Examen critique des applications de la théologie

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J-Gabriel
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Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

Voilà ci-dessous un article que j'ai pu lire il y a quelques années et depuis j'ai toujours voulu le partager sur un blog ou ici même. Je n'en dit pas trop pour l'instant puisque tout est dit dans le texte de présentation au début, et je vais faire de mon mieux pour recopier tout ça. En vous souhaitant une bonne semaine Sainte.
Revue La Lumière du Thabor n.17 p54-55

PROCES VERBAUX DU DEUXIEME CONGRES DE THEOLOGIE ORTHODOXE tenu à Athènes en 1976, publiés par les soins de Professeur S.C. Agouridès.

En 1976 s’est tenu à Athènes un Congrès de Théologie Orthodoxe dont les Actes –variés et inégaux dans leur contenu– ont été écrits dans différentes langues : anglais, français et allemand. Parmi les textes parus en français, on notera particulièrement ceux du Professeur Mouratidis : "Esprit communautaire et conciliarité" et du Professeur C.Andronikov, "Liturgie et Spiritualité". Le plus remarquable des textes de langues anglaise est celui du Professeur P. Jean Romanidis, sous le titre : "Critical examination of the applications of Theology".

Le Professeur Romanidis y aborde une des différences théologiques fondamentales –quoique largement méconnue– qui oppose la Tradition patristique orthodoxe aux traditions occidentales –catholique et protestante : la nature de la Révélation.

Pour les théologiens occidentaux, la Révélation est un savoir intellectuel sur Dieu, et s’identifie à la Bible, dont le Pape (pour les catholiques), tout fidèle (pour les protestants) sont les interprètes autorisés. D’où l’apparition d’une théologie à la fois individuelle et plurielle qui a fait exploser les dogmes universels, conciliaires et œcuméniques de l’Eglise en Occident. Ensuite, sous les coups de l’Ecole Critique Biblique, s’est effondrée, depuis le XIXème siècle, l’idée d’une Révélation, absolue, transcendante, dont la Bible serait non seulement l’expression, mais la stricte équivalence : à force de reconnaître les influences culturelles et linguistiques, diverses et multiples qui se sont exercées sur les Ecritures, on conclut que celles-ci ne contiennent nulle vérité absolue, mais ne sont qu’une expression parmi d’autres (et influencée par d’autres) de la tentative humaine de connaître Dieu ; par conséquent, nullement la Révélation une et unique.

Le Professeur Romanidis montre que cet aboutissement relativiste et, en fin de compte, athée, qui achève la théologie occidentale, est la conclusion logique d’une thèse de départ qui est étrangère à la Tradition orthodoxe et aux Pères de l’Eglise : pour les Prophètes, les Apôtres, les Saints et les Pères de l’Eglise, la Bible n’EST pas la Révélation, l’expression –culturellement déterminée– d’une expérience de l’union à la Trinité, expérience qui transcende tout langage, tout concept, et donc la Bible elle-même, et qui est proprement la Révélation. Le mystère ineffable que renferme la Bible –le Royaume des Cieux– est cette expérience de la déification, qui est commune à tous les saints orthodoxes et dont la forme la plus haute est la Pentecôte.

D’où une triple conclusion :

1) La déification, expérience commune aux Prophètes, aux Apôtres, aux saints, révèle seule l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament en Jésus Christ.
2) Cette expérience est le fondement de la théologie, ainsi distincte de toute "philosophie spéculative".
3) La Pentecôte n’est pas un événement passé, mais se perpétue jusqu’à la fin. Ainsi la Révélation n’a pas été donnée une fois pour toutes, elle est vérifiée empiriquement par ceux qui partagent la déification des Prophètes et des Apôtres.

Nous avons traduit ci-dessous l’essentiel de l’article du Père Jean Romanidis.
Examen critique des applications de la théologie
Professeur Jean Romanidis
(REVELETION ET EXPERIENCE DE DIEU selon les Pères)

Le sujet qui nous a été donné présuppose l’interdépendance entre, d’une part, les principes théoriques de toute discipline scientifique et, d’autre part, ses applications pratiques à la fois aux besoins de l’homme et à la vérification et promotion de ces données théoriques elles-mêmes.

Il est donc question, ici, non seulement de la recherche pure, qui vise à la connaissance pour elle-même –laquelle peut, d’ailleurs, à un moment donné, se révéler aussi utile– mais également de celle qui répond, dès à présent, aux besoins de la société en général et de l’homme en particulier.

La science moderne a développé une méthode qui consiste à combiner, par imagination, un certain nombre d’hypothèses théoriques et, ensuite, à les soumettre au test critique d’une expérimentation plusieurs fois répétable, pour voir selon quelle combinaison d’éléments et de circonstances les affectant, les résultats prédits par la théorie se produisent.

Ce fait premier, joint au développement d’instruments capables de détecter, de mesurer et d’analyser, outre les objets à notre portée, ceux qui se trouvent éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, crée une situation proprement vertigineuse pour quiconque cherche à se tenir informé de la recherche contemporaine.

Toutefois, les méthodes utilisées avec tant de succès dans le domaine de la structure physique et biologique de l’univers, n’ont pas rencontré un succès identique dans d’autres domaines scientifiques, tels l’histoire, la sociologie, la science politique, l’économie, la psychologie, la pédagogie, la religion et la plupart des théologies.

Presque toutes les théologiens, en effet, ainsi que la plupart des philosophies, ont été balayées par l’esprit critique moderne, qui ne reconnaît plus la spéculation fondée sur une autorité, à moins que cette autorité ne puisse être formulée en axiomes vérifiés par l’expérience ; ces axiomes, à leur tour, laissent le champ ouvert à de nouvelles expérimentations et à de nouveaux axiomes.

L’idée même de vérités inchangeables et immuables, qui seraient cachées derrière, sous-jacentes, ou transcendantes à la structure observable et mesurable du réel, –ou à la réalité invisible et non-mesurable–, cette idée si chère aux système philosophiques et théologiques de tradition latine et protestante, a été sérieusement battue en brèche par une vérité dont l’évidence crève aujourd’hui les yeux : toutes les choses, quoique soumises à un modèle continu et répétitif, sont dans un perpétuel état de changement, de développement et de transformation.

Il y a quelque chose de plaisant à entendre ces groupes religieux qui, autrefois, attachaient tant de valeur aux choses qui ne changent ni ne passent, parler sans cesse aujourd’hui du changement, de ses miracles et de ses vertus, jusqu’à lui attribuer le pouvoir de rassembler les chrétiens divisés dans une unité toujours croissante et fluctuante.

Nous abordons ce sujet gardant à l’esprit (1) l’examen critique utilisé dans le champ de la recherche en général, (2) le sujet de notre conférence et (3) le titre de la présente sous-section : "La Théologie dans le Renouveau de la Vie de l’Eglise".

En tout état de cause, nous ne pouvons discuter des applications de la théologie avant d’avoir déterminé quelle théologie particulière on veut appliquer. L’examen des "applications" de la théologie commence donc par l’examen de la "théologie" qui est à appliquer.


A : EXAMEN CRITIQUE

La première question à poser est la suivante : existe-t-il, parmi les méthodes de recherche et d’expérimentation en usage dans les disciplines scientifiques et sociologiques contemporaines, une méthode que l’on puisse appliquer à la Théologie Orthodoxe et à ses applications ?

La réponse à cette question demande qu’on détermine le sujet et le but de la Théologie Orthodoxe, et leur mode d’application.

Ici, nous rencontrons la question de la nature de la théologie et des critères à utiliser pour en vérifier l’authenticité.

1) La théologie est-elle révélé de manière autoritaire, de sorte qu’elle ne puisse être mise en question et soumise à l’expérimentation critique selon les méthodes en usage dans d’autres disciplines ?
2) Ou bien est-elle une exposition d’hypothèses spéculatives qui peuvent être soumises à une expérimentation scientifique selon les méthodes usuelles et ainsi être acceptées comme des axiomes dogmatiques ?
3) Ou bien, enfin, la théologie est-elle une combinaison d’axiomes dogmatiques révélés autoritairement, mais qui peuvent être analysés par la raison pour aboutir à une compréhension plus profonde et progressivement meilleure ?

Dans ces trois possibilités, la question de la révélation elle-même présente de sérieux problèmes pour l’application de la recherche et des méthodes d’expérimentation connues et utilisées par les chercheurs d’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que ce qui est accepté comme révélé devient le critère même (de la vérité) et ne peut être soumis à l’examen et à l’évaluation critique par les méthodes de recherche de la connaissance en usage, à moins que l’on ne démontre que cette "vérité révélé" appartient elle-même à cette même catégorie de connaissance (vérifiables par expérimentation). Dans cette hypothèse, ce que certains considèrent, à telle époque donnée, comme des dogmes et des axiomes révélés peut être, à une époque ultérieure, soit rejeté par l’examen critique scientifique (que les partisans de ces dogmes l’acceptent ou non), soit, au contraire, être acceptés au terme de cette même recherche scientifique et sociologique.

1) a) Etant donné que l’examen critique des applications de la théologie dépend directement de ce que l’on entend par "Révélation", il peut être utile de montrer ce qu’il est advenu de ces traditions latines et protestantes qui ont identifié avec la Bible soit le germe de la Révélation, soit la Révélation elle-même dans son ensemble.
Il semble que les traditions latines et protestantes étaient inévitablement destinées à recevoir le rude coup que leur porta leur propre critique biblique fondée sur la recherche historique. Cette dernière a pour but
1) De reconstruire les conditions de vie dans lesquelles ont été écrites chaque partie de la Bible ;
2) d’examiner les genres littéraires et les formes de Prédication ainsi que les méthodes utilisés par les auteurs Sacrés, pour les comparer avec les données extra-bibliques ;
3) enfin, de comparer les idées bibliques avec d’autres modèles de pensée et de croyances pour déterminer le degré d’interdépendance entre ces diverses traditions.

Mon opinion personnelle est que les résultats, bien que ruineux pour les traditions latines et protestantes, constituent une excellente purification (catharsis) et devraient être une bonne leçon pour tous ceux qui, parmi les orthodoxes, ont abandonné la tradition patristique et ont identifié la Révélation avec la Bible ou pour ceux qui pensent que tel est l’enseignement des Pères.

Au premier groupe appartiennent les "orthodoxes" fondamentalistes modernes que l’on appelle "conservateurs" ; et au second appartiennent les "orthodoxes" modernes "anti-fondamentalistes" que l’on pourrait appeler "libéraux". On doit préciser qu’aucune de ces distinctions n’est fondée sur la tradition patristique étant donné que les Pères ne sont pas "fondammentalistes".

b) 1/ La thèse latine et protestante selon laquelle la Bible est le Verbe de Dieu, ou la Révélation, vient à l’origine d’Augustin qui croyait que Dieu apparait aux prophètes par l’entremise de créatures qu’il mène à l’être afin que, par elles, il puisse être vu et entendu. Après avoir été vus et entendus, ces intermédiaires créés retournent au non-être.
Cette révélation au moyen de symboles vus et entendus, qui apparaissent pour ensuite disparaître, qui touchent l’intellect du prophète par l’entremise des sens, est la forme la plus basse de la Révélation.
2/ La forme la plus haute est "l’injection", "l’infusion" direct dans l’esprit du prophète ou de l’apôtre, du concept, de l’idée ou de l’enseignement que Dieu veut révéler.
3/ Outre ces deux formes de révélation, il y a également la vision ou l’expérience de "l’essence" divine (?) par l’âme, vision transcendant toutes les limitations physiques et sensorielles de l’espace-temps ; dans une extase non-discursive. Une telle expérience, toutefois, ne s’identifie pas nécessairement avec la Révélation, à moins que les idées et les concepts concernant Dieu ne soient reçus par l’intellect pour être transmis à d’autres. Toutefois, ce n’est pas ce qui arrive dans de telles extases qui sont habituellement associées à une perte totale du contact avec l’espace et le temps et par conséquent de leur contenu expérimental. Cette intuition extatique est prétendument une expérience de l’intellect aidé par la grâce et libéré de l’espace et du temps, c'est-à-dire des limitations physiques et sensorielles. Du point de vue patristique cette expérience est démoniaque.

Latin et Protestants s’accordent, d’ordinaire, sur les points 1 et 2, mais non pas toujours sur le point 3 qui, a été associé à la contemplation monastique, rejetée généralement par le protestantisme, et toujours par les Orthodoxes.

Ce qui est, pour nous, d’un intérêt immédiat au sujet des points 1 et 2, c’est qu’ils ont pris les traditions latines et protestantes au pièges des thèses "fondamentalistes", thèses que la critique moderne protestante et la critique latine biblique se sont appliquées à éprouver, et à détruire de fond en comble.

Le point assurément le plus faible du fondamentalisme biblique est l’idée que la Bible est non seulement divinement inspirée, mais, davantage, un livre dicté par Dieu afin d’être Sa révélation à l’homme.

Ainsi la Bible était devenue gigantesque axiome révélé qui constituait le critère absolu, non seulement pour toute question concernant Dieu et Sa relation au monde par le Christ et le Saint Esprit, mais, aussi bien, pour toute enquête sur la structure de l’univers, le processus de développement dans la nature, et l’histoire de l’homme.

L’étonnant est que, malgré les recherches de la critique moderne, la Bible reste toujours, dans la tradition latine et protestante, identifiée à la révélation par ceux qui demeurent des "croyants" au sens plus au moins traditionnel. Pourquoi cela ? Parce que la seule forme de Révélation que connaissent les Latins et les Protestants –la seule idée qu’ils en ont– est la révélation de concepts intelligibles par un intellect éclairé par la foi et la grâce.

c) Afin de faire le tour de ces observations dur l’usage de l’examen critique à l’intérieur des traditions latine et protestante, nous devons garder à l’esprit les tendances historiques générales que voici, qui jouent dans le développement des critères et des autorités qui règlent l’interprétation des Ecritures et la promulgation des formules dogmatiques et des confessions de foi.

L’identité de la Bible et de la Révélation acceptée, il faut trouver, pour définir l’interprétation dogmatique ou confessionnelle correcte de l’Ecriture, une autorité, telle qu’elle coexiste dans l’histoire avec la Bible.

La détermination de la nature et des limites de cette autorité dépend à son tour, inévitablement, du cadre de référence accepté, où la révélation a déjà été identifiées, ou réduite, à la révélation des signes linguistiques ou imagés portant sur Dieu et sur Sa relation au monde et l’homme par le Christ et le Saint Esprit. Cette révélation de mots et de symboles iconiques implique, pour tout homme, à la fois le devoir et la capacité de comprendre, par la foi et la grâce, la signification de ces mots et de ces images.

Ce qui a deux conséquences : la révélation, d’une part, s’adresse à la faculté humaine de comprendre, par la foi et la grâce ; mais d’autre part, elle est elle-même une certaine quantité d’information, donnée sous une forme complète, qui peut être possédée quantitativement à la fois par les croyants individuels et par le corps collectif de l’Eglise, voire même par les hérétiques ou les non-croyants.

Voilà pourquoi les sociétés bibliques anglaises et américaines ont une telle propension à distribuer la Bible à droite et à gauche. C’est qu’ils distribuent en effet, selon eux, la révélation de Dieu à l’homme, avec la conviction que ceux qui sont prédestinés au salut seront inspirés par le Saint Esprit pour la lire et la comprendre.

Jusqu’à l’époque de la Réforme protestante, les Latins acceptaient généralement la croyance d’Augustin selon laquelle l’Eglise est une société de fidèles prédestinés qui ont reçu le don de comprendre la révélation dans la Bible, après l’avoir acceptée par la foi. Pour Augustin, l’autorité ultime dans l’interprétation de cette révélation est l’Eglise.

Toutefois, selon Augustin, l’Eglise n’a pas dès l’origine une pleine intelligence des enseignements du Christ. De même que les croyants individuels doivent, dans un premier temps, accepter les dogmes de la foi, en faisant confiance à l’autorité de l’Eglise, pour ensuite, dans un second temps, arriver, par l’effort, à comprendre cette foi, de même l’Eglise accroît avec le temps sa propre intelligence de la révélation.

Sous-jacente à cette conception de la révélation et de sa compréhension par l croyant et l’Eglise –conception qui devint la colonne vertébrale de la tradition franco-latine, à cause surtout de la querelle du Filioque– se trouve la croyance que Dieu a donné à l’Eglise la Bible et le Saint Esprit : la Bible, pour qu’elle ait la révélation dans un livre ; le Saint Esprit, pour éclairer, elle et ses fidèles, et leur faire comprendre ce livre.

Ainsi, pour Augustin, la promesse faite par le Christ aux Apôtres de leur donner l’Esprit Saint "qui procède du Père" et qui devait les guider "dans toute la vérité", s’adresse, non pas seulement au fidèle en général, mais à l’Eglise elle-même, que l’Esprit Saint conduira "dans toute la vérité".

Ainsi, quelque 350 ans après la Pentecôte, en l’an 393, nous trouvons dans la bouche d’Augustin, s’adressant aux évêques de la Province Romaine d’Afrique réunis à Carthage, cette opinion incroyablement naïve : « Pour le Saint Esprit, toutefois, il n’y a pas eu, de la part des savants et distingués commentateurs des Saintes Ecritures, de discussion suffisamment développés et attentives sur le sujet pour que nous puissions saisir clairement ce qui constitue son individualité propre (Proprium) ».

On sait que, selon Augustin, nous devons d’abord accepter la Bible et ses dogmes par la foi et par l’autorité de l’Eglise, et ensuite faire tous nos efforts pour les comprendre.

Mais, toujours selon Augustin, celui qui se trouve réconcilié avec Dieu et devient un ami de Dieu, connaît intellectuellement, non seulement les actes et la gloire de Dieu, mais "toutes les choses cachées" de Dieu, y compris l’essence même de Dieu.

Cette opinion, Augustin l’affirme le plus clairement du monde : « Dans la mesure où nous serons réconciliés et ramenés à l’amitié divine par la charité, nous pourrons connaître toutes les choses secrètes de Dieu… » Ce qu’Augustin entend par ces mots apparaît clairement à la lumière de ce qu’il dit ailleurs, quelques années plus tard : « Je ne serai pas nonchalant à scruter la substance de Dieu, soit dans Ses Ecritures, soit par la créature ». Cette recherche de l’essence de Dieu, recherche appuyée sue les Ecritures et la philosophie, est restée la méthode théologique constante d’Augustin et est devenu le cœur même de la tradition théologique franque qu’on appelle communément, aujourd’hui, la théologie scolastique.

Toute la démarche augustinienne à l’endroit de la Bible et de la théologie se fonde sur l’idée qu’il existe des "universaux", des modèles incréés des choses, et par conséquent, qu’il y a, entre Dieu et sa créature, entre l’Incréé et le crée, une réelle analogie, de sorte que tous deux appartiennent à un seul et même système de vérité, que l’entendement humain peut concevoir, surtout lorsqu’il a reçu la révélation, et exprimer adéquatement par des mots et des images au contenu purement intellectuel.

Le premier coup ruineux porté à cette méthode d’approche fut l’œuvre des nouveaux disciples d’Aristote qui fleurirent dans le royaume frank au XIIIème siècle et qui aboutit à la synthèse thomiste harmonisant. Platon, Aristote et Augustin, auxquels elle ajoutait la lecture franque, faussée, de Denys l’Aréopagite et de Jean Damascène.

La chose étrange est que les Franks se trouvaient dans l’incapacité de voir que Denys l’Aréopagite tout comme Jean Damascène s’accordent pleinement avec les premiers Pères pour affirmer qu’il n’y a pas d’universaux incréés dont les créatures seraient les copies, parce qu’il n’existe absolument aucune analogie entre le créé et l’incréé. Cette cécité tient au fait que les Franks ont élevé Augustin au rang suprême parmi les Pères de l’Eglise et l’ont considéré comme le meilleur interprète de la Tradition Patristique, en sorte que sa théologie est censée être, non seulement identique à celle des autres Pères, mais le modèle même de toute Théologie Patristique. Telle étant la situation d’Augustin dans l’imaginaire des théologiens franks, il ne peut y avoir, pour eux, de contradiction entre Augustin et les autre Pères de l’Eglise. Augustin, raisonnent-ils, accepte les universaux platoniciens : donc les autres Pères les acceptent aussi.

Le deuxième assaut dévastateur lancé contre ces fondements platoniciens de la tradition franque et augustinienne vint des Nominalistes, puis de Martin Luther ; et finalement, ces fondements se sont effondrés pour de bon à la fin du siècle dernier, avec l’écroulement des façons classiques de comprendre la philosophie.

La science moderne a prouvé par tant de voies qu’il n’y avait pas la moindre trace de l’existence de "natures", de "formes" ou d’"espèce invariantes et immuables, qu’un doute immense s’est levé quant à la possibilité même de ces fameux archétypes immuables dont les choses de l’univers seraient les copies. Ce point acquis, il a entraîné dans une chute générale tout l’ancien système de croyance des Latins et des Protestants, leur foi en l’existence des vérités, des lois et des normes morales immuables et intangibles, toutes se trouvant réduites à de simples critères passagers dans le développement historique de la pensée humaine. Même la confiance que les Nominalistes et Luther gardaient encore dans la Bible, où ils voyaient l’immuable vérité, la loi et la norme morale révélées par Dieu, cette confiance est partie en fumée sous la pression de la critique biblique.

d. Le problème le plus sérieux, peut-être, que la tradition latine et protestante ait rencontré est le suivant : l’identification de la révélation avec la Bible, non seulement fait de cette dernière le critère par excellence de l’enseignement de l’Eglise, mais, de surcroît, il la met au-dessus des Prophètes et des Apôtres eux-mêmes. En effet, dans cette conception, les Prophètes et les Apôtres ne sont pas en eux-mêmes des docteurs enseignant infailliblement sur Dieu ; ils ne sont que les moyens et les instruments par lesquels Dieu enseigne infailliblement ce qu’il veut, au moyen de mots et d’images de contenu conceptuel. Dès lors, l’inspiration n’est plus un état spirituel continu du prophète ou de l’apôtre, mais une manière d’être momentanée, un événement limité au temps pendant lequel Dieu transmet à l’humanité une révélation concrète, faites de mots et d’images porteurs de concepts. Ainsi le prophète ou l’apôtre n’est inspiré que durant l’expérience révélatrice, qui consiste à recevoir et à coucher sur le papier la Parole de Dieu. Il peut même se faire qu’il ne comprenne pas pleinement lui-même ce qu’il reçoit et écrit, et c’est là, peut-être, la raison pour laquelle Augustin et ses partisans semblent bien affirmer que l’Eglise comprend mieux, avec le temps, le sens de l’Ecriture, que ne l’avaient fait ceux-là même qui en avaient reçu la révélation.

Quoi qu’il en soit, il est certain, dans ce cadre de présupposés, que le prophète et l’apôtre peuvent se trouver dans l’erreur, ou ne pas posséder une compréhension exacte ou totale de la révélation, lorsqu’ils ne se trouvent pas dans l’état privilégié d’inspiration, de réception, de transmission ou de copie de la Parole de Dieu.

On voit mal comment on pourrait éviter, dans un tel contexte, un questionnement sur le sens de la révélation. On pourrait certes supposer une tradition interprétative se transmettant depuis les Prophètes et les Apôtres, en même temps que la Bible. Mais, à moins que cette tradition n’ait élaboré un critère de l’inspiration et l’interprétation authentique, on n’aura jamais la garantie qu’on comprenne correctement. Les traditions latines et protestantes ont identifié cette garantie au Saint Esprit donné par Dieu à l’Eglise de par le Christ ; ce qui a conduit les premiers à centrer cette garantie dur le Pape ; et les seconds à l’idée que le Saint Esprit inspire directement des individus par des voies moins institutionnelles que les papes ou les conciles d’évêques.


Revue La Lumière du Thabor 17, Sébastopol, 1988 p.56-65
Dernière modification par J-Gabriel le mar. 21 avr. 2015 21:07, modifié 4 fois.
Emmanuel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par Emmanuel »

Ce qui est agaçant dans les travaux du Père Jean Romanidis est qu'il incrimine à longueur d'article Saint Augustin mais ne le cite que de manière sporadique et ne renvoie jamais à tel ou tel de ses écrits de manière précise (pas de note de bas de pages, pas de références).
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

Emmanuel a écrit :Ce qui est agaçant dans les travaux du Père Jean Romanidis est qu'il incrimine à longueur d'article Saint Augustin mais ne le cite que de manière sporadique et ne renvoie jamais à tel ou tel de ses écrits de manière précise (pas de note de bas de pages, pas de références).
Il est vrai qu’il n’y a pas de références sur les origines des citations d’Augustin employées dans cet article. C’est pour cela que je les ai distinguées par une différente forme de guillemets. Ma foi. Je ne peux que conseiller l’excellent et primordiale ouvrage sur le sujet Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie et également Dossier H. Saint Augustin aux éditions l’Age d’Homme, le premier; écrit quelques années après, par ceux qui ont traduit l’article que je suis en train de recopier et le second est un cahier qui regroupe plusieurs textes de divers auteurs dont un du RP. Romanidis (Le Filioque) dans lequel il cite les référence aux écrits d'Augustin.
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

Pour fermer la parenthèse, il m'est important de préciser que les articles, écrits, études etc. du R.P Romanidis ne sont pas systématiquement dirigés contre les idées d'Augustin. Comme nous le voyons sur cet article (et nous le verrons) il dénonce l'influence occidental qu'a subit notre théologie en citant les causes et émet une critique à partir de la théologie patristique.

Une présentation/biographie du père avec interwiew de James Kelley contrelitterature . La même présentation mais plus agréable à lire ici (avec année de naissance différente).

Quelques articles dont Augustin n'est pas en question : orthodoxologie

Et, en anglais, une liste de quelques de ses ouvrages : John S. Romanides


Voilà, désolé de couper court, mais je continue avec l'article :
A ce sujet, il faudrait dire aussi qu’il est difficile de faire une distinction entre les déviations d’avec la tradition patristique qui sont survenues dans la pensée orthodoxe russe au moins depuis Pierre le Grand, et les déviations latines et protestantes ; l’unique différence est que, pour ces orthodoxes non-traditionnels, c’est le concile œcuménique qui a été considéré comme l’autorité biblique, dogmatique et morale la plus haute. Bien que la forme d’une telle approche puisse être trouvée dans la tradition, son aspect russe est plus proche des théories fondamentalistes conciliaires occidentales des XIV-XVIèmes siècles.

Il est aussi très clair que l’identification latine et protestante de la Bible avec la Révélation a envahi le Royaume de Grèce au siècle dernier, alors que la théologie russe y fleurissait, et de là s’est répandue dans les quatre patriarcats romains, de la Nouvelle Rome, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. A vrai dire, ce qui a rendu possible l’essor de cette idée, c’est l’affaiblissement du monachisme patristique résultant du désir d’imiter l’orthodoxie russe des Tsars successeurs de Pierre-le-Grand, très riches, très puissante et donc très attirante.

e. Du point de vue de la méthodologie scientifique moderne, on croit prouver l’identification latine et protestante de la Révélation avec la Bible par le renouvellement, jusque dans l’expérience des hommes d’aujourd’hui, de telles révélations en mots et images venant de Dieu. Certains pensent que dans le passé Mahomet constitue un tel exemple, et qu’il en existe bien d’autres. Mais les Latins et les protestants nient d’habitude la possibilité de telles révélations et affirment que la Bible est un événement unique qui ne peut se répéter. Dès lors il devient impossible de prouver quoi que ce soit, à moins que le langage "pentecostale", qui fait "parler en langues" et se généralise aujourd’hui dans les églises latines et protestantes, puisse être analysé dans sa similitude ou son identité avec les expériences spirituelles et les révélations telles qu’elles sont rapportées dans la Bible.

Lorsqu’on admet le caractère unique et non-renouvelable de la Bible comme le font les latins et les protestants, on en vient à comparer les données bibliques avec les données extra-bibliques et même extra-judéo-chrétiennes dans l’intention de définir cette singularité de la Bible et de déterminer si, par hasard, les écrivains biblique n’ont pas été, malgré tout plus influencé par leur environnement que par le contact direct avec Dieu, comme on le prétend. Cette dernière approche a dominé dans les études bibliques européennes et américaines, en particulier depuis la dernière partie du siècle dernier.

Mon opinion personnelle est que les résultats généraux ont été plutôt désastreux pour la tradition augustinienne-francque dont sont issues les deux traditions latines et protestantes. Augustin n’y est plus cité simplement comme argument d’autorité, mais est lui-même mis en question ; il n’est plus considéré automatiquement comme celui qui a compris la Bible mieux que tous les Pères. Ainsi la tradition scolastique s’est effondrée et l’autorité des réformateurs Luther ou Calvin a faibli aussi.

Tout se passe comme si la tradition du théologien systématique latin ou protestant "montrant le chemin" avait été remplacée par une nouvelle tradition : on y voit l’universitaire protestant bibliciste montrant le chemin, avec derrière lui, le suivant de peu, le chercheur latin (catholique), et, enfin, suivant plutôt à l’odorat que par la vue et l’intelligence, quelques universitaires orthodoxes.


La Lumière du Thabor 17 p.65-67
Dernière modification par J-Gabriel le mer. 22 avr. 2015 15:28, modifié 1 fois.
J-Gabriel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

A propos de l'article "Examen critique des applications de la théologie" dans La Lumière du Thabor n.17 (4ème trimeste 1987), quelques années après sa publication est parue un avertissement au n.26 (2ème trim. 1990) du même périodique. Il est impératif de le lire avant de continuer parce que je recopie le texte dans son intégralité:
Notre ami John S. Romanides, suite à sa dernière visite à Paris, nous précise, à propos de la traduction d’un ses articles, parue dans le numéro 17 de La Lumière du Thabor, qu’il vaut mieux ne jamais traduire Theoria par « contemplation ». A vrai dire nous utilisons tantôt vision, tantôt contemplation, tantôt le terme grec theoria, sans traduire, pour indiquer le caractère précis et technique du mot chez les Pères :
« SUBJECT : correction of the translation of the term theoria in my ''Critical Examination of the Applications of Theology'', in La Lumière du Thabor, n. 17, January-March 1988, pp.67 and 74.

« The patristic and biblical theoria, when used in the sense of glorification/théosis, means vision of the Lord of Glory or of the incarnate and resurrected Lord of Glory which includes the intellect and the body but is at the same time beyond the capacity or the intellect and the body being a gift of God for the perfection of love.
This theoria, has nothing to do with either philosophical, or theological, or religious contemplation and meditation about God which are the source of all heresies according to the Fathers. The reason for this is that there is no road to knowledge of God other than the purification of the heart of all thoughts, its illumination by prayer, and consummated in the glorification of the soul and body in the theoria, the seeing, of God in Christ ( théosis).
Since 1) there is no similarity between the created and the uncreated, and since 2) all thoughts come from the created environment ( as insisted upon by our good friends the ''empiricists'' ), all atempts at meditating upon or contemplating God are not only demonic, but also stupid and non scientific.
In the light of this please note in your periodicle that 1 ) I do not use the terms contemplation and meditation as synonyms for theoria in the above sense, as you translate me to say, e.g. on pp 67 and 74, and as the Augustinian French translate the Gospel of John, and that thererfore 2) the appearance of the tem contemplation is said translation is an error ».
Nous avons gardé le texte anglais pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans l’explication de notre ami !

La Lumière du Thabor n.26, 1990, p.112
Ma traduction (avec l'aide d'un homonyme du Liseur) :
Le terme patristique et biblique theoria, quand il est utilisé dans le sens de glorification/théosis, signifie vision du Seigneur de Gloire ou du Seigneur de Gloire incarné et ressuscité, qui inclut l'intellect et le corps mais qui est en même temps au-delà de la capacité de l'intellect et du corps étant un don de Dieu pour la perfection de l'amour.
Cette theoria n'a rien à voir avec la contemplation ou la méditation théologique ou religieuse à propos de Dieu, qui sont la source de toutes les hérésies selon les Pères. La raison pour cela est qu'il n'y a pas de voie pour la connaissance de Dieu autre que la purification du cœur de toutes pensées, son illumination par la prière et consumée dans la glorification de l'âme et du corps dans la theoria, la vision de Dieu en Christ (théosis).
Puisque
1) il n'y a aucune similarité entre le créé et l'incréé
et puisque
2) toutes les pensées viennent de l'environnement créé (comme le soulignent nos bons amis les empiriques), toutes tentatives de méditer sur/ou de contempler Dieu ne sont pas seulement démoniaques, mais également stupides et non scientifiques.
A la lumière de ceci, notez s'il vous plaît dans votre périodique que
1) je n'utilise pas les termes contemplation et méditation comme synonymes de théoria dans le sens ci-dessus, comme vous me le faites dire en traduction, par exemple page 67 et 74, et comme les Augustiniens français traduisent l'Evangile de saint Jean et que de ce fait
2) l'apparition du terme contemplation dans ladite traduction est une erreur".
Alors soyez attentif à ce qui vient d'être écrit pour ce qui va suivre.
J-Gabriel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

J-Gabriel a écrit :
II a) L’idée même que la Bible puisse être identifié à la Révélation n’est pas seulement ridicule du point de vue patristique, mais évidemment une hérésie. La Bible n’est pas la Révélation, mais parle de la Révélation. La Bible est l’unique critère pour une Révélation authentique, mais celle-ci n’est en aucune façon limitée à la Bible et au temps de la Bible. La Pentecôte est la forme la plus haute de la Révélation, le Saint Esprit ayant conduit, selon la promesse du Christ, les Apôtres dans toute la Vérité. Mais la Pentecôte n’est pas un événement historique unique : c’est une expérience qui se poursuit dans l’Eglise. La glorification, dans et par le Christ, est accordée comme un don à ceux qui ont atteint divers degrés de perfection, c’est-à-dire à ceux qui sont passés de la purification à l’illumination et ont atteint les formes les plus hautes de la "théoria" (contemplation), autrement appelée "théosis" (déification) ou glorification.

En d’autres termes, l’expérience pentecostale des Apôtres constitue le cœur même de la tradition qui est transmise d’âge en âge par le Christ en sorte que l’Eglise Orthodoxe possède en son sein, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, des témoins vivants de la glorification en Christ qui ont, par conséquent la pleine intelligence de la révélation de la Gloire de Dieu dans le Christ.

La Bible n’est pas elle-même la Gloire incréée de Dieu en Christ, ni son humanité glorifiée, c’est pourquoi la Bible n’est pas la Révélation. La Bible par exemple, n’est pas la Pentecôte, mais traite de la Pentecôte. La glorification des Prophètes, des Apôtres et des Saints dans l’humanité du Christ, voilà ce qu’est la Pentecôte en ses différents degrés, et, par conséquent la Révélation. La Pentecôte est, pour l’homme, la forme finale de la glorification en Christ. Ce n’est pas seulement une expérience passée, c’est une expérience continue à l’intérieur de l’Eglise, expérience qui inclut des mots et des images tout en transcendant tout mot et toute image. Elle implique le corps, l’intellect et la faculté noétique, mais ne peut être ni conçue ni exprimée par des mots. Par conséquent l’aspect le plus important de la Révélation pentecostale ne peut être identifié avec la Bible, laquelle est constituée de mots, de concepts et d’images ; c’est pourquoi l’expérience pentecostale est à la fois contenue dans le Bible et transcendante à la Bible. La Bible, en effet, n’est pas en elle-même la révélation pentecostale de la gloire de Dieu dans le Christ par le Saint Esprit.

Pour le dire d’une manière schématique, les concepts et les images sont utilisés par les prophètes, les apôtres et par le Verbe incarné lui-même pour instruire ceux qui cheminent vers la purification et l’illumination –méthode catéchétique qui est celle de la Bible elle-même, et qui, jusqu’à présent est en usage dans l’Eglise. A ceux qui se tiennent hors du cercle des êtres qui ont été illuminés, c’est-à-dire aux hommes qui sont sur le chemin de la purification ou ont encore besoin d’être purifiés, le Christ enseigne la venue du Royaume de Dieu en paraboles dans la mesure où regardant ils ne peuvent voir, et écoutant ils ne peuvent entendre. Il en est ainsi parce que le Royaume de Dieu ne peut se développer dans la faculté noétique que dans la mesure où l’influence du démon en est chassée. En effet, au fur et à mesure que cette influence est chassée et que le Royaume ou la grâce du Christ l’emporte, la faculté noétique commence à se libérer de l’esclavage de l’intellect et du corps, faisant passer l’homme du degré de purification à celui de l’illumination. A ce stade l’être atteint une claire intelligence de ce que les concepts et les images de la Bible veulent signifier et il comprend, de la même façon, ce qu’ils ne veulent pas signifier.

Les concepts et les images concernant Dieu et sa relation au monde dans le Christ par le Saint Esprit sont des expressions de la Révélation qui sont destinées à ceux qui passent par l’étape de la purification et s’élèvent vers les degrés les plus élevés de l’illumination. Toutefois la révélation de la gloire de Dieu dans le Christ et le Saint Esprit transcende l’illumination, laquelle est la connaissance sur le Père, le Fils et le Saint Esprit, mais non pas encore la connaissance de la Sainte Trinité dans l’humanité élevée et glorifiée du Christ à la Pentecôte et après la Pentecôte. L’humanité élevée et glorifiée du Verbe (Logos) qui réside dans le Père et le Saint Esprit ne peut pas être exprimée par des concepts et des images. L’homme ne peut, en effet, ni concevoir, ni exprimer la Sainte Trinité et l’Incarnation du Logos. Mais l’homme glorifié dans et par la nature humaine du Christ peut expérimenter toute la vérité révélée dans la Pentecôte en une expérience qui transcende l’expérience, une vision qui transcende toute vision, une audition qui transcende toute audition, une sensation qui transcende toute sensation, une gustation qui transcende toute gustation, une olfaction qui transcende toute odeur, une connaissance qui transcende toute connaissance, une intelligence qui transcende toute intelligence.

C’est pour cette raison même que la Révélation de la Pentecôte ne peut être exprimée par des mots et des images crées, et par des concepts : le Christ dit à ses disciples qu’ils étaient devenus ses amis en atteignant le degré de l’illumination : « J’ai encore beaucoup d’autre chose à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre maintenant. Quand il sera venu, Lui, l’Esprit de Vérité, il vous conduira dans toute la Vérité ; car ses paroles ne viendront pas de lui-même, mais il parlera de tout ce qu’il aura entendu et vous annoncera les choses à venir. Lui me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi, c’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez de nouveau » (Jean 16, 12-15).

A l’inverse d’Augustin, les Pères de l’Eglise ont à la fois hérité de la Tradition et transmis l’enseignement selon lequel la promesse du Christ de conduire les Apôtres "dans toute la Vérité" s’est accomplie le jour de la Pentecôte.

b) Il est important de garder à l’esprit que, contrairement aux affirmations latines et protestantes, la Révélation n’est pas en elle-même la transmission des concepts et des images dont se servent ceux qui ont reçu la Révélation pour exprimer les actions et la volonté de Dieu à leurs disciples non encore glorifiés. Les concepts bibliques, par conséquent, constituent seulement l’étape préparatoire à la Révélation. Même tous les mots créés du Christ rapportés dans la Bible ne sont qu’une telle étape préparatoire pour la réception des mots incréés de Dieu, qui sont des mots silencieux. Que le Saint Esprit conduise les Apôtres dans toute la Vérité ne signifie pas que certains concepts sur Dieu et sa relation à l’homme et au monde dans le Christ, par le Saint Esprit, ont été révélés avant la Pentecôte, et qu’à la Pentecôte tous les concepts, non encore révélés, ont été alors révélés. S’il en était ainsi, alors la théologie des Pères et des Conciles ne serait rien d’autre que des déviations de la vérité complète révélée à la Pentecôte. Comme nous l’avons déjà vu, la tradition augustinienne (pour laquelle la Révélation n’est que la transmission à l’intellect de concepts et d’idées immuables) applique la promesse du Christ à l’œuvre supposée du Saint Esprit qui conduirait alors les individus et l’Eglise à une meilleure et plus profonde intelligence de ce qui a été révélé. En ce sens l’œuvre des Pères et les Conciles est en quelque manière justifiée. Telle fut la ligne adoptée par les Franks et qui continue de dominer la compréhension théologique latine jusqu’à aujourd’hui.

De ce point de vue la tradition protestante de la "sola scriptura" serait plus proche de la tradition patristique, mais elle diffère radicalement des Pères lorsqu’elle identifie cette "scriptura" avec la parole de Dieu et la révélation.


La Lumière du Thabor 17 p.67-70
Dernière modification par J-Gabriel le mer. 29 avr. 2015 15:23, modifié 1 fois.
J-Gabriel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

c) Etant donné que nous avons développé note exposé en affirmant que le Saint Esprit, le jour de la Pentecôte et dans toute la vie ininterrompue de l’Eglise, révèle aux amis du Christ la gloire incréée et le Royaume de Dieu par l’humanité du Christ habitant en eux, il serait peut-être opportun d’examiner un exemple classique de la tradition patristique. On verra clairement alors la relation entre la tradition vivante continue de l’expérience personnelle de la glorification et les dogmes orthodoxes, et cette relation apparaît comme la clef qui permet de comprendre le sens profond de la Bible. Sans cette "clef" et sans son usage approprié, la Bible reste un mystère caché, même aux plus savants biblicistes qui connaissent et utilisent les méthodes les plus éprouvés par ceux qui sont en dehors du domaine de la vie spirituelle expérimentée par les Pères.

Du point de vue scientifique précisément, il est évident que la meilleure manière de comprendre les révélations de la Gloire de Dieu dans la Bible est de voir si une telle tradition subsiste aujourd’hui, afin de comparer l’une avec l’autre et peut-être de découvrir ainsi le sens et la finalité des termes employés pour exprimer ces révélations dans la Bible, les Pères, les Conciles et les vies des saints.

On peut ici utiliser les décisions et les documents officiels pour montrer l’enseignement officiel de l’Eglise sur les questions qui se posent à nous.

Je ne doute pas que d’aucuns ne manqueront pas de penser qu’il ne s’agit pas là d’une approche très critique et universitaire du sujet. Les complexes d’infériorité culturelle ont conduits certains orthodoxes à croire que c’est un acte d’humilité d’adopter la méthodologie latine et protestante et un acte d’orgueil de suivre uniquement les Pères dans l’interprétation de la Bible, comme l’enseigne dans son ensemble la tradition orthodoxe et les conciles tout particulièrement.

Ainsi nous citerons, comme exemple classique de la méthode théologique ou biblique, des Pères saint Grégoire le Théologien qui, lu dans le contexte de la tradition orthodoxe, ne décrit nullement l’effort spéculatif d’un théologien à système qui cherche à comprendre une révélation donnée dans un lointain passé ; il parle au contraire d’une révélation qui ne diffère en rien de la compréhension qu’on en prend, qui est elle-même compréhension ; qui, loin d’appartenir seulement au passé le plus ancien, existe comme une réalité actuelle ; qui, enfin, n’est pas seulement l’expérience d’une autre, mais la sienne propre.

Voici ce que dit saint Grégoire : « Ce n’est pas à tous qu’il appartient de philosopher sur Dieu ; le sujet n’est pas si vil ni si médiocre ! Et j’ajouterai : il ne convient pas de la faire en tout temps, ni avec le premier venu, ni à n’importe quel sujet ; mais il y a un temps pour le faire, des personnes à élire choisir, et des sujet qu’on peut choisir. Il n’appartient pas à tous de parler de Dieu, parce que ce n’est possible qu’à ceux qui ont été éprouvés et ont atteint le degré de la THEORIA, et, avant ceux-là, à ceux qui se sont purifiés quant à l’âme et au corps, ou, à tout le moins, ont sur le chemin de cette purification ».

Ainsi, pour saint Grégoire, le théologien est celui qui a atteint la THEORIA, –terme-clé de l’Evangile de Jean, dont le Christ se sert lorsqu’il décrit l’œuvre du Saint Esprit conduisant les Apôtres dans toute la vérité : « Il prendra du Mien, et vous l’annoncera. Encore un peu de temps, et vous n’aurez plus la THEORIA, la vision, de moi ("ouketi THEOREITE me") ; et puis encore un peu de temps et vous me VERREZ de nouveau » (Jean 16, 16). Dans la Pentecôte et le temps qui la suit, le Saint Esprit révèle aux amis de Dieu à la fois ce que le Christ tient du père et aussi le Christ en personne, le Verbe Lui-Même, dans et par son humanité. Ces amis de Dieu sont nos théologiens par excellence, parce qu’ils partagent cette expérience de la Pentecôte dans laquelle révélation et intelligence de la révélation s’identifient.

Cependant, on doit souligner que, lorsqu’ils arrivent à cette THEORIA, les amis de Dieu se trouve unis à la fois à la gloire de la Sainte Trinité dans l’humanité du Verbe, et aussi les uns avec les autres. La THEORIA représente donc la forme la plus haute de l’unité mutuelle, dans la gloire du Christ incarné. On comprendra, par conséquent, que tous ceux qui font cette expérience commune, ont la même connaissance de Dieu, et, donc, la même théologie sur Dieu. Il va sans dire que seul celui qui a reçu cette grâce de la révélation de la gloire de Dieu dans le Christ par le Saint Esprit connaît l’expérience identique ou similaire des autres déifiés et comprend les symboles linguistiques et iconiques dont se servent ces êtres glorifiés pour exprimer cette glorification et, enfin, se trouve à même d’utiliser à son tour ces symboles.

Cette unité des saints les uns avec les autres dans la vérité de la gloire de la Sainte Trinité, c’est-à-dire cette unité dans la THEOSIS (déification) ou glorification, dans laquelle les déifiés ont même fois et même intelligence de la foi, parce qu’ils font la même expérience de théosis, de glorification, est le cœur même de l’enseignement du Christ et le couronnement de son action, portés à leur achèvement suprême dans la Pentecôte.

« Sanctifie-les dans la vérité. Ta parole est vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité. Ce n’est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme Toi, Père tues en moi et moi en Toi, pour qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que Tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que Tu m’as donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un –moi en eux et Toi en moi–, afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que Tu m’as envoyé et que Tu le as aimés comme Tu m’as aimé. Père, e veux que LA OU JE SUIS, CEUX QUE TU M’AS DONNES SOIENT AUSSI AVEC MOI, AFIN QU’ILS AIENT LA VISION, LA THEORIA DE MA GLOIRE ("îna THEOROSIN tên doxan tên emên"), celle que Tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne T’as pas connu ; mais moi je T’ai connu, et ceux-ci ont connu que Tu m’as envoyé. Je leur ai fait connaître Ton nom, et je le leur ferai connaître, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et que moi, je sois en eux » (Jean 17, 17-26).

A l’évidence, ce n’est pas là une prière pour l’unité de l’Eglise dans le futur, mais l’unité dans la gloire du Christ donnée aux Apôtres et aux fidèles lors de la Pentecôte. La THEORIA ou vision de la gloire du Père dans le Christ par le Saint Esprit n’est pas seulement une promesse pour le futur, c’est une réalité présente, accomplie parfaitement dans la Pentecôte et continuée dans la vie des saints. Selon saint Grégoire le Théologien, c’est cette THEORIA qui fait d’une personne un théologien et explique l’identité de doctrine qui existe entre tous les théologiens de l’Eglise, depuis les Prophètes jusqu’aux Apôtres et aux saints de l’Eglise.

d) Ayant cela à l’esprit, on prend conscience de l’unité et de l’identité entre l’expérience spirituelle et la doctrine chez les Prophètes, les Apôtres et les saints, ou, pour le dire dans les termes utilisés dans les manuels de dogmatique d’aujourd’hui, de l’unité et identité de la révélation et du dogme et leur distinction radicale d’avec la spéculation rationnelle. On comprend également la nette distinction entre la révélation de la vérité non-conceptuelle, ou plutôt supra-conceptuelle, aux êtres déifiés ou glorifiés en Christ et la formulation de cette expérience en axiomes dogmatiques ou affirmations de foi, selon des termes qui ne sont nullement une tentative spéculative de comprendre intellectuellement les mystères révélés supra-rationnels : cette formulation est rendue nécessaire par l’apparition d’une hérésie concrète surgissant dans une situation historique déterminée et exigeant alors la définition, l’expression de la vérité supra-rationnelle dans des termes compréhensibles à l’intérieur des conditions effectives de vie créées par l’hérésie en question.

Il est alors évident que les formulations doctrinales de la foi et le développement d’une terminologie adéquate dans laquelle ces affirmations sont énoncées ne représentent pas le résultat d’un progrès de l’Eglise vers une compréhension meilleure et plus complète de la Révélation, grâce aux efforts de théologiens spéculatifs cherchant intellectuellement une signification plus profonde de la Révélation, laquelle aurait été insuffisamment et incomplètement comprise par les théologiens antérieurs.

On voit également l’identité existant entre d’une part la Révélation et la capacité à "théologuer" correctement au sujet de la Révélation, et, d’autre part, la vie spirituelle et la perfection en Christ ; l’illumination exige en effet, préalablement la purification, et la THEORIA (contemplation) présuppose l’illumination, car la THEORIA est la révélation de la gloire et de la Vérité en Christ : seule une telle révélation donne la possibilité de "théologuer" correctement sur Dieu, selon saint Grégoire le Théologien.

ibid. p.70-74
J-Gabriel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

e) On ne saurait trop souligner le fait que les orthodoxes et les ariens étaient parfaitement en accord avec la tradition biblique et patristique selon laquelle seul Dieu connaît sa propre essence : celui qui connaît la nature divine est Dieu lui-même par nature. Ainsi pour prouver que le Logos est une créature, les ariens affirmaient que le Logos ne connaît pas l’essence du Père, ni, pour cette raison, sa propre essence. Les orthodoxes affirmaient, eux, que le Logos connaît l’essence du Père, qui est la sienne propre, et que, par conséquent, le Logos est incréé.

Les eunomiens "leur mirent des bâtons dans les roues" et sapèrent les bases, jusque-là acceptées par tous, du débat théologique, en affirmant que ce n’est pas seulement le Logos qui connaît l’essence incréée du Père, mais l’homme également. Par conséquent, le Logos n’est pas nécessairement incréé par la raison qu’il connaît cette essence incréée. A l’encontre de l’affirmation des ariens et des orthodoxes selon laquelle les créatures ne peuvent pas connaître l’essence divine incréée mais seulement l’énergie incréée ou la volonté de Dieu dans ses manifestations multiples quoiqu’indivisibles, les eunomiens affirmaient que l’essence divine et l’énergie incréée sont identiques en sorte que connaître l’un c’est connaître l’autre. Curieusement, Augustin adopta ces positions eunomiennes, à savoir que l’homme peut connaître l’essence divine et qu’il ne peut y avoir de distinction en Dieu entre la substance incréée et l’énergie incréée. C’est pourquoi, lorsque les Franks apparurent en Orient avec ces positions, ils furent accusés d’être eunomiens.

Ces postions augustiniennes, tombées entre les mains des Franks, modifièrent le but de la théologie qui cessa d’être le guide vers la THEORIA (contemplation) de la gloire de Dieu dans l’humanité du Christ, pour devenir une étude ou recherche de la substance divine ; de ce point de vue, on peut vraiment dire que la scolastique francque dépassa de beaucoup la tradition des Pères romains latinophones et hellénophones, lesquels, comme nous l’avons vu, enseignaient unanimement que ni l’homme ni même les anges ne connaissent ni ne connaîtrons jamais l’essence divine, que la Sainte Trinité est seule à connaître.


f) A l’ opposé de l’approche augustinienne et eunomienne des Franks sur le langage conceptuel concernant Dieu, nous avons la position patristique exprimée par saint Grégoire le Théologien dans sa polémique contre les eunomiens.

Platon avait affirmé qu’il est difficile de concevoir Dieu mais que le définir et l’exprimer est chose impossible. Saint Grégoire est en désaccord avec cette affirmation et souligne qu’« il est impossible de l’exprimer et plus impossible encore de le concevoir : car ce qui peut être conçu peut également être exprimé, sinon clairement, du moins approximativement, dans le langage ».


ibid. p.74-75
Un petit intermède pour signifier qu’à cause d’un bourdon dans le texte que je recopie, j’ai introduit la formulation du saint à partir de Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie qui cite le même passage à p.194. On retrouve également la citation plus complète dans La théologie des énergies divines, J-C Larchet, Le Cerf à p.164 dont voici un extrait :
Saisir Dieu par l’intellect est difficile, mais L’exprimer est impossible : c’est ce qu’a enseigné l’un des "théologiens" chez les Grecs*, non sans habilité je crois : il semblait ainsi avoir compris ce qu’il est difficile de dire, et il évitait les reproches, puisque c’est inexprimable. Je pense au contraire que si exprimer Dieu est impossible, Le saisir par l’intellect est plus impossible encore. Car ce que l’on a saisi par l’intellect, la parole peut l’expliquer, sans doute, sinon d’une façon suffisante, du moins obscurément, à celui qui n’a pas des oreilles totalement endommagées ni une intelligence entièrement défectueuse.

*Platon, Timée, 28c.
Saint Grégoire de Nazianze, Orationes, XXVIII, 4, SC 250
Voilà je reprends le texte de l'article:
L’élément le plus important de l’épistémologie patristique est que la cognoscibilité partielle des actions ou énergies divines, et l’absolue et radicale incognoscibilité et incommunicabilité de l’essence divine, n’est pas le résultat d’une spéculation théologique ou philosophique, -comme c’est le cas chez Paul de Samosate, dans l’arianisme ou le nestorianisme-, mais le résultat d’une expérience personnelle de la révélation, c’est-à-dire de la participation à la gloire incréée de Dieu par l’illumination et la théoria. La spéculation dialectique ne peut jamais devenir la source de la doctrine qui fait autorité et l’Eglise ne peut, que ce soit par l’intermédiaire du Pape, des conciles ou des savants biblicistes protestants, transformer en dogmes des recherches spéculatives comme le croyaient les Franks et leurs successeurs.

L’autorité, pour la vérité chrétienne ne tient pas dans les mots écrits de la Bible elle-même, qui ne peuvent par eux-mêmes exprimer Dieu ou constituer un concept adéquat de Dieu ; mais c’est bien plutôt dans l’Apôtre, dans le Prophète, dans le saint glorifié en Christ et uni, dans cette expérience de la gloire, à tous les amis de Dieu dans tous les siècles. Ainsi la Bible, les écrits des Pères et les décisions des conciles ne sont pas la révélation, mais parlent de la révélation. La révélation elle-même transcende les mots et les concepts bien qu’elle conduise ceux qui participent à la gloire à exprimer avec précision et fidélité ce qui reste en soi inexprimable par des mots et des concepts. Il faut donc que, sous la conduite des saints, qui connaissent cette expérience, les fidèles comprennent que Dieu ne doit pas être identifié avec les mots et les concepts bibliques qui le visent néanmoins infailliblement, lorsqu’on les étudie guidé par ceux qui ont atteint la théoria. Les fidèles savent très bien que c’est une hérésie de croire que les concepts bibliques exprimés par des mots peuvent être compris par un simple intellect ayant la foi ; car l’acquisition d’une compréhension intellectuelle de Dieu, selon la méthode et la science biblique des Pères sur Dieu, mène à une connaissance de Dieu supra-intellective et supranoétique, qui en un sens se trouve incluse dans la Bible, mais en même temps transcende les expressions contenues dans la Bible.

Revenons maintenant à saint Grégoire le Théologien : il n’argumente pas qu’avec des textes bibliques, ni même en se limitant à l’expérience révélatrice des Prophètes, des Apôtres et des saints lorsqu’il veut poser les fondements théologiques de sa réfutations des ariens, des eunomiens, des macédoniens ; mais il se réfère également à sa propre expérience de la gloire de Dieu dans l’humanité du Verbe – tout comme les autres Pères de l’Eglise.

« Que m’est-il arrivé, ô mes amis, compagnons d’initiations et amoureux comme de la Vérité ? Je courais pour saisir Dieu, et j’avais gravi la Montagne, et traversé la Nuée, et dégagé de la matière et des choses matérielles, je me retirais en moi-même autant que je le pouvais. Alors, quand je regardai, je ne vis qu’à peine le dos de Dieu, ENCORE ETAIS-JE ABRITE PAR LE ROCHER, LE VERBE INCARNE POUR NOUS. Et, regardant d’un peu plus près, je vis, NON LA PRIME ET PURE NATURE, CONNUE D’ELLE SEULE –JE VEUX DIRE DE LA TRINITE ; non ce qui réside derrière le premier voile, et qui est caché par les Chérubins ; mais seulement cette nature qui, finalement, descend jusqu’à nous. Voilà, je crois, la Majesté, ou, selon les paroles du divin David, la Magnificence qui se manifeste dans les créatures, qu’elle a produites et qu’elle gouverne. Tel est le dos de Dieu, qui est derrière lui, comme des signes de Lui-même… »

g. La Tradition de cette distinction entre la nature première et la gloire incréée de Dieu –la première n’étant connue que de Dieu seul, la seconde, de ceux à qui Dieu se révèle– se trouve non seulement dans la Bible et chez les Pères orthodoxes, mais encore chez Paul de Samosate, les Ariens et les Nestoriens, ainsi que nous venons de la voir. Ces trois derniers types de pensée ont une approche philosophique commune, selon laquelle Dieu est en relation avec les créatures par sa volonté ou son énergie seulement, et jamais par nature, car qui dit relations naturelles dit relations nécessaires, qui réduiraient Dieu à un système d’émanations. Paul de Samosate et les nestoriens soutenaient que Dieu, en Christ, est uni à l’humanité par volonté et non par nature. Les ariens soutenaient que Dieu est lié à l’hypostase du Logos, non par nature, mais par la volonté, parce que, comme le Logos tire son existence du non-être par la volonté du père, et donc créé, passible et muable de nature, Il est uni par nature, autrement dit, par une nécessité imposée par Dieu, à sa nature tronquée.

Contre ces thèses, les Pères Orthodoxes soutinrent qu’en Christ le Logos est uni à Son humanité par nature ou hypostatiquement et que le Père engendre Son Fils par nature, tout en précisant que la volonté, en Dieu, ne s’oppose jamais à ce qui appartient à la nature. Dieu, donc, engendre le Logos et projette le Saint Esprit par nature, de Sa propre hypostase, et la Sainte Trinité crée par volonté les créatures en les tirant du non-être, et a une relation de volonté avec elles, à l’exception du Logos qui s’unit Lui-même hypostatiquement à Son humanité.

La Lumière du Thabor 17 p.75-77
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

h) Ici, nous touchons l’aspect le plus important et le plus central de la théologie biblique et patristique, aspect qui, depuis Augustin, a été complétement ignoré dans les traditions des Franco-latins et des Protestants, et a commencé même de l’être chez les orthodoxes modernes subissant l’influence de la théologie russe post-médiévale.

Augustin ayant transformé la doctrine de la Sainte Trinité en un exercice spéculatif, en une recherche philosophico-théologique qui tente de comprendre ce mystère rationnellement, la simplicité et la nature biblique et schématique de la doctrine initiale fut perdue de vue par ces traditions fondées sur lui.

Dès lors, on a réduit l’histoire de la doctrine de la Sainte Trinité à la recherche du développement des concepts et du vocabulaire qui ont conduit à des formules du genre : "Trois Personnes ou Hypostases", "une essence ou nature", "consubstantiel (homoousios)", "propriétés personnelles ou hypostatiques", "modes d’existence", "une volonté, une énergie, une divinité", etc.

Pour les Pères, les ariens et les eunomiens, au contraire, la doctrine de la Trinité et la Christologie sont identiques à l’apparition du Logos, dans Sa gloire, aux Prophètes, aux Apôtres et aux saints. Le Logos n’est pas un concept abstrait, communiqué par le moyen d’expressions révélées, de choses créées ou de concepts, mais il est toujours identifié à une personne concrète, l’Ange de Dieu, le Seigneur de la Gloire, l’Ange du Grand Conseil, le Seigneur Sabaoth et la Sagesse de Dieu, qui est apparu Lui-même aux Prophètes de l’Ancien Testament et est devenu le Christ par Sa naissance comme homme du sein de la Vierge et Mère de Dieu. Cette identité du Logos avec la Personne concrète qui a révélé Elle-Même aux Prophètes le Dieu invisible de l’Ancien Testament, nul n’en a jamais douté, tous, au contraire, y ont cru fermement, à la seule exception d’Augustin, influencé sur ce point par les traditions gnostiques et manichéennes.

La controverse entre les orthodoxes et les ariens et eunomiens ne portait pas sur la question de savoir QUI était le Logos dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Ils s’accordaient pour dire que le Logos est Celui qui apparut aux Prophètes et qui naquit de la Vierge en tant qu’homme. La question qui les divisait était celle de la nature du Logos, et de Sa relation au Père.

Les orthodoxes affirmaient que les Prophètes avaient vu le Logos comme incréé, impassible et immuable, ayant toujours existé du Père, Lequel, avant tous les siècles, engendre de Lui-même, par nature, le Logos.

Les ariens et eunomiens affirmaient que les Prophètes avaient vu le Logos comme créé, passible, et muable, ayant pris existence à partir du non-être, avant tous les siècles, par la volonté de Dieu.

La question fondamentale qui opposait les orthodoxes et les hérétiques était donc : les Prophètes et les Apôtres, se trouvant dans la gloire incréée de Dieu, ont-ils vu un Logos créé, passible et muable, ou un Logos incréé, impassible et immuable ? Un Logos qui est Dieu par nature et possède donc, par nature, toutes les énergies et puissances de Dieu ? Ou un Dieu par grâce, qui a certaines des énergies du Pères, mais non pas toutes, et cela par grâce seulement et non par nature, n’ayant pas la même essence ou nature que le Père, mais une essence différente ou créée ?

Orthodoxes aussi bien qu’ariens et eunomiens reconnaissaient comme principe que si le Logos possède par nature toutes les puissances et énergies du Pères, Il est incréé. Dans le cas contraire, Il est une créature.

Puisque la Bible rend témoignage de Celui que les Prophètes et les Apôtres ont vu dans la gloire du Père, la Bible même, qui fait connaître qui il est et quel il est, va révéler, quoiqu’elle ne constitue pas la révélation en soi, si le Logos possède ou non par nature toutes les énergies du Père. Ainsi nous saurons si les Prophètes et les Apôtres ont vu un Logos créé ou un Logos incréé, un Logos qui est consubstantiel au Père ou un Logos qui ne l’est pas.

On peut voir ici clairement comment, pour les Pères, la consubstantialité du Logos avec le Père n’est pas seulement l’expérience des Apôtres et des saints, mais aussi celle des Prophètes. La différence entre ces visions, c’est que les Prophètes, dans la THEORIA, ont vu Dieu dans le Logos ou l’Ange sans la chair, par le Saint Esprit ; au lieu que les Apôtres ont reçu la même révélation, mais dans et par l’humanité du Logos né comme homme de la Mère de Dieu et devenu ainsi consubstantiel à nous tout en demeurant consubstantiel au Père.

Il est capital de souligner que les orthodoxes aussi bien que les ariens et eunomiens se servaient indistinctement de l’Ancien et du Nouveau Testament pour leur démonstration. L’argumentation est très simple. Ils dressent la liste de toutes les puissances ou énergies du Père, telles que la Bible les consignes. Puis ils font de même pour le Logos, l’Ange de gloire. Enfin, ils comparent les deux listes pour voir si elles sont identiques. Le point important est qu’elles ne doivent pas être simplement similaires, mais identiques.

Ajoutons que les ariens comme les orthodoxes s’accordaient à reconnaître, contre les sabelliens et les samosatiens, que le Père et le Fils ont des propriétés hypostatiques individuelles et des modes d’existence non communs à eux deux, quoiqu’ils ne fussent pas d’accord sur la nature de ces attributs personnels.

Quand le débat s’étendit à l’Hypostase du Saint Esprit, on suivit exactement la même méthode théologique.

Toutes les puissances, toutes les énergies communes au Père et au Fils, le Saint Esprit devait les avoirs, à la fois en commun avec eux et par nature, si l’on voulait affirmer qu’il était Dieu par nature.

La méthode théologique des Pères apparaît clairement comme non-spéculative, mais appuyée sur l’autorité de l’expérience ; elle n’est pas abstraite, mais simple et schématique.

Formulée simplement, toute la doctrine de la Sainte Trinité peut se résumer schématiquement en deux énoncés :

1) Ce qui est commun dans la Sainte Trinité, c’est-à-dire l’essence, la volonté, l’énergie et la puissance, est commun aux Trois Hypostases et identique en elles trois.

2) Ce qui est Hypostatique (=personnel), la propriété hypostatique, ou mode d’existence, est radicalement individuel et incommunicable et appartient seulement à Une Personne ou Hypostase.

Ainsi nous avons les KOINA et les AKOINONETA, ce qui est commun et ce qui est individuel et incommunicable.

Sachant cela, on comprend pourquoi les Romains n’ont pas pris très au sérieux le FILIOQUE des Franks comme thèse théologique, et d’autant moins qu’ils la présentaient comme une amélioration du Credo du Second Concile Œcuménique ! On comprend qu’ils l’aient tournée en dérision avec des syllogismes qui n’étaient pour eux que des plaisanteries, jusqu’à ce que les Franks fussent à même de conquérir la Partie Orientales de la Romanie et d’appuyer leurs élucubrations théologiques sur un orgueil inimaginable et des épées bien acérées.

i) Dans tous les cas, l’argumentation, dans la méthode théologique des Pères, est toujours parallèle à l’expérience et contrôlée par leur THEORIA de la gloire de Dieu dans l’humanité du Christ. Cette expérience vérifie et certifie l’interprétation juste du témoignage de la Bible sur
1) la rencontre révélatrice entre le Logos et Ses amis les Prophètes et les Apôtres, en lesquels Il vient et habite avec le Père, dans le Saint Esprit, et révèle les mots indicibles et incréés qui transcendent les concepts et
2) le caractère incréé du Logos et de l’Esprit Saint et Leur unité de nature avec le Père et l’identité de Leur gloire, règne, grâce, volonté, et autres énergies incréées, et
3) l’incommunicabilité des propriétés hypostatiques, y compris de l’Incarnation du Logos et le caractère à jamais éternel de l’humanité du Logos, dans laquelle le Saint Esprit construit l’Eglise depuis la Pentecôte jusqu’à la fin des temps.

L’expérience révélatrice de la Gloire de Dieu confirme également l’enseignement de la Bible sur l’absence de toute similitude entre le créé et l’incréé. Ce qui veut dire qu’il ne peut y avoir d’universaux incréés dont les créatures seraient les copies. Chaque créature individuelle dépend de la gloire incréée de Dieu qui, d’une part, est absolument simple, quoique, de l’autre, elle se divise indivisiblement à l’intérieur de et parmi les créatures individuelles ; et Dieu est tout entier présent dans chaque énergie simultanément, tandis qu’il est, par volonté, partout présent, tout en demeurant, par nature, absent de tout, sauf pour l’union hypostatique du Logos avec Sa nature humaine.

Le Saint Esprit a conduit les Prophètes dans la Vérité et les Apôtres dans toute la Vérité lors de la Pentecôte, non par la révélation de vérités rationnelles et conceptuelles inconnues auparavant, mais par l’expérience de la présence nouvelle de l’humanité du Christ qui constituait et constitue l’Eglise victorienne de la mort et du pouvoir du démon, afin que la mort ne puisse plus prévaloir contre l’Eglise comme c’était encore le cas dans l’Ancien Testament. Ainsi, le Christ tout entier, et non une partie de Lui, est présent dans chaque ami de Dieu, non seulement selon le règne (BASILEIA), la gloire ou la divinité incréés, mais encore selon l’humanité créée du Christ.

Du point de vue de la réalité incréée de Dieu, transcendant tout concept, Prophètes et Apôtres ont expérimenté la même glorification dans le Logos-Christ. C’est donc du point de vue de l’Incarnation, de la Mort, de la Résurrection et de l’Ascension du Christ et de Da nouvelle présence dans l’Esprit fondant, lors de la Pentecôte, l’Eglise comme Son Corps, que toute la Vérité est révélée par le Saint Esprit et que les Apôtres la perçoivent en THEORIA, eux et tous ceux qui, à leur suite, partagent cette Gloire. Depuis la Pentecôte, chaque glorification particulière d’un saint, -autrement dit, chaque fois qu’apparaît un saint, dont la sainteté provient, comme sa source, de la vision de la gloire incréée de Dieu dans l’humanité du Christ- est l’extension de la Pentecôte à différents degrés d’intensité.

Cette expérience englobe l’homme tout entier, mais en même temps, transcende l‘homme tout entier, y compris son intellect. Ainsi, cette expérience demeure un mystère pour l’intellect qui a la THEORIA, et ne saurait être communiquée de façon intellectuelle à autrui. En sorte que le langage peut indiquer, mais non pas communiquer cette expérience. Le père spirituel peut guider vers elle, mais non pas faire naître la THEORIA qui est un don du Saint Esprit.

Lors donc que les Pères ajoutent des termes au langage biblique en usage à propos de Dieu et Sa relation au monde, comme HYPOSTASIS (Personne), OUSIA (essence), PHYSIS (nature), HOMOOUSIOS (CONSUBSTANTIEL), UNION PAR NATURE, UNION PAR VOLONTE, etc, ils ne cherchent pas, ce faisant, à améliorer la compréhension courante qui viendrait d’un âge plus ancien. La Pentecôte n’est pas susceptible d’amélioration, soit comme révélation, soit comme compréhension de Dieu, aspects que les Pères, nous l’avons vu, identifient. Tout l’effort des Pères consiste à défendre, avec le langage de leur temps, la vivante tradition de l’expérience pentecostale, qui transcende tout langage ; et ils la protègent parce qu’une hérésie bien concrète s’en prend aux fidèles qu’elle éloigne de cette expérience, au lieu de les y conduire, ce qui signifie la mort spirituelle pour ceux qui se laissent ainsi égarer.

L’autorité, pour les Pères, ce n’est pas seulement la Bible, mais la Bible associée aux glorifiés, à savoir les Prophètes, les Apôtres et les saints. La Bible, en tant que livre, n’est pas en soi ni inspiré, ni infaillible. Elle le devient dans la communion des saints qui ont l’expérience de la gloire divine décrite, mais non transmise directement, par la Bible. Quant à ceux qui sont en dehors de la vivante tradition de la THEORIA, la Bible est un Livre qui ne révèle point ses mystères.

Il me semble inévitable de conclure qu’il y a, ici, accord parfait de la théologie avec les méthodes scientifiques en usage de nos jours. Toute science possède son langage propre, qui ne peut être compris que par les initiés de la spécialité considérée, bref, par ceux qui en sont déjà spécialistes. Comment quelqu’un peut-il commencer à comprendre ce que signifie la THEORIA, s’il n’est en contact avec la tradition vivante de la THEORIA ? Et cette vivante tradition de la THEORIA n’est pas faite que de livres sur la THEORIA, mais encore de ceux qui ont la THEORIA et savent par conséquent à la fois ce dont parlent les livres en question et comment enseigner les autres à les lire. Telle est la Bible, tels sont les écrits des Pères, telles les décisions des conciles qui sont le travail commun des Pères.


Ibid. p.77-83
J-Gabriel
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Re: Examen critique des applications de la théologie

Message par J-Gabriel »

B. APPLICATIONS DE LA THEOLOGIE

Nous avons commencé notre exposé par un examen général des critères applicables par un orthodoxe pour déterminer la nature authentique de la théologie ; nous pouvons maintenant faire une brève étude des applications de la théologie. On distinguera deux sortes d’applications
1) la première à la vie intérieure de l’Eglise et
2) la seconde aux relations de l’Eglise à la société et au monde en général.
Notons qu’il faut garder à l’esprit que fondamentalement l’apprentissage et l’application de la théologie fondée sur la THEORIA sont une seule et même chose.

I) a) Les critères pour l’application de la théologie sont automatiquement déterminés par la nature et le but de la théologie comme on l’a expliqué jusqu’à présent. Nous voudrions maintenant préciser quelque peu ce que nous avons dit.

Tous les hommes ont été créés et prédestinés à la perfection et à la vision de la gloire de Dieu. En d’autres termes tous seront "sauvés" ("éternisés"), mais tous ne seront pas glorifiés dans la THEORIA. Il en est ainsi parce qu’il y a ceux qui vont atteindre la "perfection" (l’achèvement) de la damnation éternelle et ceux qui avanceront éternellement à des stades toujours plus hauts de perfection dans la THEORIA. Ceux qui seront damnés verront la gloire incréée de Dieu comme un feu éternel et des ténèbres extérieures, car Dieu est perçu par ceux qui ne l’aiment pas comme un feu consumant et comme lumière par ceux qui progressent éternellement dans la perfection ; mais tous verront la même gloire de Dieu. Dans un tel contexte, tout le système eschatologique augustinien des récompenses et des châtiments adopté par la tradition latine et protestante est absurde et sans fondement.

Ainsi on comprend clairement que tous les hommes connaîtront le Christ comme vérité, mais que tous ne participeront à la gloire de Dieu dans le Christ.

b) Du point de vue de Dieu, il n’y a aucune différence entre la damnation éternelle et la glorification éternelle en ce sens que Dieu aime tous les hommes également.

Le Paradis et l’Enfer sont, en ce sens, la même chose, mais c’est du point de vue de la créature, de l’homme et des anges, qu’ils sont radicalement différents. Cette différence tient dans la volonté de la créature qui accepte ou non de s’élever dans les divers degrés de l’amour désintéressé. On comprend ici pourquoi la doctrine augustinienne de la prédestination et de la grâce irrésistible n’est rien de plus qu’une ineptie digne d’un enfant.

Il s’ensuit qu’une théologie, une philosophie ou une idéologie qui ne cherche pas la transformation de l’amour intéressé en amour désintéressé est une fausse doctrine et un danger spirituel pour ceux qui la suivent. Il s’ensuit encore que toute théologie, philosophie ou idéologie qui enseigne une telle transformation, mais qui ne réussit pas ou ne sait pas comment enraciner un tel amour dans ses fidèles doit aussi être considérée comme une tromperie. Au contraire, la tradition orthodoxe ne se contente pas seulement de chercher cette transformation mais elle sait aussi comment la transmettre et elle le fait effectivement. Cela signifie aussi qu’un orthodoxe qui ne comprend pas cela n’appartient pas à la tradition orthodoxe d’une façon consciente et authentique, mais qu’il la suit sentimentalement ou par simple habitude.

c) Le pivot de la théologie orthodoxe pour accéder à un amour totalement désintéressé est la double lutte suivante :
1) être uni les uns aux autres dans la gloire incréée de l’humanité du Logos dans l’état de THEORIA, après être passé par l’état d’illumination et
2) vaincre le diable dans les différents stades de la perfection, en commençant par la purification.
Réussir cette lutte présuppose la volonté d’apprendre à distinguer entre les énergies du diable et les énergies de la Sainte Trinité et cela auprès d’un père spirituel expérimenté qui a atteint au moins le stade de l’illumination sinon celui de la THEORIA et qui a le discernement des esprits.

Puisque, de Dieu, l’homme peut seulement connaître les énergies ou la gloire ou le règne, que d’autre part cela n’est possible que par le discernement des énergies incréées de celle de la créature, cela veut dire que le théologien orthodoxe et le père spirituel sont une seule personne. On ne peut être théologien sans être un père spirituel et on ne peut être un père spirituel sans être un théologien.

d) Quand la Bible et la tradition parlent de l’illumination, qu’est-ce que cela signifie ? Qui est illuminé et qui illumine ?

Les Pères parlent de l’enténèbrement du "NOUS" d’Adam et de ses descendants. Augustin et les franks ont cru que cela signifiait que, dans le paradis, l’intellect d’Adam avait la vision immédiate des universaux incréés ou des idées qui se trouvent dans la substance divine et par conséquent la connaissance de toutes choses dans leur essence et leur origine. Dès lors la chute signifiait que l’homme se trouve coupé de cette connaissance et qu’il est devenu ignorant.

Lorsqu’on voit les progrès stupéfiants de la science moderne, on ne peut maintenir un tel point de vue. L’intellect de l’homme semble illimité dans sa capacité de comprendre et de découvrir les mystères de l’univers, même si cette immense capacité a surtout pour effet de lui montrer sans cesse combien il reste encore à découvrir.

En tout cas il ne paraît pas que ce soit l’intellect qui ait été endommagé par la Chute.

Pour les Pères de l’Eglise, le NOUS n’est pas d’ordinaire identifiable à l’intellect ; c’est une faculté de l’âme distincte en soi, qui, dans les conditions présentes, se confond avec l’intellect, devient esclave de l’intellect, du corps et du monde extérieur, et ne peut plus alors accomplir son activité propre. Le NOUS a perdu son état normal de communion avec Dieu et, réduit désormais à une plus ou moins grande infirmité, est devenu esclave. En vérité, son but est
1) de se libérer complétement dans le Saint Esprit des influences extérieures et
2) d’agir à son tour sur l’intellect, le corps et le monde environnant sans subir lui-même d’autre influence que la grâce et l’énergie de Dieu.

L’illumination et le commencement de la THEORIA, c’est donc, pour cette faculté noétique, de se libérer de toute influence étrangère en s’adonnant au souvenir incessant de Dieu, c’est-à-dire à la prière perpétuelle. Cet état estun don de Dieu, vers lequel un Père spirituel qui le possède peut conduire ses enfants spirituels.

C’est cette libération de la faculté noétique par la mémoire continuelle de Dieu qui permet de déraciner de la personnalité l’amour de soi et l’orgueil, et de les remplacer par l’humilité et l’amour désintéressé.

e) Ceux qui appartiennent à cette Tradition croient fermement que ces degrés de l’illumination et de la THEORIA constituent la méthode même utilisée par le Christ pour guider non seulement les Apôtres, mais encore les Prophètes.

Il faut, ici, souligner qu’une recherche méthodique et scientifique, telle qu’on la pratique aujourd’hui, devait nécessairement vérifier l’existence de cette faculté noétique dans l’homme et déterminer les conditions sous lesquelles elle devient opérante dans sa spécificité, de sorte qu’on puisse la distinguer de l’intellect.

On pourrait cependant aussi supposer qu’on puisse amener à un certain type d’activité cette faculté par des exercices spirituels même non-orthodoxes ou non-chrétiens. Il faudrait alors en définir les différences spécifiques. Mais du point de vue orthodoxe, la faculté noétique peut également être mue, ou à tout le moins tenue inactive, par l’influence des démons.

Toutefois, sous l’action du Saint-Esprit, la faculté noétique garde le souvenir incessant de Dieu dans le Seigneur de Gloire, le Christ incarné. C’est un état de libération des influences démoniaques et d’unité en Christ, dans lequel l’être entier, corps et âme, est délivré de toute erreur et reçoit une connaissance spirituelle qi l’empêche de confonde les énergies divines avec celles des créatures, en particulier du démon.

Le fait qu’on ait une telle connaissance spirituelle qui garde de l’erreur ne signifie nullement qu’on possède un savoir infaillible sur la vérité créée dans les détails scientifiques ; mais seulement qu’on la connaît dans le lien qu’elle entretien avec la Vérité incréée, avec la Gloire de l’humanité du Christ dans la communion des saints.

Un être qui vit ainsi dans la THEORIA et a reçu cette connaissance spirituelle ne devient nullement u scientifique ou un érudit infaillible ; mais, par contre, il devient théologien infaillible. Il ne se trompe pas en parlant de Dieu et Ses relations ; cela ne fait pas pour autant de lui un savant ou un historien faillible, et encore moins infaillible.

C’est en ce sens-là que nous parlons de l’infaillibilité de la Bible, des Pères et des Conciles des Pères.

Il est évident qu’une assemblée d’évêques dont certains possèderaient la prière noétique (mémoire incessante de Dieu) et dont les autres lutteraient pour l’acquérir, connaîtrait exactement la foi de l’Eglise.


f) En tous cas, attendu

1) que la prière noétique est une tradition à laquelle on ne peut appartenir que si l’on a un père spirituel qui possède la THEORIA ;

2) que cette tradition de la THEORIA ne produit pas seulement des discours sur la piété, mais encore des œuvres vivantes de piété et d’amour désintéressé ;
3) que la similitude voire l’identité de cette piété vivante avec celle de la Bible est manifeste ;

Il en résulte que les "théologiens" orthodoxes modernes (pour parler quelque peu abusivement du point de vue patristique) doivent étudier la méthode théologique qui sert à former les Théologiens selon la Tradition, afin de mesurer si les méthodes en usage aujourd’hui sont réellement aptes à conduire à la Théologie, voire à répondre à quelque besoin réel de l’homme.

Telle devrait être la formation du Théologien orthodoxe, non seulement dans le domaine de la Théologie Dogmatique, mais singulièrement aussi, dans celui de l’exégèse biblique.

Il est évident que le commandement donné par l’Eglise, d’étudier et d’interpréter la Bible à la lumière des Pères de l’Eglise, est une approche authentiquement scientifique, parce qu’il est beaucoup plus logique de dire que les saints possédant la THEORIA comprennent les Prophètes et les Apôtres qui ont possédé et possèdent la THEORIA ; au lieu que les Latins et les Protestants, qui ont perdu la tradition de la THEORIA ne comprennent pas la THEORIA telle qu’elle apparaît dans la Bible, et, sans aucun doute, égarent les orthodoxes qui se fient à eux.

g) Si l’on refuse de rattacher à la tradition prophétique et apostolique la prière noétique ou l’incessante mémoire de Dieu comme le sommet de l’illumination et le commencement de la théoria, on n’a le choix qu’entre deux possibilités : il faut

soit trouver une autre méthode théologique ou spirituelle pour vaincre le diable et produire une THEORIA réputée semblable à celle de la Bible,

soit prouver qu’une telle tradition n’existe pas après la Pentecôte.

Une autre alternative serait de prouver que la faculté noétique n’est pas distincte de l’intellect. Toutefois, le seul moyen de la prouver est de démontrer que non seulement la prière noétique n’existe pas, mais qu’elle est impossible.

Mais la prière noétique existe et, par conséquent la faculté noétique est bien réelle. La faculté noétique n’est pas une invention des Pères. Elle fait partie de la nature humaine. Tous les êtres humains ont une faculté noétique, bien que tous ne soient pas conscients de son existence.

h) Selon la tradition patristique, cette ignorance de l’existence même de la faculté noétique est une conséquence de la chute de la nature humaine.

Quiconque est quelque peu familier avec la méthode scientifique moderne comprendra la formidable force de cette thèse. Il comprendra aussi pourquoi les Pères de l’Eglise n’ont jamais eu l’obsession augustinienne et franco-latine de la culpabilité héréditaire, ce mythe ridicule.

Si la chute de l’homme est l’enténèbrement de la faculté noétique, alors sa libération est une purification, une illumination, une glorification, une transformation de la manière dont l’homme vit. Tout cela est connu aujourd’hui. Lorsqu’on compare l’état d’enténèbrement et l’esclavage de la faculté noétique avec son état d’illumination et de glorification, on comprend pourquoi les Pères n’ont jamais traité du "péché originel" dans le cadre platonicien qui est celui d’Augustin. Selon les Pères la faculté noétique de tout homme peut devenir confuse à cause de l’intellect, des passions et de l’environnement.

Cette compréhension de la chute jointe à la compréhension orthodoxe de la perfection en Christ par l’illumination et la glorification de la faculté noétique est un phénomène observable non seulement par les soi-disant théologiens, mais également par des savants comme les psychologues et les psychiatres. Toutefois, ni le théologien, ni le psychologue, ni le psychiatre ne peuvent apprendre pleinement l’existence de la faculté noétique, sinon à partir de la tradition, de la théologie et de la vie spirituelle patristique.

En outre la seule méthode pour mettre scientifiquement en évidence la faculté noétique et observer sa fonction naturelle propre dans l’état d’illumination et de glorification est de mettre en œuvre notre propre faculté noétique ; mais cela n’est possible qu’avec une foi juste et l’obéissance à un père spirituel qui possède lui-même la prière noétique, l’ayant reçu de son propre père spirituel.



Ibid. p.83-89
Comme il est difficile de faire une recherche sur le terme noûs (plus simple avec son adjectif noétique) qu’on a pu rencontrer dans le message ci-dessus, je donne ici quelques phraes prissent ici et là dans le lexique du livre de Mgr Hiérothée Vlachos Psychothérapie orthodoxe, p.401 :

ce mot a différents sens dans l’enseignement des Pères. Le mot noûs écrit avec l’accent pour ne pas le confondre avec le pronom personnel.
Ce mot est souvent traduit faussement par intelligence, pensée, intellect, raison ou même esprit.
Chez les Pères, le mot noûs est utilisé pour indiquer soit l’âme elle-même, soit le cœur avec lequel il ne fait qu’un, soit une des trois puissances de l’âme qui sont le noûs, le verbe intérieur et l’esprit.
i) Nous arrivons ici au problème vraiment le plus difficile de la théologie orthodoxe moderne. Les orthodoxes d’aujourd’hui qui sont remplis de complexes d’infériorité culturelle ne peuvent apprendre la théologie patristique. Celle-ci exige, pour être apprise, l’obéissance, qui est la méthode traditionnelle de lutte contre le diable pour atteindre la perfection. Et cette méthode est enseignée seulement par ceux qui, par la grâce de Dieu, ont été victorieux dans cette lutte. On ne peut pas l’apprendre d’un hérétique, car un hérétique est une personne qui ne possède pas cette méthode. Il n’est possible non plus de l’apprendre de quelqu’un qui se dit orthodoxe et qui ne possède pas cette pas cette méthode.



j) Les œuvres des Pères contiennent des méthodes absolues pour vérifier l’authenticité de l’expérience spirituelle à chaque degré de perfection. Ces méthodes ne sont pas spéculatives. Elles font autorité et on peut voir qu’elles sont toutes à la fois dépendantes des dogmes orthodoxes et qu’elles en constituent le fondement.



La vision de la gloire divine est vérifié, par exemple, par le fait qu’il n’y a aucune similitude entre le créé et l’incréé. Par conséquent, si la lumière vue a une couleur, une forme ou une dimension, elle est créée, car la gloire incréée du Christ peut également être appelée l’opposé de la lumière, c’est-à-dire ténèbres, non parce que qu’elle est ténèbres, mais parce qu’elle transcende à la fois les catégories de la lumière et des ténèbres. La théologie apophatique orthodoxe n’est pas une philosophie, mais le résultat de la "théoria". Parce que la "théoria" existe dans l’Ancien Testament, cette théologie est déjà celle des Prophètes.



Lorsqu’une vision contient l’apparence de la lumière ou un être de lumière qui a couleur, formes, dimension, alors cet être prend position seulement en dehors, à côté et en face de celui qui est conscient de sa présence. Il en est ainsi parce que le diable ne peut s’unir à l’homme par "krasis" ou interpénétration totale, mais seulement pas "Syzygia", c’est-à-dire corrélation ou joug.



Au contraire, dans l’expérience de la glorification, l’être se voit lui-même et toutes choses autour de lui interpénétrés et saturés par la gloire incréée émanant de l’humanité du Christ qui habite en lui et dans les autres.



Notons aussi que quelques psychiatres ont étudiés récemment le phénomène d’apparition d’un être de lumière chez ceux qui, médicalement morts, reviennent à la vie.



k) Nous terminons cette partie en signalant que tous les hommes sans considération de nationalité, de race ou de couleur, possèdent la faculté noétique et ont, par conséquent, la possibilité d’atteindre l’illumination par les voies de la purification et, si Dieu le veut, d’expérimenter la glorification dans ses divers degrés. En tout cas, les degrés divers de la théoria sont les expériences les plus élevées qui soient de la vie spirituelle et de la théologie orthodoxe.



Une telle spiritualité, une telle théologie n’est ni grecque, ni russe, ni bulgare, ni serbe…, mais bien plutôt prophétique, apostolique et, tout simplement chrétienne. Considérant un tel principe, on peut se demander en quoi consiste ce que certains appellent la "spiritualité russe" et pourquoi elle est présentée comme supérieure ou simplement différente des autres spiritualités orthodoxes ?

II) Ce n’est que lorsque les théologiens orthodoxes prennent conscience du fait que la théoria est la forme la plus haute de la théologie –qui est la tradition continue de la Pentecôte dans l’histoire– qu’ils peuvent correctement examiner cette tradition dans sa réalité historique et évaluer justement les applications de cette théologie aux relations de l’Eglise à la société et au monde en général.

a) L’élément le plus fort de cette théologie est que celui qui l’expérimente est libéré de son esclavage envers l’environnement, non parce qu’il s’en est échappé physiquement, mais parce que la faculté noétique en lui s’est libérée de l’influence et de la domination de l’intellect, des passions et de l’environnement : de sorte que l’environnement, les passions, et l’intellect sont transfigurés chez ceux qui ont atteint l’illumination et la théoria.

Il est tout à fait évident que le Christ a prié pour l’union des Apôtres et de leurs disciples dans la vision de la gloire du Père dans Lui-même, le Christ, par le Saint Esprit "afin que le monde puisse croire" que le Père l’a envoyé.

Si le monde ne croit pas, c’est parce que les chrétiens ordinaires ne sont en général pas meilleurs et quelques sont pires que les membres d’autres religions. Par la faute de tels chrétiens, beaucoup d’hommes ne voient pas pourquoi il faudrait prendre le christianisme au sérieux, quitte même à accepter le Christ comme un grand chef religieux et un prédicateur moral.

C’est seulement grâce aux chrétiens qui ont atteint l’état d’illumination et celui de la théoria, que le monde croit que le Père a envoyé Son Fils. Il suffit, pour mesurer l’ampleur de l’influence exercé sur leur entourage par les êtres doués de théoria, d’examiner attentivement le culte des saints, tel qu’il s’exprime, en particulier, dans leurs icônes et leurs reliques.

b) Ayant à l’esprit cette tradition de la théoria, on commence à comprendre qu’un grand nombre d’idoles et de mythes ont envahi l’histoire telle que les orthodoxes modernes la conçoivent, du fait notamment de la tradition officielle russe qui, après Pierre le Grand, a trahi la Civilisation Orthodoxe de la Nouvelle Rome pour rejoindre les rangs de la Civilisation Féodale de l’Europe Franque. La Tradition orthodoxe.

A l’époque de la chute de la Nouvelle Rome, cette tradition était très forte parmi les Romains des Patriarcats de la Nouvelle Rome, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem.

Toutefois, peu après la fondation du Patriarcat de Moscou, l’Eglise de Moscovie condamna officiellement l’hésychasme, en la personne des Anciens d’Outre-Volga, connus sous le nom de Non-possédants, et patronna un nouveau type de monachisme, étranger à la tradition de la théoria et plus proche des ordres monastiques de l’Europe féodale.

Or, on a parfois tendance à peindre les Romains Orthodoxes du temps de la domination arabe ou turque, comme des chrétiens orthodoxes de seconde zone, l’orthodoxie russe constituant le modèle même de toute orthodoxie.

Il semble, bien plutôt, que l’état d’Eglises ayant une solide tradition de théoria n’est jamais ni meilleur ni pire que celui d’autres Eglises possédant aussi une solide tradition de théoria. La théoria étant la même, où qu’elle se trouve, la piété, la vie spirituelle et la théologie sont identiques.

Il est clair, en tout cas, que l’éclatement de la querelle du Filioque entre les Romains et les Francs contraignit de facto les Francs à déclarer close la tradition patristique, parce que les Pères Romains, après saint Jean Damascène, ont activement dénoncé et condamné dans leurs écrits le Filioque Franc.

Il serait nécessaire d’étudier le moment et la raison du choix des Russes, qui ont suivi les Franks et accepté le terme mis à la tradition patristique. C’est cette tradition russe qui fut importée dans le nouveau royaume de Grèce, avec la fondation de l’Ecole Théologique de l’Université d’Athènes.

Il est particulièrement significatif que le Concile tenu en 1368 à Constantinople la Nouvelle Rome déclare que saint Grégoire Palamas est un Père de l’Eglise à l’égal des autres Pères les plus importants et excommunie ceux qui ne pensent pas ainsi. La vérité est que, ce faisant, le Concile condamnait ceux qui s’accordent avec les Franks, lesquels tenaient leur théologie scolastique pour supérieure à la théologie patristique qu’ils déclaraient close au VIIème siècle.

c) Il est clair, également que la tradition orthodoxe de la théoria ne laisse aucune place pour la distinction des Latins entre ce qu’ils appellent "vie active" et "vie contemplative". Ces deux aspects du célibat présents dans la tradition et les ordres monastiques des Latins sont étrangers à l’orthodoxie.

La raison en est évidente. Lorsque la faculté noétique atteint à la mémoire incessante de Dieu seul et la contient, l’intellect, la mémoire, le corps et les passions continuent d’agir avec cette différence que, au lieu d’être dominés par l’environnement, ils sont dominés par la seule faculté noétique, totalement libérée.

Parce que l’amour, une fois atteint cet état, n’est pas égoïste mais désintéressé, l’individu qui a atteint ce degré de perfection n’aime pas que Dieu, mais aussi tous les hommes et la création entière. Il est même prêt à abandonner son salut pour celui des autres.

Cela signifie que la vraie glorification déborde la faculté noétique, mais emplit entièrement l’âme et le corps et sanctifie l’environnement, c’est-à-dire la création matérielle et la société.

Le lutteur orthodoxe ne cherche pas à fuir le monde matériel, mais à le sanctifier en le délivrant du diable et de ses acolytes. Toutefois, il apprend d’abord des maîtres en ces combats les moyens d’y remporter la victoire, et ensuite en instruit les autres.

Tel est, semble-t-il, l’enjeu de l’examen critique des applications de la Théologie.

Ibid. p.89-93
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