Anne Geneviève a écrit :Y a-t-il des célébrations en luxembourgeois ou uniquement en grec ?
À ma connaissance, uniquement en grec. Mais quel exemple d'enracinement dans le seul fait de construire un lieu de culte, quand on compare à la politique suivie par certaines Églises ethniques présentes dans nos pays!
Vous savez que ce n'est que depuis 2005 environ que nous disposons de tous les livres liturgiques orthodoxes en version française, et ceci par le travail d'un seul homme, l'archimandrite Denis Guillaume. Alors, on risque de devoir attendre beaucoup plus longtemps pour avoir tous les livres liturgiques traduits en luxembourgeois, langue dont l'émergence littéraire est de toute manière beaucoup plus récente que celle du français, puisque la littérature d'expression luxembourgeoise n'a vraiment pris son envol qu'avec les oeuvres de Méchel (Michel) Lentz (1820-1893), Dicks (1823-1891) et Méchel (Michel) Rodange (1827-1876). Le chef d'oeuvre de Rodange,
Renert oder de Fuuss am Frack an a Maansgréisst, qui est actuellement disponible dans une très belle édition annotée par Romain Hilgert (Editioun Guy Binsfeld, Luxembourg 1995, 256 pages), date de 1872. Alors, comme les orthodoxes sont lents, l'attente risque de durer...
Dans son utile ouvrage
Parlons luxembourgeois (L'Harmattan, Paris 2004), le professeur François Schanen ne donne guère d'informations sur l'usage liturgique du luxembourgeois chez les catholiques romains et les protestants du Grand-Duché. Page 221, il se contente d'écrire: « Au culte catholique, les trois langues officielles [
i.e. luxembourgeois, français et allemand -NdL ] ont leur place. » Il serait donc intéressant de savoir dans quelle mesure les autres communautés religieuses utilisent le luxembourgeois plutôt que l'allemand et le français.
Cette question est intéressante parce qu'elle aide aussi à déterminer le moment où un idiome n'est plus perçu comme un dialecte, mais comme une langue. Nul doute que dans le cas du Luxembourg, la tentative d'annexion par le IIIe Reich a beaucoup contribué à valoriser le statut du francique luxembourgeois comme moyen de se différencier de l'Allemagne. On notera au passage ce paradoxe que, si le francique luxembourgeois est considéré dans le Grand-Duché de Luxembourg comme une langue à part entière, officialisée par la loi du 24 février 1984, il est considéré en France - où la langue est parlée dans la région de Thionville - comme un dialecte dont la forme écrite serait l'allemand, opinion contre laquelle 90% des Luxembourgeois se sont élevés lors du fameux recensement du 10 octobre 1941, en pleine annexion de fait (cf. Gilbert Trausch e.a.,
Histoire du Luxembourg, Privat, Toulouse 2003, p. 249).
Par exemple, à ma connaissance, en Alsace, aussi bien protestants que catholiques ne célèbrent qu'en allemand et en français, jamais en alsacien. C'est bien un indice, parmi d'autres, que l'alsacien ne parvient pas à obtenir un statut supérieur à celui d'un dialecte.
La situation en Suisse alémanique est bien décrite par le docteur Stich dans son
Parlons schwytzertütsch, L'Harmattan, Paris 2001, pp. 36 s.: « Dans les villes, l'allemand domine encore largement les cérémonies tout entières. Dans les bourgs (et faubourgs) et les villages, certaines prières (comme la prière universelle juste après le Credo), le sermon et les annonces paroissiales sont souvent en alémanique, comme pour le catéchisme et l'Histoire sainte à l'école. L'allemand se maintient pour l'ordinaire de la messe et les lectures de l'Ancien et du Nouveau Testament, pour lesquels on a toujours préféré une langue élevée, cérémonielle et archaïque. » Cet exemple montre très bien comment les choix en matière de langue liturgique traduisent la perception d'un idiome comme un dialecte d'une autre langue, ou comme une langue indépendante.
Savez-vous qu'il existe un lien important entre le Luxembourg et la plus importante figure de l'Orthodoxie occidentale de ces 150 dernières années? C'est à Ehnen, village luxembourgeois, sur la Moselle, que l'archiprêtre Wladimir Guettée a passé les denières années de sa vie. Il s'était réfugié dans ce pays, francophone et tolérant, pour fuir l'atmosphère d'intolérance religieuse et de papisme militant du régime de l'Ordre moral du maréchal de Mac-Mahon et du prince de Broglie (1873-1877), régime qui entraîna en représailles dès 1880 une politique anticléricale de la part de la nouvelle majorité. Replié à Ehnen, le docteur Guettée y dirigea jusqu'en 1892 sa revue
L'Union chrétienne, imprimée depuis 1870 à Bruxelles, donc en Belgique, autre pays francophone plus tolérant et moins agité que la France.
Signalons au passage que, dans les premiers numéros de
L'Union chrétienne, publiés alors que Guettée n'était pas encore orthodoxe - sa conversion devait intervenir en 1861 -, un des contributeurs, sous le pseudonyme d'Ignotus, n'était autre qu'Alexis Khomiakov (1804-1860). Khomiakov représente le cas rare d'un écrivain russe qui a écrit une partie de son oeuvre directement en français dans le but délibéré de présenter un point de vue orthodoxe au public de langue française. Longtemps introuvable, son livre
L'Église latine et le protestantisme au point de vue de l'Eglise d'Orient a été réédité, avec un appareil critique, par les éditions Xenia à Vevey en 2006 dans le silence assourdissant de ceux qui se sont arrogé le droit de parler au nom de l'Église orthodoxe dans nos contrées (cf.
http://www.editions-xenia.com/livres/khomiakov/ ).
Père Wladimir mourut à Ehnen le 22 mars 1892 et fut inhumé le 23 avril 1892 au cimetière des Batignolles, à Paris, où il attend depuis une glorieuse résurrection.
Cf. en particulier Jean Besse,
Un précurseur. Wladimir Guettée, Monastère orthodoxe Saint-Michel, Lavardac 1992, pp. 148 s.
Je m'étonne d'ailleurs qu'aucun orthodoxe francophone n'ait eu l'idée d'organiser un pèlerinage à Ehnen en souvenir de celui à qui nous devons tant.