Circoncis et incirconcis:
Le concept même de race était étranger aux hommes de la Bible, aux compatriotes de Jésus. Et, bien entendu, plus encore cette perversion de l'intelligence et de la conscience qu'on nomme racisme. Si les Israélites avaient, en tant que peuple, un orgueil collectif immense, ils n'étaient cependant nullement exclusifs. Pour eux, le fait religieux primait le fait ethnique. Ils appartenaient à la race élue non pas tant parce qu'ils descendaient de tel personnage sacré -bien d'autres hommes, en définitive, ne descendaient-ils pas d'Abraham ?- mais parce qu'ils étaient fidèles à l'Alliance établie entre Dieu et leurs aïeux. Le Livre saint ne racontait-il pas, avec quelque humour, que Jonas, pour avoir refusé d'aller convertir les abominables Ninivites, avait bel et bien fait un séjour dans un monstre marin ? Partout où les Juifs étaient établis hors de Palestine, ils faisaient, nous le verrons, du prosélytisme*. Un païen était méprisé et détesté par un fidèle de Yahweh non point parce qu'il appartenait à une race étrangère,mais parce qu'il pratiquait une religion infâme. Qu'il proclamât sa croyance au Dieu unique, qu'i adoptât la Loi mosaïque, et qu'il acceptât toutes les observances, notamment, dans sa chair, le signe de l'Alliance, a circoncision, et il devenait un frère. En revanche, un frère de race, un habitant de la Terre sainte, qui refusait d'obéir aux préceptes de la religion était, ipso facto, exclu de l'Alliance, il n'appartenait pas à la race d’Israël.
Daniel-Rops, LA VIE QUOTIDIENNE En Palestine au temps de Jésus, Libraire Hachette 1961, p.50-51
*la note renvoie à la page 503 dont voici un extrait:
Un courant d'universalisme existait donc, dont Hillel avait été un des protagoniste : "Aimez vos compagnons sur la terre, aimez toutes les créatures, disait-il, et amenez-les avec vous auprès de la Torah (Aboth,I,12).
Amenez-les avec nous...Il mettait là le doigt sur le problème qui se posait à la communauté juive de son temps -le temps de Jésus aussi, rappelons-le. Elle n'était plus seulement entourée de tous les côtés par les païens, la petite nation fidèle : elle était mêlée à eux;ils étaient mêlés à elle. Il y avait, en Palestine même, des païens avec qui les Juifs étaient bien forcés d'entretenir des relations; et que dire des Juifs de la Diaspora, disséminés en pleins milieux païens ? L'exclusivisme systématique était-il possible ? Difficilement. D'autant que certains de ces païens manifestaient envers le judaïsme une réelle sympathie, qu'ils vivaient "à la juive", acceptaient les "sept principaux commandements" dits encore "commandements des fils de Noé", c'est-à-dire qu'ils pouvaient grossir le petit troupeau fidèle. Les prosélytes, les "craignant Dieu", par leur existence, donnaient raison aux partisans de l'universalisme contre les tenants de l'exclusivisme. Ils étaient nombreux, très nombreux, à en juger par ce que rapporte saint Luc au livre II des Actes (Act., II, 9-11).
Daniel-Rops, LA VIE QUOTIDIENNE En Palestine au temps de Jésus, Libraire Hachette 1961, p.503
Un autre pour appuyer le précédent :
Le prosélytisme était avant tout l'oeuvre de la diaspora, ainsi que le prouve sa riche littérature missionnaire. En Palestine, on inclinait en partie à une attitude passive, qui attendait la venue des païens (d'où προσἠλυτοϛ = celui qui vient). Bien plus, les théologiens de la tendance de Schammaï se montraient sceptique à l'égard des prosélytes. Le rival de Schammaï, Hillel (vers l'an 20 avant J.-C.) était,il est vrai, favorable au prosélytisme (B. Schab. 31 a): "Aime les créatures, et conduis-les à la Thora", dit une des ses sentences (Pirqe Abhoth, I, 12.) Et c'est à la théologie de Hillel que devrait appartenir l'avenir. Mais la limite de l'activité missionnaire juive consistait surtout en ceci, qu'avec elle religion et nation étaient indissolublement liées. La conversion à la religion juive entraînait l'appartenance au peuple juif, la naturalisation; autrement dit: le prosélytisme juif était en même temps une propagande nationale.
Joachim Jeremias, Jésus et les païens, CAHIERS THEOLOGIQUES 39, Delachaux&Niestlé 1956, p.12-13
Et le même auteur continu en faisant cette remarque:
Il est autant plus singulier de constater que la seule parole de Jésus relative au prosélytisme juif est une parole de critique acérée:
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte; et, quand il l'est devenu, vous en faites un fils la géhenne, deux fois plus mauvais que vous
Mat.23. 15
Joachim Jeremias,
Jésus et les païens, CAHIERS THEOLOGIQUES 39, Delachaux&Niestlé 1956, p.13
Pour les commentaires des Pères sur les Evangiles :
Les Évangiles avec les Pères de l'Église
Pourquoi tout ces textes ? ceci surtout à cause du verset qui va suivre et qui classe st Luc parmi les incirconcis :
Epître aux Colossiens 4
10 Aristarque, mon compagnon de captivité, vous salue, ainsi que Marc, le cousin de Barnabas, au sujet duquel vous avez reçu des instructions : s'il vient chez vous, faites-lui bon accueil. 11 Jésus, appelé Justus, (vous salue) aussi. Parmi les circoncis ce sont les seuls qui travaillent avec moi pour le royaume de Dieu ; ils ont été pour moi un réconfort. 12 Épaphras, votre compatriote, vous salue : serviteur du Christ-Jésus, il ne cesse de combattre pour vous dans ses prières, afin que, parfaits et pleinement convaincus de la volonté de Dieu, vous teniez ferme. 13 Je lui rends ce témoignage qu'il prend beaucoup de peine pour vous, pour ceux de Laodicée et pour ceux d'Hiérapolis. 14 Luc, le médecin bien-aimé, vous salue, ainsi que Démas.