Anne Geneviève a écrit :J'étais presque sûre que Claude mordrait à l'hameçon d'Avoriaz ! :-)))
Merci pour la leçon d'arpitan, plus claire que ce qu'on m'avait inculqué dans mon enfance aux limites de l'Arpitanie.
Explications d'un linguiste:
"Comme cette aire n'a pas connu une influence germanique comparable à celle qui s'est exercée sur la Gaule du Nord (les Burgondes qui ont occupé cette région ont surtout laissé des traces dans la toponymie), le francoprovençal est resté plus proche du latin que la langue d'oïl (et donc le français). C'est ainsi qu'en francoprovençal, on retrouve les voyelles finales non accentuées (ou "atones") que possèdent les autres langues romanes, à l'exception de la langue d'oïl ("rose" se dit
rousa, en deux syllabes, avec un
a final faiblement prononcé). C'est d'ailleurs à partir du maintien de ces voyelles atones finales que l'on trace la limite nord du francoprovençal, c'est-à-dire la limite entre le francoprovençal et la langue d'oïl.
Les nombreux toponymes en
-az ou
-oz que l'on rencontre en France (à l'est de la Saône et du Rhône), en Suisse Romande et au Val d'Aoste sont, comme nous le verrons plus loin, les témoins encore bien vivants de cette caractéristique.
Les limites ouest et sud (c'est-à-dire entre le francoprovença et l'occitan) correspondent à une autre caractéristique importante du francoprovençal: la palatalisation du a derrière un consonne de type palatal.
Alors qu'en occitan le
a latin s'est maintenu, quelle que soit la nature de la consonne précédente, en francoprovençal le
a latin placé derrière une consonne de type palatal (ex.
gn, y, ch, j) s'est transformé en
i ou en
é. Cela se traduit, par exemple, par un double conjugaison des verbes du premier groupe: alors qu'en occitan,
portar "porter" et
manjar "manger" ont la même terminaison (a), il en va autrement en francoprovençal, puisque
portar et
mengier ont une terminaison nettement différente." (Jean-Baptiste Martin,
Le francoprovençal de poche, Editions Assimil, Chennevières-sur-Marne 2005, p. 5).
"Pour marquer à l'écrit que la
a ou le
o finaux n'étaient pas accentuées, les scribes ont, dans le passé, ajouté un
z après ces voyelles. Cette pratique est encore visible dans les noms de lieux de la plus grande partie de l'espace francoprovençal. Ceux en
-az et
-oz situés en France à l'est du couloir Saône-Rhône, ainsi qu'en Suisse Romande et au Val d'Aoste, s'expliquent ainsi. Il s'agit de noms féminins singuliers terminés par un
a atone final et de noms masculins terminés par un
o atone final. Ce
z ne doit pas être prononcé. D'ailleurs les autochtones ne le prononcent jamais. C'est le cas, par exemple, pour
La Forclaz (qui signifie "fourche"), ou encore pour
La Clusaz qui est une forme de féminin singulier correspondant à
Cluses, forme du féminin pluriel (
cluse signifie "défilé"). La terminaison
-oz de
Culoz (fond de vallée) ou de
Saint-Jorioz (Saint-Georges) s'explique par le fait qu'il s'agit de formes masculines.
On retrouve également la présence de ce
z derrière
a et
o dans les noms de personnes. Ainsi
Portaz est l'équivalent francoprovençal du français Porte.
Dutriévoz,
Deluèrmoz sont des noms typiquement francoprovençaux (
triévo est le nom du carrefour,
uèrmo celui de l'orme." (Jean-Baptiste Martin, op. cit., p. 11.)
Comme chacun sait, le franco-provençal est pratiquement éteint sur la très grande majorité de son territoire. En dehors des exclaves de Faeto et Cello di San Vito dans les Pouilles, produits d'une lointaine émigration de Bressans ou de Valdôtains - on ne sait - vers le XIIIe siècle, les patois francoprovençaux ne survivent plus guère que dans les vallées latérales (et non la vallée principale) du Val-d'Aoste en Italie, dans quelques vallées savoyardes (Val Gelon), et, paraît-il, dans quelques villages des monts du Lyonnais en France, ainsi que dans le Val d'Hérens et la Gruyère en Suisse, le bastion de la langue restant la commune d'Evolène dans le val d'Hérens - qui est le seul endroit en Suisse où j'ai entendu des conversations en francoprovençal.
Ce qui est curieux, c'est que nos patois, plus très parlés, continuent à s'écrire: un Valdôtain, M. Luca Tillier, a soutenu le 27 mars 2009 à l'université de Turin (Piémont) la première thèse de doctorat jamais rédigée en francoprovençal, sous le titre
Les transfèrements financiérs ux Comenes : èvolucion a nivél d’Ètat et a nivél Vâldoten (
Les transferts financiers aux communes: évolution au niveau de l'Etat et au niveau valdôtain) (cf. ici:
http://www.arpitania.eu/index.php?optio ... :newsflash ) et il y a encore des romanciers qui publient en arpitan en Savoie et dans le Val-d'Aoste. Toutefois, il ne faut pas se faire d'illusion: la soudaine tolérance manifestée par l'université de Turin à l'égard du francoprovençal relève
a priori de la politique du
divide et impera, tous les moyens étant bons pour éliminer le français du Val-d'Aoste et l'italianiser totalement. (On se doute bien qu'une fois le français totalement éliminé du Val-d'Aoste, les jours de l'arpitan y seront comptés.)
Sur la plus grande partie de son territoire, la langue est à ce point-là morte que son souvenir s'est éteint. Une anecdote personnelle: comme on sait, l'hymne du canton de Genève est le
Ce qu’è lainô, commémorant l'échec de l'agression du catholique duc de Savoie contre la Rome du protestantisme dans la nuit du 12 décembre 1602. Ce chant est en francoprovençal. Il est encore transmis dans les écoles et connu, au moins partiellement, de toute la population autochtone. Quand, enfant, j'ai demandé à mon institutrice dans quelle langue étaient les paroles, elle m'a répondu que c'était du vieux français (comme si on avait encore parlé vieux français en 1602, à l'orée de la période classique!), tout simplement parce qu'elle ne savait même pas que l'on parlait autrefois francoprovençal à Genève. Ce souvenir d'enfance m'est revenu quand j'ai moi-même commencé à m'intéresser au francoprovençal après la parution du livre de Dominique Stich chez L'Harmattan.
Et pourtant, même s'il n'a même plus connaissance du fait que l'on parlait des patois franco-provençaux dans sa région, même s'il n'a aucune connaissance de la raison pour laquelle le -x et le -z final des toponymes et anthroponymes ne se prononcent pas, tout enfant de l'Arpitanie sait que La Forclaz, Ramuz et Chamonix se prononcent "La Forcla", "Ramu" et "Chamoni", et identifiera immédiatement comme venu de l'extérieur un francophone qui prononcerait "Ramuse", "La Forclase" ou "Chamonixe". C'est ainsi que la langue se survit.
Pour l'anecdote, je trouve avec émotion le texte du
Ce qu'è lainô sur l'excellent site de M. Leclerc de l'université Laval de Québec (ici:
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/monde/fra ... Geneve.htm ).
Cé qu'è lainô, le Maitrè dé bataillé,
Que se moqué et se ri dé canaillé,
A bein fai vi, pè on desando nay,
Qu'il étivé patron dé Genevois.
Pour les amateurs de questions calendériques: si le duc de Savoie a choisi la nuit du 12 décembre 1602 ("
onna nay asse naire que d'ancro", dit l'hymne) pour attaquer Genève, c'est qu'il s'agissait d'un des jours les plus courts de l'année, le lendemain du solstice d'hiver. En effet, Genève, protestante, n'avait pas encore adopté le calendrier grégorien, et le 12 décembre 1602 à Genève était tout simplement un 22 décembre 1602 en Savoie...