est certainement un des effets pervers les plus regrettables de l’œcuménisme que d’avoir poussé tant de bons orthodoxes à s’enfermer dans une sorte de paranoïa qui voudrait à toute force et sous tout prétexte faire avouer au clergé orthodoxe ses péchés de relativisme doctrinal. C’est aussi une faiblesse de ces bons orthodoxes que de se laisser enfermer dans des débats subalternes, se détournant de combats plus nobles, qui seraient la réaffirmation de la théologie patristique, de la place du monachisme dans l’Église. En un mot, le retour aux
sources.
Jean-Louis Palierne



2° Jean-Louis Palierne (10-12-2002 )
Catherine : Le nouveau calendrier, ou calendrier “grégorien” a été créé lorsqu’en 1582 le pape Grégoire XIII a imposé à l’Église catholique d’abandonner le calendrier “julien” que l’Église chrétienne avait trouvé à sa naissance. Ce calendrier “julien” avait été créé par Jules César et était le calendrier utilisé par les actes officiels de l’Empire romain, mais divers peuples utilisaient
traditionnellement d’autres calendriers.
Cette réforme du calendrier a suscité divers remous dans divers pays et n’a été adoptée que très progressivement. Le royaume de France a tardé à l’appliquer (je ne sais plus à quelle date elle a été adopté en France, et l’Angleterre, qui n’était pas papiste, a attendu encore plus longtemps, au XVIIIe siècle, si bien que les colonies anglaises du Nouveau Monde, ont commencé par pratiquer le calendrier “julien”). Les nations qui était restées dans la communion orthodoxe, tant celles qui étaient de langue grecque que celles qui étaient de langue slave,
ont tenu à ignorer le calendrier grégorien, et ont estimé qu’il faisait partie des innovations latines que les occidentaux tentaient de leur faire adopter. C’était l’époque où l’Église catholique multipliait ses efforts pour imposer une prétendue “Union” aux Églises orthodoxes et créait des schismes dits “uniates” de rite byzantin mais rattachés à Rome dans les nations orthodoxes.
L’amertume créée dans les nations orthodoxes, dont beaucoup se trouvaient sous le joug de l’Islam (arabe ou ottoman), ou bien sous la domination de pays occidentaux (le royaume polono-lithuanien et les états des Habsbourg), cette amertume a été grande et a laissé des traces jusqu’à nos jours.
Au XXe siècle des mouvements en faveurs de la “modernisation” de l’Église orthodoxe sont apparus dans les pays concernés, et visaient à accompagner la transformation des États indépendants orthodoxes (tout d’abord la Russie moscovite, puis son extension aux dépens de la Lithuanie et de la Pologne, puis les États nés des indépendances balkaniques du XIXe siècle) en États fortement structurés sur le modèle des pays d’Europe occidentale. Le concile pan-russe de 1917, à l’extrême fin du tsarisme, devait adopter le calendrier
grégorien, mais il a été dispersé par le coup d’État bolchevik avant les décisions finales.
À la fin de la Ière Guerre mondiale, l’empire ottoman s’écroula et les Alliés en occupèrent diverses parties, en particulier Constantinople et Smyrne. Un prêtre aventurier du nom de Mélétios Métaxakis, qui avait déjà réussi dans le passé à plusieurs reprises de se faire élire à la tête de plusieurs sièges orthodoxes des plus importants (je n’en ai pas la liste sous la main) parvint à la faveur de cette occupation à se faire élire au patriarcat de Constantinople. Il tenta d’imposer plusieurs réformes occidentalisantes aux Églises orthodoxes qui reconnaissaient son autorité (De même c’est lui qui reconnut “l’Église vivante” que le gouvernement bolchevik avait suscitée en Russie pour combattre l’influence encore forte de l’Église orthodoxe, alors qu’il refusait de reconnaître les évêques russes fugitifs fuyant le pouvoir bolchevik). J’aimerais que quelqu’un puisse m’indiquer la succession et la chronologie exacte et globale des événements qui bouleversèrent la totalité de l’Église orthodoxe depuis 1917 jusqu’au cours des années 1920.
Peu après des tentatives de transformer les Églises traditionnelles des pays orthodoxes en Églises nationales, soudées indissolublement aux États-Nations, apparurent dans les pays balkaniques. En Roumanie le patriarche Miron et à Athènes l’archevêque Chrysostome imposèrent eux aussi des modernisations autoritaires. Ces différentes modernisations provoquèrent un immense désarroi dans les peuples orthodoxes, cependant qu’elles entraînaient un appauvrissement intellectuel et spirituel de leurs clergés. Malheureusement les réactions se polarisèrent autour de la réforme du calendrier qui ne représentaient qu’un élément très partiel et mineur de ces tentatives de “modernisation”. C’est pourquoi il existe encore de nos jours une division au sein de l’Orthodoxie entre des Églises “néo-calendaristes” et d’autres “vieilles-calendaristes” (“paléo-hémérologistes” en grec).
Mais il ne s’agit pas là d’un schisme qui porterait sur les données de la Révélation et les dogmes de la foi exposés dans le Symbole de Nicée-Constantinople, et le fait que cette innovation ait été imposée par deux fois (par le pape puis par Métaxakis) aux Églises orthodoxes par des méthodes qui s’opposent à la fois à la canonicité et à la conciliarité ne suffit pas à lui conférer le statut d’hérésie.
Jean-Louis Palierne

3° (toujours de Jean-Louis Palierne), même date :
Catherine,
On ne peut parler d’hérésie que lorsqu’un concile des évêques orthodoxes de l’Église universelle a condamné une position doctrinale, et prononcé l’anathème sur ceux qui s’obstinent à la soutenir. L’Église ne brandit pas l’anathème lorsqu’il s’agit de calendrier parce qu’elle se souvient des paroles de l’apôtre Paul aux Romains: “Tel estime un jour plus qu’un autre, tel les estime tous pareils. Que chacun, dans sa façon de penser, ait une opinion arrêtée. Celui qui se préoccupe du jour le fait pour le Seigneur....” Il n’y a pas matière ici à parler d’hérésie ni de schisme.
Il y a eu des mesures coercitive prises contre des gens qui étaient attachés à l’ancien calendrier. Elles étaient inadmissibles et ont amené les Églises qui ont commis de telles fautes à une situation d’appauvrissement spirituel très grave. Mais d’un autre côté les gens qui étaient choqués par les mesures :modernistes prises par les Églises des pays de tradition orthodoxe ont eu tort de croire qu’elles les obligeaient à rompre la communion avec leurs évêques. Et les schismes qu’ils ont provoqués ont connu eux aussi leur punition: de nouveaux schismes et un émiettement presque comique.
Le mouvement de retour aux sources patristiques, à la pureté de la foi orthodoxe, ne doit rien aux errements des paléo-hémérologistes. L’abandon de la théologie académique et scolastique, le retour aux textes spirituels de la Tradition orthodoxe, le renouveau de la vie monastique, tout comme les travaux de Romanidis par exemple, contribuent beaucoup plus à la régénération de l’Orthodoxie que les schismes passéistes.
Jean-Louis Palierne
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