Jean-Louis Palierne a écrit :Lorsque j’ai publié le texte de Nikité Struve, mon but n’était pas de me focaliser sur sa critique de l’Église hors frontières, mais sur le critère employé par N. S. employant le critère de “créativisme” pour parler de l’avenir de l’Église en Europe occidentale. Ce qui nous permet de comprendre ce qu’est la véritable visée de ce projet moderniste qui cherche à s’imposer chez nous. Comme in ne peut pas verser du vin nouveau dans de vieilles outres, il faut faire preuve de créativité, cesser de tourner le dos au monde qui nous entoure et lui répondre en lui proposant de véritables communautés ouvertes et rayonnantes.
Le mérite de ce texte était de dire tout haut, explicitement et clairement, ce que peut être ce projet d’ecclésiologie moderniste. C’est bien pourquoi le site de l’OLTR s’est empressé d’utiliser cette traduction pour alimenter leur polémique contre les modernistes qui règnent rue Daru. Je n’ai aucun souci de soutenir la volonté du patriarcat de Moscou de mettre la main sur l’Archevêché de la rue Daru. Je suis très heureux que l’Archevêché (“rue Daru”) ait pu résister aux pressions du patriarcat. Mais mon intention n’était pas de rentrer dans ce type de problèmes.
La pointe n’était pas non plus de critiquer l’Église hors-frontières. dont je pense qu’elle a défendu l’honneur de l’Orthodoxie au cours des années difficiles. Je ne suis pas du tout convaincu par ses prétentions canoniques, mais c’est du passé, et ne nous pose plus guère de problème actuel, mais le problème de fond n’est pas celui des rapports avec l’Église hors frontières, c’est celui que pose le modernisme de “l’École de Paris”. Les rivalités juridictionnelles ou bien les tentatives de refondation des structures ecclésiastiques sont autre chose.
C’est bien le modernisme qui nous pose problème, comme l’ont très bien compris Tanios et Maxime. Je rappelle la description de Maxime :
j’ai enfin compris le programme de l’exarchat pour l’Eglise locale :
C’est très simple, juste un petit décor, un folklore pour touristes religieux français, mais « adapté » : il faut que ça fasse russe à l’extérieur pour attirer mais à l’intérieur ça doit être « bien français », autrement dit catho-moderne.
Dans le détail :
• Une jolie petite église russe en bois donc, en rondins, importée de « là-bas ». De l’authentique ! Avec un « look » très reconnaissable, « différente » - c’est comme ça qu’on dit, non ? D’apparence exotique donc, modeste et puis « écolo » en plus…tout pour elle ! Très attirante ! Quel témoignage cela fera !
• avec à l’intérieur, une iconostase minimaliste sans être véritablement un jubé, oh ! quelque chose de personnalisé, de sobrement français, « local », quoi ! Voyez, il ne faut pas faire mystère des mystères, oh pardon ! des sacrements comme on dit en bon français. On n’est pas des ésotéristes, nous les orthodoxes locaux, d’ailleurs les protestants nos frères voient de moins en moins de différences entre nous comme avec nos frères cathos, ils s’y retrouvent parfaitement dans nos assemblées de prière et ils baissent même la tête quand on le leur demande.
Je passe sur la suite de cette description et je n’aborderai pas le problème musical. Je reprends la fin du message de Tanios.
Je n’ai guère d’efforts à faire en revanche pour imaginer ce qui pourrait bien aller avec ce décor et ces costumes comme pratique de la scène ecclésiale sans préjuger de la réalité de la prière de chacun dans laquelle je ne m’immiscerai à aucun prix n’ayant là rien à dire.
Mais je suis obligé, pour ce qui est de la Communauté, de l’Eglise dite locale, de constater avec amertume que ce que j’avais vu venir depuis quelques années est maintenant là.
On en vient tout simplement à faire du même avec du différent, c’est la force de ce que je nommerai « l’Occident » faute de mieux, c’est à dire la civilisation du consumérisme où tout le monde pense être différent en achetant des marchandises personnalisées et où il importe de valoriser sa différence pourvu qu’elle soit dans le cadre et dans la case prévus par la machine totalitaire molle, démocratique représentative, écologiste, consensuelle, oecuméniste, droit-de-l’hommiste, humanitariste, etc. blabla moderniste quoi.
J’aurais pourtant désiré de tout mon cœur que l’Orthodoxie soit préservée, comme lieu et voie, de cette contamination. Non pas certes pour en faire un objet de musée.
Encore que ce soit une accusation drôlement gonflée de la part de modernistes qui pour le coup ont réellement relégué dans les musées dits d’art sacré des objets rituels qui n’étaient en rien destinés à la contemplation passéiste. L’Eglise catholique qui ne manque pas de musées du plus petit au plus grand, a perdu tout sens du sacré depuis longtemps avec son prétendu incontournable aggiornamento, et pas mal de fidèles par le fait, ne s’en est-on point aperçu chez les « orthodoxes locaux » ? L’air de l’extérieur, celui du monde (moderne ou pas) bien sûr, a contribué efficacement à vider les églises. Benoît XVI, dont les qualités intellectuelles impressionnent tout le monde, et qui a une vision claire de la situation, tente de réintroduire quelque tenue dans les lieux de culte et voudrait que ses prêtres deviennent maintenant « des spécialistes, des professionnels du spirituel » ( il faudrait consacrer toute une discussion à cette conception du sacerdoce). Et voilà que les Orthodoxes se proclamant locaux veulent commettre la même erreur que le Saint Père essaye de rectifier avec beaucoup de diplomatie ? Veulent-ils vider les églises eux aussi ? Quelle sorte de club essayent-ils de créer ?
J’ai reçu aussi - en mail privé - une réaction au texte de Nikita Struve que je trouve digne d’intérêt :
Merci d'avoir traduit et publié le texte de cet enseignant friand de créativisme comme le catalogue de la Redoute. Cette "créativité théologique" (ce sont les mots de ce texte) obsessionnelle n'a qu'un but : édulcorer le contenu du Nouveau Testament pour en faire une sauce hommiste, relativiste et arienne
universelle, compatible avec les néo-polythéismes, néo-panthéismes, et autres animismes branchés de la planète. Comme si le langage des Evangiles qui relatent un message fracassant avec des mots ordinaires, sobres et doux, n'était pas accessible tel quel ..
Ce créativisme n'est jamais qu'un "concentré d'orgueil néo-scolastique”.
Le bruit qu’a fait la traduction en français du texte de Nikita Struve a également amené plusieurs personnes qui étaient étrangères à notre Forum à le lire, comme ce russe de la deuxième génération qui a ainsi découvert mon émail et m’écrit, à propos du livre que j’avais publié il y a quelques années ;
J'ai lu et relu votre livre sur l'Eglise orthodoxe en France, et sur sa partie française édulcorée. Mon message n'a pas d'autre but que de vous signifier à quel point je me trouve en accord avec vos analyses.
[…]Votre livre fait progresser la compréhension de ce phénomène contemporain de la tentation moderniste de trop nombreuses paroisses, avec des analyses sociologiques, historiques et spirituelles particulièrement éclairantes.
En quoi consiste cette “tentation moderniste” ? Un texte de Claude Hiffler, qui a été publié par le SOP, le dit clairement. J’avoue que je ne l’avais pas remarqué sur le SOP, que je ne lis pas, mais il a été republié sur la revue “La Voile” que publie sur Internet Jean-Michel <
http://home.scarlet.be/orthodoxe/revue.html>
Compte tenu de ses fondements eucharistiques et eschatologiques, la paroisse est appelée à une vocation historique et méta- historique. Sa mission est donc double, externe et interne. À la fois tournée vers le monde et dynamisée dans sa vie ecclésiale sans dissociation spirituelle, car ces deux aspects sont étroitement liés. Sa vocation externe est surtout liée à la turbulence du monde d'aujourd'hui qui oblige nos communautés à s'enraciner davantage dans l'Évangile où elles retrouvent leur dynamique prophétique.
[…] C'est pourquoi la responsabilité de tous est convoquée, notamment dans la lutte contre toutes les formes de cléricalisme, y compris celui des laïcs qui est souvent le plus pervers. Le cléricalisme est un fruit délicieux pour celui qui a le goût du pouvoir, mais extrêmement toxique pour l'Église. Il endort les fidèles sur le mol oreiller de la démission et de la soumission. Mais, Dieu merci, le peuple de Dieu est rebelle. Revêtu d'un habit de lumière par son baptême, il est d'essence royale et sacerdotale, et sa responsabilité est, donc, constamment requise pour la vitalité, la marche et l'épanouissement de la vie paroissiale.
La réception des décisions et des définitions des synodes épiscopaux est un élément essentiel du Mystère de l’Église. Mais c’est l’évêque qui exerce le ministère du discernement, qui lui est donné par le charisme épiscopal. On peut se demander à quel cléricalisme pense C. H. Il nous le révèle peu après :
[…] Ainsi, si l'évêque est le garant de la foi et de l'unité, le peuple des fidèles en est la plate-forme et le ciment. Dans l'ecclésiologie orthodoxe telle que vécue en Occident aujourd'hui - dont on préfère dire, pudiquement, qu'elle est en gestation lente, plutôt qu'en contradiction avec les canons -, c'est ce peuple, c'est-à-dire la paroisse qui, par sa liberté, doit pousser la barque vers l'avant, en se transformant en un lieu d'éveil et de création. Disons-le, avec force : la paroisse, aujourd'hui, est un creuset et une forge, où se manifeste l'unité de l'Église, plus qu'ailleurs, quelles que soient les questions ecclésiologiques, et au-delà des limites de juridiction.
Non : le peuple de Dieu c’est un ensemble d’Églises locales, chacune présidées par un évêque membre d’un synode provincial.
Il faut rappeler que la réalité de l’Église est présente lorsqu’elle est présidée par l’évêque et réunie autour de lui. C’est lui qui siège “à la place et à l’image du Christ. C’est lui qui assure la communion avec tous les évêques de tous les synodes orthodoxes. C’est lui qui fonde l’Église locale. C’est autour de lui que peuvent se réunir tous les charismes de l’Église : charisme de l’évêque, charisme sacerdotal, charisme des diacres, charisme des laïcs, charisme des moines. C’est encore l’évêque qui préside tous les mystères et les dispense, scellant l’autel du saint Chrême qu’il a consacré. C’est lui qui exerce le discernement des personnes, tant pour les promouvoir dans le clergé que pour réconcilier les pécheurs à la communaité s’ils en ont été écartés. Un groupe de chrétiens ne constitue pas une communauté sans la présence des ministères qui en assurent la vie, et l’évêque en est la pierre angulaire.
Cette réalité des mystères ne peut pas être substituée par un affect psychologique. Cependant c’est bien ce que nous propose Claude Hiffler :
[.…]Le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action, il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes
Unité vivante d'amour de l'Église du Christ, la paroisse doit témoigner sans cesse de la miséricorde et de la solidarité fraternelle, qui permettent à ceux qui sont dedans d'actualiser cette "vie nouvelle qui a surgi du tombeau au premier jour de la seconde création", comme l'écrit le père Alexandre Schmemann, et à ceux qui viennent pour voir, de dire : "Voyez comme ils s'aiment", ou encore : "Ils sont pleins de vin doux". Voilà pourquoi la vie liturgique et sacramentelle ne peut être localisée dans le temps et dans l'espace. Dans le temps, elle ne peut être réduite au seul dimanche et, dans l'espace, elle dépasse le simple foyer paroissial et rassemble, dans la joie pascale, toute la famille chrétienne, comme un signe préalable du Royaume à venir. D'où la nécessité de tisser des liens et de vivre en harmonie avec les paroisses voisines... "Seigneur qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères, tous ensemble" (Ps 132). "Que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous" (Rm 12,10). Que serait une paroisse sans cette plénitude d'amour, sans réconciliation et sans pardon ? Une association d'individus ? Un centre culturel ? Un ghetto ? Alors qu'elle est le lieu privilégié où le cœur de pierre, le cœur intellectuel, le cœur théologique, se transforme en cœur qui bat vraiment, en cœur de chair. Ce qui revient, notamment, à écouter, dialoguer, respecter les opinions sans froisser, sans asséner notre vérité comme seule valable au lieu de cheminer ensemble. Ce qui amène, aussi, à rejeter toutes formes de tensions, de ragots et de polémiques qui, par l'action du Malin, atomisent les communautés. Apprendre à accueillir, avec discernement, toutes les personnes. Il s'agit, parfois, d'un accueil délicat et douloureux au regard de l'hospitalité eucharistique, dont les justes exigences théologiques ne nous autorisent pas, cependant, par des mots simplement légalistes, à meurtrir la personne qui ne comprend pas ce que la communion exige et engage. […] Car le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action. Il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes, dans la douce profondeur de la tendresse humaine. […]
C’est très joli, mais derrière ces paroles se cache une rupure avec la Tradition de l’Église. Dan l’Orthodoxie, ce qui attire tant de nos contemporains, ce n’est pas l’ouverture affective vers le prochain — rien n’est d’ailleurs moins évident dans la réalité concrète — c’est le “sens du sacré”. Un visiteur catholique, venu en simple curieux assister à à un culte orthodoxe est souvent immédiatement bouleversé de découvrir et que ce sens du sacré est présent dans l’Église orthodoxe, et que son Église y a volontairement renoncé, au profit de la présence au monde. Ce qu’on nous propose comme remède-miracle pour renouveler l’Église orthodoxe, c’est précisémént ce dont les catholiques ont fait l’expérience depuis cinquante ans et dont ils ne veulent plus.
[…] Qu'on le veuille ou non, pour ce qui est de l'Église orthodoxe, le temps de la "diaspora" s'achève et une des missions de la paroisse au seuil de l'an 2005 est de participer, activement, à la construction, en Occident, d'une Église canonique une, à l'ecclésiologie territoriale, impliquant une catholicité conciliaire, selon l'esprit du 34e canon des saints apôtres, qui n'est pour l'instant pas respecté chez nous, en Occident. On y voit, en effet, persister des cloisonnements juridiques, antinomiques de l'Église une et indivise, et de l'esprit des grands conciles, cloisonnements caractérisés, notamment, par la présence - "parallèle" - de plusieurs évêques en un même, lieu.
[…]Dieu a besoin des hommes et non de fonctionnaires de la foi. De même que l'Église a besoin d'évêques, et non de préfets ou d'ambassadeurs. Or, pour le monde, étranger aux mystères et particulièrement à celui de l'Incarnation, l'Église apparaît trop souvent - il faut en être conscient - comme une administration avec ses interdits et ses permissions, que la société contemporaine a rejetée comme archaïque et aliénante, et parfois même comme inhumaine.
J’ai l’impression que non seulement cette Église se veut locale parce qu’elle se croit paroissiale, mais qu’elle se voudrait être une Église capable d’apporter les valeurs propres de l’Occident aux Églises des pays de tradition orthodoxe.
[…]Pour ce qui est de l'Église orthodoxe aujourd'hui en Occident, la communauté paroissiale est en train de devenir chez nous, selon des modalités diverses d'ailleurs, propres à chaque situation locale, une communauté "poly-ethnique" et "poly-culturelle", autour d'un véhicule linguistique identique, compréhensible par tous, qui est, en général, celui du pays où l'on vit. Et à côté, nous avons - et nous créons encore, pour les besoins des nouveaux arrivants notamment - des paroisses "mono-ethniques". La pluralité et la diversité que nous vivons est un signe d'intelligence spirituelle, à condition d'éviter l'écueil qui nous guette tous, quel que soit le profil de notre paroisse : l'écueil de la paroisse close, qui se garde pour elle-même, notamment au nom d'une "tradition nationale", cherchant à asseoir ici une présence "nationale", bien sûr, Église et État intimement liés… C'est une forme de régression qui resurgit parfois aujourd'hui et nous menace ici ou là… Non, l'unique critère commun à toutes nos paroisses en un lieu donné, c'est notre ecclésialité, c'est-à-dire amour, communion, unité et ouverture. Et alors notre diversité est doublement bénéfique.
À nos frères orientaux ou venant d'Europe de l'Est nous avons à donner ce que notre formation occidentale peut avoir de positif ; nous avons aussi à les aider dans leur insertion ici. Et d'eux-mêmes nous avons à recevoir beaucoup, notamment l'aide à transfigurer notre rationalité, en faisant descendre l'intelligence dans notre cœur spirituel. La complémentarité des différences relève avant tout de l'expérience spirituelle ecclésiale et humaine des prêtres et des fidèles. Et elle se manifeste tout naturellement dans une évolution organique des événements. Le respect des différences n'implique pas une étanchéité ("juridictionnelle") qui empêcherait collaboration, services réciproques et actions communes.
[…]C'est pourquoi le peuple des paroisses doit rappeler que l'institution n'est pas la source de l'Église, mais son moyen d'expression et d'équilibre. C'est à ce peuple que revient le rôle et la vocation de rappeler cette vérité, afin de vivre dans une Église où tous sont concernés, une Église de célébrants, où souffle l'Esprit qui nous invite à un travail spirituel - ecclésial et personnel - de créativité, qui empêche la paroisse de s'enfermer, celle-ci ne pouvant devenir prisonnière d'aucun système, car tout système est réducteur de la vérité. […]
Je voudrais rappeler ici les informations qui nous ont été données sur le Concile pan-russe de 1917-1918 par le livre d’Hyacinthe Destivelle, informations que j’ai présentées un peu plus haut dans ce fil. Dans un cas comme dans l’autre nous avons à faire à une altération de l’ecclésiologie orthodoxe. Et j’avais longuement développé la Tradition orthodoxe sue la fonction épiscopale dans un message du 24 juin dernier dans le fil “Mémoire de saint Sébastien le 18 décembre”.
Ce qu’on nous propose pour renouveler l’Orthodoxie en Occident, ce que Maxime appelle “le programme de l’Exarchat pour l’Église locale”, c’est cette Église de militantisme d’action sociale que les catholiques rejettent, alors qu’ils sont attirés par “le sens du sacré” conservé dans l’Orthodoxie.