la persécution de l'Orthodoxie en Alaska, 1867-1970 (I)

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Claude le Liseur
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la persécution de l'Orthodoxie en Alaska, 1867-1970 (I)

Message par Claude le Liseur »

Ce message fait suite à celui du fil "le patriarche de Constantinople au Conseil de l'Europe" viewtopic.php?t=2158 où je signalais à quel point il était faux d'accuser les orthodoxes de contraindre les populations autochtones d'Amérique du Nord à apprendre l'anglais.

Bien au contraire, l'Eglise orthodoxe a tout fait pour préserver les langues et les cultures autochtones en Alaksa, aussi bien pendant la période de la Russie d'Amérique (dont l'histoire a été écrite en français par le prince Michel Poniatowski, qui fut ministre de l'Intérieur sous Giscard d'Estaing: Michel Poniatowski, Histoire de la Russie d'Amérique et de l'Alaska, Paris 1958) qu'après la vente de l'Alaska aux Etats-Unis d'Amérique en 1867.

Les faits sont là, ils sont indiscutables et ils ont été rassemblés dans un livre remarquable de l'archiprêtre Michael J. Oleksa, qui fut doyen du séminaire orthodoxe Saint-Germain de Kodiak en Alaksa: Orthodox Alaska. A Theology of Mission, St. Vladimir's Seminary Press, Crestwood (NY) 1998 (1ère édition 1992).

A la rumeur aux mille bouches et à la calomnie si facile je vais opposer les informations indiscutables et bien documentées rassemblées par le protopresbytre Michel Oleksa.

Bien entendu, je ne vais pas résumer le livre, mais je vais juste citer ici des passages qui me semblent très évocateurs de la problématique.

Le RP Oleksa rappelle d'abord le mauvais accueil fait aux missionnaires grecs qui traduisait la liturgie en slavon par les missionnaires allemands déjà tenants de l'hérésie de la triglossie dans la Moravie du IXe siècle. Il signale que cette problématique a retrouvé toute son actualité dans l'Alaska du XIXe siècle.

The collision in ninth-century Moravia between these two attitudes or approaches to cultural and linguistic pluralism recurred in nineteenth century Alaska. Orthodox Alaskans, literate in their native language and Russian, were deprived of the American citizenship the Treaty of 1867 had promised them, and were persecuted for their refusal to conform to the monolingual (English only) policies established by the Rev. Dr. Sheldon Jackson, the Presbyterian missionary appointed by the federal goverment to establish public schools in the new territory. With other American Protestant leaders, Jackson insisted that the Natives of Alaska needed to adopt the language, dress and manners of their new masters. (Oleksa, op. cit., p. 36).

Ma traduction:
Le conflit entre ces deux attitudes ou approches à l'égard du pluralisme culturel et linguistique qui s'était déroulé dans la Moravie du IXe siècle s'est reproduit dans l'Alaska du XIXe siècle. Les orthodoxes d'Alaska, alphabétisés dans leur propre langue et en russe, furent privés de la citoyenneté étasunienne que le traité de 1867 leur avait promis, et persécutés à cause de leur refus de se conformer à la politique de monolinguisme anglais mise en place par le pasteur Sheldon Jackson, le missionnaire calviniste nommé par le gouvernement fédéral pour créer des écoles publiques dans le nouveau territoire. Avec d'autres dirigeants protestants étasuniens, Jackson mettait l'accent sur le fait que les indigènes de l'Alaska avaient besoin d'adopter la langue, le vêtement et les manières de leurs nouveaux maîtres.
Claude le Liseur
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la persécution de l'Orthodoxie en Alaska (II)

Message par Claude le Liseur »

Quelques exemples parmi des dizaines d'autres.


In Alaska, boarding homes were established by federally funded Protestant missions whose goal was to "recreate" young Natives in the likeness of their white mentors. Schools also aimed at preparing students as laborers, miners, teamsters and agricultural workers. As one Commissioner of Education expressed it, "We have no higher calling in the world than to be missionaries to these people who have not yet achieved the Anglo-Saxon frame of mind." However, when the American teacher / missionary met the literate, Christian Aleuts, there was bound to be trouble. These Natives had embraced the "wrong" kind of Christianity and the adopted the "wrong" alphabet. The conflict between opposing groups raged through the southern half of Alaska from about 1870 until about 1916. Many cases were reported in the Orthodox Messenger, a monthly publication of the diocese, printed in New York in both English and Russian. Documented clashes occurred at Kodial, Nushagak, Sitka, Unalaska, and St Paul Island. (Oleksa, op. cit., p. 172.)

Ma traduction:

"En Alaska, des missions protestantes financées par le gouvernement fédéral des Etats-Unis créèrent des internats dont le but était de "recréer" les jeunes indigènes à l'image de leurs mentors blancs. Ces écoles se donnaient aussi pour objectif de préparer leurs élèves aux professions de manoeuvres, mineurs, charretiers et ouvriers agricoles. Ainsi que le déclara un haut-commissaire à l'Instruction publique, "Nous n'avons pas dans ce monde de vocation plus noble que d'être des missionnaires auprès de ces gens qui n'ont pas encore atteint l'état d'esprit anglo-saxon." Toutefois, quand l'instituteur / missionnaire étasunien entra en contact avec les Aléoutes, alphabétisés et chrétiens, il ne pouvait y avoir que des problèmes. Ces indigènes avaient adopté la "fausse" forme du christianisme et le "faux" alphabet. Le conflit entre les groupes opposés fit rage à travers la moitié méridionale de l'Alaska de 1870 environ à environ 1916. De nombreux cas furent racontés dans le Messager orthodoxe, publication mensuelle du diocèse [il y avait à cette époque un diocèse orthodoxe unique pour toute l'Amérique du Nord - NdT], imprimée à New York en russe et en anglais. Des incidents attestés éclatèrent à Kodiak, Nushagak, Sitka, Unalaksa, et sur l'île Saint-Paul.



At Nushagak, in March 1896, the Orthodox priest requested permission to visit the Moravian Church's Boarding Home at Carmel to administer Holy Communion to the Orthodox children residing there, if they could not return to their villages for Holy Pascha. The administrator replied:

Such which attended the mission school cannot go, neither can you come here to administer the Holy Sacrament. This is in accordance with the rules of the government, and the direct request of the ex-governor of Alaska.

The close cooperation between the government and the churches is obvious from these statements.
(Oleksa, op. cit., p. 173.)

Ma traduction:

"A Nushagak, en mars 1896, le prêtre orthodoxe demanda la permission de visiter le pensionnat de l'Eglise des Frères moraves à Carmel pour administrer la sainte Eucharistie aux enfants orthodoxes qui y résidaient, si jamais ceux-ci ne pouvaient pas retourner dans leur village pour Pâques. L'administrateur répondit:

"Ceux qui fréquentent l'école de la mission ne peuvent s'en aller, et vous ne pouvez pas non plus y venir pour administrer le saint Sacrement. Cette décision est conforme aux règlements du gouvernement, et c'est la demande directe de l'ex-gouverneur de l'Alaska."

A la lecture de cette déclaration, la coopération étroite entre le gouvernement [étasunien - NdT] et les Eglises [protestantes -NdT] est évidente.

Mon commentaire: Intéressant épisode, pour ceux qui croient encore à la laïcité de la "grande démocratie".



At Sitka, a Tlingit Orthodox woman died, and her dying wish was to be buried according to the rites of the Orthodox Church. Her husband and two of her younger children wanted her to be buried as she desired, but two other sons, residing at the Presbyterian Mission school, allegedly requested a Presbyterian funeral. Governor James Sheakley, Rev. A.E Austin, and the U.S. Federal Marshall, W.E. Williams, seized the body, removed it from its original Orthodox coffin and took it to a neighbouring house. When Hieromonk Anatolii, the Orthodox priest, protested, he was insulted and told to leave town. After the burial, the headmistress of the Presbyterian mission attempted to coerce the widower to relinquish custody of his younger children and enroll them at her school, but the Orthodox priest again intervened and prevented this. (Oleksa, op. cit., p. 173.)

Ma traduction:
Une femme orthodoxe d'ethnie tlingit mourut à Sitka. Son dernier voeu était d'être enterrée selon les rites de l'Eglise orthodoxe. Son mari et deux de ses plus jeunes enfants voulaient qu'elle soit enterrée comme elle l'avait demandé, mais deux autres de ses fils, résidant à l'école de la mission réformée, avaient prétendument demandé des funérailles calvinistes. Le gouverneur James Sheakley, le pasteur E.A. Austin et le shériff W.E. Williams s'emparèrent du corps, le retirèrent du cercueil orthodoxe dans lequel il se trouvait et l'emportèrent dans une maison voisine. Quand le prêtre orthodoxe, le hiéromoine Anatole, protesta, il fut insulté et on lui ordonna de quitter la ville. Après l'enterrement, la directrice de la mission presbytérienne essaya de contraindre le veuf à abandonner la garde de ses plus jeunes enfants et tenta de les inscrire dans son école, mais le prêtre orthodoxe intervint de nouveau et réussit à l'en empêcher.

Commentaire: Cette obsession des calvinistes contre les funérailles orthodoxes avait déjà été remarquable dans la Transylvanie du XVIIe siècle, à l'époque dominée par des magnats réformés magyars, qui avaient été jusqu'à interdire les rites funéraires des orthodoxes roumains majoritaires dans la principauté. Nihil novi sub sole.
Claude le Liseur
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la persécution de l'Orthodoxie en Alaska (III)

Message par Claude le Liseur »

Et le plus beau, le plus extraordinaire, je suppose, pour une conscience formatée par la vision dominante de l'Histoire, c'est que, trente ans après leur rattachement à la "grande République démocratique", les indigènes de l'Alaska en étaient réduits à écrire des pétitions pour demander le secours du méchant Tsar pas républicain contre les gentils Anglo-Saxons très républicains.

The literate Native population did not endure this harassment silently. In 1897, for example, the Aleut and Tlingit people of Sitka brought their situation to the attention of the Imperial Russian ambassador in Washington, D.C. They mentioned the disruption of the Tlingit Orthodox burial by the governor and the federal marshal and said "similar and even worse outrages" occurred everywhere in Alaksa. Writing on behalf of "the Orthodox natives, numbering no less than 482", who "are subjected to vexations of every description", they complained that they could bot obtain justice in courts "and other official places where Presbyterian influences reign supreme." They specifically requested that the ambassador protest the abuses to which the Orthodox Natives were subjected by the Presbyterian mission and the U.S. federal government, and ask the Russian government to appoint a representative to reside at Sitka to protect the religious and civil rights which had been guaranteed in the 1867 Treaty. (Oleksa, pp. 178 s.)

Ma traduction:

"La population indigène lettrée n'endura pas ce harcèlement en silence. En 1897, par exemple, les Aléoutes et les Tlingit de Sitka portèrent leur situation à l'attention de l'ambassadeur de l'Empire russe à Washington. Ils mentionnèrent l'interruption de l'enterrement orthodoxe tlingit par le gouverneur et le shériff, et dirent "que des atteintes semblables, ou encore plus graves" avaient lieu partout en Alaksa. Ecrivant à la demande des "indigènes orthodoxes, au nombre de pas moins de 482", qui étaient "soumis à des vexations de toute sorte", ils se plaignaient de ne pouvoir obtenir le redressement de leurs griefs auprès des tribunaux "et des autres instances officielles où les influences presbytériennes règnent sans partage". Ils demandaient en particulier que l'ambassadeur proteste contre les abus auxquels les indigènes orthodoxes étaient soumis de la part de la mission réformée et du gouvernement fédéral étasunien, et ils priaient le gouvernement russe de nommer un représentant résidant à Sitka pour veiller au respect des droits religieux et civils qui avaient été garantis dans le traité de 1867."


Et pourtant, après trois décennies de vexations diverses et variées, il restait en 1902 11'758 orthodoxes en Alaska (dont 2'147 Tlingit, 2'406 Aléoutes et 4'839 Esquimaux) avec 17 prêtres et 1 diacre (Oleksa, op. cit., p. 168). Et les efforts répétés du gouvernement des Etats-Unis et des missions réformées ne sont toujours pas venus à bout de l'Eglise orthodoxe en Alaska, puisque le diocèse de Sitka de l'OCA, dont le siège est à Anchorage et qui regroupe tous les orthodoxes de l'Etat d'Alaska, compte à l'heure actuelle (2007) 41 prêtres et 10 diacres (cf. http://www.oca.org/DIRlists.clergy.dioc ... image2.y=7 ).


La persécution de l'Orthodoxie en Alaska s'est poursuivie bien en avant dans le XXe siècle, et ce n'est qu'à la fin des années 1960 que les écoles du dimanche en russe et en aléoute ont disparu. Toutefois, malgré des décennies et des décennies d'anglicisation forcenée de la vie sociale, il y a encore des lieux où l'on célèbre en aléoute et en yupik, et l'Eglise orthodoxe d'Alaska est probablement le dernier lieu d'expression de ces langues et de ces cultures autochtones. Alors, pour qui connaît un peu ces faits, il est un peu choquant d'entendre dire que l'Eglise orthodoxe contraindrait les indigènes d'Amérique du Nord à apprendre l'anglais pour suivre la liturgie.
Sylvie
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Message par Sylvie »

Cher Lecteur Claude,

Lorsque j'ai employé le terme "indigènes", je réagissais sur le propos de M. Palierne lorsqu'il disait :
Les orthodoxes qui vivent en Europe occidentale, je l’ai déjà dit, ont besoin d’une métropole propre, pour les fidèles tant indigènes qu’immigrés de toutes les nations orthodoxes, donc d’une métropole locale. Si le patriarche œcuménique veut se poser en interlocuteur du Conseil de l’Europe, qu’il agisse en ce sens, c’est la seule manière d’affirmer son statut et de restaurer l’ordre canonique de la Tradition orthodoxe.
Je ne parlais pas des autochtones, ni du passé missionnaire en terre d'Alaska. Dans le texte de M. Palierne, je comprenais que les "indigènes" sont les personnes natives du pays.

Je parlais de la situation que nous vivons actuellement au Québec. Je suis contente de faire partie de cette petite paroisse francophone. Mais je trouve que nous sommes peu nombreux et lorsque nous sortons de notre paroisse, que ce soit dans une paroisse de l'OCA ou d'une autre juridiction, nous nous sentons comme des étrangers dans notre province natale. Mais cela reste une perception personnelle qui n'a aucune valeur sur ce forum car ce n'est pas tiré des livres.

Sylvie-Madeleine.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Sylvie a écrit :Cher Lecteur Claude,

Lorsque j'ai employé le terme "indigènes", je réagissais sur le propos de M. Palierne lorsqu'il disait :
Les orthodoxes qui vivent en Europe occidentale, je l’ai déjà dit, ont besoin d’une métropole propre, pour les fidèles tant indigènes qu’immigrés de toutes les nations orthodoxes, donc d’une métropole locale. Si le patriarche œcuménique veut se poser en interlocuteur du Conseil de l’Europe, qu’il agisse en ce sens, c’est la seule manière d’affirmer son statut et de restaurer l’ordre canonique de la Tradition orthodoxe.
Je ne parlais pas des autochtones, ni du passé missionnaire en terre d'Alaska. Dans le texte de M. Palierne, je comprenais que les "indigènes" sont les personnes natives du pays.

Je parlais de la situation que nous vivons actuellement au Québec. Je suis contente de faire partie de cette petite paroisse francophone. Mais je trouve que nous sommes peu nombreux et lorsque nous sortons de notre paroisse, que ce soit dans une paroisse de l'OCA ou d'une autre juridiction, nous nous sentons comme des étrangers dans notre province natale. Mais cela reste une perception personnelle qui n'a aucune valeur sur ce forum car ce n'est pas tiré des livres.

Sylvie-Madeleine.

Alors, si vous voulez parler du cas particulier du Québec, puisque, jusqu'à nouvel ordre, dans le reste de l'Amérique du Nord, les gens nés dans le pays sont de langue anglaise, je vais à mon tour vous faire quelques réflexions qui n'auront sans doute aucune valeur à vos yeux, si je suis vos critères, puisque basé sur mes voyages dans cette province et pas sur les livres. Cela étant, la lecture du livre du RP Oleksa vaut vraiment la peine; au-delà du cas particulier de l'Alaska, c'est vraiment une théologie de la mission.

Je me permettrai donc de vous rappeler au passage que plus de 90% des immigrants qui arrivent au Québec se concentrent sur l'île de Montréal, qui n'est pas précisément un milieu francophone. Vous ne devez donc pas vous étonner que les paroisses orthodoxes de Montréal, lorsqu'elles cessent d'utiliser les langues d'origine des immigrants, passent à l'anglais, celui-ci étant la langue de comunication à Montréal, nonobstant la loi 101. Je vous ferai aussi remarquer que ce visage anglais de Montréal est toujours une chose évidente pour le touriste venu d'Europe. J'habite aussi dans une ville qui ne compte plus que 62% de francophones à cause de l'afflux d'immigrants. Mais il ne nous viendrait pas à l'esprit de faire la moindre concession sur le plan linguistique et d'avoir, par exemple, les annonces dans les transports publics en une langue étrangère. Vous me rétorquerez avec justesse que nous n'avons pas été conquis par un envahisseur avide et méprisant et que c'est déjà un miracle que le français ait survécu après les plaines d'Abraham. Je ne dis pas le contraire, mais je dis qu'il est assez audacieux de ne voir que dans le contexte de l'Eglise orthodoxe une réalité qui est aussi, hélas!, celle de toute la société dans laquelle vous vivez.
Et ne vous inquiétez pas: sur ce plan, nous sommes solidaires; les plaines d'Abraham ont un goût d'amertume pour tous les francophones du monde entier.

Ce n'est pas non plus la faute des orthodoxes si la confessionnalisation du système scolaire québécois avec les systèmes protestant et catholique et l'intolérance extraordinaire du catholicisme québécois avant la Révolution tranquille ont abouti à ce que pratiquement tous les immigrants qui n'étaient pas de confession catholique romaine se sont retrouvés dans les écoles anglophones du système protestant jusque dans les années 1970. Vous semblez oublier que la réalité sociologique de l'Orthodoxie dans votre belle province, c'est une écrasante majorité de Grecs qui sont arrivés avant 1970 ou de descendants de ces immigrants que l'on a contraints à se faire scolariser dans le système scolaire protestant, qui était plus tolérant à l'égard de leur religion, et dont vous ne pouvez guère vous étonner qu'ils soient aujourd'hui anglophones. Encore que beaucoup aient gardé l'usage de leur langue, le grec étant resté étonnamment vivace à Montréal, et je ne vois pas comment on peut leur reprocher de continuer à célébrer dans leur langue.

L'intégration des immigrants a été un problème complètement ignoré par le nationalisme canadien-français traditionnel parce que la "revanche des berceaux" et l'extraordinaire vitalité biologique du peuple francophone d'Amérique ont servi d'oreiller de paresse pendant des décennies. La donne a complètement changé avec l'effondrement de la natalité canadienne-française. Et on a déjà commencé à payer le prix des négligences passées.

Si vous vous plaignez du petit nombre des paroisses francophones, je ne peux vous faire qu'une réponse bien anglo-saxonne, à savoir qu'il faut se prendre en mains. Si nous avons réussi en Europe à établir petit à petit un nombre de paroisses et de monastères francophones tout à fait suffisant par rapport à nos effectifs, c'est que nous n'avons compté sur l'aide de personne, même s'il est vrai que parfois, une aide très généreuse et inattendue est venue de Grèce et de Chypre. Je constate aussi que lorsque nous éditons des livres orthodoxes, comme cela a été fait pour la réédition de L'Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l'Eglise d'Orient d'Alexis S. Khomiakov (Xénia, Vevey 2006), l'aide et l'intérêt ne viennent que du milieu des orthodoxes francophones et - sans avoir été sollicités- de Grèce. Mais si on a pu fonder un monastère comme celui de Saint-Antoine-le-Grand à Saint-Laurent-en-Royans, c'est que les moines et les fidèles qui les entouraient ont retroussé leurs manches et ont agi.

Et puis, il y a un sujet sur lequel je ne m'étendrai pas, parce qu'il blesserait vos convictions, c'est qu'il serait peut-être intéressant de faire une comparaison entre les Etats-Unis de tradition protestante et libérale où les religions se maintiennent (et où il y a de nombreuses conversions à l'Orthodoxie) et le Canada devenu un pays irréligieux. On pourrait se poser la même question à propos des épidémies de suicides en Bretagne rurale, de la libéralisation effrénée des moeurs en Espagne post-franquiste, des raisons pour lesquelles l'Orthodoxie enregistre de nombreuses conversions et jouit d'une bonne image auprès du public en Finlande luthérienne, du fait que dans l'Europe contemporaine, des régions autrefois considérées comme des bastions du catholicisme et /ou de la DC ont complètement basculé à gauche, ou pourquoi des régions qui avaient en 1950 des taux de fécondité record font maintenant figure de candidats au suicide démographique, tandis que le taux de fécondité se maintient dans des proportions beaucoup plus élevées dans la France, la Suède ou l'Angleterre laïcisées et libérales depuis bien longtemps. Certains mauvais esprits, comme le démographe Jean-Claude Chesnais ou tel prêtre orthodoxe de Montréal avec qui j'ai abordé le sujet un certain dimanche d'octobre 2002, pourraient faire la remarque qu'une religion basée sur la peur de l'Enfer, le "rédempterrorisme" et le poids écrasant du clergé dans la société (au fait, vous savez à partir de quelle année il y a eu un ministère de l'Instruction publique au Québec?) court le risque de s'effondrer rapidement lorsque la peur disparaît, et, malheureusement, en entraînant avec elle toute forme de croyance chez ses anciens adeptes. Autrement dit, on peut vite se retrouver vacciné contre le christianisme ou jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais, pour ne pas commettre le crime de lèse-oecuménisme et surtout pour ne pas vous blesser plus dans vos croyances, je ne m'étendrai pas sur ce sujet.
Sylvie
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Message par Sylvie »

Cher Lecteur Claude,

Je vous admire pour vos connaissances.

Moi aussi je ne m'étendrai pas sur ce sujet.

Sylvie-Madeleine
Claude le Liseur
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La persécution de l'Orthodoxie en Alaska (IV)

Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit : La persécution de l'Orthodoxie en Alaska s'est poursuivie bien en avant dans le XXe siècle, et ce n'est qu'à la fin des années 1960 que les écoles du dimanche en russe et en aléoute ont disparu. Toutefois, malgré des décennies et des décennies d'anglicisation forcenée de la vie sociale, il y a encore des lieux où l'on célèbre en aléoute et en yupik, et l'Eglise orthodoxe d'Alaska est probablement le dernier lieu d'expression de ces langues et de ces cultures autochtones.
I. Voici le site d'une paroisse orthodoxe de Hamilton, Ontario, avec des textes liturgiques et théologiques dans différentes langues autochtones de l'Alaska, dont l'aléoute, le tlingit et le yupik qui est une langue des Esquimaux: http://www.asna.ca/alaska/ On notera qu'au début, les orthodoxes ont transcrit ces langues en caractères cyrilliques pour les utiliser dans la liturgie et la prédication - et il est vrai que l'alphabet cyrillique se prête mieux que l'alphabet latin à la transcription d'un grand nombre de langues -, mais l'alphabet cyrillique semble s'être éteint en Alaska à la fin des années 1960, après un siècle de vexations, et les transcriptions plus récentes sont en caractères latins.
A l'heure où l'on peut entendre, à Nice ou à Genève, que l'on ne peut prier Dieu qu'en slavon ou en roumain - elles-mêmes langues de traduction-, il est intéressant de faire la comparaison avec les efforts des missionnaires orthodoxes russes d'autrefois pour doter des langues parlées par quelques milliers de personnes d'une écriture, de livres liturgiques et de catéchismes.

II. Le remarquable site sur l'aménagement linguistique dans le monde de M. Leclerc de l'Université Laval de Québec (Canada) contient une page sur la situation linguistique en Alaska http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/alaska.htm qui montre les succès de la politique d'anglicisation menée par les Etats-Unis à travers les résultats du recensement fédéral de 2000. L'aléoute, dont les Russes avaient fait une langue littéraire, n'est plus parlé que par 300 personnes (il est vrai que l'armée étasunienne n'a pas hésité à déporter les Aléoutes et à détruire leurs icônes pendant la Deuxième Guerre mondiale sous prétexte de les protéger contre les Japonais), soit moins de 13,6% de cette population. Le tlingit n'est plus connu que de 500 personnes, soit 5% de la population tlingit d'Alaska, ce qui veut dire que 95% de cette population ont été assimilés de force à l'anglais. Ces taux d'assimilation forcée, qui rappellent ceux des Canadiens-Français des provinces anglaises de l'Ouest du Canada, sont plus révélateurs qu'un long discours sur ce qu'est réellement la démocratie à l'anglo-saxonne. Il est intéressant de noter, en comparaison, que les langues amérindiennes du Québec sont toujours bien vivantes.
Toutefois, la langue yupik, dont l'Eglise orthodoxe a fait une langue liturgique, s'est bien mieux maintenue, avec 10'000 locuteurs, soit 47,6% de cette population. Probablement parce qu'elle est parlée par des Esquimaux qui étaient plus hors de portée des colons et des missions envoyés par le gouvernement de Washington. Le père Oleksa dresse dans son livre de beaux portraits de prêtres orthodoxes yupik des années 1970, ainsi que d'une presbytéra admirable.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Bonjour à tous, je possède un article qui relate le martyre de saint Pierre l'Aléoute, ainsi que les persécutions dont la communauté orthodoxe aléoute de l'île de Kodiak a fait l'objet de la part des espagnols de Californie. Bien que les faits remontent à une date antérieur à l'an 1867, il me semble que ce texte a sa place dans ce fil de discussion. Si les protagonistes ne sont plus les mêmes dans les textes publés par Claude, les persécutions restent avec leurs prétextes respecifs. Pour les uns, l'imposition du catholicisme romain (et du latin dans les célébrations) et pour les autres, l'imposition du monolinguisme anglais.

Cet article m'avait boulversé la première fois que je l'avais lu, et a contribué à ma conversion à l'orthodoxie. En effet, petit à petit, le masque de l'Eglise catholique commençait à tomber!



SAINT PIERRE L'ALÉOUTE

Au début du XIXe siècle, un jeune Aléoute de l'île de Kodiak est devenu le
troisième martyr pour la foi orthodoxe en Amérique (le deuxième étant le
compagnon malheureux du père Juvénal lors de son martyre). Son nom Aléoute était Cungagnaq (Choong-UGH-noq), et il a reçu le nom Pierre à son baptême par les moines de la mission de Kodiak.

FORT ROSS

Les colonies d'Alaska de la Compagnie russe d'Amérique n'étaient pas auto-suffisantes et elles devaient importer de la nourriture et d'autres provisions non disponibles localement. On importait alors de Russie, de
Sibérie, de Californie, et même d'Amérique du Sud. La Compagnie a donc
établi un poste à Fort Ross (dérivé du mot " Rossiia ") en 1812, situé sur la côte Pacifique, à seulement 125 kilomètres au nord de San Francisco. Le climat était doux, parfait pour l'agriculture et l'élevage. La Compagnie a
envoyé 320 employés au Fort Ross pour s'occuper des cultures et du bétail. Pendant 28 ans, le Fort Ross était une source primaire de nourriture et d'autres marchandises nécessaires pour les colonies russes en Alaska. À cette époque, le territoire d'Alta California (la Californie supérieure) appartenait à l'Espagne. Non seulement les colons et les autorités espagnols étaient-ils devenus soupçonneux de cette avance russe si près de leurs propres terres, mais le gouvernement espagnol a envoyé des protestations officielles à Saint-Petersbourg, exigeant que la colonie de Fort Ross soit fermée. Les Espagnols craignaient que les Russes aient l'intention de lancer une attaque à partir de Fort Ross afin de prendre possession de San Francisco. Les autorités espagnoles ont interdit le commerce entre la colonie russe et la Californie et ils empêchaient les bateaux provenant des colonies russes d'entrer aux ports espagnols ou même de les approcher. En 1815 le nouveau gouverneur espagnol, le lieutenant Pablo Vincente de Sola, a mis une fin soudaine au commerce russe. Il a également commandé l'arrestation immédiate de presque cent Russes et Aléoutes qui n'avaient pas obéi aux ordres précédents de quitter le territoire espagnol. Les Espagnols ont tenu ces captifs en otage, refusant de les rendre à la Compagnie russe d'Amérique, sauf en échange d'approvisionnements russes requis par les Californiens. Certains de ces prisonniers ont été détenus à San Francisco et d'autres ont été envoyés ailleurs en Californie. Les Espagnols ont traité leurs captifs comme des esclaves, les obligeant à faire de durs travaux, les faisant vivre dans des conditions abominables, et les battant souvent et sévèrement. La même année, un groupe de quatorze Aléoutes chasseurs de phoques et de loutres de mer de la Compagnie russe d'Amérique se sont approchés des rivages de la Californie. Des marins espagnols les ont capturés, ont pillé leur bateau et ont ramené les chasseurs captifs à San Francisco pour être jugés.

LE RÉCIT DE KYCHALY

Un des chasseurs aléoutes, nommé Kychaly, a fourni un récit du sort du groupe d'Aléoutes aux mains des Espagnols. Le procès espagnol était une
leurre. Plusieurs des prisonniers ont été sévèrement blessés par les épées
des soldats. La tête de Pierre a été blessée par la lame d'une épée et la plaie a beaucoup saigné. Les prisonniers ont été jetés dans une salle verrouillée pour la nuit. Le matin suivant, un prêtre-inquisiteur espagnol a tenté de convaincre les captifs d'accepter le catholicisme romain, mais les Aléoutes ont refusé. Douze des prisonniers ont été emmenés en prison où ils sont restés pendant un certain nombre de jours, alors que Pierre et Kychaly étaient gardés à part des autres. Au lever de soleil, le matin suivant, ces deux hommes ont été entourés par un groupe d'Indiens de Californie. Le prêtre espagnol a donné l'ordre de couper chaque doigt des mains de Pierre, une articulation à la fois, et par la suite, toute la main. Pour finir, il a ordonné que Pierre soit éventré. Pierre a succombé à ses tortures. Juste avant de commencer les tortures de Kychaly, le prêtre a reçu l'ordre d'arrêter les procédures. Kychaly a été alors remis en cellule et Pierre a été enterré à la hâte, probablement dans une des fosses communes pour les Indiens au cimetière de la mission de Dolores. Par la suite les Espagnols ont libéré Kychaly et quelques autres captifs. En 1817, un bateau américain les a sauvés en mer et les a ramenés au Fort Ross. Kychaly a relaté l'histoire incroyable à Ivan Kushov, le directeur du Fort et Kushov a rapporté les atrocités espagnoles à Saint-Petersbourg. Kychaly est retourné en Alaska en 1819 et a continué à raconter son histoire.

LE RÉCIT DE SIMON YANOVSKY

Une version semblable du meurtre de Pierre l'Aléoute est contenue dans une lettre en date du 22 novembre 1865 de Siméon Yanovsky, alors directeur de la Compagnie russe d'Amérique en Alaska, à l'higoumène Damascène du monastère de Valaam en Finlande russe - d'où sont partis les moines de la mission de 1794 de Kodiak. Yanovsky écrit au sujet d'une conversation qu'il a eue avec saint Germain : " Une autre fois, je lui racontai que des Espagnols avaient fait prisonniers en Californie quatorze Aléoutes que les Jésuites les avaient contraints à devenir catholiques ; mais aucun des Aléoutes ne fut d'accord : "Nous sommes chrétiens," dirent-ils. "Ce n'est pas vrai, vous êtes des hérétiques, des schismatiques, répliquèrent les Jésuites, et si vous n'acceptez pas d' adopter notre foi, alors nous vous martyriserons tous". Les Aléoutes furent envoyés deux par deux, avant la nuit, dans différentes prisons. " Le soir les Jésuites vinrent dans l'une des prisons avec une lanterne et des cierges allumés et recommencèrent à exhorter les deux Aléoutes qui se trouvaient dedans à adopter la foi catholique. "Nous sommes chrétiens, répondirent les Aléoutes, et nous ne changerons pas de foi". Alors, les Jésuites se mirent à les martyriser. Ils commencèrent par l'un des Aléoutes, l'autre étant témoin. Ils coupèrent une à une les articulations de ses orteils, à un pied, puis à l'autre, ils lui coupèrent ensuite une à une les articulations des doigts d'une main, puis de l'autre, puis ils lui tranchèrent les pieds et les mains. Le sang coulait. Le martyr endura tout et continua simplement à affirmer qu'il était chrétien. Il mourut durant les souffrances à cause de l'effusion de sang. " Les Jésuites promirent de martyriser son compagnon le lendemain ; mais, durant la nuit, on reçut la nouvelle de Monterey d'expédier immédiatement là-bas sous escorte les Aléoutes russes qui avaient été faits prisonniers; aussi partirent-ils tous, le matin, excepté celui qui était mort. L'Aléoute qui avait assisté au martyre de son ami m'a raconté cela après s'être enfui de prison, et j'ai moi-même, alors, rapporté cet événement au chef du gouvernement de Saint-Petersbourg. " Quand j'eus achevé mon récit, le père Germain demanda : "Et comment s' appelait l'Aléoute martyrisé ? " "Pierre, répondis-je, mais je ne me souviens plus de son nom de famille ". Le starets se mit debout devant les icônes, se signa et prononça la phrase suivante : "Saint nouveau martyr Pierre, prie Dieu pour nous ! " " Pierre l'Aléoute a été canonisé en 1970 et sa mémoire est fêtée le 24 septembre, jour anniversaire de l'arrivée en Amérique en 1794 de la mission de Kodiak du monastère de Valaam.

Saint Pierre l'Aléoute priez pour nous!
Stephanopoulos
Alexandr
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Inscription : sam. 15 oct. 2005 10:59

Message par Alexandr »

Bonsoir,

Je suis tombé sur ceci : http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=6113526

Je n'ai pas accès à l'article, mais, avez-vous entendu parlé de ce genre de chose?
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