La prise de Jérusalem par les Sassanides (614)
Publié : dim. 27 déc. 2009 17:28
Sur le présent forum, il a déjà été fait allusion à maintes et réitérées reprises à la conquête de Jérusalem par Chosroès II en l'an 614 (ici: viewtopic.php?f=1&t=2387&p=16802 ; ici: viewtopic.php?f=1&t=2411&p=16734 ; ici: viewtopic.php?f=1&t=820; ici: viewtopic.php?f=5&t=635&p=2899 ; ici: viewtopic.php?f=1&t=147; ici: viewtopic.php?f=1&t=13&p=26 ). Nous avons déjà dit à quel point la connaissance de cet événement est fondamentale pour comprendre le foisonnement des sectes antichrétiennes dans le Moyen-Orient de cette époque-là et les origines de l'Islam. Il me semble toutefois intéressant de reproduire un récit complet et honnête de ces événements à travers la source la plus complète dont je dispose:
André N. Stratos
(traduit en français par André Lambert)
Byzance au VIIe siècle
Tome I
Payot, Lausanne 1985 (édition originale: Athènes 1970)
La traduction française (527 pages richement illustrées) est un condensé de l'original grec qui fait 1'300 pages.
Je ne peux que conseiller à toute personne intéréssée par cette période tragique de notre histoire de faire l'acquisition des deux volumes de l'édition française du travail d'André Stratos. Toutefois, je me permets de reproduire ici le récit de la conquête de Jérusalem par les Sassanides (pp. 107-111 de l'édition française):
Avec l'échec de 613, la voie pour la conquête du reste de la Syrie, de la Palestine et de l'Egypte est désormais ouverte aux Perses.
En Syrie, les Grecs ou les Syriens hellénisés qui se trouvent en plus grand nombre dans les villes, ne peuvent résister aux Perses sans l'appui de la population rurale qui est monophysite. Les conflits sanglants de factions, le passage de Bonose, le soulèvement des Juifs fort nombreux, ont considérablement affaibli les moyens de défense de cette région. Le moral de la population est très bas; les monophysites secoueraient volontiers le joug byzantin.
En Palestine, la situation est à peu près la même, bien que la population soit en majorité orthodoxe ou pro-byzantine. Ici encore, les querelles intestines des factions et les nombreux éléments juifs en reandent la défense très malaisée. L'armée régulière est peu nombreuse et généralement formée de soldats qui ne sont pas entraînés, mais sont simplement chargés d'accomplir les devoirs de simple police.
Pour les chrétiens de cette époque, il émanait de Jérusalem un rayonnement particulier. L'amour qu'ils vouaient à la Ville sainte, le soin que les emperereurs et les patriarches prirenet en tous les temps à la transformer et à l'embellir, firent que celle-ci devint dépositaire d'un immense trésor. Les Perses, déjà à l'époque de Chosroès Ier, auraient voulu s'emparer de cette ville. Selon Eutychius les mages incitaient le monarque persan à s'en saisir lui prédisant que si le bastion du christianisme tombait, Byzance subirait le même sort.
En automne 613, Sahrbaraz descend la vallée de l'Oronte, l'habituelle voie d'invasion, traverse l'Anti-Liban et s'empare de Damas qui n'offre aucune résistance.
Vers la fin de 613 ou au début de 614 Sahrbaraz traverse de nouveau l'Anti-Liban à proximité de la ville de Panéas et pénètre en Palestine. Il occupe toutes les villes et spécialement les villes côtières sans rencontrer de résistance pour empêcher un débarquement éventuel de renforts pour les Byzantins.
On compte en Palestine environ 150 à 200 000 Juifs. Beaucoup s'empressent de s'enrôler dans l'armée de Sharbaraz. Il en vient de toutes parts: de Tibériade, de Nazareth, de la Galilée, de la Judée, de Césarée, de Naplouse et de bien d'autres villes encore. D'après Gibbon 26 000 d'entre eux grossissent les rangs de l'armée ennemie, tandis que selon Rawlison leur nombre s'élève à 36 000. Parmi ceux-ci, beaucoup leur servent de guides. Sahrbaraz s'empare de la Galiliée et de toute la vallée du Jourdain, puis marche sur Jérusalem par Arsouf.
La panique saisit les chrétiens de Palestine; des gens de toutes les classes sociales dans leur affolement encombrent les routes qui mènent à Jérusalem et en Egypte. Le patriarche Sophronius dans son ode, dépeint la terreur et la fuite de la population devant l'armée persane. Les tribus nomades arabes saisissent cette occasion pour se livrer au pillage. Comme le fait remarquer Vassiliev, l'anarchie qui régnait libéra les tribus arabes des obligations qu'elles avaient acceptées par traité et de la peur qui les contenait.
Les chroniques de cette époque décrivent l'assaut des Arabes contre la Laura d'Abba Sabbas, où après l'avoir pillée ils torturent 44 moines avant de les faire périr. Les rescapés se cachent pendant une longue période tant ils craignent les incursions des Sarrasins.
Sahrbaraz veut conquérir Jérusalem d'une manière pacifique. Suivant un récit qui se révèle inexact, la ville accepta de recevoir une garnison de Perses qui fut anéantie à la suite d'une querelle entre chrétiens et Juifs. Le patriarche Zacharias qui se rend compte que toute résistance est impossible veut accepter les très bonnes conditions qu'offre Sahrbaraz pour la reddition de la ville, mais les éléments les plus vifs des factions soutenus par les moines l'emportent. Zacharias après avoir été qualifié de traître est menacé de mort. Modeste va chercher comme renfort la garnsion de Jéricho, mais lorsque les soldats de cette garnison aperçoivent la masse des Perses, ils s'enfuient.
Les sources ne s'accordent nis sur le mois ni sur l'année de la prise de Jérusalem. Nous estimons qu'on peut admettre celle de 614 rapportée par deux sources contemporaines: celle d'Antiochos le moine et du Chronicon Pascale. Les chroniqueurs ultérieurs citent l'année 615. Quant au mois, dans la chronique contemporaine d'Antiochos «témoin» de la prise de la ville, celui-ci varie selon les versions du texte grec et les traductions en arabe ou en géorgien.
(pages 107-109; à suivre)
André N. Stratos
(traduit en français par André Lambert)
Byzance au VIIe siècle
Tome I
Payot, Lausanne 1985 (édition originale: Athènes 1970)
La traduction française (527 pages richement illustrées) est un condensé de l'original grec qui fait 1'300 pages.
Je ne peux que conseiller à toute personne intéréssée par cette période tragique de notre histoire de faire l'acquisition des deux volumes de l'édition française du travail d'André Stratos. Toutefois, je me permets de reproduire ici le récit de la conquête de Jérusalem par les Sassanides (pp. 107-111 de l'édition française):
Avec l'échec de 613, la voie pour la conquête du reste de la Syrie, de la Palestine et de l'Egypte est désormais ouverte aux Perses.
En Syrie, les Grecs ou les Syriens hellénisés qui se trouvent en plus grand nombre dans les villes, ne peuvent résister aux Perses sans l'appui de la population rurale qui est monophysite. Les conflits sanglants de factions, le passage de Bonose, le soulèvement des Juifs fort nombreux, ont considérablement affaibli les moyens de défense de cette région. Le moral de la population est très bas; les monophysites secoueraient volontiers le joug byzantin.
En Palestine, la situation est à peu près la même, bien que la population soit en majorité orthodoxe ou pro-byzantine. Ici encore, les querelles intestines des factions et les nombreux éléments juifs en reandent la défense très malaisée. L'armée régulière est peu nombreuse et généralement formée de soldats qui ne sont pas entraînés, mais sont simplement chargés d'accomplir les devoirs de simple police.
Pour les chrétiens de cette époque, il émanait de Jérusalem un rayonnement particulier. L'amour qu'ils vouaient à la Ville sainte, le soin que les emperereurs et les patriarches prirenet en tous les temps à la transformer et à l'embellir, firent que celle-ci devint dépositaire d'un immense trésor. Les Perses, déjà à l'époque de Chosroès Ier, auraient voulu s'emparer de cette ville. Selon Eutychius les mages incitaient le monarque persan à s'en saisir lui prédisant que si le bastion du christianisme tombait, Byzance subirait le même sort.
En automne 613, Sahrbaraz descend la vallée de l'Oronte, l'habituelle voie d'invasion, traverse l'Anti-Liban et s'empare de Damas qui n'offre aucune résistance.
Vers la fin de 613 ou au début de 614 Sahrbaraz traverse de nouveau l'Anti-Liban à proximité de la ville de Panéas et pénètre en Palestine. Il occupe toutes les villes et spécialement les villes côtières sans rencontrer de résistance pour empêcher un débarquement éventuel de renforts pour les Byzantins.
On compte en Palestine environ 150 à 200 000 Juifs. Beaucoup s'empressent de s'enrôler dans l'armée de Sharbaraz. Il en vient de toutes parts: de Tibériade, de Nazareth, de la Galilée, de la Judée, de Césarée, de Naplouse et de bien d'autres villes encore. D'après Gibbon 26 000 d'entre eux grossissent les rangs de l'armée ennemie, tandis que selon Rawlison leur nombre s'élève à 36 000. Parmi ceux-ci, beaucoup leur servent de guides. Sahrbaraz s'empare de la Galiliée et de toute la vallée du Jourdain, puis marche sur Jérusalem par Arsouf.
La panique saisit les chrétiens de Palestine; des gens de toutes les classes sociales dans leur affolement encombrent les routes qui mènent à Jérusalem et en Egypte. Le patriarche Sophronius dans son ode, dépeint la terreur et la fuite de la population devant l'armée persane. Les tribus nomades arabes saisissent cette occasion pour se livrer au pillage. Comme le fait remarquer Vassiliev, l'anarchie qui régnait libéra les tribus arabes des obligations qu'elles avaient acceptées par traité et de la peur qui les contenait.
Les chroniques de cette époque décrivent l'assaut des Arabes contre la Laura d'Abba Sabbas, où après l'avoir pillée ils torturent 44 moines avant de les faire périr. Les rescapés se cachent pendant une longue période tant ils craignent les incursions des Sarrasins.
Sahrbaraz veut conquérir Jérusalem d'une manière pacifique. Suivant un récit qui se révèle inexact, la ville accepta de recevoir une garnison de Perses qui fut anéantie à la suite d'une querelle entre chrétiens et Juifs. Le patriarche Zacharias qui se rend compte que toute résistance est impossible veut accepter les très bonnes conditions qu'offre Sahrbaraz pour la reddition de la ville, mais les éléments les plus vifs des factions soutenus par les moines l'emportent. Zacharias après avoir été qualifié de traître est menacé de mort. Modeste va chercher comme renfort la garnsion de Jéricho, mais lorsque les soldats de cette garnison aperçoivent la masse des Perses, ils s'enfuient.
Les sources ne s'accordent nis sur le mois ni sur l'année de la prise de Jérusalem. Nous estimons qu'on peut admettre celle de 614 rapportée par deux sources contemporaines: celle d'Antiochos le moine et du Chronicon Pascale. Les chroniqueurs ultérieurs citent l'année 615. Quant au mois, dans la chronique contemporaine d'Antiochos «témoin» de la prise de la ville, celui-ci varie selon les versions du texte grec et les traductions en arabe ou en géorgien.
(pages 107-109; à suivre)