Un article de P. Kalaïtzidis sur Église et Nation en Grèce

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Jean-Louis Palierne
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Un article de P. Kalaïtzidis sur Église et Nation en Grèce

Message par Jean-Louis Palierne »

Le blog Orthodoxie.com vient de publier un article très intéressant de Pantelis Kalaïtzidis qui jette un regard critique sur le caractère nationaliste de l’Église de Grèce.

On peut lire le texte de cet article à l'adresse que voici :

<http://www.orthodoxie.com/2006/09/la_tentation_de.html>

Pantelis Kalaïtzidis, que nous avons connu plusieurs années durant lorsqu’il faisait ses études à Paris, caractérise avec lucidité les différentes formes de cette sécularisation des Églises des pays de tradition orthodoxe, dans le cas de la Grèce.

C’est avec raison que PK compare cette altération de l’ecclésiologie à la tentation messianique de Judas :
Le drame vient de ce que cependant que nous condamnons avec tant de passion Judas et que nous nous détournons de lui avec dégoût, la manière dont nous concevons le christianisme, les limites et la mission de l'Église, révèlent que nous avons inconsciemment embrassé - toutes proportions gardées - les conceptions messianiques de Judas dans les domaines national et religieux, réintroduisant ainsi par la porte de derrière dans la vie de l'Église l'hérésie de l'ethnophylétisme, que nous avions condamnée par ailleurs.

[…] si nous voulons rechercher le mobile initial de cette trahison, nous devons pas en rester à la cupidité bien connue de Judas, il est nécessaire que nous nous intéressions aussi aux liens qu'il entretenait avec le mouvement des Zélotes.
PK passe en revue tout ce qu’on sait et qu’on ignore encore sur les mouvements de résistance anti-romaine à l’époque du Christ et conclut que
(a) Il ne fait aucun doute que des ex-zélotes aient participé au cercle des Douze, les disciples de Jésus ; (b) Judas l'Iscariote en faisait partie, comme le prouvent tant son surnom que son activité en général et sa tournure d'esprit ; et (c) un grand nombre de paroles et de paraboles de Jésus (comme la parabole de la graine qui grandit par elle-même) , présentent des allusions de caractère anti-zélotes, et voulaient faire passer l'idée que, sans vouloir diminuer l'action des hommes, c'est à Dieu qu'appartient cependant l'initiative de l'avènement du Royaume de Dieu. […] C'est à un tel contexte que se rapporte la réponse bien connue de Jésus au piège que tentaient de lui poser les Pharisiens et les partisans d'Hérode, lui demandant s'il fallait ou non payer le tribut à César : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. (Marc 12:13-17; Matthieu 15:22-27; Luc 20:20-26)

[…] Cette célèbre réponse de Jésus, non seulement lui a permis d'éviter de tomber dans le piège que lui avait tendu la direction spirituelle du peuple juif, mais semble parer à l'avance au danger d'une double idolâtrie : celle des puissances de ce monde, qui revendique pour elle-même ce que nous devons rendre à Dieu, et celle de l'absolutisation et du culte rendu à la nation, qui a tendance à se substituer au vrai Dieu en s'identifiant à Lui.
PK analyse ensuite longuement ce qu’était l’idéologie nationale du mouvement zélote et relève que
Pour ce messianisme, la libération du péché et la prédication de la pénitence, l'avènement du Royaume de Dieu, ne représentaient pas une priorité , ils mettaient plutôt l'accent sur la libération nationale et la justification de ce qui était considéré comme sacré et intouchable dans la tradition nationale et religieuse du judaïsme.
Judas, qui adhérait probablement à cette idéologie zélote, avait espéré que Jésus réaliserait ces espoirs. Il fut déçu :
Ce que Judas reprochait le plus à Jésus était qu'au lieu de tirer profit de toute l'autorité et de l'audience que lui avaient valu tant de guérisons de malades et tant de miracles pour passer au renversement de la domination romaine et de l'oligarchie juive, ce Jésus, non seulement se refusait à employer la puissance du miracle et à la mettre au service de la vision traditionnelle d'un messianisme de type ethnico-religieux, mais allait même jusqu'à proclamer un Messie spirituel dépouillé de toute puissance et de tout pouvoir sur le monde, un Messie donc condamné au rejet et à l'exclusion. […] Judas non seulement avait totalement succombé aux trois tentations qu'avait rejetées le Christ au désert (la tentation du miracle, celle du mystère et celle du pouvoir), mais bien avant le Grand Inquisiteur de Dostoïevski, cherchait à “corriger” l'œuvre de Jésus Christ. […] Il est certain que Judas trahit son Maître pour des raisons de cohérence religieuse et de fidélité idéologique aux idées messianiques de domination théocratique sur le monde qui prévalaient alors.
Mais PK vise à beaucoup plus qu’à donner une savante et profonde analyse historique de ce que fut la trahison de Judas. Cette tentation est pour lui l’archétype d’un vertain nombre de trahisons modernes de l’Église :
Dans les pays de tradition orthodoxe l'Église doit affronter - si elle n'y a pas déjà succombé - la tentation de Judas ! Nous n'entendons pas seulement ici faire allusion au problème bien connu de l'ethnophylétisme et de l'illusoire identification de chaque peuple “orthodoxe” avec la vérité de la foi orthodoxe, nous voulons parler de quelque chose qui va encore plus loin, c'est-à-dire d'une altération de l'identité de l'Église et de la conscience qu'elle a d'elle-même, de son auto-asservissement et de son auto-enfermement à l'intérieur d'une perspective bloquée sur l'histoire, avec l'oubli qui en résulte de son identité eschatologique, de la limitation volontaire de sa mission “à la réalisation du destin de la race et de la nation” ( ! )
C’est ce qui l’amène à formuler ce diagnostic courageux et lucide de la part d’un citoyen (loyal sans aucun doute) d’un pays fier et jaloux de son identité :
l'Église fut contrainte de s'écarter de sa mission principale et d'assumer le salut de la nation), l'Église en Grèce semble rester incapable de se libérer de ce syndrome de l'identification avec la nation ; elle semble ne pas avoir réussi à comprendre que son œuvre et, d'une manière générale sa voie historique, se distingue de la voie de la nation. Il semble même qu'elle ne soupçonne pas un seul instant que cette identification avec la nation et avec l'idéologie nationale lui a été imposée par l'État au seul profit de la réalisation de desseins qui sont propres à ce dernier (La Grande Idée) et qui peu à peu sont devenus aussi les siens
Ce jugement, qui concerne la situation présente présente une situation d’autant plus paradoxale que les rapports réels se sont complètement modifiés, voire inversés, entre l’Église, la Nation et l’État :
. Plus l'état national grec progresse dans la direction d'une adaptation à son environnement international jusqu'à en arriver à une guerre de partisans dont le but ultime est d'en arriver au divorce avec l'Église, plus cette dernière résiste en se réfugiant dans le passé et dans sa contribution historique “aux combats de notre peuple”, pourvu que lui soient garantis son compagnonnage et son lien exclusif avec la nation. Et plus l'État grec se dénationalise graduellement en raison des larges restructurations qui aboutissent à la mondialisation et au pluralisme culturel, toujours de plus en plus l'Église se renationalise parce qu'elle ne se sent plus en sécurité, elle ne sait plus à quoi elle pourrait se raccrocher si elle venait à être privée du lien particulier qui l'unit à l'État et du rapport exclusif qu'elle entretient avec la nation

Il faut le regretter : ces phénomènes ne se rapportent pas seulement à une situation de crise de la politique ecclésiastique, ou bien à des manifestations d'anachronisme et de fondamentalisme religieux, ils doivent nous rappeler qu'il existe quelque chose de plus grave encore, qui consiste en une inversion des priorités (c'est-à-dire : la nation doit-elle être plus importante pour nous que le Christ ? ou bien : la continuité nationale doit-elle passer avant le Royaume de Dieu ?) ou en une perte du sens de la catholicité et de l'œcuménicité de l'Église, à l'adoption inconsciente d'une eschatologie sécularisée.
L’antinomie entre l’Évangile et le comportement ecclésiastique actuel est crûment résumé en quelques lignes :
Quelle différence subsiste-t-il entre ce discours et cette pratique ecclésiastiques et la tentation de Judas avec son nationalisme théocratique, telle que nous l'avons rappelée ? Serait-il donc exagéré de souligner que ce que le Christ a refusé de faire (il a refusé de se cantonner dans un cadre étroitement national, de se limiter à un exclusivisme ethnique, de s'enfermer dans un messianisme sécularisé) c'est cela qui semble aujourd'hui, toutes proportions gardées, s'incarner dans l'Église officielle ? En réalité, les tentations auxquelles l'Église institutionnelle semble avoir succombé, ce sont justement les tentations que le Christ a repoussées, que ce soit au désert, ou bien en s'affrontant à Judas et aux Zélotes, avec cette différence toutefois qu'au lieu de changer les pierres en pains - ce que le Diable avait proposé à Jésus -, notre Église organise des meetings sur l'hellénicité de la Macédoine et des réunions publiques pour la mention de la religion sur les cartes d'identité cependant qu'à la place des conquérants romains on trouve les Turcs, les Bulgares, les Allemands, l'Union européenne, le Nouvel Ordre Mondial etc.

[…] Ce que Judas n'avait pas pu trouver dans la personne de Jésus et dans son messianisme spirituel, aujourd'hui l'Église le pratique largement en se préoccupant continuellement des problèmes du pouvoir séculier : politique étrangère, continuité de la nation grecque, pureté ethnique, question démographique et cartes d'identité…
Ce que doit être la dimension eschatologique de la foi nous est rappelé en quelques mots, qui insistent sur le contraste avec la mentalité “religieuse” dominante.
Il ne fait aucun doute que le rôle national de l'Église et son implication dans la question de l'identité nationale révèlent l'absence de toute perspective eschatologique. L'eschatologie ne représente cependant pas uniquement un discours sur les événements ultimes, ou bien le dernier chapitre de la Dogmatique, c'est aussi un mode existentiel et une réalité qui renvoient à l'irruption des “réalités ultimes” dans le présent, à cet avant-goût de la vie du siècle à venir qui nous est offert “dès maintenant” et à l'attente active du Royaume à venir. C'est pourquoi il faut que nous rappelions, non seulement cette multitude de références bibliques qui, à travers le plan de l'économie divine, nous annoncent la réalisation eschatologique de l'unité de toutes les nations et leur conversion finale qui permettra la re-création et l'instauration de la paix universelle , mais aussi le fait que cette unité est déjà présente dans l'Église en Christ Jésus lors du dépassement du péché qui a brisé l'unité initiale et lors du dépassement des fractures et des séparations de toute nature,comme le sexe, la race, la nation ou la classe sociale : Là il n'y a plus ni Grec ni Juif, ni esclave ni homme libre, mais le Christ : tout et en tous Et même depuis la Pentecôte et la Descente du Paraclet, cette réalisation eschatologique de l'unité nous est présentée par l'hymnographie ecclésiale comme une réalité tangible et comme un surpassement de la division des langues et des nations provoquée par l'arrogance de la Tour de Babel : « Lorsque tu descendis en confondant les langues, tu divisas les nations, ô très-Haut. Lorsque tu divisas les langues de feu, tu invitas tous les hommes à l'unité. D'une seule voix glorifions l'Esprit très-saint. »
PK rappelle que pour la Nation-Église-État moderne les fêtes du calendrier religieux ont pris une signification très temporelle dont l’énumération nous fait sourire :
Il n'est plus de fête, ni de celles du Seigneur ni de celles de la Mère de Dieu, ni de fête des saints ou des martyrs, qui ne soit mise en rapport d'une manière ou d'une autre, avec un événement national important ou avec un symbolisme patriotique : l'Annonciation de la Mère de Dieu avec le 25 mars 1821 , la Résurrection du Christ avec la résurrection nationale après quatre siècles d'esclavage, la dormition de la Mère de Dieu avec la fête des Forces armées, l'exaltation de la sainte Croix avec l'anniversaire de la catastrophe d'Asie mineure en 1922, la Fête de la Protection de la Vierge avec l'anniversaire du “NON” du 28 octobre 1940, la fête des archanges Michel et Gabriel avec la fête des forces aériennes, la fête de sainte Barbara avec celle de l'Artillerie, la fête de st. Artemios avec celle de la Gendarmerie…

[…] En Grèce aujourd'hui, le discours ecclésiastique officiel ne cherche plus à proclamer Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié , scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs , mais un Christ enrôlé dans l'idéologie ethnico-religieuse dominante.
Ne croyons pas que les conséquences de cette altération de l’ecclésiologie orthodoxe soient limitées à l’espace national grec (et on pourrait trouver des exemples semblables dans d’autres Nations orthodoxes). Ces conséquences sont graves également pour l’Église universelle :
Il est par conséquent logique que l'Église locale se soit transformée en une Église nationale, ce qui entraîne les tragiques conséquences que l'on sait pour les communautés poly-ethniques et multi-culturelles de l'Europe occidentale et d'Amérique, le scandale de la multiplicité des juridictions ecclésiastiques (à chaque nation doit correspondre son Église) et en pratique l'abandon de l'ecclésiologie orthodoxe.
PK cite encore d’autres exemples de cette altération de l’Orthodoxie. Puis il demande :
ces paroles : Tu n'invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu ne viennent-elles pas condamner cette implication indue de Dieu avec la nation ? et ne viennent-elles pas nous avertir des conséquences désastreuses que peut entraîner le nationalisme théocratique que Judas et les Zélotes avaient incarné d'une manière si tragique, mais qui continue à être accepté aujourd'hui sous le manteau du christianisme
Puisque je cite cet article d’un Grec courageux dans un Forum francophone, je dois ajouter qu’en France nous avons connu des débordements analogues de la part de l’Église catholique. Je me rappelle avoir entendu chanter, pendant mon enfance nantaise, des cantiques du style : « Catholique et Français toujours…», ou bien : « Parle, commande, règne, nous sommes tous à Toi !» (Cantique dédié au Christ-Roi) C’était les derniers vestiges du catholico-monarchisme.

Gardons-nous cependant de croire que ce passé a sombré définitivement dans l’oubli. L’idéologie régnante de la société de “pluralité laïque et tolérante” s’accompagne d’un impératif catégorique de lutte contre le Nouvel Ordre Mondial qui doit absorber toutes les autres préoccupations. Nous avons vu sur notre Forum des messages qui s’empressaient de ramener toute chose à cette lutte. Cependant que l’indifférence religieuse obligatoire, au nom de la tolérance, amène à la nécessité de considérer l’Islam comme une region “comme les autres” et on a voulu fermer le bec au Pape (qui d’ailleurs probablement souhaitait susciter le scandale) au nom de cette équivalence universelle des religions.

Mais la dénaturation de l'ecclésiologie orthodoxe peut aussi être, en Occident, le fruit d'une autre perversion, celle qui cherche à corriger la pratique de l'Église, accusée de se réfugier dans le ritualisme et le piétisme et de fuir le monde et invitée à adopter l'attitude positive de l'Occident et à participer au militantisme social, à rénover la pratique liturgisme pour insister sur le communautarisme ecclésial, et à gommer le concept du sacré au profit de la sainteté.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

C'est bien pourtant dans l'Eglise de Grèce (et dans celle de Chypre) que ces tendances phylétistes, sécularistes et messianistes nationales sont le moins marquées. A se demander si on ne publie en français une telle description de l'Eglise de Grèce que parce que tout est bon pour attaquer une Eglise qui est aussi un rempart face à la trahison de la foi.

Je vais donner un exemple très clair: la question de la mission. On sait très bien que, par définition, une Eglise totalement nationaliste et sécularisée ne se préoccupe pas d'action missionnaire, puisqu'elle ne peut même pas envisager de convertir ceux qui n'ont pas eu le bonheur de naître dans le peuple pseudo-élu ou élu par lui-même. Ce type de nationalisme religieux ayant pour corollaire le relativisme en matière religieuse sur la base de théories comme le territorialisme canonique et de pratiques comme les Yalta oecuménique, on constate que phylétisme et oecuménisme marchent souvent main dans la main.

Alors, que constate-t-on en réalité dans l'Eglise de Grèce? J'ai entre les mains le numéro du 2e trimestre 1999 de la revue Πάντα τα έθνη (Toutes les Nations), trimestriel missionnaire édité par la Diaconie apostolique de l'Eglise de Grèce. Je n'ai pas de numéro plus récent parce que mon travail et mes moyens ne me permettent pas d'aller souvent en Grèce, et que, de fait, je n'ai pas pu y aller depuis 2 ans. Je suppose toutefois que la revue est encore publiée.

Il s'agit d'une publication officielle de l'Eglise de Grèce dont pas une ligne ne concerne la Grèce. Le numéro que j'ai entre les mains concerne la mission orthodoxe aux Philippines, en Corée, au Nigéria et au Cameroun. Il y a à la fin de ce numéro (pages 29-30) des listes d'habitants de la Grèce qui ont fait un don au cours du 1er trimestre 1999 au bureau des missions extérieures de la Diaconie apostolique de l'Eglise de Grèce. Il va de soi que l'Eglise de Grèce n'ayant pas la moindre paroisse hors des frontières de la Grèce, cet argent constitue en fait un don de l'Eglise de Grèce aux missions des patriarcats de Constantinople (Extrême-Orient et Amérique latine) et d'Alexandrie (Afrique subsaharienne).

Est-il besoin de préciser que je ne connais aucun équivalent de la publication Πάντα τα έθνη dans aucune autre Eglise locale? Est-il besoin de rappeler que les missions orthodoxes dans le Tiers Monde ne reçoivent un soutien financier que des Eglises de Grèce, de Chypre et d'Amérique? Est-il besoin de rappeler que tous les missionnaires orthodoxes étrangers en activité en Afrique, en Asie et en Amérique latine sont, à l'exception d'un Français au Cameroun et de quelques Etasuniens, Grecs ou Chypriotes? Et ceci pas parce que les Grecs s'arrogent le monopole d'évangéliser en brousse, mais parce que cela n'intéresse même pas les autres orthodoxes, beaucoup plus repliés sur le nationalisme façon XIXe siècle!

(Rappelons au passage que la plupart des missionnaires orthodoxes actifs en Afrique, en Asie et en Amérique latine sont des autochtones.)

Ajoutons que, par décision du saint Synode du 19 mai 1924, dont le texte a été traduit par M. Palierne sur le présent forum viewtopic.php?t=631 , l'Eglise de Grèce a transféré toutes ses paroisses des Amériques, d'Océanie et d'Europe occidentale au patriarcat oecuménique de Constantinople. Si les autres Eglises avaient eu la même modestie et avaient agi de même, il n'y aurait jamais eu de difficultés pour organiser l'Eglise orthodoxe en Europe occidentale sur une base territoriale.

On constate ainsi que parler du caractère nationaliste de l'Eglise de Grèce, c'est un peu l'histoire de la paille et de la poutre, quand on la compare avec toutes les autres Eglises locales hors les quatre patriarcats antiques et l'Eglise de Chypre.

Je suis entièrement objectif quand j'écris cela, n'étant pas Grec et n'ayant aucun lien particulier avec la Grèce, mais simplement parce que ce sont des observations que l'on fait peut-être plus facilement quand on vient de l'extérieur, et que l'on a pu comparer avec bien d'autres pays.

Alors, c'est vrai que des tentations sécularistes et de messianisme national existent dans l'Eglise de Grèce, mais elles n'y ont pas empêché le renouveau hésychaste et patristique du dernier demi-siècle, pas plus qu'elles n'empêchent que l'Eglise de Grèce soit celle qui a la plus vive conscience de son devoir d'évangéliser "toutes les nations" (Lc 24, 47) et elles se déroulent dans un contexte de foi solide que l'on ne retrouve pas forcément ailleurs.
Pascal-Yannick
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Inscription : ven. 28 juil. 2006 20:03

Message par Pascal-Yannick »

Juste pour faire une petite remarque,je suis souvent étonné de la naissance ou plutôt du foisonnement des differents patriarcats en dehors de ceux dits "historiques",et parfois au prix de schismes ou de menace de schismes, cependant force est de constater que la Grèce est l'un des rares à ne pas avoir trempé dans cette voie de recherche effrontée du pouvoir.

Il est vrai que la perfection n'est pas de ce monde,mais si beaucoup suivaient l'exemple hellénique,il y aurait moins de divisions futiles.
Et la Vérité vous rendra libre
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Heureusement il y a des gens qui prennent le temps de réfléchir, et qui n’ont pas peur d’essayer de savoir où ils vont, et s’ils prennent le bon chemin. Il n’y a là nul complot, au contraire c’est un signe de bonne santé ecclésiologique et un souci de “servir bien”. Je précise que Pantelis Kalaïtzidis consacre sa vie à l’enseignement théologique au sein de l'Église de Grèce (où cet enseignement est pour l'essentiel assuré par des laïcs) et qu’il est “coordinateur de l’Académie d’études théologiques” du diocèse de Dimitrias en Grèce du Nord. Non seulement cela ne l’empêche pas, mais au contraire cela l’amène à s’interroger sur la pratique de l’Église à laquelle il appartient et qu’il sert. À la différence des fidèles des Églises non-orthodoxes, les orthos sont des esprits libres et concernés. Porter un regard critique sur l’Église d’un pays donné n’est absolument pas être “pour” ou “contre” tel ou tel pays, et cela n’empêche absolument pas de travailler au renouveau de l’esprit, ni moderne, ni hésychaste, ni néo-patristique. C'est seulement le besoin de faire le tri.

Pascal-Yannick : les cinq patriarcats historiques ont été institués par les Conciles œcuméniques, et durant des siècles ils ont été des instances de conciliation, d’appel et de cassation des causes qui leur étaient soumises, de confirmation des élections métropolitaines et de présentation et de recommandation des requêtes des évêques auprès du gouvernement impérial. Il n’y avait pas là de structure pyramidale, ni constitution “d’Églises indépendantes”, encore moins d’Églises ethniques. C’est lorsque la philosophie des Lumières s’est répandue en Europe que les nations soumises aux grands empires supra-nationaux ont commencé à mélanger leurs rêves d’émancipation politique et d’autocéphalies ecclésiastiques. La Grèce a été la première à s’émanciper à la fois de l’Empire ottoman et du patriarcat œcuménique. Toutefois elle n’a donné au chef de son autocéphalie que le titre “d’Archevêque” par déférence à l’égard du Trône œcuménique. Les autres nations émancipées se sont attribuées le titre de “Patriarche”, et toutes ces autocéphalies auto-proclamées (Grèce comprise) n’ont été reconnues par le consensus de l’Église orthodoxe que très progressivement. Toutes se sont donc trouvées à un moment ou à un autre en situation de schisme avant d’être reconnues avec les titres qu’elles s’étaient attribués. À présent l’Église orthodoxe représente une quinzaine d’Église autocéphales, qui n’ont pas toutes donné à leurs primats le titre de patriarche, et qui sont toutes en communion entre elles. Ce qui ne les empêche pas de se faire une concurrence constante dans ce qu’elles appellent (à tort) la “Diaspora”. Il ne faut cependant pas assimiler hâtivement le titre que portent les hérituers des patriarcats historiques avec celui que portent les primats des Églises “émancipées” à l’époque moderne.
Jean-Louis Palierne
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit :Heureusement il y a des gens qui prennent le temps de réfléchir, et qui n’ont pas peur d’essayer de savoir où ils vont, et s’ils prennent le bon chemin. Il n’y a là nul complot, au contraire c’est un signe de bonne santé ecclésiologique et un souci de “servir bien”. Je précise que Pantelis Kalaïtzidis consacre sa vie à l’enseignement théologique au sein de l'Église de Grèce (où cet enseignement est pour l'essentiel assuré par des laïcs) et qu’il est “coordinateur de l’Académie d’études théologiques” du diocèse de Dimitrias en Grèce du Nord. Non seulement cela ne l’empêche pas, mais au contraire cela l’amène à s’interroger sur la pratique de l’Église à laquelle il appartient et qu’il sert. À la différence des fidèles des Églises non-orthodoxes, les orthos sont des esprits libres et concernés. Porter un regard critique sur l’Église d’un pays donné n’est absolument pas être “pour” ou “contre” tel ou tel pays, et cela n’empêche absolument pas de travailler au renouveau de l’esprit, ni moderne, ni hésychaste, ni néo-patristique. C'est seulement le besoin de faire le tri.
Je ne mets pas en doute la pureté des intentions de M. Kalaïtzidis. Je me demande simplement pourquoi ce texte-là, précisément, est traduit en français, alors qu'on ne traduit pas en français les auteurs représentatifs du renouveau hésychaste dans l'Eglise de Grèce, comme le métropolite Hiérothée (Vlachos) de Naupacte et Saint-Blaise. Ou alors qu'on fait régner un silence de mort sur l'oeuvre liturgique de l'archimandrite Denis Guillaume, qui vient de traduire l'office à saint Nicolas Planas (+ 1932), un des saints les plus représentatifs de la Grèce contemporaine. Ce curieux choix dans les traductions ne reflète-t-il pas certain article jadis écrit par Olivier Clément dans un journal catho où l'écrivain français s'en prenait au "bastion orthodoxe grec"?

Nous avons vu qu'à l'heure actuelle, dans certains diocèses tout ce qu'il y a de plus canoniques, quelques mois passés à publier sur Internet de médiocres pamphlets hostiles à l'hellénisme chrétien valent quatre ans de faculté de théologie. Et bien, je suis au regret de confirmer que je suis de ceux pour qui la vie spirituelle ne se mesure pas en barils de pétrole.

Relisez mon message précédent. M. Katzaïdis écrit à propos de ce qu'il voit. Il n'est pas un observateur étranger, complètement neutre, qui est aussi en mesure de faire la comparaison avec ce qui se passe hors de Grèce. Et l'observateur étranger et neutre est bien forcé de constater - en mettant à part les quatre patriarcats antiques - qu'il n'y a que les Eglises de Grèce, de Chypre et d'Amérique qui soutiennent les missions orthodoxes hors de leur territoire ou qu'il n'y a que dans l'Eglise de Grèce qu'on produit des autocritiques du genre de celle de M. Katzaïdis.

Peut-être que c'est d'ailleurs pour cette raison que l'on a traduit en français le texte que vous citez? Parce qu'il n'y a qu'en Grèce que l'on publie des textes hostiles au messianisme national? Il me semble en effet que je pourrai attendre longtemps avant de voir le moindre début de jugement critique sur les prétentions du messianisme national dans les autres Eglises (hors, une fois de plus, les quatre patriarcats antiques et la tout aussi antique Eglise de Chypre).
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Petite remarque brève : j'ai traduit deux livres de mgr Hiérothée : "Entretiens avec un ermite de la Sainye Montagne sur la prière du cœur" publié il y a vingt ans au Seuil et qui se vend toujours, et "La vie de l'âme après la mort" à l'Âge d'homme, comme d'ailleurs vous le savez fort bien, qui instruit beaucoup d'orthodoxes et rend de grands services.

J'ai d'ailleurs publié d'autres traductions du grec, de Nellas, de Yannaras, de Zizioulas.
Jean-Louis Palierne
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit :Petite remarque brève : j'ai traduit deux livres de mgr Hiérothée : "Entretiens avec un ermite de la Sainye Montagne sur la prière du cœur" publié il y a vingt ans au Seuil et qui se vend toujours, et "La vie de l'âme après la mort" à l'Âge d'homme, comme d'ailleurs vous le savez fort bien, qui instruit beaucoup d'orthodoxes et rend de grands services.

J'ai d'ailleurs publié d'autres traductions du grec, de Nellas, de Yannaras, de Zizioulas.
Petite remarque brève: vous savez fort bien quels sacrifices - ou plutôt les sacrifices de quelqu'une - ont permis la publication de La vie après la mort. On ne peut pas dire que les orthodoxes dont nous parlons aient été d'un grand secours, n'est-ce pas?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

La Grèce est un grand pays et les Grecs sont un vieux peuple qui a depuis longtemps le goût de l’intelligence et de la “diacrisis” (discernement). Depuis quelques décennies sont apparues en Grèce une série, une grande quantité, de groupes, de communautés, de mouvements, de recherches qu’on peut quelifier de “néo-orthodoxes” ou de “néo-patristiques”. Ces groupes sont très divers, car les Grecs sont Dieu merci, peu enclins à l’embrigadement. Il y a de remarquables recherches, que je connais et que je m’efforce de faire connaître.

La divine Providence en a ainsi disposé que depuis quelques décennies en Afrique, à peu pràs au moment où le patriarcat d’Alexandrie semblait condamné à disparaître, plusieurs jeunes Églises sont apparues en Afrique. Elles doivent un peu aux orthodoxes qui se trouvaient en exil ou en émigration économique là-bas (les diverses diasporas), mais aussi beaucoup à la conversion de groupes africains autochtones, et à diverses circonstances (comme l’exil de l’archevêque chypriote Makarios) et enfin à l’arrivée d’un certain nombres de ces néo-orthodoxes, prêtres ou moines poussés par un renouveau d’esprit missionnaire. Tout cela a pu se passer dans le cadre canonique du patriarcat d’Alexandrie. L'autocéphalie de ce patriarcat permettait aux "néo-orthodoxes" de vivre selon la véritable Tradition patristique et d'accomplir leur devoir missionnaire.

Lorsque dans la seconde moitié du XIXème siècle aux États-Unis le recrutement d’esclaves africains, l’affreux trafic du “bois d’ébène” s’est tari, un ancien marchand d’esclaves s’est tourné vers le “marché” que lui offraient les régions chrétiennes de l’Empire ottoman et a réussi à attirer dans ses filets des communautés, principalement grecques, en Floride. En fait ils furent réduits en esclavage. Les malheureux furent décimés par les mauvais traitements et le climat de la région. Une riche femme grecque de la Nouvelle-Orléans réussit à regrouper une communauté ailleurs dans le sud (je n’ai pas le nom sous la main) où elle put reprendre vie et prospérer. Malgré leurs demandes répétées ils ne purent pas trouver de prêtre grec. Ils durent embaucher un ex-prêtre russe d’origine ukrainienne, interdit par son êvêque pour participation à des activités séparatistes, et émigré aux USA pour échapper à la police tsariste, vivotant dans la misère à New-York, mais qui sut recréer une communauté orthodoxe “indépendante”.

Actuellement l’archidiocèse grec des USA est une énorme machine très sécularisée et ethno-folkloriste. Les quelques rares helléno-américains qui sont vraiment désireux de retrouver une vie ecclésiale authentique vont ailleurs, par exemple dans le diocèse grec de Grande-Bretagne, en fait en majorité chypriote, très traditionnel, très vivant mais aussi missionnaire et très ouvert aux convertis occidentaux.

En tout cas toutes les communautés grecques hors de Grèce sont rattachées au patriarcat œcuménique, qui sur ce point joue le rôle de ministère de la “diaspora” pour l’Église de Grèce.

Parler de l’Orthodoxie grecque en termes généraux et globaux revient à ignorer l’énorme diversité et la grande vigueur des groupes et des personnes qui la composent. Toutes les activités missionnaires, de même que tout le renouveau des études patristiques sont le fait de personnes que l’on peut qualifier de “néo-orthodoxes”, et tout ce qui peut être qualifié de “néo-orthodoxe” a une attitude très réservée à l’égard des orientations dominantes de la hiérarchie. Ce qui n’empêche absolument pas une grande diversité parmi ces “néo”, et même parfois d’ardentes querelles.

Il faudrait aussi parler du renouveau du monachisme, qu’on croyait mourant il y a cinquente ans, et qui joue un rôle très polyphonique dans la vie de l’Église.

Voir dans un texte critique à l’égard des pratiques officielles et dominantes dans l’Église de Grèce révèle une grande ignorance de la vie foisonnante de l’Orthodoxie grecque, qui est providentiellement répartie en plusieurs patriarcats, plus deux Églises autocéphales, sans oublier la république monastique du Mont Athos, plus une abondante Diaspora, de nombreuses missions (pas seulement en Afrique) sans oublier non plus de très nombreux, très vigoureux et féconds intellectuels, des revues, des mouvements, des universités etc. etc. Il y a des gens qui émettent des critiques beaucoup plus agressives que celles de Pantelis Kalaïtzidis — et toujours mus par un grand amour de l’Église -- et les débats entre Grecs intéressent les orthodoxes du monde entier. On ne peut se contenter d'aligner des statistiques pour connaître la vie de l'Église orthodoxe.

Quand à jeter un regard critique sur les autres Églises, on l’a déjà fait sur notre Forum. Je suis persuadé qu’on y reviendra, et à juste titre, et cela n’a pas grand chose à voir avec ce qu’on pense “des Grecs”, ou “des Russes” ou autres. Dieu merci on discute beaucoup entre orthodoxes.
Jean-Louis Palierne
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Herve
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Message par Herve »

Sur le site Orthodoxie.com, Le père Jivko Panev a mis en ligne une interview de Pantelis Kalaïtzidis.

L'interview est disponible à l'adresse suivante :
http://www.orthodoxie.com/2006/10/une_interview_a.html

Hervé
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