JeremyF a écrit : ↑jeu. 04 mai 2017 21:07
Merci Claude pour tes réactions.
J'avoue que j'étais à mille lieux de ces considérations lorsque j'ai écrit ma publication.
Je pensais rester dans le domaine purement dogmatique et spirituel, et tu es parti sur du politique et surtout concentré à la situation française, mêlant qui plus est l'église grecque au milieu.
Je conçois bien que vous ne pourrez pas avoir un avis impartial, le catholicisme étant pour vous "les autres", les "mauvais". Mais je me découvre un amour inconditionnel pour ma hiérarchie, mon évêque, mon "patriarche", même s'ils ne me convainquent pas dans leurs actions, leurs paroles, leurs croyances. L'église de Rome est mon passé, ma culture, mon identité quelque part, et quitter tout ça n'est pas simple pour moi. C'est pourquoi j'espère contre toute espérance que l'église latine puisse réussir ses réformes dans le bon sens. C'est sans doute ce même espoir qui fait que les patriarches orthodoxes ont tant de sympathie pour le "patriarche" de Rome.
J'ai une grande horreur des rapprochements qui s'opèrent entre le catholicisme et le protestantisme. Je suppose que ça vous fait le même effet de voir des rapprochements entre l'orthodoxie et le catholicisme.
Ma démarche avec ce fil de discussion est surtout d'avoir vos avis et impressions sur le cheminement de l'église de Rome en tant qu'entité spirituelle, et non au niveau de ses membres discutables et discutés.
Pourtant, votre question portait bien sur le concile Vatican II.
D'emblée je ne vois pas en quoi Vatican II aurait porté les germes quelconques d'un retour de l'Eglise catholique romaine dans le sein de l'Orthodoxie. Ce n'est pas parce que l'oecuménisme remplace les croisades ou l'uniatisme comme méthode dans les rapports politico-diplomatiques avec les Eglises orthodoxes (mais l'uniatisme n'en sera pas moins réactivé dès que l'occasion s'en présentera) que l'on se retourne le moins du monde à la foi orthodoxe.
Il n'y a pas là d'éléments latents d'un retour à l'Orthodoxie. Un reniement de Pie IX ne fait pas un rapprochement avec saint Photios.
L'essentiel n'est pas là. Quelle est en effet la caractéristique du concile Vatican II, par rapport aux conciles précédents reconnus par le Vatican ?
L'absence de définition dogmatique. Il n'y a donc, expressément, rien de dogmatique dans Vatican II.En politiquement correct, on parle d'un "concile pastoral".
En réalité, à partir de ce moment-là, on rame avec le courant, et on en fait un principe.
Que l'Eglise catholique romaine soit intervenue en politique avant Vatican II, c'est un fait que personne ne peut nier. Mais elle le faisait au nom de sa propre identité et de motivations qui lui étaient propres. Qu'on soit d'accord ou pas avec le modèle de société qu'elle défendait, elle proposait son modèle, qui pouvait être un contre-modèle (le catholicisme politique en France vs la République, avec fort engagement antisémite et antiprotestant au temps de l'affaire Dreyfus). Le cas le plus emblématique était celui du Québec après la défaite totale des patriotes laïcs en 1838 et la montée subséquente du patriotisme clérical: le Québec franco-catholique était expressément conçu et bâti comme le négatif de l'Amérique anglo-protestante.
A partir de Vatican II, non seulement l'implication du catholicisme dans la politique est renforcée au-delà de tout ce qui avait pu exister dans le passé, au point que l'engagement politique, le militantisme, l'action sociale (et leur conséquence inéluctable, la sécularisation ) deviennent l'idéal essentiel proposé aux fidèles (avec comme autre conséquence inéluctable, le déclin des ordres religieux, l'idéal du trappiste étant évidemment incompatible avec celui des JOC, JAC, JEC, etc.), mais, ce qui est plus significatif, cette politisation ne se fait plus au nom d'un modèle de société qui serait propre au catholicisme ou inspiré par le catholicisme, mais par pur opportunisme, au gré des sondages et dans le seul but de maintenir une influence cléricale qui ne s'exerce plus que pour elle-même et non plus dans un dessein plus vaste. Autrement dit, l'application au monde religieux du modèle de l'homme politique qui se donne pour seul but son élection, et non pas ce que son élection pourrait lui permettre de faire.
Avant Vatican II, quand le clergé intervenait, par exemple dans une lutte électorale (ce qui se faisait moins souvent et avec plus de discrétion qu'aujourd'hui), il le faisait au nom de l'idéal d'une société catholique romaine. L'une des très rares mobilisations de masse réussie des catholiques dans la politique française, celle qui se fit sous l'égide du général de Castelnau contre le Cartel des Gauches, avait un objectif expressément catholique: le maintien du concordat en Alsace-Lorraine et le maintien de l'ambassade de France près le Saint-Siège rétablie par le Bloc national. On peut être d'accord ou pas avec ces motivations, mais on comprend quand même qu'elles avaient un rapport avec les intérêts propres du catholicisme.
Or, depuis Vatican II, outre que l'implication de l'Eglise catholique romaine et de ses structures dans la vie politique a atteint des proportions jamais vues auparavant, et totalement ridicules au vu de la sécularisation des sociétés européennes, cette immixtion de la religion dans la vie politique ne se fait plus pour la défense du catholicisme lui-même, mais au gré du vent, dans le but de maintenir de bons rapports avec les politiciens en place, quelles que soient leurs convictions. Avant Vatican II, le catholicisme romain n'hésitait pas à aller jusqu'à l'épreuve de force, au nom de la défense de son propre projet de société. Depuis Vatican II, il s'agit de se maintenir à flots au gré des sondages... d'où les 77% d'évêques marxistes en France en 1978 (cf. Jean Bourdarias,
Les évêques de France et le marxisme, Fayard, Paris 1991, très complet sur la question) et aujourd'hui, les prises de position, intempestives jusqu'au ridicule, en faveur d'hommes politiques favorables à l'avortement de masse, très engagés en faveur de la cause du mariage homosexuel ou fondamentalement anti-chrétiens, mais portés par les sondages.
Il ne s'agit pas simplement, à mon sens, du cheminement de "
membres discutables et discutés" du clergé, mais, malheureusement, de l'implication de l'Eglise catholique romaine en tant qu'entité. Le militantisme, l'immixtion dans la vie politique jusque dans ses manifestations les plus dérisoires, l'agitation sociale sont faussement présentés comme un chemin spirituel. La "théologie de la libération" n'est pas née par génération spontanée. Lisez
Le Dernier Pape de Paternot et Veraldi; ils sont bien documentés sur ce point. Jamais autant que depuis Vatican II, César ne s'est confondu avec Dieu. Quitte à décourager les vocations sacerdotales et religieuses, à dégoûter clergé et laïcs (il suffit de se souvenir des taux effrayants de déprêtrisation constatés au Québec ou aux Pays-Bas dans les années 1966-1978).
Je ne dis pas que c'était bien sous Pie XII, et il y aura toujours un Jasenovac entre ce catholicisme-là et moi. Mais je constate simplement que Pie XII faisait certaines choses au nom de la construction d'une cité catholique. J'ai l'impression très forte que, depuis Vatican II, on fait des choses assez similaires au nom de l'air du temps.
Autrement dit, ce n'est plus aujourd'hui que Maurras risquerait l'excommunication. Comment pourrait-on d'ailleurs encore justifier une excommunication quand on voit tout l'appareil clérical apporter son soutien à des hommes politiques qui par leur action, leurs choix, leurs propos, leurs votes, leur propre mode de vie, s'opposent frontalement à toutes les valeurs de base du catholicisme ?
Le fait que des orthodoxes "grecs" ou des monophysites arméniens participent à ce mouvement montre seulement que l'esprit de Vatican II pénètre aussi dans l'Eglise orthodoxe et les anciennes Eglises orientales... du moins, s'agissant des orthodoxes, dans des communautés numériquement faibles et en marge de la masse démographique des fidèles.
Vous avez posé la question de Vatican II. Je vous ai répondu par un exemple concret de l'esprit de Vatican II, pris au hasard de la presse du jour.
Par ailleurs, je n'éprouve pas, pour citer vos paroles, un "
amour inconditionnel pour ma hiérarchie, mon évêque, mon "patriarche", même s'ils ne me convainquent pas dans leurs actions, leurs paroles, leurs croyances". Le seul chef de l'Eglise, c'est le Christ. Je n'ai pas à suivre mon évêque ou mon patriarche s'ils se séparent de la foi orthodoxe. Saint Maxime le Confesseur, lorsqu'il refusait l'hérésie du monothélisme, n'était en communion avec le pape de Rome, ni avec le patriarche de Constantinople, mais il était en communion avec tous ceux qui étaient restés fidèles à la foi orthodoxe. Je suis un chrétien baptisé et un enfant de Dieu qui m'a créé avec une conscience et une intelligence pour Le servir et qui ne m'a pas mis sur terre pour être l'instrument d'une "hiérarchie" qui s'éloignerait de l'orthodoxie (= la doctrine juste) et de l'orthopraxie ( = la pratique juste). Je ne vois pas pourquoi je devrais avoir un "amour inconditionnel" (autre que l'amour que je dois à toute personne) pour un prélat hérétique, simoniaque, scandaleux ou tout simplement grotesque. Dieu m'a créé avec la faculté de penser et de constater et je n'ai pas l'intention de renoncer à l'usage de cette faculté. Je suis un membre de l'Eglise voulue et fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ, pas un instrument de Monseigneur X ou Y. Comment pourrais-je oublier que là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie ? L'habit ne fait pas le moine !
Comme me disait le vénérable évêque Justinien du Maramureș, "l'Orthodoxie, c'est la liberté".
Pour en venir à un autre point que vous évoquez, je suis d'origine française aussi bien en ligne paternelle que maternelle et ne suis Suisse que par volonté, éducation, engagement. Si mon présent et mon avenir sont suisses, "
mon passé, ma culture, mon identité quelque part", pour reprendre votre formule qu dit tout en quelques mots, c'est l'Eglise orthodoxe telle qu'elle a été implantée sur l'actuel territoire français par les sept saints fondateurs de la Gaule, par les martyrs de Lyon, par l'empereur Constantin et le roi Clovis, et c'est un peu aussi, je le confesse, l'Eglise gallicane qui conservait des traces d'orthodoxie jusqu'à ce qu'elle soit définitivement anéantie par le Concordat de 1801, ce qui a été longuement expliqué ailleurs sur ce forum. Bien, et où est le problème ? Les saints orthodoxes du Berry, de l'Alsace et de la Franche-Comté, je les porte dans mon cœur, je les ai transportés avec moi dans ma nouvelle patrie, et l'icône de saint Claude de Besançon est accrochée à côté de celle de saint Gall, éponyme de la ville du même nom. Et si, Dieu voulant, mon fils doit un jour faire sa vie en Amérique, l'icône de saint Germain de l'Alaska s'ajoutera à celles de saint Claude et de saint Gall. Citoyens des cieux, étrangers sur la terre, mais s'efforçant quand même de rester fidèles à la langue familiale, à la culture ancestrale et à la patrie reçue ou choisie. Ce n'est pas si difficile. Cela fait deux mille ans que les chrétiens pratiquent cet exercice avec un certain succès.