Novelius a écrit :L'impression que le patriarcat oecuménique de Constantinople est le principal artisan côté orthodoxe du dialogue et de "l'esprit" oecuménique est t'elle fondée ?
Non. Le patriarcat de Constantinople n'est pas allé plus loin dans cette ligne que ceux de Moscou et de Roumanie. Ce sont clairement les trois synodes les plus engagés sur cette voie dangereuse. Pour mémoire, c'est tout de même le patriarcat de Moscou, qui, en 1969, au grand dam du reste du monde orthodoxe, avait promulgué un décret (rapporté par la suite) qui donnait aux hétérodoxes la possibilité de recevoir les derniers sacrements de la part d'un prêtre orthodoxe; c'est un métropolite du patriarcat de Roumanie, et pas du patriarcat de Constantinople, qui, en 2008, a scandaleusement communié dans une église uniate sans que cela entraîne l'application des sanctions prévues par le droit canonique. Moi, je peux vous dire que j'étais dans une église "stavropigiale", dépendant directement du patriarche de Constantinople, un jour où l'on a rappelé à une hétérodoxe qui voulait s'approcher du calice qu'elle n'était pas admise à la communion.
Maintenant, il est clair que les synodes d'autres Eglises locales (en premier lieu Bulgarie, Géorgie et Grèce) sont sur une ligne beaucoup plus "confessante" que Constantinople.
Pensez vous qu'en effet le patriarcat de Constantinople essaye de se voir attribuer une autorité sur le reste du monde orthodoxe ?
Oui, mais se faire reconnaître une autorité par qui, puisque précisément le reste du monde orthodoxe ne le veut pas? A mon humble avis, la stratégie est plus subtile: un patriarcat agonisant sur le territoire turc et qui n'a toujours pas fait (après 90 ans de valse-hésitation) le choix de tout miser sur le développement de l'Orthodoxie en Europe occidentale et dans les pays neufs essaie d'obtenir de l'oxygène en donnant l'illusion
aux non-orthodoxes qu'il aurait une autorité sur le reste du monde orthodoxe. Ce qui est visé, ce n'est pas seulement le soutien diplomatique du Vatican, par exemple: c'est aussi une certaine présence médiatique qui peut être obtenue par ce biais, parce que le patriarcat a besoin de faire feu de tout bois pour ne pas être définitivement étouffé par les autorités turques. Mais là où le patriarcat se trompe sans doute, c'est que cette présence médiatique dans les pays développés, qui a jusqu'à présent retenu les autorités turques d'expulser le synode, il l'aurait maintenant s'il avait fait, dès les années 1920, un travail missionnaire de longue haleine en Europe occidentale, dans les Amériques, en Océanie et en Extrême-Orient, au lieu de procéder de manière si timide,hésitante et louvoyante.
Pensez vous qu'il y ait un risque de schisme et si c'est le cas les vrais schismatiques ne sont t'il pas précisément les hiérarques oecuménistes ?
Le risque de schisme me semble moins fort qu'il y a quelques années parce que le pouvoir communiste n'est plus en place pour étouffer la résistance dans des pays où à la fois la hiérarchie et les fidèles ont gardé une forte conscience orthodoxe comme la Serbie, la Géorgie et la Bulgarie. En outre, pour scandaleuse que soit l'attitude des hiérarques oecuménistes, elle est souvent sans conséquence sur le terrain; il y a dans certaines Eglises locales une dichotomie totale entre ce que l'on fait au pays et les déclarations de certains hiérarques que l'on envoie parader dans les réunions oecuménistes - au point d'avoir assisté à l'apparition d'évêques-diplomates qui ne sont plus que titulaires d'un siège où ils ne résident guère. Si Constantinople donne plus que d'autres l'impression de la compromission, c'est que ce patriarcat est devenu un peu "hors sol", faute d'avoir pu compenser la disparition des fidèles de son territoire anatolien d'origine par une véritable floraison missionnaire ailleurs. Quand on compare au travail admirable accompli par le patriarcat d'Alexandrie en Afrique depuis 1946, on a en effet le droit d'être déçu.
Pour le reste, il faut raison garder. Les déclarations ambiguës du patriarcat de Constantinople blessent la conscience orthodoxe, certes. Mais le peu de travail missionnaire qui est fait en Extrême-Orient ou en Amérique centrale se fait dans la juridiction de Constantinople. Et c'est bien Constantinople - et presque seulement Constantinople - qui a béni la création de paroisses francophones, italophones et germanophones en Europe occidentale (s'agissant des paroisses hispanophones, elles sont sous la juridiction du patriarcat de Serbie). Alors, que doit-on préférer? Des synodes dont la confession de foi est pour le moins hésitante mais qui accueillent les convertis ou ce qu'était le Synode russe hors frontières en Europe occidentale dans les années 1980 - c'est-à-dire une Eglise qui avait une confession de foi ferme qu'elle démentait dans ses actes en refusant tout apostolat et en proclamant qu'elle était une Eglise ethnique? Je préfère encore les premiers...