Par un seul homme le péché est entré dans le monde

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Silouane
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Message par Silouane »

Jean-Louis Palierne a écrit :Il existe des textes de l’hymnographie orthodoxe qui nous montrent êtres vivants et éléments de la Création éclatant de colère à la face d’>Adam déchu, lui reprochant sa responsabilité. Malheureusement je n’ai pas pu retrouver ces textes. Quelqu’un pourrait-il m’aider ?
J'aimerais découvrir ces textes. Si je peux revenir aux écrits de S. Silouane, voici ce qu'il écrit (en mettant ses paroles dans la bouche d'Adam):
"Au paradis j'étais joyeux et gai: l'Esprit de Dieu me réjouissait et je ne connaissais aucune souffrance. Mais quand je fus chassé du paradis, alors le froid et la faim commencèrent à me tourmenter; les bêtes et les oiseaux, qui au paradis étaient doux et m'aimaient, devinrent sauvages, se mirent à me craindre et me fuir. De mauvaises pensées me tourmentaient; le soleil et le vent me brûlaient, la pluie me mouillait; j'étais torturé par des maladies et toutes les peines de la terre, mais je supportais tout et j'espérais fortement le Seigneur." (Starets Siluan, p. 187 version russe)
Est-ce le monde, la nature, les éléments, les animaux qui ont changé en leur être, ou ne font-ils que "rejeter" inconsciemment et involontairement vers l'homme sa propre inquiétude, son angoisse, son aliénation qu'il rayonne autour de lui? L'homme à la mauvaise conscience, pire, celui qui se croit rejeté par Dieu, commence à percevoir tout et tous autour de soi comme une menace. De même que celui qui porte la grâce et se sait aimé de Dieu, se sent également aimé par toute la création dans ce qu'elle a d'innocent et (parmi les hommes) de bonne volonté. Les bêtes sauvages sans crainte approchent les saints, comme ils fuient l'homme de la chute, qui doute de l'amour de Dieu. C'est Adam le premier qui a fui et s'est caché de Dieu. Depuis, et tant qu'il n'est pas sauvé, sa peur devant Dieu, devant ses frères et toute créature est sentie par les animaux, qui instinctivement lui répondent par la peur, le manque de confiance, voire la violence. Les animaux sont donc dépendants de l'homme, ont besoin de lui. C'était ça la royauté de l'homme dans la création: la confiance et la douceur de l'homme devaient se refléter dans l'âme animale. Quand l'ours, tout apaisé par la paix surnaturelle (ou plutôt: incréée) dans l'âme de S. Séraphim, vient manger à sa main, a-t-il encore besoin de tuer? Les animaux ne sont-ils pas devenus sauvages à cause de nous?

Quant au froid, il a dû exister avant la chute... De même que le soleil était déjà brûlant et que la pluie mouillait! Et même les microbes devaient exister. Mais Adam plein de grâce n'en souffrait pas. Tout était bon pour lui, comme pour Dieu. Ce n'est que quand il perd la grâce et la confiance que toutes ces choses commencent à le tourmenter. La terre lui devient ennemie? Ou est-ce lui qui, dans son regard changé, la perçoit maintenant comme une ennemie, une menace, un élément étranger et infertile, générateur d'épines, de catastrophes et de misère?

C'est comme si pour la terre et les éléments, la transformation s'opère uniquement dans la perception subjective de l'homme. Tandis que les animaux, âmes vivantes, connaissent eux-mêmes un changement: mais seulement dans la mesure où leur âme reflète l'âme de leurs maîtres, auxquels ils sont liés de façon intuitive.

Si je ne me trompe, Jean-Louis parlait de deux sauts ontologiques, de la matière à la vie et de la vie (végétale et animale) à l'homme. La matière n'est pas transformée par la chute. La vie, si. Tous les vivants participent à la mort, introduite par l'homme. S'il ne s'agit pas ici la mort physique (qui peut-être avait été créée dès le début, et pouvait être paisible, spontanée, sans souffrance ni agonie, pourquoi pas?), alors au moins c'est cette rupture de la paix et de l'harmonie, de la confiance et de la douceur dans les âmes animales comme humaines. Bien sûr pour l'homme la mort spirituelle est bien plus qu'une simple rupture de la paix intérieure, puisqu'il s'agit de sa relation "face à Face" avec Dieu.

Mais c'est vrai que cela n'explique pas le Tyrannosaure Rex... :-)
Peut-être que les animaux "devienus sauvages" et qui "accusent" l'homme, ce n'est que notre perception aussi (notre relation à eux)?

L'Archè, le "Principe" de la Genèse en tant que l'homme intérieur (spirituel), image du Christ... quelle trouvaille d'Origène! Cela vaut la peine d'essayer d'en tirer les conséquences... Je me demande, entre autres, si on n'aboutira pas à l'idée (d'Origène également) que le monde a été créé par Dieu pour l'homme déjà déchu "dans son principe", "avant" tout création "extérieure". Ou bien cette question deviendrait inutile (au cas où la Genèse ne parlerait strictement QUE de notre esprit et sa vie intérieure, qui comprend aussi notre relation avec ce que nous appelons le monde; et jamais du monde comme réalité objective)? Enfin, dans ce cas toute la réalité (créée) serait une et indivisible, vécue par le seul esprit, la conscience une/unifiante, et il me semble que je comprends alors aussi la place de l'apocatastase dans sa théologie. (Sans vouloir théoriser sur celle-ci, qui me semble plutôt l'objet d'une - vive! - Espérance).
Silouane
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Si on lit la Genèse comme un récit historique banal, si l’on cherche à placer l’épisode quelque part entre Erectus et Sapiens Sapiens, on ne peut que se planter. Cela devient inextricable. C’est pourquoi je parle de parabole, une parabole presque inépuisable.
Je viens de traduire pour un autre forum spécialisé dans le soutien psychologique de personnes en souffrance un commentaire d’un rabbin américain nommé Sherman sur cette parabole (j’ai fait cette traduction pour rendre service à des intervenantes qui ne lisaient pas l’anglais). Il fait une lecture plus littérale que celle de Nothomb, moins proche des commentaires patristiques, mais il introduit un élément intéressant à propos du serpent et de son argumentaire. Je vais essayer de le résumer. Le serpent est un animal. Pour l’animal, la voix de Dieu, son commandement primordial, lui parvient de l’intérieur par la pression de l’instinct, de son désir. Il suggère donc à Isha que, si elle désire cet arbre du bon et du mauvais, le désir est une « voix de Dieu » plus primordiale que son commandement oral, celui qui passe par les mots de l’interdit, par le langage humain. Patatras car cet éveil au désir, qui le renforce, introduit un déséquilibre là où les facultés de l’homme étaient en harmonie. Or, une fois que le fruit a été consommé, selon les traductions courantes, « Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, un délice pour les yeux et désirable pour acquérir la sagesse… » (Genèse 3,6), alors qu’une traduction plus littérale du dernier item serait « désirable pour contempler ». L’arbre correspond donc à trois étapes du désir qui sont aussi trois étapes de maturité : « Une sucette est « bonne à manger ». Même un gosse de deux ans peut l’apprécier. Mais il faut avoir au moins dix ans pour apprécier la beauté d’une rose, beauté qui est « un délice pour les yeux », pas pour la bouche. Et que dire des choses « désirables pour contempler » ? C’est une beauté qui ne s’adresse pas à nos sens physiques mais à notre esprit. » écrit Sherman.
Mais il ne cherche pas à répondre à la question qui me vient immédiatement : contempler quoi ?
Et quel lien avec l’intégration et l’autoproclamation de systèmes de valeur ?
On voit que cet éveil au désir, qui lui donne la suprématie dans la nature humaine, touche tout notre rapport au monde.
Ish et Isha en Eden se contemplent mutuellement et contemplent Dieu. Ils apprécient la beauté du Jardin qu’est la création, et l’on peut penser que leur régime frugivore était plutôt agréable en bouche. Créés adultes, ils sont en pleine possession de ces facultés. Or la manducation de l’arbre interdit renverse le processus, les fait régresser à une forme d’enfance pour une « rééducation » qui est en fait une réorientation du désir, lequel se met à mouliner à vide (et avide) au lieu de se tourner naturellement vers Dieu.
Et là, dans le constat de cette inversion, je rejoins complètement les Pères.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Sur la façon dont les Pères ont commenté la Genèse et le récit de la Création, il faut avant tout se rapporter aux œuvres fondamentales :

- Saint Basile le Grand, ou de Césarée : 9 Homélies sur l'Hexaèméron éditées (texte grec et traduction) dans la collection "Sources chrétiennes" (numéro 26 bis), puis deux autres homélies (classées 10 et 11) éditées dans la même collection (numéro 160) sous le titre "Sur l'Origine de l'homme".

- Saint Grégoire de Nysse : "La Création de l'homme", édité dans le collection "Les Pères dans la foi" chez DDB. Saint Grégoire de Nysse était un jeune frère de saint Basile.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Silouane
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Message par Silouane »

Et au cas où, les textes indiqués par Jean-Louis se trouvent aussi sur internet:

- de S. Basile, les (9) Homélies sur l'Hexaèméron, suivies de la 10e Homélie sur la création de l'homme (mais apparemment sans la 11e), sur http://www.jesusmarie.com/basile_de_ces ... meron.html

- de S. Grégoire de Nysse, "La création de l'homme", sur http://www.gregoiredenysse.com/html/cre ... eation.htm.
Dernière modification par Silouane le sam. 11 nov. 2006 14:22, modifié 1 fois.
Silouane
Antoine
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Message par Antoine »

Voici des extraits de la première homélie de St Basile sur « L’origine de l’homme ».
Tout comme Origène, Basile nous parle de l’homme intérieur et fait ainsi une lecture du texte de la Genèse à plusieurs niveaux. L’image de Dieu en l’homme est la raison et le rapport au monde est perçu comme une allégorie analysée sous l’angle du pouvoir de commander conféré par Dieu à l’homme.
Il ne s’agit pas de faire de la Genèse le récit d’une cosmogonie extérieure mais celui du récit de notre rapport au monde. Soit nous posons ce rapport en Dieu soit nous évinçons Dieu de ce rapport.

Une note significative de l’édition du tome 160 des sources chrétiennes p 185 nous dit :
"Basile distingue dans l'image d'abord le don de la raison, ensuite seulement le devoir qu'elle entraîne : c'est ce second aspect qui l'emporte chez ORIGÈNE, In Gen. hom., 1, 12, où la supériorité de la raison sur le corps est rattachée immédiatement à l'exégèse allégorique des animaux terrestres et marins baignant dans l'eau de l'esprit."

« L’eau de l’esprit » ; il s’agit bien d’une cosmogonie subjective comme analysée dans les messages précédents.
Si l’on réduit le texte à une simple cosmogonie alors bien souvent le discours des Pères sur cette cosmogonie devient complètement erroné et inutilisable comme nous le verrons prochainement avec un texte de Grégoire de Nysse. Ce sont les éléments de notre rapport au monde que nous devons conserver et non pas ceux du monde lui-même dont la vision a été changée par les données de la science.
St Basile a écrit :Homélie I,6

Dans quel sens l'Écriture a-t-elle donc dit que nous avons été créés à l'image de Dieu ?
Apprenons les choses de Dieu et comprenons, en ce qui nous concerne, que nous ne possédons pas ce qui est à l'image de Dieu, sous forme corporelle. La forme du corps est celle d'un corruptible. […]

Comment donc ce qui est sujet aux altérations peut-il ressembler à l'immuable ? à ce qui reste toujours identique, ce qui n'a pas de consistance ? Le corps humain nous échappe comme les choses qui s'écoulent ; avant d'être aperçu, il s'est dérobé; il passe d'une apparence à une autre.


« A notre image » : de la nature immuable dépendrait une image passagère? de celle qui n'a pas de forme celle qui en a reçu une ? Comment scruterons-nous ce qui est à l'image ? […]

« Créons l'Homme à notre image et à notre ressemblance et qu'ils commandent aux poissons . » Par le corps ou par la raison ? Ce pouvoir de commander est-il dans l'âme ou dans la chair ?[…]

Homélie I,7
« Créons l'Homme à notre image. » C'est de l'homme intérieur qu'Il dit : « Créons l'Homme. » Mais, diras-tu, pourquoi ne nous parle-t-il pas de la raison ?
Il a dit que l'Homme est à l'image de Dieu, et la raison c'est l'homme. Écoute les paroles de l'Apôtre : « Bien que notre homme extérieur dépérisse, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour» (II Cor.4,16)
De quelle manière ?
Je distingue deux hommes, l'un qui apparaît, et l'autre, caché sous celui qui apparaît, invisible : l'homme intérieur. Nous avons un homme intérieur et nous sommes doubles en quelque sorte, mais, à vrai dire, nous sommes l'être intérieur. Le moi se dit de l'homme intérieur : ce qui est extérieur n'est pas moi, mais mien. La main, ce n'est pas moi. Mais le moi, c'est le principe raisonnable de l'âme. La main, elle, est une partie de l'homme. Ainsi le corps est l'instrument de l'homme, l'instrument de l'âme ; mais l'homme se dit principalement de l'âme elle-même.
« Créons l'Homme à notre image », c'est-à-dire : donnons-lui la supériorité de la raison.[…]

Homélie I,8
Ainsi : « Créons l’Homme et qu’ils commandent » : où se trouve le pouvoir de commander, là réside l’image de Dieu.


Homélie I,14
« et remplissez la terre » ; remplissez-la, non pas en l’habitant, car ainsi nous vivrions bien à l’étroit s’il n’y avait de terre qu’à mesure de nos besoins d’habitation, mais remplissez là par ce pouvoir qu’Il nous a donné de dominer la terre.[…]
Il nous a fait maîtres de remplir et nous remplissons cette terre-là par la raison.[…]

Homélie I,19
« Et qu’ils commandent aux bêtes sauvages » Tu commandes à toutes sortes de bêtes sauvages. Eh quoi, diras-tu, y-a-t-il des bêtes sauvages en moi-même ? Oui et beaucoup. C’est même une foule immense de bêtes sauvages que tu portes en toi.[…]

As-tu vraiment été créé maître des bêtes sauvages si, en commandant à celles de l’extérieur, tu laisses aller celles du dedans sans les maîtriser ?[…]
Puis suit une hiérarchie parallèle entre différentes catégories d’animaux et les facultés de l’homme intérieur
Nombreuses sont donc les bêtes sauvages en nous.[…]
As-tu vraiment été créé maître des bêtes sauvages si, en commandant à celles de l'extérieur, tu laisses celles du dedans sans les maîtriser ? […]

Tu as donc été créé pour commander ; tu es le maître des passions, le maître des bêtes sauvages, le maître des serpents le maître des oiseaux : n'entretiens pas de raisonnements en l'air, ne sois pas instable et léger d'esprit. Tu as été choisi pour être le maître des êtres qui volent ; tu es absurde si, alors que tu captures les êtres qui volent à l'extérieur, tu restes toi-même léger et superficiel. Ne t'enfle pas, ne t'enorgueillis pas, ne nourris pas de pensées qui dépassent la nature humaine. Ne te gonfle pas de louange, ne te glorifie pas, ne te prends pas pour quelque chose de grand. Sinon, tu seras semblable à l'oiseau instable que sa nature mobile porte de-ci de-là. Sois maître, en toi, de tes pensées, pour devenir le maître de tous les êtres. Ainsi le pouvoir qui nous a été donné à travers les êtres vivants nous prépare à exercer l'empire sur nous même.

Basile appuie également cette thématique homme intérieur / homme extérieure sur les emplois bibliques des termes créer et modeler
Voilà une autre clef de lecture : Il faut différencier dans le récit ce qui est de l’ordre de l’événement.
St Basile a écrit :Homélie II, 3-4
Le psalmiste a enseigné cette différence entre création et modelage quand il a dit : « Tes mains m'ont créé et m'ont modelé. » Dieu a créé l'Homme intérieur et modelé l'Homme extérieur. Le modelage en effet convient à l'argile, la création à ce qui est à l'image. Ainsi donc, la chair a été modelée, mais l'âme a été créée.
S'étant donc exprimé d'une autre manière pour la substance de l'âme, le texte nous expose maintenant le modelage du corps. C'est là une première raison; quelle est l'autre ? C'est que le premier récit est fait dans le cadre du « commencement », et le second nous est transmis sous l'angle de l'événement.
Notons qu'il s'agit d'angle! Le récit n'est pas fait pour renvoyer à une réalité physique extérieure mais il est entièrement tourné vers l'homme intérieur.Le cadre c'est l'homme intérieur. Les évennement sont des outils du récits. La réalité c'est l'homme intérieur.


Examinons maintenant au travers de la deuxième homélie si nous retrouvons cette problématique de l’homme intérieur adaptée à d’autres notions bibliques.
Basile l’a reliée à la notion d’image et à celle de commandement, il aborde maintenant un thème que l’on interprète souvent comme une ratification de la sexualité: la croissance et la multiplication.Or Basile nous linterprète ce passage comme concernant la croissance de l'homme intérieur et sa multiplication pentecostale. La encore il s'agit d'une réalité théologique de notre relation à Dieu et non pas de la conservation de l'espèce.
St Basile a écrit :Homélie II,5
Aux animaux dénués de raison, il a donc été dit ` croissez ' selon le développement corporel, au sens de l'achèvement de la nature, mais à nous, il est dit ` croissez ' selon l'Homme intérieur, dans la ligne du progrès qui mène à Dieu. […]

Croissez donc, de cette croissance qui est selon Dieu, de ce développement qui est celui de l'Homme intérieur.[…]

«Multipliez » : cette bénédiction concerne l'Église. Que la parole divine ne se limite pas à un seul individu, mais que par toute la terre soit prêché l'Évangile du salut.
— « Multipliez. » A qui s'adresse cet ordre ?
— A ceux qui naissent selon l'Évangile.
— « Emplissez la terre » : la chair qui vous a été donnée pour faire office de serviteur, emplissez-la de bonnes actions. Que l’œil soit plein de la vision du devoir, que la main soit pleine des bonnes actions, que les pieds soient prêts à visiter les malades, alertes pour aller au devoir. Que tout l'appareil de nos membres soit plein des pratiques recommandées. C'est cela la parole : « Emplissez la terre. »
Et une note de l’édition précise :
« Dans la première homélie, Basile disait que les évangiles sont le moyen d'accéder à la ressemblance ; ici, il envisage la croissance organique dans la similitude. C'est pourquoi la terre dont il s'agit dans cette seconde homélie est, non plus celle de l'extérieur, cet orbis terrarum qu'il fallait remplir par la raison, mais celle que Dieu a modelée, le corps propre de l'homme. »
La terre promise n’est qu’une préfiguration de la terre d’éternité que sera le corps résurrectionnel.
On peut lire le récit de la Genèse en le réduisant à une simple cosmogonie extérieure et tenter des similitudes entre le langage du rédacteur de l’époque et les données de la science contemporaine, rapprocher la lumière de la Genèse de celle du big bang, bref établir des pont entre une cosmogonie archaïque et une cosmogonie réactualisée. On n’aura rien perçu du récit qui est beaucoup plus profond et dont St Basile, à la suite d’Origène nous donne la clef : l’homme intérieur. Nous sommes ainsi tout à fait dans son sillage lors de notre exégèse de l’homme intérieur, du rapport de l’homme à sa propre raison, image de Dieu en l’homme, que l’homme choisira ou non de réaliser. C’est ce que les Pères entendent aussi sous le vocable de ressemblance :la réalisation hypostatique de notre nature humaine, c'est à dire l'Eglise. Il me semble plus important de lire la Genèse comme un récit anonciateur de ce qu'est l'Eglise que comme une historiette dans laquelle de gentils animaux ont de mignonnes dents inutiles à seule fin de contredire l'adage scientifique que la fonction crée l'organe. Ce qui est prodigieux c'est que St Basile tire sa définition de l'Orthodoxie du discours primordial de la Genèse.
St Basile a écrit :Homélie I, 15-16
— Pourquoi n'est-il pas dit : « Et Dieu créa l'Homme à l'image de Dieu et à sa ressemblance » ?
« Créons l'Homme à notre image et à notre ressemblance. » Nous possédons l'un par la création, nous acquérons l'autre par la volonté. Dans la première structure, il nous est donné d'être nés à l'image de Dieu ; par la volonté se forme en nous l'être à la ressemblance de Dieu. Ce qui relève de la volonté, notre nature le possède en puissance, mais c'est par l'action que nous nous le procurons. Si en nous créant, le Seigneur n'avait pris à l'avance la précaution de dire « Créons » et « à la ressemblance », s'il ne nous avait pas gratifiés de la puissance de devenir à la ressemblance, ce n'est pas par notre pouvoir propre que nous aurions acquis la ressemblance à Dieu. Mais voilà qu'il nous a créés en puissance capables de ressembler à Dieu. En nous donnant la puissance de ressembler à Dieu, il a permis que nous soyons les artisans de la ressemblance à Dieu, afin que nous revienne la récompense de notre travail, afin que nous ne soyons pas comme ces portraits sortis de la main d'un peintre, des objets inertes, afin que le résultat de notre ressemblance ne tourne pas à la louange d'un autre. En effet, lorsque tu vois le portrait exactement conformé au modèle, tu ne loues pas le portrait, mais tu admires le peintre. Ainsi donc, afin que ce soit moi l'objet d'admiration et non un autre, il m'a laissé le soin de devenir à la ressemblance de Dieu. En effet, par l'image je possède l'être raisonnable, et je deviens à la ressemblance en devenant chrétien'.

Homélie I,17.
«Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.» Vois-tu en quoi le Seigneur nous donne ce qui est à la ressemblance?[…]

Ainsi tu possèdes ce qui est à l'image, parce que tu es raisonnable, mais tu deviens à la ressemblance en acquérant la bonté. Acquiers « des entrailles de compassion et de la bienveillances » afin de revêtir le Christ ». Les actions qui te font acquérir la compassion sont les mêmes, en effet, que celles qui te font revêtir le Christ, et l'intimité avec lui te fait intime avec Dieu. Ainsi cette histoire (de la Genèse) est-elle une éducation de la vie humaine . « Créons l'Homme à l'image » : qu'il possède par la création ce qui est à l'image, mais qu'il devienne aussi à la ressemblance. Dieu en a donné la puissance ; s'Il t'avait créé aussi à la ressemblance, où serait ton privilège ? Pourquoi as-tu été couronné ? Et si le Créateur t'avait tout donné, comment le royaume des cieux s'ouvrirait-il pour toi ? Mais il se fait qu'une partie t'est donnée, tandis que l'autre a été laissée inachevée : c'est pour que tu t'achèves toi-même et que tu sois digne de la rétribution qui vient de Dieu.
— Comment devenons-nous donc à la ressemblance ?
— Par les Évangiles.
— Qu'est-ce que le christianisme ?
— C'est la ressemblance de Dieu autant qu'il est possible à la nature de l'Homme
.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Merci, Antoine, de ce long développement très convainquant.

J’aimerais apporter une minuscule précision. Lorsque vous dites :
Antoine a écrit :On peut lire le récit de la genèse en le réduisant à une simple cosmogonie extérieure et tenter des similitudes entre le langage du rédacteur de l’époque et les données de la science contemporaine, rapprocher la lumière du big bang, bref établir des pont entre une cosmogonie archaïque et une cosmogonie réactualisée. On n’aura rien perçu du récit qui est beaucoup plus profond et dont St Basile, à la suite d’Origène nous donne la clef : l’homme intérieur.
De tels ponts peuvent s’établir de manière surprenante avec le Poème de la Création (Genèse 1 et les tout premiers versets du chapitre 2, erreur manifeste de numérotation) mais il ne s’agit pas de concordisme, il s’agit encore d’une faculté de l’homme intérieur. Il existe en nous une capacité de mémoire au-delà du simple enregistrement de notre biographie personnelle, celle que le poète Jules Supervielle qualifiait de « sœur obscure » (« Mémoire, sœur obscure et que je vois de face Autant que le permet une image, qui passe… »), ce qu’a repris Chaunu lorsqu’il intitulait Obscure mémoire de la France une étude sur la préhistoire de notre pays et sur les traces qu’elle a laissé dans les mentalités collectives jusqu’à nos jours. Ce que l’on voit avec le Poème de la Création, ce n’est pas que Dieu dicterait une cosmogonie scientifique au scribe de service, c’est que, purifiée par la prière et l’écoute intérieure, cette « obscure mémoire » atteint, presque sans le savoir et sans le vouloir, comme à l’état de traces, la réalité profonde des éléments de l’univers dont est tissé notre homme extérieur. C’est cette faculté de déchiffrement intime, communiel, de la Création, qui m’émerveille. Mais c’est bien une faculté de l’homme intérieur, c’est bien dans le rapport au monde que cette connaissance (qui n’est pas un savoir mais une intuition) s’exerce.
Dès que l’on passe au second récit, celui que j’intitule Parabole sur l’origine de la mort, nous ne sommes plus sur le même registre. Le langage est celui du mythe mais un mythe, dans les sociétés traditionnelles, n’est pas une explication superficielle et erronée destinée à boucher les trous de notre savoir, comme le croyait hélas Fontenelle après Platon. C’est un moyen mnémotechnique de transmettre un rapport au monde collectif, la weltanschauung de la tribu, par une histoire lisible à plusieurs niveaux. La différence, ici, ce qui en fait une parabole, c’est que cette histoire est racontée par des hommes en qui la relation à Dieu a été rétablie et qui écoutent sa voix dans leur Jardin intérieur.
Si l’on oublie qu’il s’agit d’une parabole, cela devient inextricable. Je suis même révoltée à l’idée que Dieu, dans je ne sais quel but pédagogique à l’égard de l’homme, aurait pu détruire un premier univers pour en en fournir un avec passé, fossiles et tout le toutim, dans lequel la mort et la dévoration mutuelles seraient la règle. C’est faire de Dieu à la fois un marionnettiste, un menteur et un sadique ! Et je regrette, mais la première leçon que pourrait apprendre l’homme d’un tel cadeau empoisonné, ce n’est pas « reviens à Dieu » mais « sois un bon chasseur pour ne pas être chassé, un meilleur prédateur que tes rivaux ».
Par contre, on peut méditer sur ce qui nous rend insupportable cette dévoration mutuelle du monde animal, ce qui fait de l’homme non seulement un singe intelligent et omnivore mais un être capable de compassion et d’amour. La parabole déployée en Genèse 2 et suivants nous suggère que c’est dans cet état de royauté compatissante que se trouve notre nature la plus profonde, la plus originelle, obscurcie par la chute.
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Antoine
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Message par Antoine »

Dire que le texte de la Genèse est un texte inspiré c’est ne rien dire du tout. La cosmogonie n'est pas la finalité du texte et ne participe pas du discours inspiré. Il y a une manifestation du divin, une incarnation du Logos dans la parole, le Logos s'y révèle comme telle. Il y a l’avènement et l’événement, l’avènement du Logos et l’évènementiel. St Basile nous montre que le récit de la Genèse n’est pas le récit de la création : il est la création du récit. Dieu ne se révèle pas dans la nature, il se révèle dans le texte de la Genèse. Dans ce rapport direct à l’ infini le vertige de la crainte de Dieu nous saisit.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Je suis d'accord, Antoine, lorsque vous parlez d'une "incarnation du Logos dans la parole", et votre expresssion ouvre une contemplation vertigineuse, celle du rapport entre cette incarnation dans la parole et l'incarnation tout court.
Le rapport entre parole, donc récit, et chair n'a rien de trivial.

Je tique un peu plus quand vous écrivez :
Dieu ne se révèle pas dans la nature, il se révèle dans le texte de la Genèse.
C'est une phrase qu'il vaut mieux ne pas sortir de son contexte et ne pas absolutiser!
Pour ma part, je pense que Dieu se révèle dans la nature et dans le texte mais ce n'est pas le même mode de révélation et si les deux convergent, ils ne sont pas interchangeables.
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

P.S. Je ne crois pas avoir parlé de "texte inspiré" ???
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Silouane
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Message par Silouane »

Peut-être n'y a-t-il que contradiction apparente... Pour moi, je comprends les paroles d'Antoine ainsi: Dieu le Verbe ne se révèle pas "dans" la création, dans la nature, mais il Se révèle seulement, "dans" l'homme, à l'homme intérieur, oui à travers le texte de l'Ecriture, comme aussi (de façon beaucoup moins claire et directe, mais parlante quand même par sa beauté, son harmonie relative) à travers la nature. Si Dieu ne se révèle pas "dans" la nature, Il ne se révèle pas non plus "dans" le texte biblique (comme pensent certains chrétiens), mais uniquement à l'homme (intérieur) qui (grâce à l'esprit, la raison) est Son seul interlocuteur, tandis que Bible et nature sont des moyens de communication. Bien sûr l'Ecriture, par son sens extraordinaire, étant paroles prononcées par des hommes et surtout par le Verbe Lui-même (Ses paroles sont Esprit et Vérité), dépasse infiniment et incomparablement le language, pourtant si parlant, de la nature.
Silouane
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Message par Silouane »

Si la nature par sa beauté fait, indirectement, pressentir quelque chose de la grandeur et la bonté de Dieu qui l'a "modelé", elle n'a pas pour autant la raison, la compréhension du Verbe divin, et ne peut nous "parler" au sens strict du mot: elle n'est pas dotée de la parole. Je pense à l'histoire de François d'Assise qui allait "prêcher" aux oiseaux: en réalité, ce n'était pas perce qu'il s'imaginait que les oiseaux comprendraient ses paroles, mais plutôt pour faire comprendre aux hommes qu'ils étaient si sourds, que les animaux "comprendraient" encore plus qu'eux! Un peu comme le Christ a dit aux pharisiens à propos des disciples qui l'accamaient lors de Son entrée dans Jérusalem: "Si eux se taisent, alors les pierres se mettront à crier!".
Silouane
Silouane
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Message par Silouane »

Et une dernière petite remarque: comme c'est bien, Anne Geneviève, de parler du "Poème de la création": en effet, en ce qui concerne l'aspect "nature extérieure" de Genèse 1, je crois qu'il faut justement le lire comme de la poésie, une image poétique qui nous fais ressentir une grande beauté... et ajoute ainsi à la richesse de ce texte. Tout en voyant que la signification plus "concrète" se trouve sur le plan de l'homme intérieur et de sa relation à cette création (qui est décrite, en passant, de façon poétique). Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture. Voilà c'est comment je comprends personnellement tout ce qui a été dit jusque ici...
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Si j'appelle Genèse 1 Poème de la Création, c'est aussi parce que sa forme, avec le retour rythmique de formules ("Il y eut un soir, il y eut un matin...", "Dieu vit que cela était bon", etc.) est celle des poèmes chantés ou cantilés dans toute la culture sémitique du Croissant Fertile. Il devait se psalmodier à l'origine.

Dieu se révèle à l'homme et précisément à l'homme intérieur. "Dans" l'homme, si vous voulez, Harald. "Dans" la nature, telle que vous entendez cette expression, Il se communique sans se révéler puisque plantes et animaux n'ont pas le même type de conscience que nous et ne pourraient porter une telle révélation. C'est ce que nous répétons dans les prières initiales : "roi du ciel, consolateur, esprit de vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout" La nature n'est pas hors de la présence divine. Mais ce n'est pas à cela que je faisais allusion, c'est bien à la révélation à l'homme. Dans l'antiquité tardive, certains parlaient de deux livres que l'homme pouvait lire pour découvrir Dieu: l'Ecriture Sainte et le "Livre de la nature". Certains, comme vous, peuvent le feuilleter comme un livre d'art et découvrir la beauté du Créateur à travers celle de la Création. D'autres le liront au travers de la recherche scientifique. Mais ce "Livre de la Nature" révèle Dieu comme un tableau révèle le peintre et, surtout, il faut que notre regard soit déjà quelque peu purifié pour que cette lecture devienne possible. Sans quoi c'est l'homme qui se projette dans un rapport au monde assez tordu et qui projette sur le cosmos ses désirs, ses faims, ses états d'âme, son appétit de pouvoir, etc. Au lieu de trouver Dieu dans la nature, il ne rencontre plus que lui-même et encore, surtout son propre péché mais non nommé comme tel.
Je ne crois pas avoir de contradiction profonde avec Antoine. Il a une approche plus philosophique et moi une approche plus scientifique mais ce sont les hasards du bagage intellectuel de base ! Mais trouver la formule juste, c'est un sport qui a beaucoup occupé nos pères dans la foi durant le premier millénaire et qu'il faut sans doute reprendre aujourd'hui, vu l'importance des questions qui se posent à nous.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Silouane
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Message par Silouane »

Oui, je comprends et suis d'accord avec vous. Quant à l'homme plein de lui-même, qui à force de se projeter ne voit plus l'autre ni ne sent la présence de Dieu, je comprends également ce que c'est... Et merci de rappeler le "Toi qui es partout présent et qui remplis tout".
Silouane
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Bien sûr Dieu n’a pas créé la mort; j’ai parlé trop vite. La mort est l’une des manifestations de la chute d’Adam. Mais Dieu, loin de rejeter la chute l’a aménagée pour nous inciter à retrouver notre salut. La mort, à la suite du péché d’Adam, aurait dû nous engloutir pour l’éternité. Dieu a aménagé toute sa Création (c’était la Création ex nihilo) pour qu’elle devienne un univers transitoire et provisoire. C’est le début de l’économie. Nous vivons dans le déroulement du temps pour nous construire nous-mêmes et affirmer que nous acceptons la Loi de Dieu. Nous courons à un échec ou à une participation à la victoire du Christ qui, seul a vaincu la mort par sa mort. La mort qui nous attend n’est plus l’abominable anéantissement qui aurait dû résulter de la chute des Ancêtres, l’économie divine fait qu’elle pose un terme à notre course temporelle et charnelle, et nous vaut la chute personnelle ou la couronne de la victoire personnelle.

Il y a bien eu une modification de la Création, la porte du Paradis nous est pour le moment fermée, et l’hymnographie nous chante que les rochers et les mers, les plantes et les animaux hurlaient leur colère à la face de l’Adam déchu. Dieu a dû les retenir "par économie".

Le texte de l’Ériture nous est venu en grec. C’est la Septante. C’est ce texte que l’Église utilise. Les Pères se sont toujours méfié du texte rabbinique (qui est très postérieur à la Septante) et disaient qu’il est falsifié. À l’époque moderne, par dégoût des conceptions et des méthodes rationalisantes de l’enseignement scolastique, qui avait fini par être adopté jusque dans l’Orthodoxie, certains chrétiens se sont tournés à nouveau avec intérêt vers le texte massorétique. Ils ont cru y trouver un mode de pensée antérieur à la scolastique, plus concret, plus globalisant, plus dynamique, plus analogique etc. qui permettrait de commenter les mystères chrétiens. Mais ce n’est pas à la pensée rabbinique qu’il fallait retourner, c’était aux sources patristiques, qui savaient fort bien retrouver l’esprit prophétique des Septante et expliciter le donné de la Révélation.

Laissons cela à Annick de Souzenelle et retournons aux Pères.

Oui le texte des Septante est le texte de l’Écriture que nous a légué l’Esprit saint, c’est-à-dire le texte inspiré. Retrouver un texte hébreu ne nous apprendrait rien de plus.

Et pour le Nouveau Testament, rien ne sert d’espérer un “original sémitique”. L’Église nous a conservé le bon texte, c'est le "textus receptus".

Quand nous lisons l’Écriture sainte, nous devons toujours savoir que c’est le Verbe de Dieu Lui-même qui parle de Lui-même. Il nous y révèle les mystères de la foi. Origène y recherchait un sens allégorique qui enseignait des éléments généraux et abstraits, ce qui le conduisit à négliger la réalité événementielle du Mystère du salut (et à aboutir à l’apocatastase). Or le salut est un événement que la philosophie n’avait pas su prévoir et analyser, et la liberté de l’homme peut mener certains à la mort.

Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture de l’Écriture, et on peut aussi utiliser une méthode allégorique, mais après la première lecture qui est toujours une lecture typologique. Le Bon Samaritain est le "type" du Dieu-homme descendant en ce monde, et l’homme laissé à demi-mort par les brigands est le "type" de l’humanité blessée par les démons. On peut après en tirer aussi une leçon allégorique et morale qu’il faut faire du bien à son prochain, mais seulement après. Le sens spirituel et plénier est toujours le sens typologique.

L’arbre de Vie est un "type" de l’Église, l’Église de la foi et de la Tradition de nos Pères, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal est le "type" de la philosophie et de la méthode allégorique.

Nous ne devons pas mépriser le réalisme cosmogonique de récit de la Genèse, mais comprendre qu’un grand changement est intervenu du fait de la faute d’Adam. L’événement central de l’histoire du salut et aussi de l’histoire de la Création est l’instant de la Résurrection, où le Verbe incarné a révélé le caractère illusiore de la mort, imprimant son image sur le linceul. Chaque année le miracle du Feu Sacré le renouvelle, attestant la continuité de l’Église orthodoxe (il a refusé de se manifester aux Croisés latins ou aux Arméniens). C’est cela le sens spirituel de la Révélation. Cela ne se passe pas dans la tête, mais dans le cœur.

Le texte des Septante ne dit pas “dans la tête”, il dit “en archè”. C’est difficile à traduire parce que “archè” signifie à la fois commencement, commandement et principauté. Il est évidemment difficile de rendre en français une telle polysémie. Mais ce n’est pas parce que nous n’arrivons pas à un texte parfaitement “coulant”, comme le disent les professeurs de français, qu’il faut reculer. C’est pourquoi je propose “en principe” ou “dans le principe”. Cela oblige à réfléchir un peu, mais c’est mieux que “au commencement” qui se limite à l’aspect chronologique. On retrouve le même problème dans les premiers mots de l’Évangile de Jean, et ce n’est évidemment pas par hasard.

Mais on peut vraiment pas traduire par “dans la tête” parce que tout simplement ce n’est pas dans le texte. Si c’était dans le texte hébreu, dans ce cas les Septante, prophètes inspirés (oui, inspirés) n’ont pas retenu cette signification et ont utilisé le mot que les philosophes grecs (car l’Esprit avait préparé la langue et la philosophie grecques juste à point pour la naissance de l’Église) avaient utilisé et développé: “archè”. C’est ce mot qu’il nous faut traduire en français. N’essayons pas de sortir du texte inspiré en présumant un "arrière-plan sémitique".

On ne peut pas passer sous silence la portée cosmogonique de la Genèse. Saint Basile ne la rejette pas du tout, il y croit, et saint Grégoire de Nysses, son petit frère, en fait même toute une longue tartine. Une grande partie de l’œuvre de saint Grégoire de Nysse est de févelopper une analogie entre les passions de l’âme et les maladies corporelles. Il montre longuement comment le Thérapeute spirituel, c’est-à-dire l’évêque, doit appliquer les remèdes qui conviennent à chaqsue maladie, comme un médecin, mais le seul remède que connaisse l’Église est d’écarter le pécheur de la communion eucharistique, et ce remède s’est avéré d’upuissance. C’est pourquoi l’Église a retenu un texte de saint Grégoire comme l’un de ses canons afin de montrer la signification thérapeutique des canons pénitentiels. En tout cela Grégoire s’inspire des méthodes de la médecine naturelle appliqué au caractère composite de l’âme humaine. Il ne fait pas du tout du monde intérieur de l’homme une réalité profondément différente de la réalité de la nature.

Et je le répète la nature cosmique et biologique (pour moi ce sont deux niveaux de réalité bien différents) est elle aussi soumise à la déchéance imputable au péché d’Adam, et elle est elle aussi soumise au régime transitoire institué par l’économie divine afin de permettre à la nature humaine de se libérer de ces conséquences et d’adhérer au salut proposé par le Dieu-homme. Mais il faut que nous comprenions que l’état initial de la Création était autre, et que ce que nous voyons, ce que la science humaine découvre peu à peu, n’est qu’un état passager. Il n’y a là nullement un concordisme douteux, c’est tout simplement une compréhension en profondeur de ce qui nous est révélé dans le texte grec de la Septante.

Le salut ne nous est pas proposé seulement en représentation et en intention, il n’est pas seulement conditionné par une attitude intérieure. Dans l’Église ancienne, le plus souvent le baptême n’était asministré aux catéchumènes qu’après une instruction très élémentaire, sur les règles de conduite qui s’imposaient aux fidèles. La catéchèse “mystagogique” n’était délivrée qu’après le Baptême et la chrismation. Nous en avons un très bel exemple dans les “catéchèses mystagogiques de saint Cyrille de Jérusalem.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
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