Théosis, temps et réincarnation ?

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Sebastien
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Théosis, temps et réincarnation ?

Message par Sebastien »

Bonjour,

J'imagine qu'on a déjà dû vous poser la question de la réincarnation (bien que je n'ai rien trouver de très probant sur le moteur de recherche du forum).
Je sais que la doctrine de la réincarnation n'a pas bonne presse dans le christianisme, ma question n'est pas pour vous choquer ou vous ennuyer. C'est que ce principe de réincarnation "explique" ou "arrange" beaucoup de choses. Je me demande simplement qu'elle est la réponse des Pères sur certains points :

1) Le courte durée de la vie humaine et le manque de temps pour achever la sainteté... Nous sommes tous bourrés de défauts et de faiblesses, la paix de l'esprit nécessaire à l'accueil de la Grâce est très difficile à trouver car vaincre ses démons intérieurs est un long...très long combat. La notion de réincarnation a le mérite de permettre une compréhension progressive sur le long terme. S'il n'y a pas de réincarnation, comment à l'échelle d'une vie, avoir le temps de manifester les vertus, de se débarrasser de nos lacunes... ?
2) L'âme des jeunes ? Et pour les enfants ou les ado qui meurent avant même d'avoir ouvert sur le monde un regard réfléchi ? S'il n'y a pas de réincarnation, que se passe-t-il avec l'âme d'un bébé ? Il sera jugé sur quelles bases ?
3) On ne naît pas vierge. Quoiqu'on en dise, on ne naît pas tous pareil ni physiquement, ni mentalement, ni psychologiquement, ni même animiquement. Certains manifesteront très jeune une propension à la spiritualité ou/et au Bien. Certains gosses sont très sensible et manifestent sincèrement une compréhension et un amour des autres exemplaires. D'autres, par contre, manifestent l'inverse et passe leur temps à torturer les chats (plus tard, ils diront j'ai jamais tué de chats ou alors il y a longtemps ou ils sentaient pas bons :lol: ). Sérieusement, si on ne peut pas expliquer cette différence par un développement précédent, comment l'expliquer ?

Les Pères ont-ils réfléchis sur ces questions ? Quelles sont les réponses qu'ils y apportent ?

Sinon, Joyeux Noël à tous ! Que la Lumière du Christ soit en vous et autour de vous !
Jean-Mi
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Message par Jean-Mi »

Bonsoir,

quelques pistes proposées, mais il y a bien mieux à lire avec les textes liturgiques de ce forum que ma réponse, soyez-en sûr

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ref 2. pour l'âme des jeunes, saint Grégoire de Nysse a écrit un très beau traité sur le sujet. En traduction française moderne, non-vérifiée par un Orthodoxe (et c'est délicat en matière dogmatique vu les falsifications usuelles..), vous avez chez l'éditeur "migne" dans la collection "pères dans la foi" le n° 69, "Dieu et le mal," qui vous reproduit ce traité. Tout y est dit, par un des géants de la théologie apostolique.

ref 3. Tout le monde naît vierge.
Je n'ai pas encore lu la vie d'une personne née de parents saints (donc Chrétiens) qui ai dégénéré. Si mes enfants pètent un jour les plombs, ce sera uniquement parce que je ne suis qu'une grosse tache dont le comportement infect aurait fait douter de Dieu, et pas parce que Dieu les aurait créés mauvais.
Dieu étant parfait et immuable, Il ne saurait avoir créé le mal. Ce qui tourne au mal c'est par un éloignement du Bien absolu, Qui est Dieu.


ref 1. un excellent article résume les pensées antiques sur le sujet.

http://www.ditl.info/arttest/art17390.php

Je me permettrai quelques remarques cependant

Dans la Grèce antique, c'était un lieu commun que d'attribuer une origine "divine" au maître de son école de pensée ou de philosophie ou de guerre ou de science quelconque. Donc ce que ceux qu'on croit (textes très tardifs, voir plus loin) être les disciples de X ou Y ou Z ont écrit de leur mentor, c'est bien, mais si on va lire ce que des textes affirmant être des disciples des penseurs P ou Q ou R écrivent desdits maîtres, on verra la plupart du temps les mêmes considérations. Un disciple bien né rabroue rarement son maître.

Pour venir à un point important, tout ce qui concerne Hindouisme & Bouddhisme, quant à la datation pré-médiévale, est à manipuler avec des pincettes. Il faut avoir fréquenté la philosophie sous-jacente au bouddhisme et la philosophie hindouiste pour savoir à quel point la notion même de précision temporelle est sans importance pour eux. De même que la fiabilité des sources. Si la pseudépigraphie était courante tant dans l'antiquité grecque païenne que dans le judaïsme biblique, elle n'a pas atteint les sommets de l'art extrême-oriental. Où le fait que l'idée est intéressante dépassera toujours la certitude de l'origine et de la véracité. Donc quand vous lisez "véda du 2ème millénaire avant Jésus-Christ", il est capital de lire "on croit que".. car les brahmanes eux-mêmes n'en savent rien et à vrai dire.. ils s'en ..
Aucune école védique ne sait donner de datation précise sur le moindre de ses textes, notamment du fait de la transmission essentiellement orale pendant des siècles, y compris de nos jours dans divers madrashas.
Autres peuples, autres moeurs. Si quelqu'un croit aux politiciens actuels, il ne comprendra pas ceci..

Les premiers évangélisateurs de l'Inde et de la Chine, à partir du saint Apôtre Thomas et des divers successeurs (Pantène au 2ème siècle, etc), en plus de l'Évangile du Salut, ont apporté une partie de la culture antique du bassin méditerranéen avec eux. C'est logique, on parle avec et par sa culture. Cependant, ça laisse des traces. On a retrouvé des statues hindoues représentant du clergé brahmane fort semblable au clergé Chrétien de l'époque, étole comprise. Ces statues du 2-3ème siècle sont dissemblables de celles représentant ces mêmes clercs brahmanes d'avant le Christ. L'influence a donc été jusqu'à l'art. Ils auraient étrangement évité la culture ou la philosophie?

Du bouddhisme, il n'existe strictement pas le moindre document authentique, pas la moindre gravure, que l'archéologie et la paléographie puisse faire remonter jusqu'aux origines. Si mes souvenirs sont bons, on dépasse le millénaire de distance, comme pour les plus anciennes copies des écrits de Platon et de Jules César. Qui sont les plus anciens documents comparés à la date de leurs auteurs. Sauf pour ce qui concerne le Christianisme, où là on est dans les quelques dizaines d'années entre les auteurs connus et l'âge du document, quelques petites dizaines d'années voire moins, comme l'ont montré divers archéologues y compris non-Chrétiens, mais c'est une autre question bien entendu. Dès lors, quand on dit "le bouddha il a fait ceci ou cela," il est absolument nécessaire de se renseigner sur la tradition qui l'affirme. On ne remontera jamais vraiment loin dans le temps. Mais bon, si ça leur fait plaisir de croire à ça, pourquoi pas. En attendant, apprendre à connaître les fondements historiques de ladite tradition permet de resituer la valeur réelle des textes. Parfois très très intéressants au niveau philosophique, presqu'autant que le tetsu-gaku japonais, mais ça c'est une question de goût personnel.

Par contre, pour arriver à la question karmique, qui surfile toute la question de la métempsycose dans l'hindouisme et le bouddhisme médiéval, il est nécessaire d'aller voir de quoi il s'agit. Si j'ai bien compris, votre question pose sur la "perfection" et le temps nécessaire pour y parvenir. Vous parlez de sainteté, mais je sens bien la question de perfection. Il faut savoir que pour être saint, il n'est pas nécessaire d'être parfait, cathare, sinon nul d'entre nous ne le serait jamais. Le Christ est limpide quant à nos capacités à chuter. Et tout l'Ancien Testament, dont les ferments littéraires connus et assurés antidatent largement la plupart des textes antiques, nous montre à l'envi qu'en effet, on est tout à fait compétents pour commettre erreur sur gaffe, pour ne rien dire d'autre.
Il se fait que la doctrine du Karma ne parle pas du tout de perfection, et encore moins de sainteté bien sûr. Pour l'Occidental ignorant le Christianisme des origines, il lui semble logique de se tourner vers ce qui lui promettrait un changement pour devenir au moins acceptable de la "divinité" à laquelle il croirait (divers déismes), ou pour "acquérir les énergies libératrices" (théosophie). Mais karma c'est pas un terme occidental, c'est du sanskrit qui veut dire action. J'agis, il y aura une conséquence. Bonne ou mauvaise, je n'ai pas d'influence dessus. Ca se répercutera sur la suite. L'action peut prendre diverses formes, physiques ou non, peu importe, il y aura conséquence. C'est un système quasiment mécanique, écrasant.

La métempsycose est appelée chez nous réincarnation. Très mauvais terme, puisqu'il fait référence à la chair. Chez l'Hindou, la "réincarnation" ça peut aussi être sous la forme d'un caillou ou d'une plante, bref pas du tout de la chair.

En plus, chez nous, les gens s'imaginent avoir souvenance de la vie antérieure, et donc pouvoir s'améliorer par rapport aux erreurs qu'ils pensent avoir commises. Or, et l'auteur du texte le rappelle, c'est chez Platon qu'on trouve une idée de "souvenir" possible d'une forme de vie antérieure - et chez lui on parle de vie humaine, il n'envisage pas d'autre forme pour le retour de l'âme dans un corps, au contraire des philosophies et religions extrême-orientales. Donc pour un Hindou, impossible de penser, de concevoir une notion de "progrès possible et assuré", puisque le passé est inconnu. Avant-hier ministre, hier caillou, demain vache, après-demain bonsaï, et la vie suivante chauffeur de bus. Comment une vache pourrait-elle comprendre ce que c'est que vivre comme ministre et pécher comme ministre, c'est impossible. Aucune possibilité de progrès vers une perfection. Au moindre geste, à la moindre pensée, la moindre intention, karma, quelque chose va se produire, sans la moindre possibilité d'influence dessus. Subir. Le Samsara et la "roue" font que tous les 4 cycles, après le passage de Kali et une grande destruction, tout recommence, on n'est pas bloqué dans un cycle bestial ou minéral, c'est déjà ça.
Aucun progrès, aucune amélioration, simplement une conséquence quasi balistique des actes et pensées et non-actes et non-pensées de la forme de vie dans laquelle on se serait trouvé par le hasard des choses.

La sainteté est aux antipodes de la perfection. Le jour où vous aurez le bonheur de lire les vies et écrits de saints - je suis très restrictif sur ce concept, et c'est la vie éternelle qui est en jeu, ça ne vaut pas de se fourvoyer sur l'idée même de sainteté - vous verrez vite qu'ils sont ceux qui sont le plus conscients de leur état de faiblesse. Car dit saint Paul, c'est quand je suis faible que je suis fort, non pas grâce à mes actions ou pensées ou quoi que ce soit, mais parce que quand dans ma faiblesse je me reconnais tel devant le Seigneur, alors c'est LUI Qui vient en moi, et Qui me relève, et Qui me remet sur l'unique chemin de Vie, celui qui mène à Lui.
Et alors, avec des cahots, des chutes, des hésitations, des doutes gros comme l'Everest, peu importe, mais je vais vers Lui. Mais de perfection, nulle question. Dieu seul est parfait, et Dieu seul le restera.

pardonnez-moi si j'ai pu vous choquer dans ce texte, pondu en... buvant mon godet de rhum quasi habituel..

Image

peccator sum..
(et mataf en même temps, ceci expliquant cela mais ne le pardonnant pas pour autant)
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Mi a écrit :Les premiers évangélisateurs de l'Inde et de la Chine, à partir du saint Apôtre Thomas et des divers successeurs (Pantène au 2ème siècle, etc), en plus de l'Évangile du Salut, ont apporté une partie de la culture antique du bassin méditerranéen avec eux. C'est logique, on parle avec et par sa culture. Cependant, ça laisse des traces. On a retrouvé des statues hindoues représentant du clergé brahmane fort semblable au clergé Chrétien de l'époque, étole comprise. Ces statues du 2-3ème siècle sont dissemblables de celles représentant ces mêmes clercs brahmanes d'avant le Christ. L'influence a donc été jusqu'à l'art. Ils auraient étrangement évité la culture ou la philosophie?
Il ne faut pas oublier que la rencontre entre l'hellénisme et l'Inde est beaucoup plus ancienne que cela. Sans même remonter à la circulation des hommes et des idées qu'a pu permettre le réseau routier de l'Empire perse achéménide, il est incontestable que l'expédition d'Alexandre le Grand a eu des conséquences que le roi de Macédoine ne pouvait soupçonner. Pendant quelque deux siècles après sa mort, de petites dynasties grecques se sont maintenues dans ce qui constitue aujourd'hui l'Afghanistan et le Pakistan, donnant naissance à un art et à une culture faisant la synthèse de l'Inde et de la Grèce. On connaît les statues de l'art gréco-bouddhique du Gandhara. On connaît moins, sur le plan des idées, le fait que l'un des livres philosophiques du canon du Petit Véhicule, rédigé en pali, le Milindapañha (Questions de Milinda), correspond à un ensemble d'entretiens qu'un de ces roitelets héritiers d'Alexandre, Ménandre Ier (règne de ~160 à ~135), eut avec le moine bouddhiste Nagasena.

A vrai dire, étant donné la parenté de langue (le sanscrit, ce n'est quand même pas du chinois*...) entre l'Inde du Nord et notre monde, il n'est pas étonnant qu'il y ait eu des rencontres fécondes. L'Islam a malheureusement créé entre ces deux mondes une barrière qui n'existait pas avant le VIIe siècle, et l'acharnement des Taliban afghans à faire disparaître les bouddhas de Bamiyan n'a d'égal que les déprédations des kémalistes contre le patrimoine religieux arménien, grec et syriaque d'Anatolie.

Ce qui est plus étonnant, c'est que tant de siècles d'échanges culturels, artistiques, commerciaux, philosophiques et religieux entre l'Inde et l'hellénisme aient abouti à un pareil refoulement de l'Inde dans les consciences occidentales. Le philosophe français Roger-Pol Droit a d'ailleurs consacré un livre à cette question capitale: L'oubli de l'Inde. C'est comme si quelques images d'un mouroir de Calcutta avaient supplanté trois mille ans de relations si riches à tous égards.

En ce qui concerne la datation de la vie du Bouddha Gautama Sakyamuni, les progrès de l'archéologie (fouilles de 1973-1977) ont permis une datation à un siècle près environ - ce qui montre bien la différence avec le monde méditerranéen de la même époque, où nous connaissons en général les dates de naissance et de décès des personnages les plus importants à dix ans près au maximum.

Jean-Mi a ainsi tout à fait raison de souligner la difficulté de toute chronologie en ce qui concerne l'histoire de l'Inde jusqu'aux invasions musulmanes.

D'ailleurs, beaucoup de dates n'ont précisément pu être établies que par référence aux documents établis dans ces petits royaumes gréco-indiens héritiers d'Alexandre, et l'on retombe souvent dans l'incertitude dès que ces royaumes s'effondrent. Par exemple, entre ~327 et ~232, on a à peu près toutes les dates qui concernent la dynastie Maurya, dont le grand empereur bouddhiste Asoka, qui envoya des moines bouddhistes à Alexandrie. Mais après l'écroulement des dynasties grecques sur les marges de l'Inde, on retombe dans des incertitudes parfois étonnantes.

Ainsi, l'avènement de l'empereur Kanishka, qui serait le point de départ de l'ère saka (mais ce point même est contesté -cf. ci-dessous), se situe, selon les diverses thèses des historiens modernes, en ~58, en + 78, en + 144, en + 244 ou en + 278 (cf. Jagbans K. Balbir, "Kanichka", in Les hommes d'Etat célèbres, Mazenod, Paris 1969, pp. 380-383). 336 ans d'incertitude ! Inutile de dire que, pour la même époque, nous connaissons les dates de règne des empereurs romains au jour près !

L'Inde contemporaine semble avoir choisi d'autorité la date de + 78 (si tant est que le début de l'ère saka correspond bien à l'avènement de Kanishka), mais ce n'est qu'une de ces conventions nécessaires à la construction d'une nation, et à vrai dire plus respectables que les conventions imposées de nos jours en Europe occidentale pour la destruction des nations (masochisme national, déconstrution anhistorique et euromondialisme mortifère):

"Depuis 1957, le calendrier national de l'Union indienne est le calendrier dit "sace" (sáka). Le point d'origine correspond au 3 mars de l'an 78 de notre ère, mais le calendrier indien démarre au 1er caitra 1879 sáka, soit le 22 mars 1957. La signification de la date de 78 n'est pas claire. Il n'est même pas absolument sûr qu'il faille attribuer la nouvelle ère aux Indo-Saces eux-mêmes. Elle pourrait avoir été instituée par leurs vainqueurs. Certains auteurs ont cherché à la rattacher aux Yuezhi / Kouchânes, et même à l'indentifier à l' "ère de Kanichka" du calendrier impérial kouchâne (mais le début de celle-ci est plutôt situé au IIe siècle). J.E. Hill imagine qu'elle commémore les victoires en Inde du Nord de Vîma Taktoû." (Iaroslav Lebedynsky, Les Saces, Errance, Paris 2006, p. 229.)

J'aime bien cette petite anecdote, parce qu'elle montre bien à quel point la civilisation indienne, si proche de la nôtre dans l'ensemble, en diffère sur le point du rapport à la chronologie. Il y a quand même un certain charme, inimaginable dans un contexte européen, à adopter comme calendrier officiel une ère dont personne ne sait plus à quoi elle correspond !

Michel Angot, dans un très intéressant guide de civilisation, L'Inde classique (Belles-Lettres, Paris 2001, p. 25), souligne cette indifférence à la chronologie:
"L'histoire de l'Inde offre moins de lisibilité que la civilisation indienne. A cela plusieurs raisons, la première étant que les Indiens ne se sont pas intéressés au temps qui passe ni aux événements qui le jalonnent. Il n'y a rien de comparable aux oeuvres de Thucydide, de Tacite, ou plus près de nous aux chroniques du Moyen Âge et aux "Histoires du règne de X"."

Et ce qui est étonnant, c'est que cette civilisation complètement indifférente à la chronologie a toujours été remarquable pour sa production mathématique (c'est à l'Inde que nous devons l'invention du zéro et nos chiffres, abusivement dit "arabes", et l'on sait la réputation des ingénieurs et des informaticiens de l'Inde contemporaine), alors que chez nous, depuis l'Egypte antique, comput et calcul sont liés.

Jean-Mi a donc raison de rappeler que toute approche de la pensée indienne doit garder à l'esprit que la chronologie n'a aucune importance dans ces traditions-là.

Pour le reste, sur la réincarnation, il est intéressant de constater que, dans l'Orient arabe, les druses professent qu'une âme humaine ne peut se réincarner que dans un corps humain, et font grief aux alaouites de croire qu'on peut aussi se réincarner sous la forme d'un animal. Il y aurait donc beaucoup à dire sur la notion de "réincarnation", sur les différentes acceptions que ce terme peut prendre dans les diverses religions ou philosophies qui l'enseignent, sur les fausses compréhensions qu'en a l'Occident contemporain, etc., mais cela irait au-delà de mes compétences et de mon état de fatigue ce soir.

(*Comme l'écrit le professeur Charles Malamoud à propos du hindi: "Une langue où "je, moi" se dit mãi, "tu" tum, "deux" do, "sept" sat, "neuf" nau, "dix" das, présente avec le français des ressemblances qui intriguent et qui ne peuvent être de simples coïncidences." Préface à Akhsay Bakaya et Annie Montaut, Le hindi sans peine, Assimil, Chennevières-sur-Marne 1994, p. III.)
Sebastien
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Message par Sebastien »

Cher Jean-Mi,

Un grand merci pour votre réponse rapide, longue et complète.

ref 2 : ok, je vais me plonger dans les textes de Nysse dès que possible, merci du tuyau

ref 3 : Il est vrai que l'éducation a bien sûr énormément d'importance. Néanmoins, l'observation ne nous montre-t-elle pas que les enfants manifestent très tôt leur caractère parfois pour le meilleur et parfois pour le pire... Mais en définitive, ce point 3 rejoint le point 1

ref 1 : puisque (et vous l'aviez bien compris ;-) ), la notion de perfection était sous entendue dans ma question. Le mal est l'éloignement du Bien, la rupture avec la Source d'Amour et de Vie, cela ma parle vraiment. Du point de vue réincarnationiste occidental (puisque l'oriental inclus l'incarnation en d'autres formes, de l'amibe à la plante), se rapprocher de Dieu inclus le dépouillement progressif de ses tendances à pêcher (donc à s'éloigner de Dieu). C'est un chemin long et, oui, presque mécanique. Maintenant, et cela me parle aussi beaucoup, dans le christianisme, il y a cette notion de Grâce et d'intervention de Dieu par Amour pour sa créature.
Mais...comment expliquer... Pour dire les choses personnellement, il y a des moments dans la vie (ou même dans la journée) où vous vous sentez plus en phase, en harmonie, en résonance (difficile de trouver le mot juste) avec le divin. Ce sont des moments précieux, comme des perles d'inspiration, une vision limpide de la vie, un sentiment d'amour total de l'humanité même dans sa co..., l'impression de voir au delà des choses, plus loin, plus juste peut-être... (bref, tout aussi difficile de décrire cela en mot). Je me dis que ces moments de "prières intérieures" sont à minuscule échelle ce que les grands saints ont dû ressentir. Et je me dis... que j'ai encore un chemin infini avant d'y parvenir :lol: pas assez avec une vie en fait.
Si on lit la vie et les oeuvres de Saint Séraphim de Sarov (par exemple), on en est loin et si on ne se réincarne pas...ben il est temps de s'y mettre :-P
Mais ne vous trompez pas, je ne fais pas la course et c'est pas une compétition. Je fais mon petit bonhomme de chemin en faisant du mieux que je peux et en essayant d'intégrer un maximum de choses et de me débarrasser d'un maximum de vieux vêtements en Lui faisant confiance et en Lui remettant ma vie. (Parenthèse perso fermée ;-) )



Mais, si la sainteté n'appelle pas forcément la perfection, cela veut-il dire que l'important dans le christianisme est non pas tellement la "perfection" intérieure mais la capacité à se présenter nu (ou transparent) devant le Christ. Sincère avec soi et sincère avec Dieu en fait... En réalité, si j'ai bien compris et si je suis la pensée jusqu'au bout, il ne s'agirait alors pas tant de cultiver des traits de caractère menant peu à peu à la perfection mais plutôt de se voir comme on est, de déposer ses traits négatif aux pieds du Seigneur puis d'être tout simplement... Voilà de quoi méditer...

Amicalement.

(Edit puisque Claude a eu, entretemps, la gentillesse d'apporter ses lumières érudites au débat. Etant également dans un état de fatigue avancé, je répondrai à son intervention demain ;-) )
GIORGOS
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Message par GIORGOS »

J’ai posté déjà le texte du P.Placide (Deseille) sur le PROBLÈME DU MAL dans le fil dédié à « l’immaculée conception », et je crois qu’il est parfaitement applicable aux demandes de Sébastien.
Voir ici :
viewtopic.php?p=9872&highlight=probl%C8me#9872

Par ailleurs Sebastián trouvera dans

viewtopic.php?p=11050&highlight=apr%CAs+mort#11050

le texte de la conférence que notre ami Jean-Louis Palierne a faite à Chaville pour le dimanche du Jugement dernier : LA VIE APRÊS LA MORT , où il pourra lire que
De nos jours de nombreuses personnes qui se sont écartées de l’enseignement culpabilisant de l’Église catholique, mais qui se refusent à adopter l’agnosticisme ambiant du monde contemporain croient que leurs préoccupations spirituelles seraient mieux satisfaites que par ce qu’elles pensent être une conception orientale de la “réincarnation”, qui est d’ailleurs en réalité bien étrangère aux véritables conceptions des philosophies et des religions orientales.

Il est important de remarquer que l’enseignement de l’Église orthodoxe n’a absolument rien à voir avec une quelconque doctrine de la réincarnation. Il serait même plutôt aux antipodes de celle-ci, puisque la doctrine de la réincarnation consisterait à négliger la réalité de la mort au profit d’un retour périodique dans les épreuves de ce monde (le “karma”), cependant que l’enseignement traditionnel de l’Église orthodoxe sur la mort nous révèle qu’elle consiste en une séparation, contre nature mais provisoire, entre l’âme et le corps, que le corps certes est appelé à se dissoudre pour un temps, mais sans perdre son individualité et qu’il y aura une restauration de chaque personne dans son intégralité, et en son corps et en son âme, et même dans une condition plus glorieuse que la condition présente — à moins que ce ne soit pour l’Enfer éternel,

En réalité ce que tant de nos contemporains cherchent à retrouver par leur fausse croyance en la réincarnation, c’est justement une restauration de la personne intégrale, corps et âme, ce qui a été passé sous silence par le christianisme occidental.

Dans la civilisation contemporaine, il y a aussi un rejet de l’existence de ces êtres invisibles que sont les Anges et les démons. Qui rejette cette existence ? c’est la science que l’on nous dispense, ce sont les enseignements qui nous sont donnés, ce sont les paroles et le langage qui sont mis à notre disposition, qui refusent d’exprimer le spirituel. Les Anges existent. Ce sont les serviteurs et les messagers de Dieu. Les démons sont ces Anges qui ont refusé la Providence divine et qui se sont dressés contre leur Créateur. Mais eux ne bénéficient pas d’un temps intermédiaire où ils pourraient et devraient se repentir.
Et dans le fil L’enfer non-définitif, le suivante texte du même J-L.P-

viewtopic.php?t=1625&start=75

où il parle du destin des âmes et du feu purificateur, et de plus , dans la même page les sages réflexions de Claude « le nouveau Liseur », sur les affaires de « réincarnation » et de l’attachement aux choses matériaux…
Les réflexions de Jean-Mi "Haddock" et ses conseils de lecture sont bien à suivre, ou sinon... (on écoute dérrière la porte):#Sauvages*, %*aztéques#,@ iconoclastes, & réincarnationistes,#*!!!...
Si vous recherchez par le mot "réincarnation", vous trouverez beaucoup plus...
Giorgos
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Ce matin, je n'ai pas le temps de développer, mais n'oubliez pas que, tant pour Platon que dans l'univers hindouiste/bouddhiste, la réincarnation est une calamité, un destin mécanique comme le disait Jean Mi, et que le but, c'est d'en sortir !

C'est la théosophie occidentale du XIXe siècle et son rejeton le new age qui en ont fait une école de perfectionnement et un moyen de justice rétributive.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Sebastien
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Message par Sebastien »

Bonjour à tous,

Un grand merci pour toutes ces réponses, si je me tais depuis quelques jours, c'est que je suis encore en train d'étudier les textes dont Giorgos, que je remercie infiniment, a indiqué les liens.

@Anne-Geneviève

Quel plaisir de vous voir intervenir sur ce fil, moi qui suis un grand amateur de votre blog comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire sur votre blog.
Il est vrai que le courant "occidental" initié par Blavatsky, ses successeurs et le new age voit dans la réincarnation une méthode de perfectionnement progressive mais dont le but est d'atteindre la "perfection" en vue de quitter ce monde définitivement. D'un côté comme de l'autre, le karma est donc une loi aveugle de rétribution positive ou négative... La plus grande différence réside sans doute au niveau de l'individu puisque dans le bouddhisme (pour autant que je sache), l'individualité se désagrège complètement (ou se fragmente, on peut se réincarner en plusieurs personnes :mad:) tandis que dans la version occidentale, en général, la personnalité reste telle quelle et souffre juste d'une sorte d'amnésie.

Encore une fois, je voudrais dire que mon propos n'est pas de faire l'apologie de la réincarnation. Je remarque seulement que cette théorie explique beaucoup de choses :

1) personnalité affirmée dès la plus tendre enfance
2) injustice sociale - physique - psychique
3) don précoce
4) réminiscence de souvenir sur un lieu, sur une époque, sur des personnes...
5) maturité spirituelle exceptionnelle de certains
6) événements survenant dans la vie, découlant d'une chaîne de causes et conséquences à priori hasardeuse

Connaître la réponse des Pères a beaucoup d'importance pour moi car
personnellement, si j'ai toujours adhéré à cette vision réincarnationiste, je dois admettre que mon attrait pour le christianisme orthodoxe se fait de plus en plus inexorable, comme une graine qui grandit chaque jour un peu plus... J'y répond bien sûr, mais certaines conceptions (et certains préjugés/images négatives dû au christianisme kto) ne changeront pas en quelques jours... Pourtant, je commence à pressentir très bien la richesse que peut apporter le concept d'une seule vie...
Dernière modification par Sebastien le mer. 31 déc. 2008 15:51, modifié 1 fois.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Sebastien a écrit :
(...)

Encore une fois, je voudrais dire que mon propos n'est pas de faire l'apologie de la réincarnation. Je remarque seulement que cette théorie explique beaucoup de choses :

1) personnalité affirmée dès la plus tendre enfance
2) injustice sociale - physique - psychique
3) don précoce
4) réminiscence de souvenir sur un lieu, sur une époque, sur des personnes...
5) maturité spirituelle exceptionnelle de certains
6) événements survenant dans la vie, découlant d'une chaîne de causes et conséquences à priori hasardeuse

Connaître la réponse des Pères a beaucoup d'importance pour moi car
personnellement, si j'ai toujours adhéré à cette vision réincarnationiste, je dois admettre que mon attrait pour le christianisme orthodoxe se fait de plus en plus inexorable, comme une graine qui grandit chaque jour un peu plus... J'y répond bien sûr, mais certaines conceptions (et certains préjugés/images négatives dû au christianisme kto) ne changeront pas en quelques jours... Pourtant, je commence à pressentir très bien la richesse que peut apporter le concept d'une seule vie...

Vos questions sont parfaitement légitimes, et les arguments que vous citez en faveur de la réincarnation - encore que le contenu que l'on donne à ce concept varie beaucoup d'un interlocuteur à l'autre - méritent un examen approfondi. Je crains juste que nous ne soyons dans la période de l'année où les réponses sont lentes à venir, une bonne partie des inscrits à ce forum ayant trouvé refuge dans les montagnes pour tenter d'effacer en quelques jours une année de tension et de surmenage...
Sebastien
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Message par Sebastien »

cela n'est rien, les réponses viendront en temps voulu comme toujours :)

Bonne année à tous en tous cas !
J-Gabriel
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Message par J-Gabriel »

sebastien a écrit : Le courte durée de la vie humaine et le manque de temps pour achever la sainteté...
Pour cela je te ramène au chapitre du bon larron dans Luc 23, 39-43:

"Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton Royaume"

et Jésus de lui répondre: "En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis"

Si c'est beau tout ça ?! Le bon larron dans son témoignage de foi a acquis la sainteté en moins d'une minute.
Sebastien
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Message par Sebastien »

Si, c'est très beau et très généreux. C'est surtout très fort, car cela veut dire qu'en quelques minutes, l'individu peut opérer un retournement de conscience et ouvrir définitivement son coeur au Christ et à la Lumière...
J-Gabriel
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Par rapport au manque de temps pour achever la sainteté...

Message par J-Gabriel »

Les chrétiens savent que le Christ est le "Chemin, la Vérité et la Vie" et la Vie ne se fait que dans le Chemin qui est la Vérité, Vérité qui est le Christ notre Dieu. Ainsi on demande pas au chrétien de connaître Dieu dans son essence, on lui demande plutôt de recevoir et de se convertir en Dieu. La mort devient ainsi une séparation d’avec Dieu. Donc le chrétien suit le Christ qui est le Chemin, sans tenter une imitation quelconque mais juste de recevoir en soi, la pureté du cœur, qui structure l’homme de bonne volonté, pour la gloire de Dieu. Par là nous comprenons mieux les paroles "qui m’a vu à vu le Père".
Aussi, Jésus nous recommande en disant "soyez parfait comme votre Père est parfait" et c’est là que repose toute la morale du christianisme. Je vais écrire maintenant l’histoire du vénérable Arétas:
Un frère de Pharan du nom d’Arétas était un peu relâché dans sa vie monastique. Quand il fut sur le point de mourir, quelques-uns des pères étaient assis autour de lui. Et son ancien, le voyant partir du corps avec joie et allégresse, et voulant édifier les frères, lui dit: « Frère, assurément nous savons tous que tu n’étais pas trop zélé pour l’ascèse; comment donc t-en vas-tu ainsi avec contentement ? » Le frère lui dit: « Sûrement, Père, tu dis la vérité. Néanmoins depuis que je suis devenu moine , à ma connaissance, je n’ai pas jugé un homme, mais sur-le-champ, le jour même, je me suis réconcilié avec lui. Aussi j’ai l’intention de dire à Dieu: « Tu as dit, ô Maître: Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, et pardonnez et il vous sera pardonné. » Tous furent édifiés et l’ancien lui dit: « Paix à toi, mon enfant, car toi tu seras sauvé même sans labeur. »
Bien sûr, il ne faut maintenant en faire un système et abandonner l’ascèse, mais c’est pour expliquer que le christianisme est en fin de compte simple, mais les commandements de Dieu doivent être respectés.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Anne Geneviève a écrit :Ce matin, je n'ai pas le temps de développer, mais n'oubliez pas que, tant pour Platon que dans l'univers hindouiste/bouddhiste, la réincarnation est une calamité, un destin mécanique comme le disait Jean Mi, et que le but, c'est d'en sortir !

C'est la théosophie occidentale du XIXe siècle et son rejeton le new age qui en ont fait une école de perfectionnement et un moyen de justice rétributive.
Ce qui est intéressant, c'est que si la réincarnation est une calamité dans l'hindouisme et le bouddhisme, elle est positive et est un moyen d'atteindre à la perfection dans le pythagorisme et aussi dans le druzisme (ou plutôt, puisque les druzes réfutent cette appellation, dans le Tawhid). J'y reviendrai dès que possible.
Disons dès maintenant que l'on retrouve ici, une fois de plus, ces étranges analogies, relevées dès le XIXe siècle par Gérard de Nerval et au XXe par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, entre la doctrine des druzes et certaines doctrines maçonniques ou paramaçonniques.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit : Il ne faut pas oublier que la rencontre entre l'hellénisme et l'Inde est beaucoup plus ancienne que cela. Sans même remonter à la circulation des hommes et des idées qu'a pu permettre le réseau routier de l'Empire perse achéménide, il est incontestable que l'expédition d'Alexandre le Grand a eu des conséquences que le roi de Macédoine ne pouvait soupçonner. Pendant quelque deux siècles après sa mort, de petites dynasties grecques se sont maintenues dans ce qui constitue aujourd'hui l'Afghanistan et le Pakistan, donnant naissance à un art et à une culture faisant la synthèse de l'Inde et de la Grèce. On connaît les statues de l'art gréco-bouddhique du Gandhara. On connaît moins, sur le plan des idées, le fait que l'un des livres philosophiques du canon du Petit Véhicule, rédigé en pali, le Milindapañha (Questions de Milinda), correspond à un ensemble d'entretiens qu'un de ces roitelets héritiers d'Alexandre, Ménandre Ier (règne de ~160 à ~135), eut avec le moine bouddhiste Nagasena.
Je signale qu'il existe du Milindapañha ou Milindapañhas une fort belle édition française, faite en 1923 par Louis Finot, longtemps introuvable, et de nouveau largement accessible depuis qu'elle a été rééditée en 1983 par les éditions Dharma sises à Peymeinade (Alpes-Maritimes); cette réédition se trouve sans difficulté. Ce témoignage de la rencontre entre philosophie grecque et philosophie indienne, ce tribut à la gloire d'Alexandre de Macédoine qui rendit possible cette rencontre, a en plus l'avantage de ne pas avoir les dimensions d'un pensum (170 pages dans l'édition de 1983, dont 130 pages pour le texte lui-même).
Claude le Liseur
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Re:

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
Jean-Mi a ainsi tout à fait raison de souligner la difficulté de toute chronologie en ce qui concerne l'histoire de l'Inde jusqu'aux invasions musulmanes.

D'ailleurs, beaucoup de dates n'ont précisément pu être établies que par référence aux documents établis dans ces petits royaumes gréco-indiens héritiers d'Alexandre, et l'on retombe souvent dans l'incertitude dès que ces royaumes s'effondrent. Par exemple, entre ~327 et ~232, on a à peu près toutes les dates qui concernent la dynastie Maurya, dont le grand empereur bouddhiste Asoka, qui envoya des moines bouddhistes à Alexandrie. Mais après l'écroulement des dynasties grecques sur les marges de l'Inde, on retombe dans des incertitudes parfois étonnantes.

Ainsi, l'avènement de l'empereur Kanishka, qui serait le point de départ de l'ère saka (mais ce point même est contesté -cf. ci-dessous), se situe, selon les diverses thèses des historiens modernes, en ~58, en + 78, en + 144, en + 244 ou en + 278 (cf. Jagbans K. Balbir, "Kanichka", in Les hommes d'Etat célèbres, Mazenod, Paris 1969, pp. 380-383). 336 ans d'incertitude ! Inutile de dire que, pour la même époque, nous connaissons les dates de règne des empereurs romains au jour près !

L'Inde contemporaine semble avoir choisi d'autorité la date de + 78 (si tant est que le début de l'ère saka correspond bien à l'avènement de Kanishka), mais ce n'est qu'une de ces conventions nécessaires à la construction d'une nation, et à vrai dire plus respectables que les conventions imposées de nos jours en Europe occidentale pour la destruction des nations (masochisme national, déconstrution anhistorique et euromondialisme mortifère):

"Depuis 1957, le calendrier national de l'Union indienne est le calendrier dit "sace" (sáka). Le point d'origine correspond au 3 mars de l'an 78 de notre ère, mais le calendrier indien démarre au 1er caitra 1879 sáka, soit le 22 mars 1957. La signification de la date de 78 n'est pas claire. Il n'est même pas absolument sûr qu'il faille attribuer la nouvelle ère aux Indo-Saces eux-mêmes. Elle pourrait avoir été instituée par leurs vainqueurs. Certains auteurs ont cherché à la rattacher aux Yuezhi / Kouchânes, et même à l'indentifier à l' "ère de Kanichka" du calendrier impérial kouchâne (mais le début de celle-ci est plutôt situé au IIe siècle). J.E. Hill imagine qu'elle commémore les victoires en Inde du Nord de Vîma Taktoû." (Iaroslav Lebedynsky, Les Saces, Errance, Paris 2006, p. 229.)

J'aime bien cette petite anecdote, parce qu'elle montre bien à quel point la civilisation indienne, si proche de la nôtre dans l'ensemble, en diffère sur le point du rapport à la chronologie. Il y a quand même un certain charme, inimaginable dans un contexte européen, à adopter comme calendrier officiel une ère dont personne ne sait plus à quoi elle correspond !

Michel Angot, dans un très intéressant guide de civilisation, L'Inde classique (Belles-Lettres, Paris 2001, p. 25), souligne cette indifférence à la chronologie:
"L'histoire de l'Inde offre moins de lisibilité que la civilisation indienne. A cela plusieurs raisons, la première étant que les Indiens ne se sont pas intéressés au temps qui passe ni aux événements qui le jalonnent. Il n'y a rien de comparable aux oeuvres de Thucydide, de Tacite, ou plus près de nous aux chroniques du Moyen Âge et aux "Histoires du règne de X"."

Et ce qui est étonnant, c'est que cette civilisation complètement indifférente à la chronologie a toujours été remarquable pour sa production mathématique (c'est à l'Inde que nous devons l'invention du zéro et nos chiffres, abusivement dit "arabes", et l'on sait la réputation des ingénieurs et des informaticiens de l'Inde contemporaine), alors que chez nous, depuis l'Egypte antique, comput et calcul sont liés.

Jean-Mi a donc raison de rappeler que toute approche de la pensée indienne doit garder à l'esprit que la chronologie n'a aucune importance dans ces traditions-là.

Pour le reste, sur la réincarnation, il est intéressant de constater que, dans l'Orient arabe, les druses professent qu'une âme humaine ne peut se réincarner que dans un corps humain, et font grief aux alaouites de croire qu'on peut aussi se réincarner sous la forme d'un animal. Il y aurait donc beaucoup à dire sur la notion de "réincarnation", sur les différentes acceptions que ce terme peut prendre dans les diverses religions ou philosophies qui l'enseignent, sur les fausses compréhensions qu'en a l'Occident contemporain, etc., mais cela irait au-delà de mes compétences et de mon état de fatigue ce soir.

(*Comme l'écrit le professeur Charles Malamoud à propos du hindi: "Une langue où "je, moi" se dit mãi, "tu" tum, "deux" do, "sept" sat, "neuf" nau, "dix" das, présente avec le français des ressemblances qui intriguent et qui ne peuvent être de simples coïncidences." Préface à Akhsay Bakaya et Annie Montaut, Le hindi sans peine, Assimil, Chennevières-sur-Marne 1994, p. III.)

Signalons au passage qu'en 1853 déjà, Gobineau avait relevé le désintérêt total de la civilisation indienne - dont il était un admirateur zélé - pour la chronologie:

Les Hindous n'ont pas eu la même manière que nous d'envisager l'histoire, de sorte que, bien que nous ayant conservé les souvenirs les plus remarquables des faits, des caractères et des habitudes de leurs plus anciens ancêtres, ils ne nous fournissent pas d'ouvrage vraiment méthodique à ce sujet. M. Jules Mohl a très bien constaté et apprécié cette particularité remarquable: «On sait, dit cet admirable juge des choses asiatiques, que l'Inde n'a pas produit d'historien, ni même de chroniqueur. La littérature sanscrite ne manque pas pour cela de données historiques; elle est plus riche, peut-être, que toute autre littérature en renseignements sur l'histoire morale de la nation, sur l'origine et le développement de ses idées et de ses institutions, enfin sur tout ce qui forme le cœur, comme le noyau de l'histoire de ce que les chroniqueurs de la plupart des peuples négligent pour se contenter de l'écorce. Mais, comme dit Albirouni: "Ils ont toujours négligé de rédiger les chroniques des règnes de leurs rois." De sorte que nous ne savons jamais exactement quand leurs dynasties commencent et quand elles finissent, ni sur quels pays elles ont régné. Leurs généalogies sont en mauvais ordre et leur chronologie est nulle.» (Rapport annuel fait à la Société asiatique, 1849, p. 26-27).

Arthur de Gobineau , Essai sur l'inégalité des races humaines, livre III, chapitre II, in Œuvres, tome I, La Pléiade, Gallimard, Paris 1983 [1re édition Firmin Didot, Paris 1853], note * p. 540.
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