patrik111 a écrit :Merci, Claude, pour cette citation.
Juste pour l'anecdote, il me souvient d'avoir, dans une vie antérieure, entendu des ultramontains français d'aujourd’hui défendre le Concordat...
En tout cas, bonjour la succession apostolique!
Votre ultramontain n'avait pas tout tort... si l'on pense, comme eux, que la fin justifie les moyens.
Le chapitre suivant du livre de Taine explique comment le Concordat de 1801, le coup de force de la révocation de tout l'épiscopat et les articles organiques de 1802, conçus avant tout pour soumettre l'l’Église catholique romaine à l’État, a surtout abouti à la destruction du gallicanisme et à la soumission de ladite Église au pape.
En 1801, à Rome, pendant les négociations du Concordat, lorsque Pie VII hésitait encore à déposer en masse les survivants de l’ancien épiscopat français, des observateurs clairvoyants disaient déjà : « Terminons ce Concordat que le Premier Consul désire ; on verra, quand il sera ratifié, toute l’immensité de son importance, et le pouvoir qu’il donne à Rome sur l’épiscopat dans tout l’univers. » - Effectivement, par ce coup d’autorité « extraordinaire, presque sans exemple », et certainement sans égal « dans l’histoire de l’Église », la théorie ultramontaine, contestée jusqu’alors et maintenue dans la région spéculative des formules abstraites, descendait sur la terre solide, dans la pratique positive et durable. (…) – Car, en fait, le pape avait dépossédé de leurs sièges tous les chefs d’une grande Église, « ses collègues et ses coévêques », successeurs des apôtres au même titre que lui, membres du « même ordre » et marqués « du même caractère », quatre-vingt-cinq titulaires légitimes, bien mieux et de son propre aveu, irréprochables, méritants, persécutés parce qu’ils lui avaient obéi, bannis de France pour n’avoir pas voulu sortir de l’Église romaine. À tous, il avait commandé de se démettre ; aux treize qui refusaient de se démettre, il avait retiré leurs pouvoirs apostoliques ; à tous, même aux refusants, il avait donné des successeurs.
Hippolyte Taine, Le régime moderne, livre cinquième, chapitre 1, 3e partie, in Les origines de la France contemporaine, Bouquins, Robert Laffont, Paris 2011, p. 1457 (1re édition 1893).
Toute la suite du livre de Taine explique comment le coup de force de 1801 a, en quelques décennies, abouti à la disparition totale du gallicanisme en France et au triomphe de l'ultramontanisme, avec pour corollaire une désaffection de plus en plus marquée de la population à l'égard de la religion dominante. Taine souligne que l'ultramontanisme, tout en fabriquant un clergé d'une exceptionnelle qualité, a fait plus pour la déchristianisation de la France que la Révolution elle-même. Avant de jeter la pierre aux Français quant à leur irréligion (et Dieu sait combien de reproches j'ai à faire à ce peuple en bien des domaines), il faudrait aussi se souvenir que la masse de la population n'a pas été dupe et s'est rendu compte, de manière plus ou moins consciente, que la religion d'après 1801 n'était plus la religion d'avant 1790, bref, que ce n'était plus vraiment la religion de leurs pères (pour ne même pas parler de la religion orthodoxe du premier millénaire); la confiance était ébranlée. Les réflexions de Taine sont aussi à mettre en parallèle avec l'itinéraire du RP Guettée, confronté au déclin du gallicanisme, aux abus de l'épiscopat contre le bas clergé que ne soutenait plus la justice laïque (Taine souligne aussi que tous les appels comme d'abus furent rejetés au XIXe siècle), se rendant compte de la faiblesse doctrinale du gallicanisme, et en tirant la seule conséquence logique en retournant dans le sein de l'Orthodoxie en 1861 (reçu dans l'Orthodoxie par l'archiprêtre Wassilieff de la paroisse orthodoxe russe de Paris). Taine était imbu d'un préjugé anti-orthodoxe curieusement hérité de Joseph de Maistre et qui éclate dans plusieurs pages de son livre; il n'a sans doute jamais entendu parler de Guettée, mort un an avant lui; et pourtant, le dernier livre des
Origines de la France contemporaine est à lire en parallèle avec les
Souvenirs d'un prêtre romain devenu orthodoxe de Guettée.
Taine souligne aussi qu'aucun pays, du point de vue catholique romain, ne connaissait au XIXe siècle une situation aussi catastrophique que la France, avec un État fondamentalement intolérant et autoritaire, mais en même temps résolu à totalement abandonner l'Église catholique romaine à la monarchie pontificale et à ne pas intervenir dans le fonctionnement de la machine ultramontaine : cette schizophrénie aboutissait à un abaissement de l'épiscopat et à un écrasement du bas clergé sans équivalent dans les autres pays, où soit l'État était fondamentalement libéral (États-Unis), soit l'État relativement autoritaire était logique et conservait un droit de regard sur le fonctionnement de l'Église catholique romaine sur son territoire, et en particulier la nomination des évêques (droit de présentation, préservation des droits des chapitres, etc.). Le résultat fut un clergé, certes pieux et exemplaire, mais de plus en plus ultramontain, et par là même de plus en plus coupé de la masse sociologique, et un peuple de plus en plus dubitatif. Taine (pp. 1508-1509) donne les statistiques pour Paris en 1890: 5% de pratiquants (1 femme sur 12 ou 13, 1 homme sur 50), déjà 25% de mariages purement civils, 20% d'enterrements purement civils, 24% d'enfants non baptisés; il ajoute qu'en province, dans les situations les plus favorables, on arrivait à une proportion de pratiquants au maximum quatre fois supérieure (1 femme sur 4, 1 homme sur 12).