Un test du phylétisme

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Claude le Liseur
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Un test du phylétisme

Message par Claude le Liseur »

Petit à petit s'est développé au sein de l'Église, particulièrement en Europe occidentale, une ecclésiologie totalement étrangère à la tradition orthodoxe, et selon laquelle les chrétiens orthodoxes en Europe occidentale, dans les Amériques et en Océanie constitueraient une «diaspora»... même s'ils sont autochtones, ou s'ils appartiennent à la quatrième génération d'immigrés nés dans le pays. (Il faudra d'ailleurs demander aux tenants de cette ecclésiologie jusqu'à combien de générations il faut remonter pour être considéré comme autochtone et plus comme «émigré»).

Cette ecclésiologie, qui trouve des défenseurs particulièrement fanatiques sur l'Internet orthodoxe francophone, apparaît comme une espèce de médiocre succédané du judaïsme.

En effet, le grec diaspora (διασπορά) transcrit les termes hébreux galout (גלות ) (cf. II R 25:27) et golah (גולה ) (cf.II R 24: 15-16) , exil, captivité, qui, «dans la Bible n'est jamais un terme abstrait se référant à l'exil, l'errance, l'esclavage ou encore l'aliénation, pas plus qu'il ne désigne une condition objective ou un état d'esprit. L'association du terme avec ces concepts n'a eu lieu qu'après la destruction du Second Temple, à l'époque talmudique. Avec le temps, golah devint synonyme du grec diaspora ( «dispersion»), c'est-à-dire qu'il désignait tout pays, en dehors d'Erets Israël, où vivaient des Juifs, sans qu'il fût tenu compte de la façon dont ils y étaient parvenus» (publié sous la direction de Geoffrey Wigoder, adaptation française sous la direction de Sylvie Anne Goldberg avec la collaboration de Véronique Gillet, Arnaud Sérandour et Gabriel Raphaël Veyret Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Bouquins, Cerf / Robert Laffont, Paris 1996, p. 383).

Ce concept a un sens dans le judaïsme, puisqu'il est le corollaire de l'espérance d'un retour en Terre sainte. Je ne vois pas quel sens il pourrait avoir s'agissant d'une Église universelle et qui a reçu du Sauveur le commandement d'enseigner toutes les nations (Mt 28:19).

Mais il y a un point où nos orthodoxes «diasporiques» sont beaucoup plus «diasporiques» que le judaïsme - en tout cas que le judaïsme de ces mille dernières années.

En effet, depuis au moins le XIe siècle, le judaïsme connaît des «prières pour le gouvernement», qui appellent la bénédiction divine sur le chef de l'État, monarque ou président, et sur le gouvernement. Cette coutume s'enracine dans la Bible, qui ordonne de «craindre Dieu ainsi que le roi »(Pr 24:21) et qui rapporte que, dans le Temple de Jérusalem reconstruit, on priait pour le roi des Perses (Esd 6:10).

C'est ainsi, qu'à l'heure actuelle, dans les synagogues en France, on dit des prières pour la République française et des prières pour le président de la République française, dont le texte a été pour l'essentiel établi au XIXe siècle (texte de ces prières in Wigoder / Goldberg e.a. Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Bouquins, Cerf / Robert Laffont, Paris 1996, p. 400). Les synagogues les plus traditionnelles des États-Unis d'Amérique disent une prière pour le président et le vice-président de l'Union, des synagogues moins traditionnelles se contentant de prières pour le gouvernement et ses fonctionnaires.

Nos orthodoxes «diasporiques» sont donc beaucoup plus «diasporiques» que ce judaïsme «diasporique» en ce sens qu'ils se dispensent de prier pour le gouvernement des États où ils résident... dont ils ont la nationalité... où leurs ancêtres résidaient déjà... etc.

Or, c'est un usage établi de l'Église orthodoxe. lui aussi enraciné dans la Bible (Rom 13: 1) que de prier pour le chef de l'État à la liturgie, en le mentionnant par son prénom s'il est orthodoxe. Autrement dit, vous pouvez prier pour le roi de France, mais vous devez prier pour celui qui est aujourd'hui le président de la République française.

A ma connaissance, aucune paroisse orthodoxe en Suisse ne prie pour le Conseil fédéral.

D'après le livre que notre frère Jean Besse avait consacré à l'église orthodoxe roumaine de Paris (les Saints-Archanges), celle-ci aurait été pendant des décennies la seule paroisse orthodoxe parisienne à se conformer à l'usage orthodoxe traditionnel (plus précisément, il semble qu'à la liturgie, on y commémorait le roi Michel de Roumanie et « les autorités de la République française»).

Cette absence de commémoration, à la liturgie, des autorités d'États dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne persécutent pas l'Église orthodoxe, me semble une manifestation incontestable des dérives du phylétisme (on se veut tellement en «diaspora» qu'on oublie où on est ici et maintenant... depuis souvent x générations).

Je voudrais savoir si, parmi les lecteurs du forum, d'autres ont eu des échos ou des impressions plus positives que moi, et s'ils connaissent des paroisses qui prient pour le gouvernement du pays.
Nikolas
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Re: Un test du phylétisme

Message par Nikolas »

Concernant la paroisse de Poitiers (Exarchat russe - Patriarcat de Constantinople) dont je fais partis, nous prions comme cela est prévu dans la Divine Liturgie.
Litanie de paix au début de la Divine Liturgie "pour ceux qui nous gouvernent" et encore la prière du prêtre "pour ce pays et ceux qui nous gouvernent. Accorde-leur, Seigneur, de gouverner en paix, afin que nous aussi, jouissant de la tranquillité qu’ils nous assurent, nous menions une vie paisible et calme en toute piété et dignité.".
On retrouve cette prière beaucoup plus développée dans la liturgie de saint Basile :
"Souviens-toi, Seigneur, de ceux qui nous gouvernent. Enveloppe-les de l’armure de la vérité et de la bienveillance. Couvre leur tête de ton ombre au jour du combat ; fortifie leur bras, exalte leur droite ; affermis leur gouvernement ; soumets-leur toutes les forces barbares qui cherchent la guerre ; fais-leur la grâce d’une paix profonde et inamissible ; suggère à leur cœur ce qui est bon pour ton Église et pour tout ton peuple, afin que, dans les jours sereins qu’ils nous procureront, nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et sainteté.
Souviens-toi, Seigneur, de toute autorité et pouvoir et de toute l’armée."


Mais l'on peut aussi mentionner en plus des autorités, la prière pour le lieu :
(Liturgie st Jean Chrysostome) "Souviens-toi, Seigneur, de cette ville où nous habitons, de toute ville, de tout pays et des fidèles qui y demeurent".
(Liturgie st Basile) "Préserve, Seigneur, cette ville, toute ville et tout village de la famine, des épidémies, des tremblements de terre, des inondations, de l’incendie, du glaive, de l’invasion étrangère et de la guerre civile."

De même dans la prière récité par le prêtre à la fin de la liturgie après le "Sortons en paix" :
"Accorde la paix à l’univers, à tes Églises, à tes prêtres, à ceux qui nous gouvernent et à tout ton peuple."

Bien sûr, vous verrez ici qu'il n'est pas mentionné précisément avant le "... ceux qui nous gouvernent" : autorités civiles, autorités de la République française.
Mais celles-ci ne sont elles pas comprises dans l'expression "ceux qui nous gouvernent" pour qui nous demandons la paix et la force? De même lorsque nous prions pour l'armée, ou pour cette ville où nous habitons. N'est ce pas une manifestation de l'ici et maintenant, du pays dans lequel nous vivons et pour lequel nous prions ?
Voulez vous dire qu'en Suisse toutes les paroisses omettent ces passages et donc de prier pour le gouvernement, pour l'armée (seulement liturgie de st Basile), et pour la ville dans laquelle est célébrée la Divine liturgie et le pays dans lequel les fidèles vivent?
Claude le Liseur
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Re: Un test du phylétisme

Message par Claude le Liseur »

Nikolas a écrit : Voulez vous dire qu'en Suisse toutes les paroisses omettent ces passages et donc de prier pour le gouvernement, pour l'armée (seulement liturgie de st Basile), et pour la ville dans laquelle est célébrée la Divine liturgie et le pays dans lequel les fidèles vivent?
Oui, à ma connaissance, toutes les paroisses omettent de prier "pour le pays où nous habitons" et "pour ceux qui le gouvernent" (ce qui ne serait déjà pas mal, même si ce serait encore mieux de dire "pour la Suisse et pour le Conseil fédéral").
Sylvie
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Re: Un test du phylétisme

Message par Sylvie »

La formule employée étant très générale, il est fort possible, selon l'expérience que j'ai eu du patriotisme, que des fidèles priaient pour les chefs d'états des pays autres que leur pays ou province d'accueil.

Sylvie
Nikolas
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Re: Un test du phylétisme

Message par Nikolas »

Claude le Liseur a écrit :Oui, à ma connaissance, toutes les paroisses omettent de prier "pour le pays où nous habitons" et "pour ceux qui le gouvernent" (ce qui ne serait déjà pas mal, même si ce serait encore mieux de dire "pour la Suisse et pour le Conseil fédéral").
Je suis fort étonné d'apprendre cela. En France ce n'est pas le cas. Je ne dis pas que certains ne les omettent pas, car je n'y ai jamais prêter attention, mais ce n'est du moins pas la règle générale.
Claude le Liseur
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Re: Un test du phylétisme

Message par Claude le Liseur »

Nikolas a écrit :
Claude le Liseur a écrit :Oui, à ma connaissance, toutes les paroisses omettent de prier "pour le pays où nous habitons" et "pour ceux qui le gouvernent" (ce qui ne serait déjà pas mal, même si ce serait encore mieux de dire "pour la Suisse et pour le Conseil fédéral").
Je suis fort étonné d'apprendre cela. En France ce n'est pas le cas. Je ne dis pas que certains ne les omettent pas, car je n'y ai jamais prêter attention, mais ce n'est du moins pas la règle générale.

Je me demande si ce n'est pas parce que la Suisse, depuis un certain temps, avait un peu trop omis de rappeler qu'elle n'est pas qu'un décor de théâtre.

Par ailleurs, je me demande si le déclin de l'usage de prier pour le chef de l'État en particulier n'est pas dû à une volonté irréfléchie de ne pas donner l'impression de faire de la politique. D'où la comparaison que je faisais avec les Juifs aux États-Unis d'Amérique où, semble-t-il, les synagogues les plus traditionnelles disent expressément la prière pour le président et le vice-président de l'Union, tandis que les synagogues moins traditionnelles disent la prière pour le gouvernement et ses fonctionnaires: peut-être par crainte de sembler exprimer des préférences politiques?

Il me semble aussi qu'il y a un déclin généralisé du prestige de la fonction de chef d'État, élu ou pas. Je me souviens d'avoir un jour regardé (à coup sûr sur Arte!) une bande d'actualités des années 1950 où un très oublié président de la République fédérale d'Allemagne (que je suppose avoir été Theodor Heuss) venait inaugurer une centrale électrique. En tête du comité d'accueil, il y avait une écolière qui lui fit la révérence avant de lui remettre un bouquet. J'imagine mal, dans l'Europe actuelle, qui que ce soit faire la révérence au président de la République fédérale d'Allemagne (ou de la République italienne, ou de la République française)... et pourtant c'était il y a moins de soixante ans.

Alors peut-être qu'on oublie qu'on prie pour le chef de l'État parce qu'il est le chef de l'État, et pas parce qu'il nous plaît, qu'il est compétent, ou sympathique, etc.

Ceci étant, un prêtre de l'Église orthodoxe russe hors frontières m'avait assuré, voici quelques années, que les paroisses orthodoxes de Belgique commémoraient expressément le roi des Belges à la liturgie (pas par son prénom, vu qu'il n'est pas orthodoxe, mais par sa fonction). Je ne sais pas si c'est toujours valable, ni si cela concerne toutes les paroisses.
Nikolas
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Re: Un test du phylétisme

Message par Nikolas »

Claude le Liseur a écrit :
Nikolas a écrit : Voulez vous dire qu'en Suisse toutes les paroisses omettent ces passages et donc de prier pour le gouvernement, pour l'armée (seulement liturgie de st Basile), et pour la ville dans laquelle est célébrée la Divine liturgie et le pays dans lequel les fidèles vivent?
Oui, à ma connaissance, toutes les paroisses omettent de prier "pour le pays où nous habitons" et "pour ceux qui le gouvernent" (ce qui ne serait déjà pas mal, même si ce serait encore mieux de dire "pour la Suisse et pour le Conseil fédéral").
Il y a au moins une paroisse suisse qui prie durant la liturgie pour le gouvernement fédéral et les conseillés fédéraux.
Il s'agit de la paroisse Saint-Maire et Saint-Grégoire-Palamas à Lausanne (Diocèse serbe). D'ailleurs seule paroisse, à ma connaissance, faisant partie de l'Eglise canonique utilisant encore le rite occidental.
On peut le constater en écoutant l'émission de radio consacrée à la liturgie pascale dans cette paroisse à partir d'ici : http://orthodox.fr/post/83423865902/sui ... elebration
Claude le Liseur
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Re: Un test du phylétisme

Message par Claude le Liseur »

Nikolas a écrit : Il y a au moins une paroisse suisse qui prie durant la liturgie pour le gouvernement fédéral et les conseillés fédéraux.
Il s'agit de la paroisse Saint-Maire et Saint-Grégoire-Palamas à Lausanne (Diocèse serbe). D'ailleurs seule paroisse, à ma connaissance, faisant partie de l'Eglise canonique utilisant encore le rite occidental.
On peut le constater en écoutant l'émission de radio consacrée à la liturgie pascale dans cette paroisse à partir d'ici : http://orthodox.fr/post/83423865902/sui ... elebration
Bonne nouvelle. C'est une paroisse où je ne me suis jamais rendu.

Par ailleurs, c'est aussi une très bonne nouvelle que la Radio suisse romande ait choisi de transmettre la liturgie pascale depuis cette paroisse.

Ce n'est pas que je sois un militant de la liturgie selon saint Germain de Paris. Je dois même avouer que je n'ai jamais assisté à la liturgie que selon le rit byzantin. En grec, en slavon, en roumain, en arabe, en français, en anglais, en norvégien, mais seulement le rit byzantin. De ma vie je n'ai jamais eu l'occasion de participer à la liturgie des Gaules, ni aux liturgies d'origine anglicane ou tridentine rectifiées utilisées dans les pays anglo-saxons,ni aux liturgies celtiques ou italiques. J'aurais bien aimé y assister ne serait-ce qu'une fois, mais je n'ai jamais eu l'occasion. Vous me direz, maintenant que j'apprends qu'il y a encore une paroisse orthodoxe qui utilise le rit des Gaules à Lausanne, il ne me reste qu'à prendre mon courage à deux mains et à affronter la pire autoroute d'Europe.

Mais si je ne suis pas un militant des rites occidentaux, et même si je suis très ignorant dans ce domaine, je crois que l'on aurait dû, d'une manière générale, leur faire un meilleur accueil que celui qui leur a été fait. Elles ont valeur de symbole. Elles ne sont pas qu'un rappel de l'universalité de l'Orthodoxie (après tout, le rit byzantin, célébré dans tant de langues, est universel), elles sont aussi un hommage à un certain nombre d'Eglises locales anéanties au fil des siècles par la Papauté et dont la parfaite orthodoxie doctrinale mérite que, de temps en temps, on soulève le couvercle du cercueil dans lequel on les a enterrées.
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