samjavvat a écrit :Je trouve très curieux pour des orthodoxes de nier catégoriquement que le suaire de Turin puisse être le Mandylion. A l'heure actuelle, le Mandylion a disparu, et seul demeure le suaire de Turin, dont on ignore encore bien des choses. L'hypothèse que le suaire de Turin provienne du sac de Constantinople est tout à fait plausible, et j'y crois.
Sur un plan strictement visuel, je trouve que le suaire de Turin est vraiment un mystère, qu'il s'agit d'une pièce d'exception, une image non-faite de main d'homme. Peut-être, la seule trace de la Résurrection. Les similitudes entre le suaire et les icônes orthodoxes du Mandylion sont frappantes.
Pour info, le métropolite Hilarion vient de célébrer une liturgie devant le suaire de Turin:
http://www.egliserusse.eu/Celebration-o ... _a974.html
Avant de vous prononcer, allez voir la relique en question.
Avant de faire de l'identité entre le suaire de Turin et le saint Mandylion un nouveau dogme, examinons le témoignage de la langue grecque, de l'iconographie, des sources historiques et du Synaxaire.
La question débattue ici n'est pas l'authenticité du suaire de Turin, mais l'identification entre le suaire de Turin et le Mandylion. Résumons un certain nombre de choses que nous croyons savoir sur le Mandylion.
En grec, suaire = σάβανο, νεκροσέντονο (pour le suaire de Turin, plus particulièrement σινδώνα ou σουδάριο), tandis que le Mandylion (Μανδήλιον), que Madame Economidès traduit en français par voile, est dérivé du mot qui signifie "mouchoir" (μαντήλι). L'étymologie indique déjà que le Mandylion n'a jamais été considéré comme ayant la taille d'un linceuil. Un mot qui veut dire "mouchoir" n'indique pas a priori un linceul, surtout quand la langue en question contient des mots différents pour chacune de ces réalités.
Quiconque connaît la tradition iconographique orthodoxe sait que les icônes qui s'inspirent du Mandylion (icônes dites acheiropoiètes) représentent la sainte Face de notre grand Dieu, Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Il n'a jamais été question que le Mandylion représente le corps entier du Sauveur, mais seulement son visage. Une simple recherche d'images sur Internet devrait vous en persuader, sans parler de la lecture d'un livre sur les icônes qui vous montrera clairement ce qu'est une icône acheiropoiète.
De toutes les sources relatives à l'histoire du Mandylion (
Chronique de Labubna,
Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée, saint Ephrem le Syrien, Moïse de Khoren, Procope, Kédrinos, Evagre le Scolastique, saint Jean Damascène, Léon le Lecteur, le pape Grégoire III) , on peut retenir un consensus selon lequel le Mandylion représentait le visage du Seigneur, qu'il était généralement considéré comme apparu avant la crucifixion et qu'il était d'une manière ou d'une autre lié à la lettre du Seigneur au roi d'Edesse saint Abgar V le Noir. Jamais le Mandylion n'a été mentionné comme une image du corps entier du Seigneur. Et la légende relative à l'origine du Mandylion ne parle jamais d'une image liée à la Passion, mais d'une image antérieure à celle-ci. Aucune tradition, aucune source, ne relie le Mandylion ni à la Passion, ni à la représentation du corps entier du Sauveur.
En réalité, on ne trouve pas d'identification entre le Mandylion et le suaire de Turin avant le livre du journaliste Ian Wilson en 1979, qui, devant bien concilier sa théorie avec toutes les sources qui sont unanimes quant au fait que le Mandylion représentait la sainte Face du Sauveur, nous explique que le Mandylion était en fait un linceul plié en huit, de telle sorte qu'on ne voyait que le visage du Christ. Quant au fait que la tradition relative au Mandylion l'associe au Christ
avant sa Passion et à la correspondance échangée avec Agbar V...
J'ai sous les yeux le livre que Madame Irène Economidès avait naguère (1994) écrit pour défendre la théorie selon laquelle le Mandylion a été transféré à Gênes en 1362 et qu'il n'est autre que l'image conservée depuis à l'église Saint-Barthélémy-des-Arméniens (
Chiesa di S. Bartolomeo degli Armeni). Avez-vous au moins tenu compte de cette théorie alternative quant au destin du Mandylion avant d'affirmer catégoriquement que le Mandylion a disparu et que "seul demeure le suaire de Turin"?
Ainsi que je le disais plus haut, l'objet de la discussion, dans le présent message, n'est pas l'authenticité du suaire de Turin, mais bien l'identification entre le Mandylion et le suaire de Turin. Alors, pourquoi une telle insistance de certains militants sindonophiles sur l'identité entre le Mandylion et le suaire de Turin?
Je crois comprendre que certains des partisans du suaire de Turin éprouvent le besoin de l'identifier au Mandylion pour justifier leur thèse, puisque l'Eglise orthodoxe a, à la date du 16 août, une commémoration liturgique liée au transfert du Mandylion d'Edesse à Constantinople sous Romain Lécapène, alors que le calendrier ecclésiastique, à ma connaissance, ne connaît pas de commémoration liturgique liée à un suaire. Il faut donc, semble-t-il que le Mandylion devienne un suaire pour que le Synaxaire et la tradition liturgique puissent être enrôlés au service du suaire de Turin. Mais pourquoi, d'ailleurs, serait-ce le suaire de Turin plutôt que le suaire de Besançon? Enfin, peu importe.
Revenons à cette commémoration qui figure au calendrier ecclésiastique. On sait en effet que c'est en 944 que Romain Ier Lécapène obtint des occupants musulmans d'Edesse la restitution du Mandylion qu'ils appelaient en arabe
منديل mandīl, et c'est cet événement qui est commémoré le 16 août.
Là encore, le témoignage de la tradition liturgique est clair (
lex orandi, lex credendi), puisque c'est pour cette fête que l'archimandrite Denis Guillaume avait traduit un office complet à la sainte Face au tome VIII du Supplément aux Ménées. Une fois de plus, la sainte Face. Hélas, rien, dans la tradition relative au Mandylion, n'a jamais relié le Mandylion à autre chose que le visage du Seigneur. On notera d'ailleurs que c'est aussi à la date du 16 août que l'on fait mémoire de saint Abgar V Oukhama, roi d'Osroène, la tradition ayant lié de manière inséparable le premier roi chrétien et le Mandylion.
Vous trouvez curieux que des orthodoxes puissent nier catégoriquement que le Mandylion soit le suaire de Turin. Je trouve pour ma part curieux qu'une hypothèse avancée pour la première fois en 1979 par Ian Wilson soit considérée comme supérieure au témoignage a) des sources historiques et hagiographiques, b) de la tradition iconographique orthodoxe, c) de la tradition liturgique orthodoxe, qui, de manière unanime, rapportent le Mandylion au visage du Sauveur et, qui plus est, au visage du Sauveur avant sa Passion. Pour ne même pas parler des arguments de ceux qui situent aujourd'hui le Mandylion à Gênes - arguments qu'on a le droit de réfuter, mais pas forcément de passer sous silence.
Il ressort de toutes ces considérations que le suaire de Turin n'est pas le Mandylion. Cela ne porte d'ailleurs pas atteinte à l'authenticité ou à la non-authenticité du suaire de Turin. Le suaire de Turin peut parfaitement être authentique. Mais, dans ce cas, il serait le linceul qui a enveloppé le corps du Sauveur, tandis que le Mandylion est l'image du visage du Sauveur envoyée à Abgar V le Noir. Que le suaire de Turin soit authentique ou pas ne change rien au fait qu'il n'est pas le Mandylion.