Sylvie a écrit :Bonjour à vous tous,
Cela fait quelque fois que je lis cette expression "monde post-chrétien". Je le lis encore ce matin dans le fil
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À chaque fois je m'interroge sur sa signification. Je ne comprends pas.
Dans l'évangile de St-Jean chap. 17 nous lisons
9. C'est pour eux que je prie ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, car ils sont à toi,
10. et tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi, et je suis glorifié en eux.
11. Je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les dans ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous.
Il me semble que le monde, n'a jamais été chrétien puisque Jésius-Christ n'est pas dans le monde. Nous nous vivons dans le monde tout en y étant pas de ce monde. Pourquoi parler de monde post-chrétien ?
Ou est-ce pour dire que la population chrétienne est en baisse. Que les autres religions non chrétiennes ont la cote ?
Ou encore pour aller dans le sens des astrologues et dire que l'ère du poisson (chrétienne) est du passé et que nous sommes à l'ère du verseau ?
J'aimerais bien que vous m'expliquiez le sens de cette expression "monde post-chrétien". Pour ma part, je trouve que ce n'est pas très orthodoxe.
Sylvie-Madeleine
Vous êtes Québécoise. Vous souvenez-vous du poids qu'avait l'Eglise catholique romaine dans la société québécoise en 1959, à la fin du règne de Duplessis, il y a moins de cinquante ans ? Faites une comparaison avec la situation actuelle et vous aurez déjà un début de réponse à votre question.
Mais ceci n'est qu'un aspect du problème. Cet aspect concerne le pouvoir et la violence exercées par le clergé sur la société. Lorsque nos oecuménistes orthodoxes dénoncent le "sécularisme", ils ne s'attaquent qu'à cet aspect de la situation, c'est-à-dire au fait que le clergé ne peut plus dicter sa loi au pouvoir politique et s'immiscer dans la vie des laïques. Le temps des contraventions que l'on fait sauter en versant un pot-de-vin au diocèse orthodoxe local, le temps des curés pédophiles protégés par leur hiérarchie - un énorme scandale a éclaté cette année à ce propos dans les diocèses catholiques de Lausanne-Genève-Fribourg et de Sion - , le temps des consignes de vote données en chaire, tout ceci est fini ou va se terminer. C'est d'ailleurs un processus commencé depuis longtemps, et qui a été mené à bien il y a des siècles dans les pays protestants sans que ceux-ci devinssent pour autant un monde post-chrétien. Quand nos oecuménistes orthodoxes dénoncent le "sécularisme agressif", ils n'ont en vue que cet aspect-là, cet aspect temporel, parce que l'aspect spirituel ne les intéresse pas. Le programme qu'ils nous proposent, ce n'est pas le retour au Christ et à l'Eglise, c'est le retour à leur propre pouvoir. La scène qu'ils haïssent, en réalité, ce sont les radicaux triomphants brûlant les instruments de torture sur la place publique à Fribourg après la victoire des troupes fédérales sur les traîtres séparatistes du Sonderbund pour montrer que le pouvoir clérical et tout ce qui l'accompagnait - la torture, la
Caroline, la censure de la presse - était terminé. Le programme que nous proposent nos orthodoxes dénonciateurs du "sécularisme", c'est le retour à tous ce que les radicaux ont extirpé en 1847 en Suisse, avant ou après dans d'autres pays. C'est pour cette raison qu'ils s'entendent si bien avec les héritiers de l'Inquisition.
N'attachant aucune importance aux questions spirituelles, ils n'évoquent jamais -pire, ils font semblant de ne pas le voir - le deuxième aspect de ce monde post-chrétien. Il s'agit naturellement, à l'aune des siècles, de l'aspect le plus important. Non pas la disparition du pouvoir clérical - qui est consommée depuis des siècles dans certains pays européens - mais l'évanouissement progressif de la tradition chrétienne, sa disparition du paysage. C'est facile de rappeler les paroles du Christ en Jn 17.11. Mais peut-on pour autant oublier, par exemple, qu'il y avait vraiment des pays, en Europe au moins, où la majorité absolue de la population était sincèrement chrétienne, y croyait vraiment, luttait pour son salut? Evidemment, si je donne l'exemple de la France du XVIIe siècle, il y a la tache de la persécution contre la minorité protestante - sauf en Alsace où elle était protégée par les traités de Westphalie. Mais quand même, malgré cette intolérance, voici un peuple qui avait intériorisé le sens chrétien du pardon - voir les réactions de la foule au moment de l'exécution de Gilles de Rais ou de la Brinvilliers -, où le problème du jansénisme occupa le devant de la scène pendant des décennies jusqu'à en finir par miner le pouvoir politique, où le confesseur du roi pouvait infliger de sévères remontrances à son royal pénitent, etc. De tout ceci, il ne reste à peu près rien (sauf aux yeux des orthodoxes phylétistes qui prennent les vessies pour des lanternes).
On sait que très peu d'Eglises chrétiennes - pour l'essentiel, les baptistes et les mennonites - ont fait le choix de s'organiser en Eglises de professants et que la grande majorité des Eglises chrétiennes ont fait le choix du pédobaptisme. Quand on passe en moins d'un siècle de situations où 95% des enfants étaient baptisés à des situations où la proportion tombe très en-dessous de la moitié, on est quand même bien forcé de se rendre compte qu'on a changé de monde. Savez-vous qu'en 1997 déjà, la proportion d'enfants baptisés dans l'Eglise anglicane en Angleterre était déjà tombée à 25% (cf.
The Statesman's Yearbook 1998-99, Londres 1998, p. 1453) ?
On voit donc qu'on passe d'une phase de sécularisation de l'espace public - disparition de l'influence du clergé dans la vie sociale, autonomisation de plus en plus grande du pouvoir politique vis-à-vis du clergé - à une phase de disparition de la tradition chrétienne dans l'espace familial, puis dans le for intérieur. Comme si le peuple jetait le bébé avec l'eau du bain et se débarrassait de la religion en même temps que du cléricalisme. Les manifestations effrénées de religiosité du pouvoir politique auxquelles nous assistons à l'heure actuelle dans certains pays de l'ex-bloc soviétique - aussi bien des pays orthodoxes que des pays catholiques - ne doivent pas faire illusion. Il s'agit une fois de plus d'une maison construite sur le sable (cf. Mt 7.27). Ces manifestations les plus outrées de dévotion purement extérieure, reposant sur tout (nationalisme, impérialisme, particularisme outrancier, nécessités du pouvoir politique de se racheter une virginité), sauf sur la transcendance, elles n'auront qu'un temps et aboutiront au même désert. Et il en ira ainsi tant que le clergé sera incapable de parler de vie spirituelle.
Pour que vous ne m'accusiez pas de ne citer que des auteurs qui partagent mes "préjugés confessionnels", je me permets de reproduire ici les réflexions d'un militant du paganisme indo-européen ( donc à l'exclusion du paganisme basque, dont j'ai déjà écrit sur le présent forum à quel point il est radicalement autre que toutes les structures de pensée que nous avons héritées de nos lointains ancêtres indo-européens; autre et par là même absolument fascinant pour nous).
"La période de gestation de la société chrétienne fut longue. Elle ne s'épanouit pleinement qu'autour de l'an Mil, et dès le XIIIe siècle, on vit apparaître les premiers signes d'une désorganisation fonctionnelle avec en particulier les chartes de liberté octroyées aux communes, donc à la troisième fonction. Puis ce fut une lente dégradation jusqu'à la Révolution française, et l'exclusion finale des deux premières fonctions. Il semble qu'à présent nous soyons parvenus au terme de cette histoire chrétienne, le christianisme étant lui-même exclu de tout le discours officiel, même si ses idées semblent perdurer dans une idéologie devenue artificielle, tirée dans sa logique jusqu'à en être désincarnée, inversée. Cette outrance idéologique laisse à penser qu'une nouvelle société prendra bientôt le relais, d'où toute superficialité, nécessairement, sera d'avance bannie. " (Jérémie Benoît,
Le paganisme indo-européen, L'Âge d'Homme, Lausanne 2001, p. 266) Je crois qu'il s'agit là d'une description intéressante du passage d'un monde chrétien vers un monde post-chrétien.
Evidemment, le chrétien orthodoxe que je suis diverge du païen qu'est M. Benoît en ce que je sais qu'il est toujours possible,
Deo juvante, de faire le chemin inverse et de quitter l'idéologie pour retourner vers le spirituel. Mais le cléricalisme nous en laissera-t-il seulement la possibilité? J'en doute quand je vois comment ceux qui détiennent un des plus beaux trésors de l'Humanité, l'Orthodoxie, le dispersent.