Cher Adam,adam a écrit :Claude le Liseur: "Trébizonde est aujourd'hui la ville turque de Trabzon (300'000 habitants), considéré comme l'épicentre de la haine anti-chrétienne dans la Turquie contemporaine"
Oups!....Mes ancêtres, du côté maternel, sont originaires de cette région. Ils l'ont quitté au début du 20 eme siècle pour s'installer dans une province voisine à environ deux heures de là.
Et je me permets une petite correction, car vous traduisez "Gazi" par "Tueurs de chrétiens". Sauf erreur de ma part, en Turc, ce mot est utilisé pour définir un homme qui revient (victorieux) d'une guerre, par opposition au "Sehit" (Martyre) mort pour la patrie. Je ne connaissais pas l'aspect religieux du mot.
Je découvre en vous lisant, un visage que je connaissais pas de cet homme, encore aujourd'hui présenté comme le champion de la modernité et surtout comme le "Sauveur" des Turcs.
Je dois vous dire que j'apprécie beaucoup vos interventions sur le forum, et que j'en apprécie d'autant plus la correction, la pondération, l'argumentation et la haute tenue que j'ai bien conscience que certains des faits que je porte ici à votre connaissance sont certainement en totale contradiction avec l'enseignement que vous avez reçu à l'école et peuvent vous choquer. Sachez que j'écris cela sans passion, sans parti pris anti-turc ou quoi que ce soit du genre, et que moi aussi, j'ai vécu mon enfance et mon adolescence dans un environnement où cet homme était toujours présenté sous un jour favorable: dans les pays francophones, tous ses biographes, de Benoist-Méchin à Dumont, étaient des laudateurs. Ce n'est que plus tard que j'ai découvert la face noire du personnage. J'ai beaucoup insisté sur le traitement épouvantable infligé aux chrétiens d'Anatolie, mais il y aurait aussi des pages à écrire sur la manière dont furent ensuite réprimés ses opposants turcs, aussi bien ceux qui représentaient une voie libérale à l'occidentale que ceux qui se réclamaient du passé ottoman au nom de l'Islam.
Je conçois sans peine que l'on puisse le considérer en Turquie comme l'homme qui a sauvé ce pays du démembrement territorial et de la perte de souveraineté. Il reste encore à dire à quel prix. Et il reste aussi à souligner que ce statut de libérateur du territoire a servi de justification à tout ce qu'il a fait pendant ses années de dictature. Et je pense qu'il a, à cette époque, pris des décisions qui ont lourdement péjoré l'avenir de son pays et de son peuple jusqu'à ce jour. Je suis moi-même un partisan résolu de la laïcité à la française ou à la genevoise, mais j'estime que la sécularisation brutale qu'il a imposée à son pays appelait en elle-même des réactions qui se manifesteront à un moment ou à un autre. Je ne tiens pas l'Islam pour une religion vraie; mais il vaut mieux, peut-être, avoir l'Islam que le culte exclusif de la nation divinisée, culte aux bases branlantes puisqu'il s'appuie sur la négation de certains faits historiques. Ce n'est bien sûr pas à moi de récrire l'Histoire ou de décider de ce qui aurait été préférable pour la nation turque, mais je pense que le processus de modernisation en douceur qu'ont connu la plupart des pays arabes - qui, en plus, n'ont pas liquidé leurs minorités, à l'exception de l'Algérie - aurait sans doute porté en lui moins de contradictions internes. Je ne crois pas que l'on puisse mener à coups de matraque un peuple hors des rails que lui avaient balisés son histoire, sa culture et son génie national; je crois, en revanche, que l'on peut petit à petit poser d'autres rails qui infléchiront la direction du train. Autrement dit, je ne pense pas qu'on prépare un peuple musulman au dialogue avec l'Europe et à l'esprit des Lumières en anéantissant ses minorités chrétiennes et en lui insufflant une haine vigilante à l'égard de tout ce qui est chrétien. C'est cette contradiction dans l'action de Mustafa Kemal qui me frappe particulièrement et je constate que vous êtes aussi sensible à ce que j'écris sur ce sujet.