Antoine a écrit :Un épisode de la vie de St Grégoire de Narek, de l'Eglise arménienne (donc d'une Eglise non chalcédonienne). Bien qu'il ne soit pas fêté dans notre synaxaire je lui laisse le titre de Saint.Oui il noud faut admirer la Nature et aimer les êtres vivants, et les protéger autant que nous pouvons.
Les évêques et les princes envoyèrent une délégation d’hommes sûrs auprès de Grégoire afin qu’ils l’amènent à leur tribunal pour être interrogé sur sa foi.
Les délégués arrivés à Narek, Grégoire comprit immédiatement leurs intentions.
Il leur dit : « Mettons-nous d’abord à table, avant de prendre la route. »
Il fait rôtir deux pigeons et les place devant ses hôtes.
Or c’était un vendredi. Ceux-ci, scandalisés, furent plus convaincus que jamais que ce qu’on rapportait de Grégoire était vrai.
Ils lui dirent donc : « Maître n’est-ce pas vendredi aujourd’hui ? »
Le Saint, comme s’il l’ignorait, leur répond : « Excusez-moi, mes frères. »
Et se tournant vers les pigeons : « Levez-vous, dit-il, retournez à votre volière, car aujourd’hui c’est jour d’abstinence. »
Et les oiseaux, retrouvant vie et plumes, s’envolèrent.
A ce spectacle, les envoyés tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon.
Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les avaient délégués.
Ce passage de la vie de St Grégoire de Narek est empruntée au site "Etudes sur l'orthodoxie copte en France".
http://eocf.free.fr/text_elegies_narek.htm
L'histoire est très belle, mais il y a d'autant moins à s'excuser de garder à Grégoire de Narek le titre de saint qu'il était très probablement orthodoxe et non monophysite. L'anecdote elle-même le raconte: si l'on venait l'interroger sur sa foi, c'est parce qu'il avait embrassé la foi de Chalcédoine.
Un des lieux communs de l'idéologie oecuméniste est que les différents peuples auraient embrassé telle ou telle confession comme si l'Orthodoxie était consubstantiellement liée à tel ou tel peuple. (Il est vrai que l'oecuménisme et le messianisme national / chauvinisme pseudo-ecclésial marchent toujours de conserve, et que tel évêque acharné à empêcher toute action pastorale de l'Eglise catholique romaine sur le "territoire canonique" de son patriarcat s'est en même temps prononcé contre toute mission orthodoxe en Europe occidentale.) Mais, bien sûr, les faits, comme d'habitude, ne sont pas conformes à l'idéologie. De même qu'il a fallu une guerre civile de quatre siècles à l'intérieur des Eglises de langue latine pour que celles-ci se détachent de l'Orthodoxie (processus qui ne s'est achevé qu'à la fin du XIIe siècle dans le cas de l'Eglise d'Irlande), il y a aussi eu une longue guerre civile à l'intérieur de la théologie arménienne pour que l'Eglise apostolique arménienne se détache de l'Orthodoxie. En Arménie comme à Rome, l'Orthodoxie a perdu. Mais cela ne veut pas dire que le monophysitisme était consubstantiel à l'Eglise d'Arménie ou le filioquisme consubstantiel à l'Eglise de Rome. Dans le cas arménien, il y a eu des communautés importantes d'Arméniens orthodoxes pendant encore plusieurs siècles après le concile de Dwin par lequel le catholicossat arménien s'est séparé de l'Eglise orthodoxe. Selon toute probabilité, saint Grégoire de Narek était un de ces Arméniens orthodoxes.
Je me permets de reproduire ici deux textes que j'ai écrit à ce propos sur le présent forum orthodoxe. Le dernier en date était un message du 29 octobre 2005 à 1h43 dans le fil "Association Dialogue inter-orthodoxe" de la rubrique "Forum général":
"En effet, dans l'introdution écrite par le jésuite arménien Jean Mécérian à la traduction française du célèbre Livre de prières de Grégoire de Narek par son confrère Isaac Kéchichian (Sources chrétiennes n° 78, Le Cerf, Paris 2000, avec une postface du professeur Krikor Bélédian), on découvre des informations fort intéressantes qui vont à l'encontre de la thèse d'une iconodoulie de l'Eglise arménienne. D'abord, si le Livre de prières du Narékatsi est devenu le principal ouvrage de spiritualité de l'Eglise arménienne monophysite de nos jours, il n'en reste pas moins que Grégoire de Narek était probablement un orthodoxe, un chalcédonien, fort suspect à l'Eglise arménienne de son temps, alors que celle d'aujourd'hui le présente comme un de ses principaux théologiens. Citons le R.P. Mécérian, page 24: "Grégoire aussi fut traité de dzaith, nous savons le sens du reproche qui est caché sous ce mot." En effet, à la page précédente, le savant jésuite nous a expliqué ce qu'est un dzaith, et voilà un qualificatif bien surprenant pour le pieux Grégoire que l'on nous présente aujourd'hui comme le docteur d'une Eglise antichalcédonienne: "En 1904, Nicolas Marr, dans une communication sensationnelle, a démontré que ce terme désignait les Arméniens de confession chalcédonienne; le mot était employé dans un sens péjoratif, car l'Eglise officielle d'Arménie considérait ces Arméniens comme des transfuges ayant adhéré à l'Eglise byzantine ou géorgienne." Le R.P. Mécérian ajoute: "Ce qui est certain, c'est que, dans la bouche des officiels arméniens, cela signifiait bien: déficients dans la foi, spécialement au point de vue christologique, et apostats ayant abandonné leur nation."
Ce qui veut dire que Grégoire de Narek, que l'on veut aujourd'hui nous présenter comme le porte-parole le plus autorisé de la christologie de l'Eglise arménienne antichalcédonienne, était probablement, de l'aveu même des autorités de cette Eglise à son époque, un chalcédonien, suspecté de ralliement à l'Eglise "grecque", c'est-à-dire orthodoxe. Cela donne du sel à l'article publié dans le numéro 140 du Messager orthodoxe, Paris 2004, page 76, où la théologienne arménienne Gohar Haroutiounian reproche au théologien orthodoxe Jean-Claude Larchet de "marginaliser saint Grégoire de Narek" dont les écrits "témoignent d'une christologie parfaitement conforme à l'enseignement de l'Eglise arménienne"...
En effet, contrairement au cas des Coptes où le peuple égyptien tout entier semble s'être rallié au monophysitisme entre le Ve et le VIIe siècles, le peuple arménien a connu des divisions religieuses beaucoup plus vives, et l'on sait qu'il y avait au Xe siècle des diocèses entiers de ces dzaiths, conservant la liturgie et la langue arméniennes, mais ayant la foi de Chalcédoine et dans la communion de l'Eglise orthodoxe. C'est d'ailleurs probablement à ces dzaiths (aussi appelés zaths), à ces Arméniens chalcédoniens, et non à l'Eglise arménienne grégorienne, que s'adressaient les canons du concile Quinisexte (691) relatifs à certaines coutumes arméniennes (cf. canons 32, 56 et 99 In Trullo) - ce qui montre aussi que ces dzaiths ont dû exister dès le VIe siècle ou le début du VIIe. Les Arméniens orthodoxes semblent s'être fondus dans la population de langue grecque au fil des siècles, mais ils ont eu leur importance à une époque, et, longtemps, "Arménien" n'a pas été synonyme de "non chalcédonien". Toutefois, dans son fort intéressant livre sur le patriarcat oecuménique, l'historien turc d'expression française Samim Akgönül signale qu'il y aurait encore eu dans les années 1940 quelque 3'000 Arméniens orthodoxes à Istanbul -mais il s'agirait selon lui en grande majorité d'Arméniens grégoriens qui feraient la confusion entre être grégorien et être orthodoxe (cf. Samim Akgönül, Le Patriarcat grec orthodoxe, Maisonneuve et Larose, Paris 2005, p. 63). "
J'avais auparavant déjà abordé le cas de saint Grégoire de Narek dans mon message du 12 février 2004 à 15h43 dans le fil "Saints pour le 25 février du calendrier ecclésiastique" de la rubrique "Calendrier des saints":
"Mémoire de GREGOIRE, abbé du monastère de Narek en Arménie et poète (vers 1010). Les anciens synaxaires arméniens fixent sa commémoration au 25 février, mais sa fête est devenue mobile dans l'Eglise arménienne. Bien qu'il ait vécu plusieurs siècles après la séparation de l'Eglise d'Arménie d'avec l'Orthodoxie, je mentionne néanmoins sa mémoire, attendant une éventuelle décision de l'Eglise, car il est attesté que son monastère et lui-même avaient adopté la doctrine de Chalcédoine et étaient en communion de foi avec l'Eglise orthodoxe."
Je suis conscient que cela peut paraître alourdir la si aérienne anecdote rapportée par Antoine, mais il me semble qu'il fallait que la vérité soit rappelée.