L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

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Fredrick
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L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Fredrick »

Bonjour à tous,

Ma question est dans le titre, j'aimerai savoir ce que pense l'orthodoxie du protestantisme en général.

Merci.
Anne Geneviève
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Anne Geneviève »

C'est très dur de répondre à une question aussi générale : le protestantisme a engendré une nébuleuse de croyances dont beaucoup contredisent les conciles œcuméniques de manière frontale, on trouve aussi des réflexions de bonne venue ici et là. Je suis incapable pour ma part de vous donner une réponse globale car de qui et de quoi parlez-vous ? De Luther ? De Jean Hus, de Calvin, des Anglicans et de quelle Eglise, High ou Low Church ? Et si l'on aborde les Amériques, ça granule presque à l'infini.

Tout ce que je peux remarquer, c'est qu'à ma connaissance, aucune Eglise de la Réforme n'a remis en cause le filioque ni la référence aux écrits d'Augustin. De plus, le rejet de la Tradition (sola scriptura), c'est l'appui sur la lettre aux dépens de l'Esprit.

Claude vous répondra sans doute de manière plus argumentée.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Claude le Liseur »

Fredrick a écrit :Bonjour à tous,

Ma question est dans le titre, j'aimerai savoir ce que pense l'orthodoxie du protestantisme en général.

Merci.

Au début de la Réforme, Luther s'est persuadé qu'il avait retrouvé une foi qui était aussi celle de l'Eglise orthodoxe. Il y a un de ses écrits (je retrouverai la référence) où il affirme que sa foi est aussi celle des Grecs et des Blancs-Ruthènes. Mais il n'a eu aucun contact direct avec les orthodoxes. On considère généralement que plus aucune union n'était possible à partir du moment où le docteur Luther a nié la valeur sacramentelle de l'onction des malades.

Par la suite, du temps du patriarche Jérémie II de Constantinople, il y a eu une longue correspondance entre les docteurs luthériens de Tubingue et le patriarcat de Constantinople. L'histoire de cette correspondance a été très bien rapportée par Sir Steven Runciman dans The Great Church under Captivity. Les luthériens voulaient se rallier le patriarcat de Constantinople - qui gémissait sous le joug musulman et se trouvait en situation précaire - dans leur lutte contre la Papauté, mais le patriarche Jérémie n'était pas prêt à vendre sa foi. Après plusieurs échanges de lettres avec les théologiens luthériens, il leur a écrit une lettre admirable, dont le contenu pourrait être résumé en "nous pouvons rester de bons amis, mais nous professons clairement une foi différente". Cette lettre est d'ailleurs un résumé de la position orthodoxe traditionnelle face à l'hérésie: on réfute l'erreur, on ne tue pas ceux qui la professent - position fort différente de celle de la Papauté jusqu'à nos jours (l'exemple du cardinal Stepinac et des Oustachis nous montre un exemple fort récent de la manière dont le Vatican traite les chrétiens qui ne se soumettent pas à son autorité quand il est en position de force) et de la Réforme au XVIe siècle (qu'on se souvienne de la lettre de Castellion à Calvin: "Tuer un homme, ce n'est pas défendre une idée, c'est tuer un homme"). Il est bon de rappeler cette position traditionnelle à l'heure où les oecuménistes cherchent à présenter les orthodoxes fidèles à leur foi comme des intolérants, capitalisant sur tous les mauvais souvenirs que les persécutions et les guerres de religion ont laissé en Europe occidentale, alors que l'Orthodoxie n'a pas un héritage historique aussi désastreux, même si elle n'est pas exempte de ses propres fautes. Je me demande si, dans leur désir d'union avec la puissance temporelle de la Papauté, les orthodoxes papalins n'iront pas jusqu'à projeter leur amour du Vatican dans le passé et à faire endosser à l'Orthodoxie la responsabilité de l'Inquisition... dont un des buts, au moment de sa création, était d'extirper les orthodoxes de l'Italie du Sud.

Ajoutons que le patriarcat arménien de Constantinople n'eut pas, à la même époque, la même fermeté dans sa foi que le patriarcat orthodoxe, et que les émissaires luthériens reçurent des déclarations vagues quant à la position des monophysites sur la question du Filioque.

On peut déplorer que les circonstances historiques et, peut-être, la personnalité elle-même de Luther aient empêché cette union dont il rêvait avec les patriarcats orthodoxes en aboutissant à l'apparition de nouvelles confessions chrétiennes plutôt qu'à un retour d'une partie de l'Europe occidentale au sein de l'Orthodoxie. C'était d'ailleurs le deuxième échec de ce genre, puisque les Hussites de Bohême avaient essayé, au milieu du XVe siècle, d'entrer en communion avec l'Eglise orthodoxe. Cette tentative avait échoué parce que le siège de Constantinople était tenu par les partisans de la fausse union de Florence appuyés par le pouvoir politique, les orthodoxes fidèles à leur foi ayant dû former un synode persécuté qui s'appelait la Synaxe. On sait néanmoins qu'un émissaire hussite fut reçu dans l'Orthodoxie par les évêques de la Synaxe. On constate que l'oecuménisme avait déjà en 1450 les conséquences qu'il a aujourd'hui au sein de l'Orthodoxie: bien loin d'unir qui que ce soit, il divise les orthodoxes entre eux, et fait en outre obstacle au témoignage orthodoxe à l'égard de chrétiens hétérodoxes qui, à l'exemple des Hussites de l'époque, ont faim et soif de la vérité.
Fredrick
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Fredrick »

Merci pour vos réponses,

Donc le fait que les protestants "ont une foi différente" rend impossible tout œcuménisme et communion avec eux.

La question que je me pose aussi est : est-ce que selon vous le baptême d'un protestant est valable, n'ayant pas été baptisé par un prête ayant suivi la ligne apostolique ?

Merci.
Claude le Liseur
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Claude le Liseur »

Fredrick a écrit :
Donc le fait que les protestants "ont une foi différente" rend impossible tout œcuménisme et communion avec eux.

Précisément, en principe, l'œcuménisme - s'il avait encore un sens - devrait consister à discuter avec ceux qui ont une foi différente de la nôtre, et donc il me semble que, par définition, l'œcuménisme n'est possible qu'avec ceux qui ont une foi différente. Comme le faisait Jérémie II en correspondant avec les docteurs luthériens. Toutefois, il a mis fin de manière ferme, mais courtoise, à la discussion, quand il s'est rendu compte que cela ne menait à rien.
Au contraire, l'œcuménisme contemporain - le seul qui est encore pratiqué de nos jours, avec de terribles dégâts pour l'Orthodoxie - consiste à nier les différences au profit de la recherche d'une union purement humaine, sans Dieu, voire contre Dieu.

Pour répondre à la seconde partie de la question, la communion - là encore, par définition - la communion suppose une foi commune.

On pourrait ainsi dire qu'il ne peut y avoir d'œcuménisme qu'avec ceux avec qui il n'y a pas de communion.

Le contentieux historique est moins lourd avec les protestants et les anglicans qu'avec les catholiques romains (limités aux massacres de moines russes commis par les luthériens suédois et aux tentatives de conversion forcée des orthodoxes de Transylvanie par les voïvodes calvinistes du XVIIe siècle). Aux XIXe et XXe siècles, il y a eu de bons exemples de coopération - bien sûr sur le plan purement humain - entre les orthodoxes et les protestants et anglicans, notamment après le pogrom anti-orthodoxe des 6 et 7 septembre 1955 organisé à Istamboul par le gouvernement Menderes. Mais de la coopération dans le domaine social, éducatif, culturel et politique aux transgressions en matière de foi - par exemple, la reconnaissance ambiguë, par des commissions de théologiens usurpant les pouvoirs qu'elles n'ont pas, de la validité des sacrements dispensés en dehors de l'Orthodoxie, ce qui est contraire à la tradition -, il y a un énorme pas, que certains ont malheureusement franchi avec allégresse.
J-Gabriel
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par J-Gabriel »

A propos de ce terme de protestant regardons une anecdote que signale Henri Petiot (alias Daniel-Rops) dans le dernier tome de son Histoire de L’Eglise.
N.B. L’auteur étant d’une autre confession, je mets dans les crochets une précision lorsque celui-ci utilise une terminologie semblable à la nôtre dans les extraits qui vont suivre, et je m’inspire du paragraphe en son entier pour donner le titre.

Les protestataires de Spire :
Le terme même dont on désigne ce phénomène religieux est curieusement limitatif et équivoque. Il se réfère à un très minime incident de l’histoire de ses origines. En 1529, l’empereur Charles Quint, inquiet de l’agitation que provoquaient en Allemagne les idées d’un religieux nommé Martin Luther, en rupture avec l’Eglise [kto], réunit à Spire la diète impériale pour examiner la situation et tâcher de rétablir l’unité. Comprenant bien vite que cette intention était irréalisable, les délégués, à une forte majorité, décidèrent de maintenir les choses en l’état. Ce statu quo signifiait que les zélateurs des idées nouvelles et les catholiques traditionnels étaient sûrs de ne plus être inquiétés, s’ils vivaient dans une région où dominaient leurs adversaires. Mais il ne faisait pas l’affaire des novateurs qui, pleins d’allant, étaient convaincus que leur mouvement était irrésistible. La décision de Spire arrêtait leur progrès ; elle interdisait même de continuer certaines propagandes parmi les plus mordantes, par exemple de critiquer tout haut le dogme de l’Eucharistie. Cinq puissants seigneurs et quatorze villes refusèrent le compromis. Quoi ? Tolérer chez eux la messe, cette idolâtrie papiste ? limiter les droits de leurs prédicateurs à proclamer la vérité ? Une protestation fut publiée, dont le ton vigoureux parut correspondre aux jeunes ardeurs de la révolution religieuse en cours ; le terme protestant prit une valeur symbolique.
Historiquement parlant*, un protestant est donc un chrétien qui proteste contre la décision de la diète de Spire de 1529 !
Et par extension, qui proteste contre les errements de l’Eglise catholique [vaticane].

*Il est curieux de noter que l’autre terme dont on a désigné en français les protestants, les huguenots, rappelle, lui aussi, un très minime épisode historique. Les Eidgenossen –confédérés– étaient au XVIe siècle les calvinistes de Genève qui s’unirent pour résister par les armes aux attaques du duc de Savoie.

Daniel-Rops, Ces chrétiens nos frères, Filles de la Réforme.
A la suite, Daniels-Rops dans un petit élan œcuménique, continue :
Ce serait cependant fausser le sens et la portée du grand fait religieux qu’est le protestantisme que de le limiter le terme usuel à cette conception purement négative. Même s’il est vrai que l’anticatholicisme demeure une de ses constantes, il se définit lui-même autrement que par cet antagonisme. Protestation contre Rome et le catholicisme, il ne l’est, dans ses perspectives, que parce que qu’il entend être une protestation de fidélité au véritable christianisme, un témoignage de conscience. On invoque ici l’étymologie : protestari, témoigner.

Daniel-Rops, Ces chrétiens nos frères, Filles de la Réforme.
« fidélité au véritable christianisme » !? Prétention qui doit nous être amusante. Même s'ils se sont séparés de Rome, je crois qu’en matière de fidélité au véritable christianisme on fait mieux…
Claude le Liseur
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Claude le Liseur »

J-Gabriel a écrit :
« fidélité au véritable christianisme » !? Prétention qui doit nous être amusante. Même s'ils se sont séparés de Rome, je crois qu’en matière de fidélité au véritable christianisme on fait mieux…
Et oui, il ne suffit pas de se séparer de Rome pour se rallier au véritable christianisme. Ce n'est que le premier pas... et force est de constater que Luther n'a fait que ce premier pas.
J-Gabriel
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par J-Gabriel »

Claude le Liseur a écrit :Ce n'est que le premier pas... et force est de constater que Luther n'a fait que ce premier pas.
Symbolique peut-être involontaire, mais ce premier pas m’a fait penser au premier article de La Confession d'Augsbourg, qui s’accorde encore avec nous, mais le deuxième article (deuxième pas), avec le péché héréditaire, déjà plus !

PS: "La Confession d'Augsbourg" je pense n’est confessé que par les luthériens.
Claude le Liseur
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par Claude le Liseur »

J-Gabriel a écrit :
PS: "La Confession d'Augsbourg" je pense n’est confessé que par les luthériens.

Elle ne concernait en effet que les luthériens. Et je doute que les Eglises luthériennes de l'Europe contemporaine, passées dans leur immense majorité au protestantisme libéral (il faut aller en Amérique du Nord pour trouver une forte présence de luthériens confessionnels, avec le synode du Missouri, dont les filiales en Allemagne, en Estonie, en Belgique et en France - le fameux S.F.B., Synode de France et de Belgique - n'ont de loin pas les mêmes effectifs que leurs frères étasuniens), attachent encore une grande importance à la confession d'Augsbourg ou aux autres monuments importants de la foi luthérienne.
J-Gabriel
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par J-Gabriel »

Claude le Liseur a écrit :Elle ne concernait en effet que les luthériens. Et je doute que les Eglises luthériennes de l'Europe contemporaine, passées dans leur immense majorité au protestantisme libéral (il faut aller en Amérique du Nord pour trouver une forte présence de luthériens confessionnels, avec le synode du Missouri, dont les filiales en Allemagne, en Estonie, en Belgique et en France - le fameux S.F.B., Synode de France et de Belgique - n'ont de loin pas les mêmes effectifs que leurs frères étasuniens), attachent encore une grande importance à la confession d'Augsbourg ou aux autres monuments importants de la foi luthérienne.

Merci pour les informations. Mais je suis étonné parce que vous ne mentionnez pas de pays scandinaves dans le lot des confesseurs.
J’avais pensé de par mes quelques lectures récentes sur les débuts de ce mouvement, dans lesquels j’apprends notamment qu’en Scandinavie s’était implanté dès le début un luthérianisme des plus confessionnelles qui ferait décrisper le plus rigide des calvinistes.
carriere.francois
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Re: L'avis orthodoxe sur le protestantisme.

Message par carriere.francois »

Bonjour J-Gabriel et tou(te)s,

En fait, les Églises luthériennes fermement attachées à leurs Confessions de foi sont habituellement des Églises libres qui sont membres de l'International Lutheran Council («Conseil luthérien international»). Elles ne sont donc pas membres (la plupart du temps) de la Fédération luthérienne mondiale (FLM). Pour le site de l'ILC et leurs Églises membres, on peut aller à: http://www.ilc-online.org/

Bien cordialement,
François
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