Voici des extraits de la première homélie de St Basile sur « L’origine de l’homme ».
Tout comme Origène, Basile nous parle de l’homme intérieur et fait ainsi une lecture du texte de la Genèse à plusieurs niveaux. L’image de Dieu en l’homme est la raison et le rapport au monde est perçu comme une allégorie analysée sous l’angle du pouvoir de commander conféré par Dieu à l’homme.
Il ne s’agit pas de faire de la Genèse le récit d’une cosmogonie extérieure mais celui du récit de notre rapport au monde. Soit nous posons ce rapport en Dieu soit nous évinçons Dieu de ce rapport.
Une note significative de l’édition du tome 160 des sources chrétiennes p 185 nous dit :
"Basile distingue dans l'image d'abord le don de la raison, ensuite seulement le devoir qu'elle entraîne : c'est ce second aspect qui l'emporte chez ORIGÈNE, In Gen. hom., 1, 12, où la supériorité de la raison sur le corps est rattachée immédiatement à l'exégèse allégorique des animaux terrestres et marins baignant dans l'eau de l'esprit."
« L’eau de l’esprit » ; il s’agit bien d’une cosmogonie subjective comme analysée dans les messages précédents.
Si l’on réduit le texte à une simple cosmogonie alors bien souvent le discours des Pères sur cette cosmogonie devient complètement erroné et inutilisable comme nous le verrons prochainement avec un texte de Grégoire de Nysse. Ce sont les éléments de notre rapport au monde que nous devons conserver et non pas ceux du monde lui-même dont la vision a été changée par les données de la science.
St Basile a écrit :Homélie I,6
Dans quel sens l'Écriture a-t-elle donc dit que nous avons été créés à l'image de Dieu ?
Apprenons les choses de Dieu et comprenons, en ce qui nous concerne, que nous ne possédons pas ce qui est à l'image de Dieu, sous forme corporelle. La forme du corps est celle d'un corruptible. […]
Comment donc ce qui est sujet aux altérations peut-il ressembler à l'immuable ? à ce qui reste toujours identique, ce qui n'a pas de consistance ? Le corps humain nous échappe comme les choses qui s'écoulent ; avant d'être aperçu, il s'est dérobé; il passe d'une apparence à une autre.
« A notre image » : de la nature immuable dépendrait une image passagère? de celle qui n'a pas de forme celle qui en a reçu une ? Comment scruterons-nous ce qui est à l'image ? […]
« Créons l'Homme à notre image et à notre ressemblance et qu'ils commandent aux poissons . » Par le corps ou par la raison ? Ce pouvoir de commander est-il dans l'âme ou dans la chair ?[…]
Homélie I,7
« Créons l'Homme à notre image. » C'est de l'homme intérieur qu'Il dit : « Créons l'Homme. » Mais, diras-tu, pourquoi ne nous parle-t-il pas de la raison ?
Il a dit que l'Homme est à l'image de Dieu, et la raison c'est l'homme. Écoute les paroles de l'Apôtre : « Bien que notre homme extérieur dépérisse, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour» (II Cor.4,16)
De quelle manière ?
Je distingue deux hommes, l'un qui apparaît, et l'autre, caché sous celui qui apparaît, invisible : l'homme intérieur. Nous avons un homme intérieur et nous sommes doubles en quelque sorte, mais, à vrai dire, nous sommes l'être intérieur. Le moi se dit de l'homme intérieur : ce qui est extérieur n'est pas moi, mais mien. La main, ce n'est pas moi. Mais le moi, c'est le principe raisonnable de l'âme. La main, elle, est une partie de l'homme. Ainsi le corps est l'instrument de l'homme, l'instrument de l'âme ; mais l'homme se dit principalement de l'âme elle-même.
« Créons l'Homme à notre image », c'est-à-dire : donnons-lui la supériorité de la raison.[…]
Homélie I,8
Ainsi : « Créons l’Homme et qu’ils commandent » : où se trouve le pouvoir de commander, là réside l’image de Dieu.
Homélie I,14
« et remplissez la terre » ; remplissez-la, non pas en l’habitant, car ainsi nous vivrions bien à l’étroit s’il n’y avait de terre qu’à mesure de nos besoins d’habitation, mais remplissez là par ce pouvoir qu’Il nous a donné de dominer la terre.[…]
Il nous a fait maîtres de remplir et nous remplissons cette terre-là par la raison.[…]
Homélie I,19
« Et qu’ils commandent aux bêtes sauvages » Tu commandes à toutes sortes de bêtes sauvages. Eh quoi, diras-tu, y-a-t-il des bêtes sauvages en moi-même ? Oui et beaucoup. C’est même une foule immense de bêtes sauvages que tu portes en toi.[…]
As-tu vraiment été créé maître des bêtes sauvages si, en commandant à celles de l’extérieur, tu laisses aller celles du dedans sans les maîtriser ?[…]
Puis suit une hiérarchie parallèle entre différentes catégories d’animaux et les facultés de l’homme intérieur
Nombreuses sont donc les bêtes sauvages en nous.[…]
As-tu vraiment été créé maître des bêtes sauvages si, en commandant à celles de l'extérieur, tu laisses celles du dedans sans les maîtriser ? […]
Tu as donc été créé pour commander ; tu es le maître des passions, le maître des bêtes sauvages, le maître des serpents le maître des oiseaux : n'entretiens pas de raisonnements en l'air, ne sois pas instable et léger d'esprit. Tu as été choisi pour être le maître des êtres qui volent ; tu es absurde si, alors que tu captures les êtres qui volent à l'extérieur, tu restes toi-même léger et superficiel. Ne t'enfle pas, ne t'enorgueillis pas, ne nourris pas de pensées qui dépassent la nature humaine. Ne te gonfle pas de louange, ne te glorifie pas, ne te prends pas pour quelque chose de grand. Sinon, tu seras semblable à l'oiseau instable que sa nature mobile porte de-ci de-là. Sois maître, en toi, de tes pensées, pour devenir le maître de tous les êtres. Ainsi le pouvoir qui nous a été donné à travers les êtres vivants nous prépare à exercer l'empire sur nous même.
Basile appuie également cette thématique homme intérieur / homme extérieure sur les emplois bibliques des termes créer et modeler
Voilà une autre clef de lecture : Il faut différencier dans le récit ce qui est de l’ordre de l’événement.
St Basile a écrit :Homélie II, 3-4
Le psalmiste a enseigné cette différence entre création et modelage quand il a dit : « Tes mains m'ont créé et m'ont modelé. » Dieu a créé l'Homme intérieur et modelé l'Homme extérieur. Le modelage en effet convient à l'argile, la création à ce qui est à l'image. Ainsi donc, la chair a été modelée, mais l'âme a été créée.
S'étant donc exprimé d'une autre manière pour la substance de l'âme, le texte nous expose maintenant le modelage du corps. C'est là une première raison; quelle est l'autre ? C'est que le premier récit est fait dans le cadre du « commencement », et le second nous est transmis sous l'angle de l'événement.
Notons qu'il s'agit d'angle! Le récit n'est pas fait pour renvoyer à une réalité physique extérieure mais il est entièrement tourné vers l'homme intérieur.Le cadre c'est l'homme intérieur. Les évennement sont des outils du récits. La réalité c'est l'homme intérieur.
Examinons maintenant au travers de la deuxième homélie si nous retrouvons cette problématique de l’homme intérieur adaptée à d’autres notions bibliques.
Basile l’a reliée à la notion d’image et à celle de commandement, il aborde maintenant un thème que l’on interprète souvent comme une ratification de la sexualité: la croissance et la multiplication.Or Basile nous linterprète ce passage comme concernant la croissance de l'homme intérieur et sa multiplication pentecostale. La encore il s'agit d'une réalité théologique de notre relation à Dieu et non pas de la conservation de l'espèce.
St Basile a écrit :Homélie II,5
Aux animaux dénués de raison, il a donc été dit ` croissez ' selon le développement corporel, au sens de l'achèvement de la nature, mais à nous, il est dit ` croissez ' selon l'Homme intérieur, dans la ligne du progrès qui mène à Dieu. […]
Croissez donc, de cette croissance qui est selon Dieu, de ce développement qui est celui de l'Homme intérieur.[…]
«Multipliez » : cette bénédiction concerne l'Église. Que la parole divine ne se limite pas à un seul individu, mais que par toute la terre soit prêché l'Évangile du salut.
— « Multipliez. » A qui s'adresse cet ordre ?
— A ceux qui naissent selon l'Évangile.
— « Emplissez la terre » : la chair qui vous a été donnée pour faire office de serviteur, emplissez-la de bonnes actions. Que l’œil soit plein de la vision du devoir, que la main soit pleine des bonnes actions, que les pieds soient prêts à visiter les malades, alertes pour aller au devoir. Que tout l'appareil de nos membres soit plein des pratiques recommandées. C'est cela la parole : « Emplissez la terre. »
Et une note de l’édition précise :
« Dans la première homélie, Basile disait que les évangiles sont le moyen d'accéder à la ressemblance ; ici, il envisage la croissance organique dans la similitude. C'est pourquoi la terre dont il s'agit dans cette seconde homélie est, non plus celle de l'extérieur, cet orbis terrarum qu'il fallait remplir par la raison, mais celle que Dieu a modelée, le corps propre de l'homme. »
La terre promise n’est qu’une préfiguration de la terre d’éternité que sera le corps résurrectionnel.
On peut lire le récit de la Genèse en le réduisant à une simple cosmogonie extérieure et tenter des similitudes entre le langage du rédacteur de l’époque et les données de la science contemporaine, rapprocher la lumière de la Genèse de celle du big bang, bref établir des pont entre une cosmogonie archaïque et une cosmogonie réactualisée. On n’aura rien perçu du récit qui est beaucoup plus profond et dont St Basile, à la suite d’Origène nous donne la clef : l’homme intérieur. Nous sommes ainsi tout à fait dans son sillage lors de notre exégèse de l’homme intérieur, du rapport de l’homme à sa propre raison, image de Dieu en l’homme, que l’homme choisira ou non de réaliser. C’est ce que les Pères entendent aussi sous le vocable de ressemblance :la réalisation hypostatique de notre nature humaine, c'est à dire l'Eglise. Il me semble plus important de lire la Genèse comme un récit anonciateur de ce qu'est l'Eglise que comme une historiette dans laquelle de gentils animaux ont de mignonnes dents inutiles à seule fin de contredire l'adage scientifique que la fonction crée l'organe. Ce qui est prodigieux c'est que
St Basile tire sa définition de l'Orthodoxie du discours primordial de la Genèse.
St Basile a écrit :Homélie I, 15-16
— Pourquoi n'est-il pas dit : « Et Dieu créa l'Homme à l'image de Dieu et à sa ressemblance » ?
« Créons l'Homme à notre image et à notre ressemblance. » Nous possédons l'un par la création, nous acquérons l'autre par la volonté. Dans la première structure, il nous est donné d'être nés à l'image de Dieu ; par la volonté se forme en nous l'être à la ressemblance de Dieu. Ce qui relève de la volonté, notre nature le possède en puissance, mais c'est par l'action que nous nous le procurons. Si en nous créant, le Seigneur n'avait pris à l'avance la précaution de dire « Créons » et « à la ressemblance », s'il ne nous avait pas gratifiés de la puissance de devenir à la ressemblance, ce n'est pas par notre pouvoir propre que nous aurions acquis la ressemblance à Dieu. Mais voilà qu'il nous a créés en puissance capables de ressembler à Dieu. En nous donnant la puissance de ressembler à Dieu, il a permis que nous soyons les artisans de la ressemblance à Dieu, afin que nous revienne la récompense de notre travail, afin que nous ne soyons pas comme ces portraits sortis de la main d'un peintre, des objets inertes, afin que le résultat de notre ressemblance ne tourne pas à la louange d'un autre. En effet, lorsque tu vois le portrait exactement conformé au modèle, tu ne loues pas le portrait, mais tu admires le peintre. Ainsi donc, afin que ce soit moi l'objet d'admiration et non un autre, il m'a laissé le soin de devenir à la ressemblance de Dieu. En effet, par l'image je possède l'être raisonnable, et je deviens à la ressemblance en devenant chrétien'.
Homélie I,17.
«Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.» Vois-tu en quoi le Seigneur nous donne ce qui est à la ressemblance?[…]
Ainsi tu possèdes ce qui est à l'image, parce que tu es raisonnable, mais tu deviens à la ressemblance en acquérant la bonté. Acquiers « des entrailles de compassion et de la bienveillances » afin de revêtir le Christ ». Les actions qui te font acquérir la compassion sont les mêmes, en effet, que celles qui te font revêtir le Christ, et l'intimité avec lui te fait intime avec Dieu. Ainsi cette histoire (de la Genèse) est-elle une éducation de la vie humaine . « Créons l'Homme à l'image » : qu'il possède par la création ce qui est à l'image, mais qu'il devienne aussi à la ressemblance. Dieu en a donné la puissance ; s'Il t'avait créé aussi à la ressemblance, où serait ton privilège ? Pourquoi as-tu été couronné ? Et si le Créateur t'avait tout donné, comment le royaume des cieux s'ouvrirait-il pour toi ? Mais il se fait qu'une partie t'est donnée, tandis que l'autre a été laissée inachevée : c'est pour que tu t'achèves toi-même et que tu sois digne de la rétribution qui vient de Dieu.
— Comment devenons-nous donc à la ressemblance ?
— Par les Évangiles.
— Qu'est-ce que le christianisme ?
— C'est la ressemblance de Dieu autant qu'il est possible à la nature de l'Homme.