Recension: «L'ivrogne et la marchande de fleurs »

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Claude le Liseur
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Re: Recension: «L'ivrogne et la marchande de fleurs »

Message par Claude le Liseur »

Il me paraît dès lors intéressant de comparer les chiffres auxquels arrivent Nicolas Werth en 2009, et le métropolite Mitrophane en 2018.

Werth, que j'ai des raisons objectives de considérer comme quelqu'un qui évalue toujours à la baisse le chiffre des victimes du communisme depuis son interview à L'Immonde où il se désolidarisait de ses co-auteurs du Livre noir du communisme, se base sur un chiffre donné par Iejov à Staline en décembre 1937 : 166 évêques arrêtés (81 condamnés à mort), 9'116 prêtres arrêtés (4'629 condamnés à mort), 2'173 moines et moniales arrêtés (934 condamnés à mort), 19'904 "activistes cléricaux" arrêtés (7'004 condamnés à mort). Soit, pour une période de quatre mois, 12'648 condamnations à mort.

Pour Monseigneur Mitrophane, ce chiffre est de 85'300 pour 1937 (ou plus exactement il y eut exécution de 85'300 "clercs et serviteurs de l'Eglise" arrêtés en 1937) et de 21'500 en 1938.

En effet, il ne dit pas que les personnes arrêtées en 1937 ont toutes été exécutées en 1937.

On voit toutefois qu'il y a une énorme divergence entre les deux chiffres.

Werth estime toutefois que 90% du clergé orthodoxe furent exécutés en 1937-1938. Si on s'arrête aux prêtres, cela veut dire environ 40'000 exécutions. Pas 4'269, ni même 16'000, si l'on se base sur une moyenne mensuelle de 1'000.

Il est probable que la différence entre les 106'800 avancés par Monseigneur Mitrophane et les 40'000 qui correspondent à la catégorie des prêtres provient des moines et moniales (exécutés au rythme de 200 par mois si l'on s'en tient au rapport de Iejov, soit 5'600 environ pour les deux années 1937 et 1938, ou 3'200 sur les seize mois de la Grande Terreur) et surtout à la catégorie mystérieuse des "activistes cléricaux" évoqués par Iejov, et dont on voit qu'ils ont été encore plus réprimés que les prêtres. Le rapport Iejov évoque une moyenne mensuelle de 1'750 exécutions pour cette catégorie, soit 42'000 sur deux ans, ou 28'000 sur seize mois. Je pense que par "activistes cléricaux", il faut surtout entendre le clergé mineur, les sous-diacres, les lecteurs, les chantres, etc.

J'approche donc des chiffres de Monseigneur Mitrophane en extrapolant l'estimation de Werth de 90% de tués parmi les prêtres et en extrapolant le rapport de Iejov pour les autres catégories du clergé.

Toutefois, le peu de crédit que j'accorde aux archives soviétiques, aux rapports du NKVD, à tout ce qui a été plus ou moins donné en pâture aux historiens depuis la chute de l'Union soviétique mais contredit les statistiques basées sur les recensements soviétiques (cf. les travaux de Rummel dans Lethal Politics) fait que j'ai plus tendance à croire les statistiques du métropolite de Mourmansk, qui sont basées sur les archives de l'Eglise.
Claude le Liseur
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Re: Recension: «L'ivrogne et la marchande de fleurs »

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit : ven. 30 août 2019 16:44

Donc, s'agissant du "gentil" Lénine, le bilan serait le suivant, en incluant le typhus :

- 9 à 10,7 millions de morts en six ans, de novembre 1917 à la mort de Lénine en janvier 1924, dont 1 million de tués pendant la guerre civile, 2 à 2,3 millions de morts du typhus, 5 millions de mort de la famine, et entre 1 million et 2,4 millions d'exécutions ; Rummel partait d'une estimation de 8 millions ; on peut dire qu'on est dans une fourchette de 8 millions (Rummel) à 13 millions (Chesnais) ; c'était la première fois en Europe qu'un gouvernement menait une guerre aussi intense contre son propre peuple : dans l'estimation la plus basse, c'est comme si Lénine avait fait disparaître l'équivalent de la population actuelle de la Suisse en cinq ans ;

- un déficit de naissances de 3 à 14 millions.
S'agissant du nombre d'exécutions, le bilan de Lénine est sans doute bien au-delà de l'estimation de 2'400'000 victimes.

La commission qu'avait nommé le général blanc Dénikine était arrivée à un total de 1'700'000 personnes exécutées par les communistes sur le territoire de l'ancien Empire russe pour les années 1918 et 1919 (Sergueï Melgounov [traduit du russe par Wilfrid Lerat], La Terreur rouge en Russie (1918-1924), Les Syrtes, Genève 2019, p. 153 [1re édition russe Berlin 1923, 1re édition française Paris 1927).

Melgounov en rajoute 1'500'000 pour l'année 1920, quand le pouvoir soviétique a repris le contrôle de vastes portions de l'ex-Empire après la déconfiture successive de Koltchak, Dénikine et Wrangel et l'armistice avec les Polonais (Melgounov, op. cit., p. 151: 1'000 tribunaux spéciaux prononçant une moyenne de 5 condamnations à mort par jour et par tribunal).

"A Sébastopol, en particulier, les bolcheviks fusillèrent plus de 500 ouvriers du port accusés d'avoir aidé à l'embarquement des troupes de Wrangel" (Melgounov, op. cit., p. 122).

Melgounov était un membre du parti socialiste populiste, à gauche de l'échiquier politique, sans sympathie pour les Blancs et très anticlérical, mais malmené par les bolcheviks dès leur prise du pouvoir (cinq arrestations entre 1918 et 1921, et enfin le bannissement en octobre 1922).

Le livre de Melgounov a aussi l'immense mérite de décrire la poursuite de la Terreur rouge en 1921, 1922 et 1923, lors des années supposées calmes de la NEP, et nous montre bien à quel point les statistiques soviétiques sur lesquelles se fondent les historiens comme Werth sous-estiment le nombre des victimes de la période 1917-1953. A mon avis, la vérité est chez les démographes du type Rummel.

Une chose est sûre: le nombre des victimes de la première phase de la Terreur rouge (disons de la prise du pouvoir par Lénine le 7 novembre 1917 à l'écrasement de l'insurrection socialiste-révolutionnaire d'Alexandre Antonov dans la région de Tambov quatre ans plus tard) est très supérieur à celui des victimes de la grande Terreur stalinienne de juillet 1937 - décembre 1938.
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