Le sort des juridictions russes en Occident

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Jean-Louis Palierne
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Le sort des juridictions russes en Occident

Message par Jean-Louis Palierne »

Le site “Portal-Credo.ru” publie en russe un texte de Nikita Struve qui commente la situation ecclésiale de l’émigration russe en Occident à la lumière des événements récemment survenus en Grande-Bretagne : le diocèse de Sourozh du patriarcat de Moscou (fondé jadis par mgr Antoine (Bloom) mort il y a trois ans) est passé, sous la direction de mgr Basile (Osborn) dans l’Exarchat des paroisses russes du patriarcat de Constantinople. Mais les réflexions de Nikita Struve dépassent largement cet événement et portent plutôt sur le sort de l’ensemble des trois branches de l’Église russe dans la diaspora.

Je suis bien loin de partager les opinions de Nikita Struve, mais il me semble utile de connaître ce texte dans la mesure où il exprime clairement et brièvement ce que certains pensent, sans noyer le poisson et sans verbiage inutile.

Le texte a été publié en anglais par ailleurs, mais j’ai pas mal corrigé cette traduction d’après le russe. Je n’ai vu nulle part de texte en français. Voici donc la traduction que je propose, mais si un texte paraissait en français, je serais heureux de le lire.

http://portal-credo.ru/site/?act=3Dnews ... 6333&cf=3D

=================

Nikita STRUVE : « Je suis assez effrayé par la réunion de l’Église qui se trouve en Russie avec celle qui se trouve hors frontières. »

[Nikita Struve, dont on connaît l’activité dans l’émigration russe, est le rédacteur en chef du journal “Vestnik du Mouvement chrétien russe” et le directeur d’”YMCA-Press”, une maison d’édition de Paris. Il écrit au sujet de la réunion des deux branches de l’Orthodoxie russe et de la situation de l’éparchie de Sourozh.] [Ce "chapeau est l'œuvre de "Portal-Credo"]

Le processus de réunification qui est actuellement en cours entre l’Église orthodoxe russe et l’Église hors Frontières est ecclésiologiquement indispensable dans la mesure où les Karlovtsy [l’Église hors frontières NdT] se conçoivent elle-même comme une partie de l’Église russe bien qu’elle ne présente aucun dimension universelle. Ils se sont séparés eux-même de la plénitude de l’Orthodoxie, et éorouvent le besoin de retourner vers ce dont ils sont sortis, vers ce qu’ils considèrent comme leur Église — bien que dans un premier temps ils aient déclaré qu’elle était “privée de grâce”. D’une part c’est absolument normal, mais je n’en suis pas moins quelque peu effrayé, parce que si cette union doit prendre effet, ce qui pourrait demander quelque temps, elle peut aboutir à renforcer les tendances conservatrices au sein de l’Église orthodoxe en Russie. Certes, en un certain sens, l’Église hors-frontières a bien changé, mais elle s’est toujours distinguée par un regard tourné le passé, ou bien par ce que l’on peut qualifier son “orthodoxisme”. Il fut un temps où elle condamnait le Mouvement chrétien des Étudiants russes, la théologie du père Serge Boulgakov, elle ne possède pas en elle-même de source pour ses élections épiscopales, et ce qu’elle était ne se justifie plus. En outre, comme toute Église de l’émigration elle s’est effectivement dissoute et d’une manière générale n’est plus réellement effective. Notre Exarchat russe du patriarcat de Constantinople est un fragment dans le monde occidental, et l’Église hors-Frontières, bien qu’elle soit plus répandue de par le monde, est en fait un vestige. Elle n’en exerce pas moins une certaine influence sur l’Église de Russie, d’autant plus aisément que le conservatisme est une voie de facilité. Il sait avec certitude ce qu’il nous faut, comment il nous le faut et avant tout il sait quelles sont les frontières que nous ne devons pas transgresser. Ce qui a toujours caractérisé l’Église du Synode des Karlovtsy, c’est que toute créativité lui fait défaut ; il ne cherche pas même une voie à ouvrir, ni pour la création théologique, ni, sauf exception, pour la création culturelle. C’est la raison pour laquelle il a en fait rejeté la liberté.

En ce qui concerne les événements survenus dans l’éparchie de Sourozh, je ne connais pas les toutes dernières informations, mais d’après ce que je comprends, un certain nombre de paroisses, à peu près la moitié, est restée avec l’évêque Basile (Osborn), qui désire est de poursuivre la tradition du métropolite Antoine (Bloom). À ce jour le processus n’est pas encore parvenu à son terme et des modifications mineures peuvent encore intervenir. Durant trois années l’évêque Basile avait fait tout ce qui lui était possible pour rester dans le patriarcat de Moscou. mais il ne pouvait tout simplement plus supporter tant d’humiliation et une telle incompréhension. Lors d’une discussion privée d’une heurs et demie que j’avais eue avec lui, le métropolite Antoine m’avait dit que l’absence de toute compréhension de la part de l’administration de l’Église de Moscou devant tout ce qu’il faisait et des perspectives de développement de l’Église orthodoxe anglaise qu’il avait fondée, l’avait conduit à un complet désespoir et à en perdre le sommeil pour la première fois de sa vie.

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Le sort de l’Église russe m’importe, comme le sort de toutes les Église qui confessent la foi orthodoxe. Je partage le jugement que porte Nikita Struve sur le statut paradoxal et anachronique de l’Église hors-frontières, mais je ne vois pas quel rôle peut jouer la créativité humaine dans la Tradition de la foi apostolique, et je ne vois pas en quoi le rejet de la théologie du père Serge Boulgakov pourrait être retenu contre l’Église hors frontières — biien au contraire. D’ailleurs l’ecclésiologie de l’exarchat des paroisses russes du patriarcat de Constantinople me paraît aussi fausse que celle de l’Église hors frontière. Mais j’ai aussi dit ici bien souvent que les Églises nationales des pays de tradition orthodoxe qui créent des filiales en Occident à l’usage de leurs “diasporas” s’engageaient dans une impasse.

Nous ne pouvons que prier le Seigneur de ne pas abandonner son Église au milieu de la tempête, de restaurer l’ordre canonique et de lui envoyer de bons évêques.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Claude le Liseur
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Re: Le sort des juridictions russes en Occident

Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit :Le site “Portal-Credo.ru” publie en russe un texte de Nikita Struve qui commente la situation ecclésiale de l’émigration russe en Occident à la lumière des événements récemment survenus en Grande-Bretagne : le diocèse de Sourozh du patriarcat de Moscou (fondé jadis par mgr Antoine (Bloom) mort il y a trois ans) est passé, sous la direction de mgr Basile (Osborn) dans l’Exarchat des paroisses russes du patriarcat de Constantinople. Mais les réflexions de Nikita Struve dépassent largement cet événement et portent plutôt sur le sort de l’ensemble des trois branches de l’Église russe dans la diaspora.

Je suis bien loin de partager les opinions de Nikita Struve, mais il me semble utile de connaître ce texte dans la mesure où il exprime clairement et brièvement ce que certains pensent, sans noyer le poisson et sans verbiage inutile.

Le texte a été publié en anglais par ailleurs, mais j’ai pas mal corrigé cette traduction d’après le russe. Je n’ai vu nulle part de texte en français. Voici donc la traduction que je propose, mais si un texte paraissait en français, je serais heureux de le lire.

http://portal-credo.ru/site/?act=3Dnews ... 6333&cf=3D

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Nikita STRUVE : « Je suis assez effrayé par la réunion de l’Église qui se trouve en Russie avec celle qui se trouve hors frontières. »

[Nikita Struve, dont on connaît l’activité dans l’émigration russe, est le rédacteur en chef du journal “Vestnik du Mouvement chrétien russe” et le directeur d’”YMCA-Press”, une maison d’édition de Paris. Il écrit au sujet de la réunion des deux branches de l’Orthodoxie russe et de la situation de l’éparchie de Sourozh.] [Ce "chapeau est l'œuvre de "Portal-Credo"]

Le processus de réunification qui est actuellement en cours entre l’Église orthodoxe russe et l’Église hors Frontières est ecclésiologiquement indispensable dans la mesure où les Karlovtsy [l’Église hors frontières NdT] se conçoivent elle-même comme une partie de l’Église russe bien qu’elle ne présente aucun dimension universelle. Ils se sont séparés eux-même de la plénitude de l’Orthodoxie, et éorouvent le besoin de retourner vers ce dont ils sont sortis, vers ce qu’ils considèrent comme leur Église — bien que dans un premier temps ils aient déclaré qu’elle était “privée de grâce”. D’une part c’est absolument normal, mais je n’en suis pas moins quelque peu effrayé, parce que si cette union doit prendre effet, ce qui pourrait demander quelque temps, elle peut aboutir à renforcer les tendances conservatrices au sein de l’Église orthodoxe en Russie. Certes, en un certain sens, l’Église hors-frontières a bien changé, mais elle s’est toujours distinguée par un regard tourné le passé, ou bien par ce que l’on peut qualifier son “orthodoxisme”. Il fut un temps où elle condamnait le Mouvement chrétien des Étudiants russes, la théologie du père Serge Boulgakov, elle ne possède pas en elle-même de source pour ses élections épiscopales, et ce qu’elle était ne se justifie plus. En outre, comme toute Église de l’émigration elle s’est effectivement dissoute et d’une manière générale n’est plus réellement effective. Notre Exarchat russe du patriarcat de Constantinople est un fragment dans le monde occidental, et l’Église hors-Frontières, bien qu’elle soit plus répandue de par le monde, est en fait un vestige. Elle n’en exerce pas moins une certaine influence sur l’Église de Russie, d’autant plus aisément que le conservatisme est une voie de facilité. Il sait avec certitude ce qu’il nous faut, comment il nous le faut et avant tout il sait quelles sont les frontières que nous ne devons pas transgresser. Ce qui a toujours caractérisé l’Église du Synode des Karlovtsy, c’est que toute créativité lui fait défaut ; il ne cherche pas même une voie à ouvrir, ni pour la création théologique, ni, sauf exception, pour la création culturelle. C’est la raison pour laquelle il a en fait rejeté la liberté.

En ce qui concerne les événements survenus dans l’éparchie de Sourozh, je ne connais pas les toutes dernières informations, mais d’après ce que je comprends, un certain nombre de paroisses, à peu près la moitié, est restée avec l’évêque Basile (Osborn), qui désire est de poursuivre la tradition du métropolite Antoine (Bloom). À ce jour le processus n’est pas encore parvenu à son terme et des modifications mineures peuvent encore intervenir. Durant trois années l’évêque Basile avait fait tout ce qui lui était possible pour rester dans le patriarcat de Moscou. mais il ne pouvait tout simplement plus supporter tant d’humiliation et une telle incompréhension. Lors d’une discussion privée d’une heurs et demie que j’avais eue avec lui, le métropolite Antoine m’avait dit que l’absence de toute compréhension de la part de l’administration de l’Église de Moscou devant tout ce qu’il faisait et des perspectives de développement de l’Église orthodoxe anglaise qu’il avait fondée, l’avait conduit à un complet désespoir et à en perdre le sommeil pour la première fois de sa vie.

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Le sort de l’Église russe m’importe, comme le sort de toutes les Église qui confessent la foi orthodoxe. Je partage le jugement que porte Nikita Struve sur le statut paradoxal et anachronique de l’Église hors-frontières, mais je ne vois pas quel rôle peut jouer la créativité humaine dans la Tradition de la foi apostolique, et je ne vois pas en quoi le rejet de la théologie du père Serge Boulgakov pourrait être retenu contre l’Église hors frontières — biien au contraire. D’ailleurs l’ecclésiologie de l’exarchat des paroisses russes du patriarcat de Constantinople me paraît aussi fausse que celle de l’Église hors frontière. Mais j’ai aussi dit ici bien souvent que les Églises nationales des pays de tradition orthodoxe qui créent des filiales en Occident à l’usage de leurs “diasporas” s’engageaient dans une impasse.

Nous ne pouvons que prier le Seigneur de ne pas abandonner son Église au milieu de la tempête, de restaurer l’ordre canonique et de lui envoyer de bons évêques.
Merci à Jean-Louis Palierne sans lequel il n'y aurait vraisemblablement pas de traduction française d'un texte qui est d'un intérêt important pour les orthodoxes des pays francophones.

Comme c'est curieux, on ne trouve aussi sur Internet que les versions anglaise et russe de l'extraordinaire allocution que notre frère Bernard Le Caro a prononcée sur la mission de l'Orthodoxie en Occident au cours du concile de l'Eglise russe hors frontières à San Francisco, alors que le texte a été à l'origine écrit en français...

Le texte de Nikita Struve que Jean-Louis Palierne a traduit en français sur le présent forum a fait l'objet d'un commentaire consterné du prêtre André Philipps (Eglise russe hors frontières) sous le titre Living in the Past ("Vivre dans le passé"); on peut le lire à l'adresse http://www.orthodoxengland.btinternet.co.uk/livpast.htm .

Pour d'autres réactions, cette fois-ci en français (une favorable et une défavorable) au texte du professeur Struve, cf. le forum http://fr.groups.yahoo.com/group/orthod ... t/messages qui reproduit d'ailleurs la traduction de Jean-Louis Palierne (voir messages 1390 et 1391 du forum en question).

Je ne comprends rien à cette diatribe du professeur Struve contre l'Eglise orthodoxe russe hors frontières, ressuscitant pour l'occasion le sobriquet de Karlovtsy alors que le Synode russe hors frontières a quitté Sremski Karlovci depuis 1945, ce qui ne date quand même pas d'hier.

Je ne vois pas la différence entre un "fragment" et un "vestige".

Je ne vois pas ce que la "créativité" en matière ecclésiastique vaut face à la sainteté universellement reconnue de l'archevêque Jean Maximovitch, le véritable apôtre de l'Orthodoxie de ces temps (dont on peut trouver une icône sur le présent forum viewtopic.php?t=1392 ).

Je constate que le patriarcat de Moscou a environ 200 fois plus de fidèles que l'Eglise russe hors frontières (environ 45 millions contre environ 225'000). Je constate qu'à vue humaine, le patriarcat de Moscou pourrait dévorer l'ERHF, d'autant plus que la majorité des fidèles de celle-ci désirent ardemment la réunification administrative de l'Eglise russe, maintenant que les motifs qui ont conduit à la situation actuelle ont disparu depuis longtemps. Or, je constate aussi que, dans les faits, le patriarcat de Moscou discute avec l'Eglise russe hors frontières, tient compte des critiques de l'Eglise russe hors frontières et n'adopte pas du tout la position du fort au faible que pourrait autoriser la disproportion du nombre de fidèles. La déclaration de SB Alexis II de Moscou à propos de la fausse union de Balamand, que j'ai traduite sur ce forum le 13 mai 2006 viewtopic.php?t=1878 , est une réponse à des questions posées par des membres de l'Eglise russe hors frontières. On peut donc constater que la hiérarchie du patriarcat de Moscou ne semble pas tenir la petite Eglise russe hors frontières pour une quantité négligeable qu'on puisse expédier d'une chiquenaude. C'est peut-être que le patriarcat de Moscou trouve que l'Eglise russe hors frontières a une valeur spirituelle et que cette Eglise n'est pas si lamentable qu'on voudrait nous le faire accroire?

En dernier lieu, pour une remarque purement linguistique, mais qui a son importance, je ne comprends pas pourquoi on commence à écrire "Sourozh" dans un texte français, alors que le "zh" est utilisé dans la translittération anglaise des mots russes (écrits, rappelons-le, en cyrillique et pas en alphabet latin) pour rendre le son noté en russe par la lettre ж , son qui existe aussi en français mais qui est inconnu dans l'idiome anglo-saxon. Tout francophone qui lit un texte où apparaît le nom "Sourozh" et qui n'est familier ni avec l'anglais, ni avec le russe, va prononcer "Souroz". Or, que je sache, le nom russe de ce diocèse est bien Сурож, prononcé "Souroj" ou "Souroge".

Cette nouvelle manifestation de la déconstruction du français a été récemment évoquée dans le numéro 219 de Défense de la langue française, Paris 2006, pp. 49-51, article "La translittération des noms russes: nouveau terrain de jeu pour l'"anglose"" (p. 50 à propos de la translittération de la lettre ж). J'ai toujours vu le nom d'un certain leader soviétique orthographié en français "Brejnev" et pas "Brezhnev". Je me permettrai donc de continuer à écrire "le diocèse de Souroge" et "saint Serge de Radonège", du moins tant que Bruxelles daignera encore tolérer l'existence de langues autres que l'anglais.

Car

S'il en demeure dix, je serai le dixième;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là.


(Victor Hugo, Les Châtiments, VII, 17, 63-64)
tanios
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Message par tanios »

Ayant fréquenté durant 2 ans il y a longtemps (au début des années 80) la rue Daru la conviction que j'avais à l'époque était qu'il s'agit d'une église russe qui se réunirait au Patriarcat de Moscou dès que les conditions le permettraient...Or depuis que le Patriarche Alexis a lancé sa proposition de réunification en avril 2003 on voit monter une opposition qui se transforme en hostilité parfois. Or depuis il m'a été donné de connaître un peu l'Eglise russe hors frontière (ERHF) à partir de publications et j'y ai découvert des saints que j'ignorais et dont le plus illustre est Saint Jean de Changai (dont je lis le livre de Bernard Le Caro tout récemment parus aux éditions de l'age d'homme).
Il est clair par ailleurs que l'Eglise en Russie après avoir donné tant de martyrs au XXème siècle connaît une renaissance porteuse d'espoir pour nous autres orthodoxes.
je crois saivoir que lorsque Mgr Euloge a fondé l'Eglise Russe associée à la rue Daru , dans son esprit (et pour les autres pères fondateurs ) la situation crée devait être provisoire en attendant la réunification avec l'Eglise Mère.
Les arguments aujourd'hui de ceux qui s'opposent à cette réunification sont nombreux (les temps ont changé et les responsables du Patriarcat du Moscou sont trop autoritaires et déphasés par rapport aux approches qui conviennent en occident...).
Mon opinion (pour autant qu'elle ait de la valeur) est la suivante:
admettons que tous les griefs formulés par les responsables de l'Exarchat soient vrais la fidélité et donc l'obéissance aux pères fondateurs de l'Exarchat ne doivent-ils pas primer sur tout le reste? Ne nous enseigne-t-on pas que la première vertu du chrétien orthodoxe est l'obéissance et le renoncement à sa volonté propre? On me dira peut-être qu'un ensemble de paroisse n'est pas un monastère et que çà ne peut marcher ainsi mais cela n'est pas nécéssairement convaincant.
Si on croit que l'Eglise Russe est pleinement orthodoxe alors ne peut-on faire confiance à Notre Seigneur pour que lors du processus de réunification ces obstacles fondent comme neige au soleil?
Après tout si on croît à ce que l'on enseigne , à travers la prière les difficultés dont il s'agit devraient au moins s'atténuer car il s'agit de difficultés résultant de relations entre des hommes et non des différences sur la Foi .
Sinon il y a une énorme perte de crédibilité...A quoi sert-il alors de proclamer que le but du christianisme est la divinisation de l'homme si les clercs issus des différentes églises ne se supportent pas?
Si toutefois cette réunification paraît trop difficile à l'Exarchat il serait plus simple qu'il se fonde entièrement dans le Patriarcat de Constantinople, les choses s'éclairciraient.
Cette situation de conflit est un scandale.
J'aimerais citer ces phrases de Mgr Jean de Changai qu'il a prononcées en 1952 lorsqu'il était nommé par l'ERHF en Europe occidentale...il y avait déjà des conflits semblables:
"Les russes à l'étranger...sont séparés , soumis à des différentes hiérarchies qui ne sont pas en communion les unes avec les autres. Un mal en engendre un autre et les différends mènent à des discordes, à la désobéissance aux autorités écclésiales et au mépris des commandements et règles de l'Eglise. Même en défendant la vérite et en ayant fondamentalement raison, mais en manifestant un zèle irraisonné nous accroissons souvent le mal par nos tentatives de faire le bien. Tout cela a conduit au déclin de la foi et de la piéte parmi nous, à la perte du sens de la vérité et à l'indifférence envers elle. Appelés à être les prédicateurs de la foi véritable parmi les autres peuples, nous les en détournons par nos actes, et , comme il est écrit, à cause de nous "le nom de Dieu est blasphémé par les paiens" (Rm, 11-24). Abandonnons les accusations réciproques et la recherche des fautes chez l'autre et concentrons tous nos efforts au rétablissement de la paix écclésiale de la partie libre à l'étranger de l'Eglise orthodoxe russe".
(p.121-122 du livre de B. Le Caro cité précedemment).
Le problème actuel entre l'Exarchat et le Patriarcat de Moscou a été relaté à certaines occasions dans la presse; quel témoignage reçoit alors le lecteur? Les responsables (les pasteurs) le savent mieux que tout autre; prions pour le retour de la paix écclésiale!
T.
Makcim
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Message par Makcim »

J’ai enfin compris en regardant un Dimanche de cet été sur France 2 (eh oui, je ne peux pas m’empêcher d’espérer qu’un jour il s’y passera vraiment quelque chose) ce que signifiait vraiment cette appellation « de tradition russe » et « Eurêka !» j’ai enfin compris le programme de l’exarchat pour l’Eglise locale :

C’est très simple, juste un petit décor, un folklore pour touristes religieux français, mais « adapté » : il faut que ça fasse russe à l’extérieur pour attirer mais à l’intérieur ça doit être « bien français », autrement dit catho-moderne.
Dans le détail :

• Une jolie petite église russe en bois donc, en rondins, importée de « là-bas ». De l’authentique ! Avec un « look » très reconnaissable, « différente » - c’est comme ça qu’on dit, non ? D’apparence exotique donc, modeste et puis « écolo » en plus…tout pour elle ! Très attirante ! Quel témoignage cela fera !
• avec à l’intérieur, une iconostase minimaliste sans être véritablement un jubé, oh ! quelque chose de personnalisé, de sobrement français, « local », quoi ! Voyez, il ne faut pas faire mystère des mystères, oh pardon ! des sacrements comme on dit en bon français. On n’est pas des ésotéristes, nous les orthodoxes locaux, d’ailleurs les protestants nos frères voient de moins en moins de différences entre nous comme avec nos frères cathos, ils s’y retrouvent parfaitement dans nos assemblées de prière et ils baissent même la tête quand on le leur demande.
• une chorale amatrice, pas un « choeur », cela ferait peut-être trop élitiste et on est démocratique chez nous, pas comme chez ces pseudo orthodoxes, incurables tsaristes passéistes ou ces ex-communistes nouveaux réactionnaires ! Tout le monde participe ! Comme chez les Protestants, bien qu’étrangement les chorales soient souvent surtout composées d’anciennes ou futures demoiselles « Lelongbec » mettant tout leur cœur, pas toujours avec succès, à essayer d’atteindre les notes les plus aiguës comme dans toute bonne chorale catholique (tradition oblige !), pour se joindre aux chœurs angéliques dont on ignore toujours le sexe (querelle byzantine dit-on souvent chez les vulgarisateurs malveillants)
• Un clergé caparaçonné de lourdes dorures, alors là tout à fait comme chez les Russes, visiblement et indubitablement « orthodoxes ». Tout de même, renoncer à de tels ornements !? Non ça c’est trop difficile, on a beau être des démocrates, et modestes, [démocrates populaires ?] et bientôt communier dans des pots en grès du jus de raisin bio, faut ce qui faut pour être respecté ! Et le prestige de l’uniforme ? Hein ? Et puis l’habit fait tout de même le moine, si, si ! etc.). Mais à voir ces impériales vêtures dans un tel contexte si volontairement moderne semble du coup passablement anachronique, jusqu’à paraître – excusez l’irrévérence – quasiment « déguisé »…quoique... il faille bien les costumes avec le décor…mais justement le décor…
• Cependant tout semble y être : signes de croix et gestes de bénédictions, en grand nombre comme chez les Orthodoxes, mais ébauchés mollement, pour faire comme si on avait une longue (mais triste) habitude ? La tradition peut-être ? Ou alors parce que ce n’est pas si important sans doute, comme l’iconostase ? Il est vrai qu’être ritualiste est un grave défaut pour ne pas dire un péché mortel, Ben oui ! On est en France moderne non ? Soyons locaux !


Toutes ces merveilles présentées, commentées et célébrées dans la plus pure tradition russe c’est à dire systématiquement en roulant les R ou à défaut en les grasseyant si vous ne savez pas ou plus le faire, avec un accent soigneusement cultivé (comme nos stars Jane Birkin ou Elvire Popesco pour les plus anciens) qui peu ou prou semble avoir les caractéristiques d’un pays « de l’est » ou d’Europe centrale, slavisant quoi (l’accent flamand fait d'ailleurs très bien l'affaire) ! Et le tour est joué ! On a la touche exotique indispensable qui complète la scène en confirmant l’estampille « authentique ». Emballé c’est pesé, les autres n’en auront pas un comme ça…Personnalisé, local vous dis-je.

Mais la raillerie me fatigue et je quitterai ici ce ton.

Je n’ai guère d’efforts à faire en revanche pour imaginer ce qui pourrait bien aller avec ce décor et ces costumes comme pratique de la scène ecclésiale sans préjuger de la réalité de la prière de chacun dans laquelle je ne m’immiscerai à aucun prix n’ayant là rien à dire.
Mais je suis obligé, pour ce qui est de la Communauté, de l’Eglise dite locale, de constater avec amertume que ce que j’avais vu venir depuis quelques années est maintenant là.
On en vient tout simplement à faire du même avec du différent, c’est la force de ce que je nommerai « l’Occident » faute de mieux, c’est à dire la civilisation du consumérisme où tout le monde pense être différent en achetant des marchandises personnalisées et où il importe de valoriser sa différence pourvu qu’elle soit dans le cadre et dans la case prévus par la machine totalitaire molle, démocratique représentative, écologiste, consensuelle, oecuméniste, droit-de-l’hommiste, humanitariste, etc. blabla moderniste quoi.

J’aurais pourtant désiré de tout mon cœur que l’Orthodoxie soit préservée, comme lieu et voie, de cette contamination. Non pas certes pour en faire un objet de musée.
Encore que ce soit une accusation drôlement gonflée de la part de modernistes qui pour le coup ont réellement relégué dans les musées dits d’art sacré des objets rituels qui n’étaient en rien destinés à la contemplation passéiste. Et c’est ce qui pend au nez de l’Orthodoxie, après le musée des Arts Premiers qui transforme en collection d’objets d’art du passé des éléments de pratique, de rituels sacrés d’autres peuples, et qui leur fait croire qu’ayant obtenu le statut enviable d’artistes, ils sont enfin reconnus et considérés comme égaux aux occidentaux tout en étant simplement différents. Mais ce qu’ils ne perçoivent malheureusement pas c’est que c’est au prix de la mort de leur culture, au mépris de la spécificité de leur rapport à la vie, au monde, à la nature, de leur pensée, de leur mode d’être, de leur relation unique au sacré. Mais personne ne s’en émeut, tout le monde s’en félicite au contraire (Halte au racisme !) et tout le monde se précipite en masse compacte pour assister au spectacle résultat du meurtre accompli, parfait, et visiter les morts enfermés dans de belles vitrines à la fois « authentiques » et modernes. Splendide enterrement ! Terrible écrasement ! Funeste aveuglement !

Il faut rappeler ici que tout va ensemble et que le même sempiternel commentateur qui monopolise la communication orthodoxe depuis si longtemps en soignant son image exotique a toujours eu le souci de faire accéder la vocation d’hagiographe au statut - bien supérieur comme chacun le sait - d’artiste. Il représente bien la tendance et le projet d’offrir un extérieur « différent » tout en travaillant à l’intérieur à la reproduction du même. Sans doute - à sa décharge - croit-il bien faire comme tous les autres. Il n’empêche que c’est cette attitude qui transforme la tradition en chose morte et non pas les affreux ritualistes qui veulent la maintenir en vie coûte que coûte. On ne sait pas ce qu’on dit avec ce discours « la tradition ne doit pas être une chose morte du passé ». Soyons clair, cette tradition certes inspirée par l’Esprit Saint tout au long de son élaboration, de son développement et dans la diversité de ses styles est aussi le fruit du travail des hommes. L’Art liturgique existe bien et non pas en tant que production esthétique dont il faudrait reconnaître la valeur à l’égal des autres mais il existe au sens premier de technique. Oui il s’agit de prendre la technique au sérieux. Tous doivent la prendre au sérieux, du fidèle au célébrant en passant par le choriste, il s’agit de savoir comment il faut faire, de travailler sa voix par exemple, sérieusement, pas seulement de savoir lire des partitions, ou des neumes et encore moins de répéter approximativement, dans le désordre. C’est comme pour les vases sacrés, l’architecture, les icônes, les vêtements liturgiques etc. il s’agit d’offrir le meilleur et le plus beau de ce que les hommes peuvent offrir d’eux-mêmes à Dieu et aux hommes – surtout d’ailleurs, car Dieu n’a besoin de rien au final, mais les hommes si, et la part de Dieu dans les hommes si. Si l’on s’en occupe de quelque manière c’est que la nature nous a gratifié de quelque don et que nous allons les mettre en œuvre en les travaillant sérieusement car il s’agit chez les Orthodoxes de donner aux hommes sur la terre le goût du Ciel pour les préparer à recevoir la Bienveillance divine et à célébrer la Gloire de Dieu. Foin du style négligé donc, du non finito, de l’à peu près, de l’incohérent. D’ailleurs il est très étonnant qu’après tout le travail de réflexion fondamentale des iconographes russes ( !) du siècle maintenant dernier sur la cohérence des styles architecturaux, musicaux, iconographiques on en fasse aussi peu de cas dans ce que l’on peut voir et entendre ici ou là chez les « locaux ».

L’Eglise catholique qui ne manque pas de musées du plus petit au plus grand, a perdu tout sens du sacré depuis longtemps avec son prétendu incontournable aggiornamento, et pas mal de fidèles par le fait, ne s’en est-on point aperçu chez les « orthodoxes locaux » ? L’air de l’extérieur, celui du monde (moderne ou pas) bien sûr, a contribué efficacement à vider les églises. Benoît XVI, dont les qualités intellectuelles impressionnent tout le monde, et qui a une vision claire de la situation, tente de réintroduire quelque tenue dans les lieux de culte et voudrait que ses prêtres deviennent maintenant « des spécialistes, des professionnels du spirituel » ( il faudrait consacrer toute une discussion à cette conception du sacerdoce). Et voilà que les Orthodoxes se proclamant locaux veulent commettre la même erreur que le Saint Père essaye de rectifier avec beaucoup de diplomatie ? Veulent-ils vider les églises eux aussi ? Quelle sorte de club essayent-ils de créer ?
J’ai toujours eu une sainte horreur des clubs, dès que je sens qu’on essaye de me coincer dans un groupe, dans une troupe, je prends mes distances et je retourne chez moi avant d’aller voir ailleurs et je ne suis pas sûr d’être le seul à avoir cette réaction…mais mon doux Seigneur qui pourvoit à tout m’a préservé de toute colère – personnelle - et m’a déjà déplacé.
Puisse mon message avoir quelque écho auprès d’autres frères et sœurs et servir la cause de l’Orthodoxie qui m’a trouvé alors que je la cherchais sans le savoir. Gloire à Dieu !


PS : Pourquoi ceux qui sont attachés à la vraie tradition russe à tout prix ne rejoignent-ils pas ce groupe ex ERHF rallié au PM et au statut particulier qui leur a été promis ?
Ils pourraient bénéficier encore d’une distance qui leur permettrait de ne pas être assimilés au Patriarcat ex rouge tout en y étant…
Quant aux autres, ceux qui veulent vraiment une église locale « locale », ils feraient bien de soulever leur nez de dessus leur soupe pour voir ce qu’ils sont en train de faire ou bien alors qu’ils rejoignent l’église romaine et qu’ils fassent comme on dit chez les Trotskistes (pour rester russe) de l’ « entrisme » pour transformer la grosse mole romaine en église orthodoxe (bon courage alors !)

Ou bien qu’ils rejoignent le patriarcat d’occident sans rechigner ! Aïe, c’est vrai qu’il y a eu depuis quelque temps quelque modification : il paraît que cela n’existe plus… Sinon j’ai une adresse : l’Eglise catholique russe de la Ste Trinité 39, rue François-Gérard, dans le 16°, cela existe toujours non ?
Qu’à cela ne tienne après tout Dieu reconnaîtra les siens ! Et puisque toutes les confessions se valent pourquoi faire semblant d’être russe quand on ne l’est plus ou pas, et pourquoi ne pas (re)devenir catho ou protestant je vous le demande. A moins que ce ne soit seulement pour affirmer sa « différence » ?... C'est si important !
Makcim
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Puisque Tanios a cité ce livre, je voudrais le présenter aux participants du Forum :

Bernard Le Caro, “Saint Jean de Changaï” collection “Grands Spirituels orthodoxes du XXème siècle”, Éditions de l’Âge d’homme, © 2006.

Cetouvrage nous retrace la vie de l’un des hommesz les plus extraordinaires de l’Église orthodoxe de notre temps, saint Jean Maximovitch. Saint Jean Maximovitch était né en 1896 près de Kharkov dans la Russie du Sud, ce qui est maintenant la partie orientale de la jeune République uktainienne. Il était le parent éloigné d’un premier saint Jean Maximovitch († en 1715), qui fut nommé en 1712 métropolite de Sibérie. C’est sous son épiscopat que fut créée la mission orthodoxe en Chine.

Aorès axoir quitté la Russie le futur saint Jean Maximovitch s’installa en Yougoslavie en 1921. Il y fut tonsuré lecteur, puis fait moine en 1926 sous le nom de son saint ancêtre, puis reçut la prêtrise. C’est à cette éopque qu’il rédigea deux traités théologiques, l’un sur “La vénération orthodoxe de la Très-Sainte Mère de Dieu”, l’autre concernant les erreurs “sophiologiques” du père Serge Boulgakoff. Voici ce qu’il écrit dans le premier :
Sachant que seuls sont agréables (à la Mère de Dieu) ces louanges qui conviennent à sa véritable gloire, les saints Pères et les hymnographes lui demandèrent, ainsi qu’à son Fils de leur donner la raison pour savoir comment la chanter : Entoure mon esprit d’un rempart, ô mon Christ, car j’ose célébrer ta pure Mère (Ikos de la Fête de la Dormition
Pour cette raison il qualifiera le dogme romain de “l’Immaculée Conception” de “zèle mal éclairé” (expression empruntée à Romains 10:2).

Pour ce qui est de l’archiprêtre Boulgakoff, il appartenait à cette partie de l’intelligentsia russe qui, après avoi erré loin de la foi, était revenue à l’Église. Saint Jean écrira plus tard :
Ce phénomène réjouissant eut également son côté négatif. Nombre de ceux qui revinrent à la foi n’acceptèrent pas celle-ci dand la plénitude de la doctrine orthodoxe. L’esprit humain orgueilleux ne pouvait admettre avoir cheminé sur la voie de l’erreur jusqu’à maintenant. On fit des tentatives pour concilier la doctrine chrétienne avec les anciennes opinions et idées des convertis. C’est pourquoi se manifestèrent toutes sortes de courants philosophiques, souvent totalement étrangers à l’enseignement de l’Église.
De 1927 à 1934 le hiéromoine Jean enseigna dans le sud de la Yougoslavie, au séminaire de Bitolj (aujourd’hui en Macédoine). Le diocèse de Bitolj était alors dirigé par saint Nicolas Vélimirovitcj, et le père Justin Popovitch y enseignait également. Saint Jean laissera à ses élèves un grand souvenir.

En 1934 le métropolite Antoine (Khrapovitsky) et le Synode de l’Église Russe à l’étranger, qui résidait en Yougoslavie à la métropole de Karlovats, élirent Jean Maximovitch évêque de Changhaï en Chine, où vivait une importante colonie russe.

Il vaut la peine de citer quelques mots du discours qu’il prononça lors de sa consécration :
Le Christ est venu sur terre pour rétablir l’image divine souillée par l’homme. Il est venu appeler tous les hommes à s’unir pour glorifier d’un seul cœur et d’une seule bouche leur Créateur. La tâche de chaque pasteur est d’attirer les hommes à cette unité, de les regénérer et de les sanctifier. […] En vérité c’est à l’archipasteur que s’adressent les paroles du Seigneur adressées jadis au prophète Ézéchiel : Fils d’homme, je t’ai fait guetteur pour la maison d’Israël (Ézéchiel 3:17). L’archipasteur est responsable non seulement de toutes les brebis que Dieu lui a confiées, mais aussi des pasteurs. Il devra rendre compte pour chaque pécheur qu’il n’aura pas remis en temps opportun sur le droit chemin, pour chaque homme qui cheminait sur la voie droite et s’en est détourné. Son devoir est de partager les souffrances de ses ouailles et ainsi de les guérir, à l’exemple du Pasteur Suprême, le Christ, par les souffrances duquel nous sommes guéris (Isaïe 58,5)
Et tout un discours dans lequel il décrit magnifiquement l’image de l’Évêque orthodoxe.

Ce que fut son ministère à Changaï représente une longue page de l’histoire de l’Église, que nous retrace le livre de Bernard Le Caro. Je ne peux qu’inviter les lecteurs de ce Forum à découvrir ce récit extraordinaire, où se mêlent les combats, les périls, les exploits de saint Jean, les embuches qu’on lui tendit mais aussi les miracles qu’il accomplit en grand nombre.

En 1948 les Russes réfugiés dans le nord de la Chine, qui étaient eux aussi nombreux, en Mandchourie autour de Moukden, durent fuire devant l’arrivée des communistes. De nombreux réfugiés vinrent donc en Chine du sud. En 1949 les uns et les autres durent fuir à leur tour. La plupart se retrouvèrent aux Philippines, dans de misérables camps de réfugiés. Saint Jean partit avec les derniers. Bernard Le Caro nous décrit alors ce qu’on peut savoir et raconter de ce qu’était la vie dans les camps de réfugiés, et ce qu’y fut le ministère de saint Jean dans des conditions si difficiles Il put aller aux États-Unis pour y intervenir en faveur de ses ouailles. La plupart furent rapatriés aux États-Unis où ils purent purent s’établir à San Francisco. C’est alors que le Synode de l’Église russe hors frontières le nomma à Bruxelles comme archevêque d’Europe occidentale.

Cette période de la vie de saint Jean Maximovitch nous concerne plus directement. Elle fut malheureusement trop courte, mais elle fut d’une très grande importance pour le développement de l’Orthodoxie dans nos pays. Ici encore ce livre nous dit tout ce qu’on peut en savoir et en raconter. Il n’oublie pas de marquer sa réserve à l’égard de ce qu’il faut bien considérer comme une imprudence de l’archevêque Jean à l’égard d’une tentative quelque peu légère de pseudo-“rite occidental”.

En 1962 saint Jean fut nommé par le synode de l’ERHF archevêque de San Francisco, dont la communauté était alors très divisée. Mgr Jean y retrouva ses anciens fidèles de Changhaï, mais dut faire face à une situation très difficile. Il est difficile là aussi de résumer tout ce que nous en dit ce livre, sur la base de nombreux témoignages. Là encore saint Jean dut affronter de nombreuses difficultés et accomplir de nombreux miracles.

Le 2 juillet 1964, comme le Seigneur le lui avait révélé quelque temps auparavant, saint Jean s’éteignit lors d’un voyage à Seattle. En 1993 le Synode de l’ERHF procéda à sa glorification officielle. Le tombeau fut ouvert, on constata que son corps restait incorrompu.

Bernard Le Caro nous livre là le fruit d’un travail très long et très difficile. Il en donne une synthèse claire et accessible, et relate de nombreux miracles, qui eurent lieu récemment et près de nous. Je ne peux que recommander la lecture de livre, qui vient de paraître et qui a été le fruit de longues recherches.
Jean-Louis Palierne
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Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Concernant la “diatribe” de Nikita Struve contre l’Église orthodoxe russe hors frontières (disons l’ERHF) elle soulève au moins un point exact c’est celui de sa canonicité. L’ERHF a été fondée dans l’émigration dans une ville du Royaume de Yougoslavie d’alors, Karlovats, mais elle prétend que sa canonicité vient d’un Ukaz du patriarche Tkhon de Moscou qui, dans les derniers instants de liberté dont il jouissait après la prise du pouvoir par les bolcheviks, avait autorisé la création éventuelle d’une autorité ecclésiastique provisoire dans l’Église russe, dans la cas où les communications seraient coupées avec le patriarcat (on était aux tout débuts de la guerre civile Blancs/Rouges). Mais cet Ukaz, comme tout acte de discipline canonique n’avait de validité que sur le territoire de l’Église russe. Une Haute Autorité ecclésiastique fut ainsi formée, puis dut quitter la Crimée et les évêques se dispersèrent dans l’émigration.

Agissant selon le précédent canonique de Chypre (qui est cité dans le recueil canonique de l’Église orthodoxe) le patriarche serbe convoqua les évêques russes de l’émigration à Karlovats (qui avait été une métropole autocéphale au sein de l’empire austro-hongrois). Ils auraient et pu et dû y constituer une métropole à la fois serbe (donc locale) et russe en exil. L’ERHF prétend que c’est là qu’elle a été fondée en tant que morceau libre de l’Église russe (donc locale-délocalisée), en continuité avec la Haute Autorité précédente, et elle a fondé des Églises et institué des évêques par toute la terre. Quelle Église locale présidait alors par exemple le métropolite Antoine (Khrapovitsky) ? en fait il présidait canoniquement la métropole de Karlovats, en raison de l’hospitalité fraternelle de l’Église serbe. Il me semble donc que Nikita Struve a parfaitement raison d’écrire : « elle ne possède pas en elle-même de source pour ses élections épiscopales, et ce qu’elle était ne se justifie plus. »

Je crois d’autre part que les reproches qu’il fait à la non-créativité de l’ERHF sont parfaitement justifiés. Si elle sauvegardé l’honneur de l’Orthodoxie en polémiquant contre l’œcuménisme rampant de la plupart des Églises orthodoxe à une époque pas si lointaine, je ne crois pas que l’on puisse mettre à son actif la personnalité exceptionnelle de saint Jean Maximovitch, qui fut bien mal compris par ses pairs et souvent même secrètement attaqué. D’autre part l’ERHF s’est mise dans la situation ridicule d’avoir prononcé contre le patriarcat de Moscou “reconstitué” en 1943 par l’URSS sous le patriarche Serge des “anathèmes” solennels (les anathèmes sont en principe le privilège des Conciles œcuméniques) en déclarant que ce patriarcat était “dépourvu de la Grâce”, pour finalement ouvrir avec lui des discussions de réintégration.

On doit néanmoins constater que l’ERHF exerce une influence spirituelle et intellectuelle considérable sur l’Église patriarcale russe, influence qui ne doit rien à son importance numérique, mais au fait qu’elle a sû préserver les traditions du passé. Malheureusement elle n’a pas su conserver grand chose de plus, et en particulier pas la vision missionnaire de saint Jean Maximovitch. Et quand Tanios écrit qu’il y a vu d’autres saints, je voudrais bien qu’il m’en donne la liste.

Je demande pardon à Giorgos, l’évêque d’Argentine récemment décédé était l’exception, et re-pardon parce que j’ai déjà oublié son nom.

Tanios, croire que l’Église de la rue Daru n’était qu’“une église russe qui se réunirait au Patriarcat de Moscou dès que les conditions le permettraient...” était ignorer les profondes divisions de l’Église russe dans l’émigration parisienne. Certes il y a une certaine partie de l’émigration russe qui reste très attachée à ce passé. Mais elle a fondu comme neige au soleil. Dans les meilleurs milieux de la société française, souvent dans les couches les plus élevées on trouve un certain nombre de descendants de Russes, portant parfois de très grands noms de l’histoire et de la pensée russe, et qui jurent que ce passé leur est devenu totalement étranger (ce n’est pas toujours vraiment totalement le cas). Mais ceux qui s’y intéressent encore sont devenus ultra-rarissimes et n’ont pas de temps à conxacrer à l’Église. La russité de la rue Daru est maintenant exclusivement assurée par un groupe qui s’inspire des idées du modernisme russe d’avant 1917 (Boulgakov n’étant que le nom le plus connu parmi d’autres). Ce groupe, qui longtemps n’était qu’une partie minoritaire de la rue Daru, y a récemment pris complètement le pouvoir à la faveur de l’émotion créée par la tentative de main mise du patriarcat de Moscou.

Toujours inspirés par l’idée que l’Église orthodoxe doit dépasser son passé et son conservatisme pour être plus présente au monde moderne, ils utilisent la conception orthodoxe de l’Église locale dans un sens bien différent de celui que lui donne l’ecclésiologie orthodoxe. Or rien n’est moins local que cette Église.

Une Église locale est une Église mandatée et consacrée par l’Église universelle, répandue par tout l’univers, c’est-à-dire que son évêque est ordonné par le synode provincial dont il est membre et auquel il participe. Elle repose sur la plénitude du rôle de l’Archi-pasteur, pour reprendre le mot de saint Jean Maximovitch. Elle proclame et diffuse la plénitude de la Tradition apostolique et patristique.

Or l’Archevêché des paroisses russes d’Europpe occidentale ne fait partie d’aucun synode d’évêques orthodoxe. Son archevêque a été élu par le Synode du patriarcat de Constantinople (composé d’évêques non-résidents) à le demande de l’Assemblée générale du clergé et des fidèles du diocèse (et non pas élu par eux, comme on le dit généralement) mais ne participe pas lui-même à ce synode. Le patriarcat de Constantinople se prétend “supra-international”, pensant donc échapper au reproche d’ethno-phylétisme, mais il conforte ainsi une communauté qui se veut “russe”. L’Archevêque a plusieurs évêques auxiliaires, mais la réalité du pouvoir appartient à un Conseil diocésain clérico-laïque. La plupart des dirigeants du clergé sont d’origine russe et de formation orthodoxe, mais plus de la moitié des prêtres sont des indigènes formés ailleurs que dans l’Orthodoxie.

C’est qu’en réalité l’Institut de théologie saint-Serge n’a pas été fondé pour former du clergé pour les Églises locales d’Europe occidentale, mais dans le but de former un clergé pour l’Église russe le jour où, renaissant de ses cendres, elle se tournerait vers ce clergé pour assurer sa nécessaire modernisation.

Or l'Église russe a bien ressurgi de ses cendres après la chute du communisme, elle s'est considérablement développée, mais n'a ressenti aucun besoin de faire appel aux modernistes d'Occident, tout au contraire elle a renoué, sous la pression de son peuple vers le conservatisme le plus radical. Elle a ignoré les décisions du Concile moderniste de 1917 (sans le dire explicitement) et a renoué avec l'ERHF (sous la pression de Putin). Les modernistes y voient la menace d'une régression à l'ère glaciaire. D'où la protestation de Nikita Struve.

En effet l’Église locale, telle que la conçoivent les théologiens de l’École de Paris n’est pas une Église s’efforçant de faire connaître les richesses de l’Orthodoxie aux peuples d’Europe désertant les Églises d’Occident, c’est une Église assimilant les richesses de l’esprit occidental, son scientisme, son réalisme, son sens critique, son goût de l’acrion sociale etc pour proposer cet esprit à l’Église-Mère de Russie afin de la rénover. Une telle Église locale dépasserait les blocages de l’ancienne Église russe et ptoposerait en exemple la vie de solides communautés. C’est cela son espoir de créativité.

L’Église russe en Europe occidentale se préoccupe très peu de la faiblesse de ses liens avec l’Église orthodoxe universelle. Elle s’en préoccupe d’autant moins que les Églises ethniques sont en quelque sorte intimidées, tétanisées par le prestige de cette Église russe, digne d’occuper une place éminente dans le monde moderne. D’ailleurs ces Églises ethniques laissent le champ libre aux brillants intellectuels de l’Église russe. « Vous êtes français ? Allez voir chez les Russes !» (J’ai entendu ces mots dans la bouche d’un évêque balkanique).

Le paradoxe est que l’Église russe moderniste, celle dont Makcim nous décrit les cérémonies, non seulement a adopté, au moins sur le papier, les façons de penser et les comportements des cathos de gauche, qui jusque à la mort de Jean-Paul II régnaient sur l’Église de France, mais ont appauvri considérablement sa vie spirituelle, mais qu’ils prétendent imposer ces façons de penser et ces comportements à des occidentaux ex-catholiques, quelquefois depuis fort longtemps, précisément parce qu’ils sont écœurés par cette perte du sens du sacré. Les modernistes leur re-proposent ce qu’ils viennent de rejeter.

Il ne faut cependant pas se laisser abuser par le triomphalisme apparent des modernistes orthodoxes. De nombreux indigènes entrent peu à peu dans les communautés orthodoxes, tentent d’organiser une vie cultuelle régulière, et écoutent fort peu les porte-paroles vieillissants du modernisme orthodoxe. Ils lisent, ils étudient, ils réfléchissent, ils prient, ils vont visiter les moines. Il se fabrique bien réellement une Église orthodoxe locale. Elle monte tout doucement, sans faire d’éclat et sans qu’on la remarque.
Jean-Louis Palierne
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tanios
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Message par tanios »

Les saints de l'ERHF auxquels je faisais allusion dans mon post précédent sont des personnes ayant consacré leur vie à leur église et qui ont essayé de vivre dans la piété; ils ne sont pas officiellement saints. Il y a l'évêque Alexandre d'Argentine, Antoine Khrapovitsky et bien d'autres (Seraphim Rose
...). J'ai tendance à considére que les clercs ayant essayé d'être fidèles à l'orthodoxie dans sa version russe ont au moins commencé le chemin qui mène vers la sainteté ...C'est peut-etre insuffisant.
Cela dit bien que les divisions et disputes font partie de l'histoire des églises elles sont toujours scandaleuses quand elles viennent de la part de personnes ayant une certaine connaissance même si elle est livresque.
J'espère que ce conflit entre juridictions russes trouvera vite une solution et que l'église locale , elle se construit malgré tout suivant la remarque très encourageante pour l'avenir de Jean Louis Palierne.
Ensuite le fait que l'ERHF soit "conservateur" est sa qualité ...la réunification avec le Patriarcat de Moscou permettra davantage de créativité dans la Tradition.
T.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Avant tout ce qui reste à l’honneur de l’ERHF, c’est d’avoir sauvé l’honneur de l’Orthodoxie au moment où la vague du modernisme semblait devoir tout submerger — avec l’appui des écuménistes.Ils ont polemiqué et ils y ont acquis une autorité morale qui est encore sensible, jusque sur l’Église russe en Russie. Très bien.

Les réserves que l’on peut faire appartiennent au passé. Je persiste à penser que saint Jean Maximovitch (dont la réputation de sainteté a franchi toutes les barrières juridictionnelles) et le père Séraphim Rose ne sont pas représentatifs de l’ERHF.

Quant il s’agit de l’Église, le mot “conservateur” n’est pas un reproche s’il s’agit de la préservation de la foi apostolique et patristique. Mais l’ERHF conservait aussi d’autres éléments plus discutables, et par exemple elle n’a jamais tenté de critiquer le Concile de 1917.
Jean-Louis Palierne
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Gueorguy
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Re: Le sort des juridictions russes en Occident

Message par Gueorguy »

[quote="Jean-Louis Palierne"]...à la lumière des événements récemment survenus en Grande-Bretagne : le diocèse de Sourozh du patriarcat de Moscou (fondé jadis par mgr Antoine (Bloom) mort il y a trois ans) est passé, sous la direction de mgr Basile (Osborn) dans l’Exarchat des paroisses russes du patriarcat de Constantinople...[/quote]
En dehors des quelques réflexions intelligentes lues ici, je voudrais signaler une erreur.

Ce n'est pas le diocèse de Souroge qui est passé dans l'exarchat (celui-ci existe et est administré provisoirement par Mgr INNOCENT) mais Mgr Basile qui a abandonné ce diocèse pour créer un diocèse dissident qu'il obtenu de placer dans l'exarchat - dit de tradition russe- de Constantinople.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Au lecteur Claude : vous évoquez les versions anglaises et russes de l’allocution de Bernard le Caro, pouvez vous donner les adresses web, merci d’avance.

Merci à Jean Louis Palierne pour sa traduction du texte de Nikita Struve. Par contre la lecture m’en laisse perplexe. L’ERHF a-t-elle vraiment été seule à critiquer la sophiologie de Boulgakov ? Tout se passe dans cette humeur comme s’il s’agissait d’un conflit de tendances entre écoles de théologie alors que, si l’ERHF s’est séparée de Moscou, c’est à cause du serment de fidélité aux autorités communistes et de l’infiltration systématique du clergé russe par les services secrets successifs en vue de faire éclater l’Eglise de l’intérieur même si, comme l’a montré magnifiquement Vladimir Volkoff dans son roman Le trêtre, de faux prêtres infiltrés pouvaient fort bien finir en vrais martyrs. On peut reprocher à l’ERHF de s’être constituée sur un mode diasporique au mépris des canons de localité de l’Eglise mais il faut remettre la chose dans son contexte, celui d’exilés récents qui, comme très souvent les exilés politiques, espéraient rentrer au pays dans les deux ou trois ans à venir. Comme souvent aussi, le provisoire a duré. Ce fut trois générations, légère erreur de calcul. Je trouve pour ma part remarquable que, fidèle à son discours d’origine, l’ERHF cherche et accepte avec humilité la réunification avec le PM. Struve oublie aussi que, dans sa renaissance magnifique et inespérée, l’Eglise de Russie est partie d’un état lamentable et dut tout reconstruire, le chant, l’iconographie, la théologie même, la catéchèse basique de son peuple, retrouver des ressources humaines et matérielles. Elle a cherché les éléments de cette reconstruction ailleurs qu’à Saint-Serge. Si quelqu’un doit s’en mordre les doigts, c’est la direction de Saint-Serge du début des années 90 qui n’a pas su rétablir le lien mais personne n’a le droit depuis le cocon douillet de l’intelligentsia parisienne d’en accuser les fidèles et le clergé de Russie. Certains sont venus en France. Je pense en particulier à un iconographe de grand talent et à son fils architecte qui a travaillé à la reconstruction d’églises détruites ou sécularisées ; s’ils ont fait deux ou trois courts séjours en France, c’est qu’une iconographe française a pris l’initiative de se rendre d’abord à Moscou dans les débuts de l’ère Eltsine et de se mettre à leur écoute. Quand je les ai rencontrés vers 90 ou 91 (je n’ai pas la mémoire des dates, un comble pour une historienne), ils étaient très demandeurs d’ouvrages de théologie et d’ouvrages patristiques car la littérature ecclésiale avait été saccagée par le régime. Nikita Struve et ses amis avaient leurs chances avec cette soif de nourriture spirituelle.
Cela dit, le statut d’autonomie que le PM est prêt à accorder à l’ERHF renforce encore la conception diasporique de l’ecclésiologie et l’ethnophylétisme galopant de la sainte Russie en voie de reconstruction puisqu’il s’agit d’une structure russe déployée dans le monde entier. On rejoint par là la kyrielle de conflits et d’initiatives malheureuses qui secouent le monde orthodoxe en occident depuis quelque temps et dont l’affaire du diocèse de Souroge n’est que le dernier avatar. Le PM tient à regrouper sous son aile tous les poussins russes égarés (?), se désintéresse explicitement des convertis et renie les canons antiques sur le caractère local de l’Eglise, cela dans une symphonie (?) avec le chef de l’Etat qui ne manque pas d’avoir des conséquences ambiguës, en particulier quant à la perception de l’orthodoxie par les autorités civiles des pays occidentaux. Ce déni de la canonicité traditionnelle, dont nous avons souvent parlé ici, pose un vrai problème et la rivalité systématique entre Moscou et Constantinople sur fond de rupture, dans les deux camps, avec les canons antiques, rivalité dont on peut par ailleurs analyser les racines historiques est source de souffrance pour toute l’Eglise.

Makcim, votre diatribe contre les « orthodoxes locaux » m’a fait très mal. Je pourrais considérer qu’elle concerne les autres puisque je relève du patriarcat de Serbie et non de l’Exarchat mais votre description s’applique à toutes les paroisses francophones ou semi-francophones et même à quelques autres et la « demoiselle Lelonbec », selon votre gentille formule, que j’ai été et que j’espère redevenir vous remercie vivement de reconnaître que c’est de tout notre cœur que nous nous efforçons de servir la liturgie. Ah bien sûr, il n’y a plus de chantres professionnels et de basses russes profondes capables d’interpréter Boris Godounov – encore que vous seriez sans doute étonné d’apprendre le nombre de chanteurs et de musiciens professionnels, en activité ou non, dans ces « chorales amatrices » que vous méprisez tant et qui existent aussi dans les paroisses du PM en France – mais que voulez vous, la diaspora russe n’a pas de quoi les payer, celle des autres patriarcats non plus et Constantinople a suffisamment à faire pour survivre en terre hostile. Je connais une partie des chantres femelles de la crypte de Daru (pour rester dans l’Exarchat) et d’autres lieux et je peux vous dire qu’elles travaillent leur voix avec le sérieux requis mais, évidemment, après leurs heures de bureau et tout en assumant leur vie de famille. Prendre sur ses loisirs pour apprendre à louer Dieu et servir la prière liturgique, est-ce si méprisable ?
Est-ce notre faute si, dans l’Eglise en France aujourd’hui, il y a moins d’hommes que de femmes ?
J’ai vu aussi des paroissien(ne)s faire le signe de croix (?) si vite et si mou qu’on a l’impression qu’ils agitent une salière. Ce n’était pas forcément des convertis ni des descendants d’émigrés assimilés. Alors...
Outre la question canonique, la construction de l’Eglise locale pose des milliers de petits problèmes qui, si on ne les traite que par le mépris, risquent d’amener des déviances autrement plus graves et les souffrances associées. Il y a les problèmes de traduction qu’évoque souvent Jean Louis Palierne, il y a les problèmes de chant car la langue française n’est pas accentuée comme le grec ou le russe* et cela pose des difficultés aussi bien pour rythmer la psaltique en gardant le sens de la phrase que pour la tétraphonie, il y a aussi les difficultés de gestuelle. Pour ma part, je ne suis pas très à l’aise avec la petite métanie une main à terre, je sais que je la fais sans grâce avec l'impression de singer les gorilles (oui, oui, c'est conscient, la singerie...) et je dois vous avouer que je ne la pratique que pour ne pas choquer mes frères immigrés. Est-ce à dire qu’il n’y avait pas de petite métanie en occident ? Si, on en a des témoignages dans les vies de saints de l’antiquité tardive mais les mains restaient collées au corps**. L’iconostase et le jubé ont la même origine temporelle mais ont évolué à l’inverse l’un de l’autre. Si je pousse à l’extrême, le risque lié à l’iconostase, c’est l’inutilité du peuple dans la liturgie ; le risque lié à la disparition du jubé, c’est l’inutilité du clergé et ce n’est pas un hasard si le jubé a disparu au moment de la Réforme.
En tout cas, moi qui suis née native de Chalon sur Saône avec des ancêtres aux quatre coins de l’hexagone et même quelques macaronis mais pas de Russes, excusez mon outrecuidance, je ne vois pas pourquoi, pour être sauvée, je devrais en plus de la liturgie et de la théologie apprendre le slavon (le vieux slavon de Marseille, peut-être ?), le cyrillique, l’usage du samovar et autres. C’est pour le coup que ce serait exotique ! Encore plus qu’une église en bois puisqu’il en existait au nord de la Loire encore au XIVe siècle et que les clochers savoyards sont en forme d’oignon comme ceux de la sainte Russie.
Mais votre conclusion me ramène à ma terreur constante, celle qui me mord le ventre quand je vois l’ethnophylétisme russe s’accommoder si bien de l’œcuménisme et confondre Eglise locale et Eglise culturelle, celle de m’entendre dire un jour : « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas slave. Retourne à l’Eglise romaine. » Ne vous récriez pas. Récemment, un homme en quête d’orthodoxie a entendu ce type de discours de la part d’un prêtre orthodoxe. Je sais bien que vous, ce sont les oecuménistes que vous voulez y renvoyer mais est-il aussi grave d’ajourer l’iconostase que de confesser le filioque ?

*Techniquement, l’accent tonique du français « neutre », celui de la radio et de la Comédie Française, se place sur la dernière syllabe du mot, anomalie linguistique s’il en est ; mais cette règle n’est plus vraie si l’on considère les accents régionaux, à commencer par celui de Ménilmuche.

** cela se démontre par le choix des verbes latins mais il y faudrait un ouvrage entier.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Chers amis,

Une découverte fortuite sur Internet me conduit à l'impression qu'un vent mauvais se lève pour nous et que nous allons être bientôt confrontés à une tentative pour embrigader ce forum dans un combat douteux. Il y a des gens qui ne disent du bien des autres que lorsqu'ils veulent les utiliser; nous avons l'habitude de les voir venir.

Par conséquent, soyons très prudents pour parler de sujets qui ne nous concernent pas et pour lesquels nous n'avons pas de compétence particulière et souvenons-nous qu'il existe un forum de discussion entièrement consacré à ces questions. J'en ai déjà donné l'adresse et je la redonne: http://fr.groups.yahoo.com/group/orthod ... t/messages . Les lecteurs intéressés pourront y rencontrer des personnes concernées par le sujet et qui le connaissent véritablement. Nous n'avons aucun lien et aucune relation avec cet autre forum, mais il me semble qu'il est de règle de toujours envoyer les gens chez les spécialistes plutôt que chez les amateurs. N'ayant aucune vocation à décider à la place des Russes vivant parmi nous ce qu'ils doivent faire, je me contente de signaler l'existence d'un espace où les intéressés eux-mêmes parlent de leur avenir avec une compétence et des connaissances que nous ne saurions avoir.


En ce qui me concerne, je n'ai aucune opinion à donner sur l'appartenance diocésaine que devraient choisir les Russes vivant dans les pays francophones. Je n'ai pas les connaissances nécessaires sur le sujet et je ne veux pas m'immiscer dans les affaires des autres. Je me suis permis quelques remarques à propos des déclarations du professeur Nikita Struve traduites par M. Jean-Louis Palierne parce que je ne comprenais pas où il voulait en venir. Mais je pense que l'Eglise russe hors frontières vaut mieux que la présentation qui en a été faite.

L'Eglise russe hors frontières a eu ses faiblesses, comme tout le monde. Nous savons tous que saint Jean Maximovitch a été persécuté par une cabale d'évêques de son propre synode quand il était à San Francisco. Mon propos n'était pas de présenter l'Eglise russe hors frontières comme un synode qui n'aurait compté que des saints. Toutefois, nul ne peut nier son rôle providentiel dans la préservation du monachisme orthodoxe russe à Jordanville et à Munich et aussi dans la transmission de la foi orthodoxe dans l'environnement où les événements l'avaient transplantée. ll est vrai que ce rôle n'a pas été aussi important en Europe que dans les Amériques, et que cela déforme peut-être notre jugement.

Enfin, en ce qui concerne le hiéromoine Séraphin (Rose), j'ai lu avec le plus grand profit, en 2001, Not Of This World du hiéromoine Damascène (Christensen). C'est un livre extraordinaire, unique en son genre, qui me fut d'un grand profit spirituel. Mais le problème, c'est que je ne sais pas, dans ce livre, où est la frontière entre la description objective des événements du passé (avant la mort du hiéromoine Séraphin en 1982) et la réinterprétation a posteriori (après les événements qui conduisirent la fraternité monastique de Platina chez les paléohimérologites, puis dans le sein du patriarcat de Serbie). Je ne sais donc pas si le hiéromoine Séraphin était aussi incompris dans son Eglise que le laisse entendre le livre Not Of This World. Je me souviens que le portrait peu flatteur qu'on y fait de l'archevêque Antoine de Los Angeles, sous le pseudonyme transparent d'Artémon, m'avait semblé quelque peu exagéré. Et je note avec intérêt que M. Bernard Le Caro n'a pas retenu le livre du hiéromoine Damascène, pourtant riche en notations sur saint Jean de San Francisco, dans la bibliographie du livre qu'il a consacré à l'apôtre de Changhaï et de San Francisco.

Pour le reste, j'ai vraiment l'impression que souffle un vent fétide, ce vent qui soufflait un quart de siècle avant que je vins au monde, quand le patriarche Alexandre III (Tahan) d'Antioche dénonçait le patriarche oecuménique Athénagoras Ier comme un "agent des Etats-Unis" (cf. Robert Brenton Betts, Christians in the Arab East, Lycabettus Press, Athènes 1978, p. 146). Je constate que ce discours est de nouveau à la mode et qu'il peut procurer d'inattendues et stupéfiantes promotions. Que ceux qui croient qu'une attaque contre le Phanar seraiti une formation spirituelle méditent l'exemple d'Etienne Dušan.

Et pour ma part, que je ne perde jamais mon âme en participant à une offensive contre la τάξης, contre le patriarcat oecuménique de Constantinople et contre les trois vénérables patriarcats d'Orient!
Dernière modification par Claude le Liseur le dim. 03 sept. 2006 18:34, modifié 1 fois.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Au point où en sont les discussions sur le sort de l’Orthodoxie en Europe occidentale, il me semble qu’il est utile de se reporter à un livre qui est récemment paru, apportant enfin des lumières sur un point jusqu’à présent très peu connu, l’œuvre du Concile pan-russe de 1917. Ce Concile avait été précédé d’une longue période (15 ans !) de débats et de Commissions préparatoires. Seule la révolurion de février 1917, créant un régime démocratique en Russie (mais en pleine guerre mondiale) permit sa convocation. Il se réunit le 15(28) août, élut le patriarche Tikhon et l’intronisa le 7 (20) septembre 1918. Interrompu par la violence par les bolcheviks, le Concile termina ses travaux ce même jour.

Il n’est pas possible d’évoquer sans émotion cette page exceptionnelle de l’histoire de toute l’Église orthodoxe. Mais il n’est pas possible non plus d’éluder le devoir que nous avons de faire le tri parmi les travaux de ce Concile et les conséquences qu’il a eues pour la suite de l’histoire de l’Église. Ce Concile se concevait avant tout comme un retour à l’esprit fondateur de l’Église. Il tentait de redéfinir les formes que l’Église s’était données au cours de son histoire. Il voulait rompre avec les structures imposées par Pierre le Grand deux siècles auparavant, marquées par l’autorité d’un “Saint Synode” (malgré son nom ce Sainr Synode avait peu de choses à voir avec l’institution synodale canonique) et sa soumission au pouvoir impérial relayé par l’autorité d’un “Ober-Procureur”. Ce Concile russe pensait présenter une exemplarité universelle pour l’Église.

Nous pouvons faire connaissance avec l’histoire de ce Concile (depuis sa préparation à partir de 1901) et ses prolongements contemporains grâce à l’ouvrage que voici :

Hyacinthe Destivelle
Le concile de Moscou (1917-1918)

La création des institutions conciliaires de l’Église orthodoxe russe
Les Éditions du Cerf ©2006.

Cet ouvrage de H. D. nous présente une quantité considérable d’informations dont la plupart étaient jusqu’ici peu accessibles au public français. En cela c’est un instrument de travail incontournable, apportant une quantité impressionnante de citations, d’analyses descriptives, de parallèles historiques, de notes biographiques, de références bibliographiques… et les textes de décisions officielles adoptées par le Concile. Encore cette adoption définitive aurait-elle dû être le fait d’une séance finale conclusive qui n’a pas eu lieu, et le patriarche a été intronisé alors que les bolcheviks mataient l’insurrection de Moscou. Ici se trouve la grande difficulté qu’a dû rencontrer ce travail : Dans certains domaines des questions de grande importance n’ont pas été ou n’ont pu être tranchées par l’AG du Concile, et dans ce cas nous ne connaissons que les débats des commissions sans pouvoir préjuger de ce qu’auraient été les décisions finales, quand nous les connaissons ! car tous les débats, tous les “Actes” du Concile n’ont pas encore été publiés.

L’ouvrage est néanmoins si complet qu’il b’omet point de recenser et d’analyser les opinions contraires de divers théologiens contemporains. Mais l’auteur ne cache pas sa position personnelle très favorable à la “formile de transition” adoptée par le Concile, particulièrement pour la délimitation du pouvoir personnel de l’évêque, en particulier dans le cas du Patriarche : fallit-il l’investir à titre personnel du gouvernement suprême de l’Église russe ?. Or c’est là que je ne peux que me séparer de la position de H. D.

C’était bien un programme complet de réformes institutionnelles qui a été discuté. Or il pose de nombreux problèmes par rapport à la structure que la Tradition impose à l’Église orthodoxe. L’Église russe se définit comme un tout, et les diocèses sont présentés comme des parties du patriarcat, de même d’ailleurs que les doyennés y sont des parties des diocèses et les paroisses des parties des doyennés. Les différents emboîtages sont présentés comme homologues.

Mais pour la Tradition canonique orthodoxe seul le diocèse peut être considéré comme une Église locale, car c’est dans le diocèse (= dans l’éparchie de l’évêque) que se trouvent tous les charismes au service de la vie de l’Église ; le charisme épiscopal, le charisme des prêtres, le charisme des diacres, le charisme des moines et le charisme des laïcs. Les paroisses n’ont pas d’évêques et leurs assemblées eucharistiques se déroulent par délégation de l’évêque et les moines vivent à l’écart des paroisses ; on ne peut donc pas y rencontrer la totalité des charismes. L’assemblée eucharistique paroissiale est une assemblée incomplète. Et les doyens n’ont pas reçu le charisme épiscopal.

Mais d’autre part pour la tradition orthodoxe le diocèse, s’il est une assemblée eucharistique complète, ne se suffit pas à lui-même. Le charisme épiscopal n’est pas isolé dans un ministère qui serait accompli en toute indépendance. L’évêque doit participer à la vie du synode provincial qui l’a élu et ordonné. Cela suppose qu’il participe régulièrement à ses réunions, qu’il y rende compte de ses décisions et qu’il y débatte des questions qui concernent la communion l’Église universelle répandue par toute la terre. La vie synodale et le charisme épiscopal sont deux éléments intimement liés, et le synode provincial ne peut réunir que les “archipasteurs”, il ne peut être qu’”archihiératique” selon les mots utilisés dans diverses Églises pour désigner ces synodes épiscopaux. Dans la réunion du synode provincial auquel il appartient, chaque évêque, qui est indépendant dans la conduite de son diocèse, met son indépendance en débat, il en rend compte, sa foi est vérifiée et il peut être mis en jugement par le Synode. Le fonctionnement d'un "Conseil" autour de l'évêque ne remplace pas la vie d'un synode épiscopal

Le projet de structures ecclésiastiques qui a été adopté par le Concile pan-russe de 1917 pose fondamentalement deux problèmes : celui du caractère personnel de la responsabilité épiscopale, et l’inclusion des Église locales se trouvant en Russie dans un corps unique, “l’Église russe”, de dimension nationale et de visées universelles.

Le caractère personnel de la fonction épiscopale, jouant en toute indépendance un rôle central discrétionnaire dans son éparchie, le fait que l’évêque soit en quelque sorte “marié avec son Église‘ (et il devrait donc être indéplaçable), et qu’un synode ne puisse fonctionner sans qu’un de ses membres en assure la présidence pour parler au nom de tous, ne pouvaient être acceptés par le Concile de Moscou, en un temps où régnaient les idées de démocratie, de responsabilité partagée, de conseils de spécialistes compétents et de non-personnalisation du pouvoir et de débat à la majorité. D’où la tentative d’élaboration d’une synthèse entre la tradition canonique de l’Église orthodoxe — qui repose sur le charisme personnel, — et l’esprit collégial de l’époque : toute décision doit être délibérée sur rapport des experts, avant d’être soumise à un vote majoritaire. Ce fut l’objet de très nombreux débats. C’est la nécessaire adaptation à la modernité qui était l’objet de l’essentiel des discussion. Mais c’était l’abandon de la notion de charismes et de ministères ordonnés, au profit de la notion de gouvernement responsable devant une représentation mixte clérico-laïque. Vision peut-être séduisante pour l'esprit, mais étrangère à la Tradition canonique.

L’organisation de l’Église telle que la prévoyait le Concile de 1917 de Moscou penchait plus du côté parlementaire que du côté présidentiel. Elle sauvegardait néanmoins la possibilité de considérer l’évêque dans son éparchie et le patriarche dans l’Église russe comme un recours ultime en cas de difficultés insurmontables, avec voix prépondérante en cas de scrutin partagé et droit de véto s’il l’estimait nécessaire — et c’est ce qui permettra à l’Église russe de renaître de ses cendres après avoir traversé la plus terrible persécution de l’histoire de l’Église — mais elle ne limitait pas la tâche des instances suprêmes de l’Église à un rôle d’arbitrage ou à une vérification de la communion dans la foi, elle définissait des objectifs d’action dans l’intérêt du peuple des fidèles, action éducatrice, action caritative. L’Église se définissait une mission civilisatrice. Cherchant à justifier son existence par son action et son utilité elle se dotait d’une structure pyramidale simultanément ascendante et descendante, et elle voulait donner à ses cellules de base paroissiales un rôle essentiel dans cette action. Les évêques y assuraient une fonction de cadres intermédiaires.

Ces conceptions sont étrangères à la tradition de l’ecclésiologie orthodoxe. Le grand débat entre le rôle charismatique de la hiérarchie et la démocratie qualifiée de “conciliaire” ne s’explique que dans le cadre de la primauté accordée au “faire”. En 1917 l’Église russe plaçait un grand espoir, non seulement dans une meilleure formation du clergé paroissial, pour qu’il soit capable d’instruire et de diriger le peuple par la prédication et la confession, mais aussi dans le développement d’un monachisme “actif”, consacré aux tâches d’enseignement, d’action caritative et d’action missionnaire à l’exemple des “congrégations actives” de l’Église catholique. C’est lorsque l’Église se demande ce qu’elle doit “faire’ dans le monde, qu’elle est amenée à se poser des questions d’organisation du pouvoir. entre les évêques et le clergé, entre les différents niveaux de clergé, entre clergé et laïcs.

Cependant lorsque les Anges contemplèrent la Ntivité du Seigneur dans la chaur, ils ne s’acrièrent pas ”Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté”, comme le voudrait la pensée occidentale, pour nous inviter à œuver pour le Royaume de Dieu sur la Terre, ils se sont écriés : ”Gloire à Dieu au plus haur des cieux, Paix sur terre, Bienveillance parmi les hommes”, annonçant ainsi l’avènement de la condescendance divine. Certes au fil des siècles de l’histoire de l’Église, des hommes de Dieu ont su se montrer capables de prendre leurs responsabilités là où ils se trouvaient, mais ils n’ont pas pour autant appelé leurs frères dans la foi à transformer l’Église en un mouvement de communautés exemplaires, et les véritables Église locales sont celles qui rassemblent autour du charisme épiscopal l’ensemble des autres charismes, y compris le véritable charisme monastique.

Ce ne sont pas les “objectifs sociaux” de l’Église qui sont la cause du terrible conflit qui quatre-vingts ans durant opposa le pouvoir communiste à l’Église. Par sa nature profonde le communisme était, avant même d’être anti-capitaliste, anti-Église, fondamentalement athée. Sortie de cette persécution, l’Église russe qui a ressurgi a affiché une profonde vénération pour le Concile de 1917, mais elle n’en a pas appliqué les conceptions démocratiques. Elle s’est donnée une structure exclusivement épiscopale, mais sans restaurer une véritable vie synodale. Pas de synodes provinciaux, et d’ailleurs pas de métropoles véritables. Le titre de “métropolite” n’est plus qu’une dignité vide de tout contenu. De même ni l’Église hors-frontières ni l’Eglise orthodoxe d’Amérique (OCA) n’appliquent les décisions du Concile de 1917. Il reposait sur une fausse vision de l’Église, sur l’ambition de réformer la vie de l’Église orthodoxe en les conformant aux illusions politiques et anthropologiques d’une époque,

À présent nous constatons heureusement que les Églises orthodoxes répandues sur toute la terre s’efforcent de retrouver la Tradition canonique authentique de l’Église orthodoxe. Elles ont restauré l’évèque dans son rôle central dans l’Église locale. Elles ont du mal à rétablir le fonctionnement de la vie synodale des structures métropolitaines (provinciales). Elles n’ont pas encore entrepris de restaurer le principe de l’Église locale dans son rôle qui a été trop longtemps contesté par le principe ethno-phylétique (le Concile de 1917 ignorait même ce problème et pensait avoir une signification universelle). Les décisions du Concile de 1917 ne sont plus appliquées que dans l’Archevêché des paroisses russes de l’Europe occidentale, à cette différence près que cet Archevêché se considère comme une éparchie unique et auto-suffisante, qu’il n’y a qu’un unique Conseil diocésain et que les autres évêques ne sont que des évêques auxiliaires, donc plus de vie synodale. On laisse croire aux fidèles que l’Archevêque a été élu par leur vote et directement intronisé, cependant que l’Archevêché ne tirerait sa canonicité que d’un lien discret avec le patriarcat œcuménique.

Ce qui est le plus affligeant est qu’aux occidentaux désabusés de leurs Églises occidentales et de leurs ambition d’interventionnisme social, qui se tournent vers l’Orthodoxie pour y retrouver le sens du sacré qu’on ne peut plus trouver en Occident, la néo-orthodoxie qu’on leur offre voudrait les faire retourner vers leur passé. Car c’est bien le modèle socio-culturel occidental qu’on nous propose sous étiquette orthodoxe. Il ne s’agit donc pas de créativité théologique, il faut retrouver la Tradition de nos pères dans la foi.
Jean-Louis Palierne
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Trouvé sur le site Internet du CESNUR de Turin http://www.cesnur.org/religioni_italia/ ... sia_11.htm , un jugement sur l'Eglise russe hors frontières autrement plus pondéré que le réquisitoire du professeur Nikita Struve.

Texte italien:

La Chiesa ortodossa russa all’estero, o Chiesa russa “sinodale,” si è costituita nel 1921 a Sremski Karlovtzi, nel Regno di Yugoslavia. La necessità di un sinodo indipendente dal neocostituito regime sovietico richiesta dai vescovi ortodossi russi esuli dalle proprie sedi, è in parte il frutto del decreto del 20 novembre 1920 del patriarca Tikhon (1866-1925), che autorizzava i vescovi russi a creare organizzazioni indipendenti in caso di impossibilità di mantenere le normali relazioni con il Patriarcato. La Chiesa sinodale, che peraltro non è mai riuscita a rappresentare la totalità dell’ortodossia russa fuori frontiera, si è opposta con veemenza a qualsiasi forma di compromesso con lo Stato sovietico, separandosi nettamente dal Patriarcato di Mosca.

Dopo la Seconda guerra mondiale, il suo centro si è spostato in Germania, e quindi negli Stati Uniti. Fortemente critica del coinvolgimento dell’ortodossia nel movimento ecumenico, la Chiesa russa all’estero è entrata alla fine degli anni 1960 in una fase di progressivo isolamento dalle altre Chiese ortodosse, pur mantenendo contatti con la Chiesa serba. Tale isolamento è stato del tutto volontario, e rafforzato con consacrazioni di vescovi vecchio-calendaristi per la Grecia, la Romania e la Bulgaria, e la creazione di una rete parallela di Chiese “della resistenza”. La caduta del regime comunista in Russia non ha portato alla tanto attesa riconciliazione con la Chiesa madre, anzi l’apertura di parrocchie “sinodali” all’interno della Russia (che ne ha messo in dubbio lo statuto di Chiesa “all’estero”) è stata motivo di ulteriore conflitto.

Dalla Chiesa russa all’estero dipendono circa 150.000 fedeli, molti dei quali convertiti occidentali, alcuni dei quali passati sotto la Chiesa sinodale da altre giurisdizioni ortodosse, per obiezione a numerose attitudini moderniste all’interno di queste ultime. In Italia, alcune delle Chiese russe storiche sono transitate a varie riprese sotto la Chiesa sinodale, che oggi mantiene la sola parrocchia di Bari (un centro di pellegrinaggio di primaria importanza, tuttavia, per i fedeli russi), che deve dal 1998 condividere con una presenza della Chiesa russa patriarcale. La maggior parte degli ortodossi italiani della Chiesa Russa all’Estero è ritornata nel Patriarcato di Mosca: si è avuto un caso – legato a una famiglia di Genova – di passaggio sotto un sinodo oltranzista di Vecchi Calendaristi greci, che ha avuto più enfasi in Francia attraverso le pubblicazioni della Fraternité Orthodoxe Saint Gregorie Palamas.


La Chiesa ortodossa russa all’estero è rigidamente conservatrice in campo dottrinale e liturgico, e rifiuta innovazioni quali il nuovo calendario. Fortemente radicata nella vita di pietà ortodossa, mantiene una viva presenza monastica. Dedita fin dagli inizi alla testimonianza del martirio della Russia nell’era rivoluzionaria, ha canonizzato come martiri (spesso senza attendere l’analoga iniziativa da parte del Patriarcato di Mosca) i membri della famiglia imperiale russa e molte vittime del regime sovietico. Nelle molte difficoltà dell’esilio, la Chiesa russa all’estero ha saputo mantenere un’ammirevole fedeltà alle tradizioni ascetiche, monastiche e liturgiche della Russia ortodossa prerivoluzionaria, e il suo isolamento è stato risolto attraverso una serie di dialoghi bilaterali con il Patriarcato, che hanno portato, nel maggio 2006, al ristabilimento della piena comunione.

Ma traduction:

L'Eglise orthodoxe russe à l'étranger, ou Eglise russe "synodale", s'est constituée en 1921 à Sremski Karlovci, dans le royaume de Yougoslavie. La nécessité d'un synode inédpendant du régime soviétique nouvellement constitué ressentie par les évêques orthodoxes russes exilés de leur propre siège est en partie le fruit du décret du 20 novembre 1920 du patriarche Tikhon (1866-1925), qui autorisait les évêques russes à créer des organisations indépendantes en cas d'impossibilité de maintenir des relations normales avec le patriarcat. L'Eglise synodale, qui, du reste, n'a plus réussi à représenter la totalité de l'Orthodoxie russe hors frontières, s'est opposée avec véhémence à toute forme de compromis avec l'Etat soviétique, se séparant nettement du patriarcat de Moscou.

Après la Seconde guerre mondiale, son centre a été transféré en Allemagne, puis aux Etats-Unis. Très critique à l'égard de l'implication de l'Orthodoxie dans le mouvement oecuménique, l'Eglise russe à l'étranger est entrée à partir de la fin des années 1960 dans une phase d'isolement progressif vis-à -vis des autres Eglises orthodoxes, tout en maintenant des contacts avec l'Eglise serbe. Cet isolement a été entièrement volontaire, et a été renforcé par la consécration des évêques vieux-calendéristes pour la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie, et par la création d'un réseau parallèle d'Eglises "de la résistance". La chute du régime communiste en Russie n'a pas conduit à la réconciliation tant attendue avec l'Eglise mère. Au contraire, la fondation de paroisses "synodales" à l'intérieur de la Russie ( qui a jeté le doute sur le statut d'Eglise "à l'étranger") a été la cause de conflits ultérieurs.


De l'Eglise russe à l'étranger relèvent quelque 150'000 fidèles, dont de nombreux convertis occidentaux, certains étant passés à l'Eglise synodale en venant d'autres juridictions orthodoxes, par opposition aux nombreuses attitudes modernistes à l'intérieur de celles-ci. En Italie, certaines des églises russes historiques ont transité à diverses reprises par l'Eglise synodale, qui, à présent, n'a plus que la paroisse de Bari (au demeurant un centre de pélerinage de première importance pour les fidèles russes), qui, depuis 1998, doit coexister avec une présence de l'Eglise russe patriarcale. La majeure partie des orthodoxes italiens de l'Eglise russe à l'étranger sont retournés sous le patriarcat de Moscou: il y a eu un cas, lié à une famille de Gênes, de passage dans un synode extrémiste des vieux-calendéristes grecs, qui a déployé plus de pompe en France à travers les publications de la Fraternité orthodoxe saint Grégoire Palamas.

L'Eglise russe à l'étranger est d'un conservatisme rigide dans le domaine doctrinal et liturgique, et refuse les innovations comme le nouveau calendrier. Très enracinée dans la vie de piété orthodoxe, elle maintient une présence monastique vivante. Se consacrant depuis ses origines à rendre témoignage du martyre de la Russie à l'époque révolutionnaire, elle a canonisé en tant que martyrs (même sans attendre une initiative analogue de la part du patriarcat de Moscou) les membres de la famille impériale russe et de nombreuses victimes du régime soviétique. Au milieu des nombreuses difficultés de l'exil, l'Eglise russe à l'étranger a su maintenir une fidélité admirable aux traditions ascétiques, monastiques et liturgiques de la Russie orthodoxe prérévolutionnaire, et son isolement a été rompu par une série de dialogues bilatéraux avec le patriarcat, qui ont conduit, en mai 2006, au rétablissement de la pleine communion.


Mon commentaire:
Ce texte de Massimo Introvigne, le grand spécialiste des nouvelles religions (dernier ouvrage traduit en français: Les Illuminés et le Prieuré de Sion, traduit de l'italien en français par Antoine Ofenbauer, Editions Xénia, Vevey 2006, disponible à la commande directe sur http://www.editions-xenia.com/php2/inde ... Itemid=117 ), contient quelques erreurs de fait. Par exemple, l'isolement de l'ERHF à la fin des années 1960 n'a pas été volontaire, puisque c'est bien le patriarche Athénagoras de Constantinople qui a interdit à son clergé de concélébrer avec celui de l'ERHF, à la même époque où il retirait sa protection canonique à l'Archevêché de la rue Daru (qui opta alors pour le statut, inconnu en droit canonique, d' "Eglise indépendante"), et cela parce qu'il pensait qu'un rassemblement de toute l'émigration russe sous l'omophore du patriarcat de Moscou faciliterait la tenue d'un nouveau concile oecuménique. Autre erreur, les vieux-calendéristes roumains ne tirent pas leur épiscopat de l'Eglise russe hors frontières, mais bien de l'évêque roumain Galaction (Codrun). De même, la formule malheureuse de "synode vieux-calendériste extrémiste" veut en fait dire que ce groupe de vieux-calendéristes a des positions différentes du Synode des Résistants (συνόδος των Ένισταμένων), modéré mais ferme, de Mgr Cyprien de Phyli qui était en fait sur la même ligne que l'Eglise russe hors frontières et se voulait un pont entre les vieux-calendéristes et l'Eglise orthodoxe. Enfin, en ce qui concerne la réforme du calendrier, l'Eglise russe hors frontières s'y est opposée, mais sans jamais en faire un prétexte pour rompre la communion; elle a eu pendant des décennies en son sein le diocèse roumain hors frontières, qui utilisait le nouveau calendrier (calendrier constantinopolitain, style gréco-roumain) et le diocèse orthodoxe néerlandais, qui utilisait le calendrier grégorien.

Toutefois, dans l'ensemble, on notera que ce texte écrit par un catholique romain engagé comme Massimo Introvigne rend autrement plus justice à la vigueur spirituelle et ascétique de l'Eglise russe hors frontières que l'article cité plus haut de Nikita Struve. M. Struve reproche à l'ERHF un absence de "création théologique"; M. Introvigne, au contraire, y voit une "fidélité admirable" ("un’ammirevole fedeltà") aux traditions de la Russie orthodoxe prérévolutionnaire. Un peu comme ce qui est arrivé sur ce forum il y a dix mois, quand le dénommé "Wladimir" voulait s'arroger le droit de censure et prétendait nous interdire de publier les textes du docteur Kalomiros parce que celui-ci était un théologien de l'Eglise russe hors frontières, et que je lui fis remarquer qu'en son temps, le professeur Garrido, ardent catholique romain espagnol, recommandait la lecture des publications de l'ERHF en raison de leur sérieux, malgré leurs divergences doctrinales avec la Papauté.

Je ne peux donc que constater, une fois de plus, qu'il existe à Paris une intolérance qui n'a plus cours ni à Madrid, ni à Turin, ni à Genève.
serge maraite
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Message par serge maraite »

merci pour ce texte intéressant, et cet autre regard.
Toutefois, votre conclusion est peu -être un peu trop généralisante si l'on sait que Daru a encouragé et félicité le concile de San Francisco par un message lu publiquement dans la cathédrale de Mgr Jean de Changaï et que par ailleurs, l'archevèque Gabriel de Daru a reçu l'an passé à Paris officiellement une haute délégation de l'EHF.

Je nuancerais donc quelque peu votre conclusion si vous le permettez, car, pour faire bref, entre russes (ou"de tradition russe"), rien n'est simple.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Lorsque j’ai publié le texte de Nikité Struve, mon but n’était pas de me focaliser sur sa critique de l’Église hors frontières, mais sur le critère employé par N. S. employant le critère de “créativisme” pour parler de l’avenir de l’Église en Europe occidentale. Ce qui nous permet de comprendre ce qu’est la véritable visée de ce projet moderniste qui cherche à s’imposer chez nous. Comme in ne peut pas verser du vin nouveau dans de vieilles outres, il faut faire preuve de créativité, cesser de tourner le dos au monde qui nous entoure et lui répondre en lui proposant de véritables communautés ouvertes et rayonnantes.

Le mérite de ce texte était de dire tout haut, explicitement et clairement, ce que peut être ce projet d’ecclésiologie moderniste. C’est bien pourquoi le site de l’OLTR s’est empressé d’utiliser cette traduction pour alimenter leur polémique contre les modernistes qui règnent rue Daru. Je n’ai aucun souci de soutenir la volonté du patriarcat de Moscou de mettre la main sur l’Archevêché de la rue Daru. Je suis très heureux que l’Archevêché (“rue Daru”) ait pu résister aux pressions du patriarcat. Mais mon intention n’était pas de rentrer dans ce type de problèmes.

La pointe n’était pas non plus de critiquer l’Église hors-frontières. dont je pense qu’elle a défendu l’honneur de l’Orthodoxie au cours des années difficiles. Je ne suis pas du tout convaincu par ses prétentions canoniques, mais c’est du passé, et ne nous pose plus guère de problème actuel, mais le problème de fond n’est pas celui des rapports avec l’Église hors frontières, c’est celui que pose le modernisme de “l’École de Paris”. Les rivalités juridictionnelles ou bien les tentatives de refondation des structures ecclésiastiques sont autre chose.

C’est bien le modernisme qui nous pose problème, comme l’ont très bien compris Tanios et Maxime. Je rappelle la description de Maxime :
j’ai enfin compris le programme de l’exarchat pour l’Eglise locale :

C’est très simple, juste un petit décor, un folklore pour touristes religieux français, mais « adapté » : il faut que ça fasse russe à l’extérieur pour attirer mais à l’intérieur ça doit être « bien français », autrement dit catho-moderne.
Dans le détail :

• Une jolie petite église russe en bois donc, en rondins, importée de « là-bas ». De l’authentique ! Avec un « look » très reconnaissable, « différente » - c’est comme ça qu’on dit, non ? D’apparence exotique donc, modeste et puis « écolo » en plus…tout pour elle ! Très attirante ! Quel témoignage cela fera !
• avec à l’intérieur, une iconostase minimaliste sans être véritablement un jubé, oh ! quelque chose de personnalisé, de sobrement français, « local », quoi ! Voyez, il ne faut pas faire mystère des mystères, oh pardon ! des sacrements comme on dit en bon français. On n’est pas des ésotéristes, nous les orthodoxes locaux, d’ailleurs les protestants nos frères voient de moins en moins de différences entre nous comme avec nos frères cathos, ils s’y retrouvent parfaitement dans nos assemblées de prière et ils baissent même la tête quand on le leur demande.
Je passe sur la suite de cette description et je n’aborderai pas le problème musical. Je reprends la fin du message de Tanios.
Je n’ai guère d’efforts à faire en revanche pour imaginer ce qui pourrait bien aller avec ce décor et ces costumes comme pratique de la scène ecclésiale sans préjuger de la réalité de la prière de chacun dans laquelle je ne m’immiscerai à aucun prix n’ayant là rien à dire.
Mais je suis obligé, pour ce qui est de la Communauté, de l’Eglise dite locale, de constater avec amertume que ce que j’avais vu venir depuis quelques années est maintenant là.
On en vient tout simplement à faire du même avec du différent, c’est la force de ce que je nommerai « l’Occident » faute de mieux, c’est à dire la civilisation du consumérisme où tout le monde pense être différent en achetant des marchandises personnalisées et où il importe de valoriser sa différence pourvu qu’elle soit dans le cadre et dans la case prévus par la machine totalitaire molle, démocratique représentative, écologiste, consensuelle, oecuméniste, droit-de-l’hommiste, humanitariste, etc. blabla moderniste quoi.

J’aurais pourtant désiré de tout mon cœur que l’Orthodoxie soit préservée, comme lieu et voie, de cette contamination. Non pas certes pour en faire un objet de musée.

Encore que ce soit une accusation drôlement gonflée de la part de modernistes qui pour le coup ont réellement relégué dans les musées dits d’art sacré des objets rituels qui n’étaient en rien destinés à la contemplation passéiste. L’Eglise catholique qui ne manque pas de musées du plus petit au plus grand, a perdu tout sens du sacré depuis longtemps avec son prétendu incontournable aggiornamento, et pas mal de fidèles par le fait, ne s’en est-on point aperçu chez les « orthodoxes locaux » ? L’air de l’extérieur, celui du monde (moderne ou pas) bien sûr, a contribué efficacement à vider les églises. Benoît XVI, dont les qualités intellectuelles impressionnent tout le monde, et qui a une vision claire de la situation, tente de réintroduire quelque tenue dans les lieux de culte et voudrait que ses prêtres deviennent maintenant « des spécialistes, des professionnels du spirituel » ( il faudrait consacrer toute une discussion à cette conception du sacerdoce). Et voilà que les Orthodoxes se proclamant locaux veulent commettre la même erreur que le Saint Père essaye de rectifier avec beaucoup de diplomatie ? Veulent-ils vider les églises eux aussi ? Quelle sorte de club essayent-ils de créer ?
J’ai reçu aussi - en mail privé - une réaction au texte de Nikita Struve que je trouve digne d’intérêt :
Merci d'avoir traduit et publié le texte de cet enseignant friand de créativisme comme le catalogue de la Redoute. Cette "créativité théologique" (ce sont les mots de ce texte) obsessionnelle n'a qu'un but : édulcorer le contenu du Nouveau Testament pour en faire une sauce hommiste, relativiste et arienne
universelle, compatible avec les néo-polythéismes, néo-panthéismes, et autres animismes branchés de la planète. Comme si le langage des Evangiles qui relatent un message fracassant avec des mots ordinaires, sobres et doux, n'était pas accessible tel quel ..

Ce créativisme n'est jamais qu'un "concentré d'orgueil néo-scolastique”.
Le bruit qu’a fait la traduction en français du texte de Nikita Struve a également amené plusieurs personnes qui étaient étrangères à notre Forum à le lire, comme ce russe de la deuxième génération qui a ainsi découvert mon émail et m’écrit, à propos du livre que j’avais publié il y a quelques années ;
J'ai lu et relu votre livre sur l'Eglise orthodoxe en France, et sur sa partie française édulcorée. Mon message n'a pas d'autre but que de vous signifier à quel point je me trouve en accord avec vos analyses.

[…]Votre livre fait progresser la compréhension de ce phénomène contemporain de la tentation moderniste de trop nombreuses paroisses, avec des analyses sociologiques, historiques et spirituelles particulièrement éclairantes.
En quoi consiste cette “tentation moderniste” ? Un texte de Claude Hiffler, qui a été publié par le SOP, le dit clairement. J’avoue que je ne l’avais pas remarqué sur le SOP, que je ne lis pas, mais il a été republié sur la revue “La Voile” que publie sur Internet Jean-Michel <http://home.scarlet.be/orthodoxe/revue.html>
Compte tenu de ses fondements eucharistiques et eschatologiques, la paroisse est appelée à une vocation historique et méta- historique. Sa mission est donc double, externe et interne. À la fois tournée vers le monde et dynamisée dans sa vie ecclésiale sans dissociation spirituelle, car ces deux aspects sont étroitement liés. Sa vocation externe est surtout liée à la turbulence du monde d'aujourd'hui qui oblige nos communautés à s'enraciner davantage dans l'Évangile où elles retrouvent leur dynamique prophétique.

[…] C'est pourquoi la responsabilité de tous est convoquée, notamment dans la lutte contre toutes les formes de cléricalisme, y compris celui des laïcs qui est souvent le plus pervers. Le cléricalisme est un fruit délicieux pour celui qui a le goût du pouvoir, mais extrêmement toxique pour l'Église. Il endort les fidèles sur le mol oreiller de la démission et de la soumission. Mais, Dieu merci, le peuple de Dieu est rebelle. Revêtu d'un habit de lumière par son baptême, il est d'essence royale et sacerdotale, et sa responsabilité est, donc, constamment requise pour la vitalité, la marche et l'épanouissement de la vie paroissiale.
La réception des décisions et des définitions des synodes épiscopaux est un élément essentiel du Mystère de l’Église. Mais c’est l’évêque qui exerce le ministère du discernement, qui lui est donné par le charisme épiscopal. On peut se demander à quel cléricalisme pense C. H. Il nous le révèle peu après :
[…] Ainsi, si l'évêque est le garant de la foi et de l'unité, le peuple des fidèles en est la plate-forme et le ciment. Dans l'ecclésiologie orthodoxe telle que vécue en Occident aujourd'hui - dont on préfère dire, pudiquement, qu'elle est en gestation lente, plutôt qu'en contradiction avec les canons -, c'est ce peuple, c'est-à-dire la paroisse qui, par sa liberté, doit pousser la barque vers l'avant, en se transformant en un lieu d'éveil et de création. Disons-le, avec force : la paroisse, aujourd'hui, est un creuset et une forge, où se manifeste l'unité de l'Église, plus qu'ailleurs, quelles que soient les questions ecclésiologiques, et au-delà des limites de juridiction.
Non : le peuple de Dieu c’est un ensemble d’Églises locales, chacune présidées par un évêque membre d’un synode provincial.

Il faut rappeler que la réalité de l’Église est présente lorsqu’elle est présidée par l’évêque et réunie autour de lui. C’est lui qui siège “à la place et à l’image du Christ. C’est lui qui assure la communion avec tous les évêques de tous les synodes orthodoxes. C’est lui qui fonde l’Église locale. C’est autour de lui que peuvent se réunir tous les charismes de l’Église : charisme de l’évêque, charisme sacerdotal, charisme des diacres, charisme des laïcs, charisme des moines. C’est encore l’évêque qui préside tous les mystères et les dispense, scellant l’autel du saint Chrême qu’il a consacré. C’est lui qui exerce le discernement des personnes, tant pour les promouvoir dans le clergé que pour réconcilier les pécheurs à la communaité s’ils en ont été écartés. Un groupe de chrétiens ne constitue pas une communauté sans la présence des ministères qui en assurent la vie, et l’évêque en est la pierre angulaire.

Cette réalité des mystères ne peut pas être substituée par un affect psychologique. Cependant c’est bien ce que nous propose Claude Hiffler :
[.…]Le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action, il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes

Unité vivante d'amour de l'Église du Christ, la paroisse doit témoigner sans cesse de la miséricorde et de la solidarité fraternelle, qui permettent à ceux qui sont dedans d'actualiser cette "vie nouvelle qui a surgi du tombeau au premier jour de la seconde création", comme l'écrit le père Alexandre Schmemann, et à ceux qui viennent pour voir, de dire : "Voyez comme ils s'aiment", ou encore : "Ils sont pleins de vin doux". Voilà pourquoi la vie liturgique et sacramentelle ne peut être localisée dans le temps et dans l'espace. Dans le temps, elle ne peut être réduite au seul dimanche et, dans l'espace, elle dépasse le simple foyer paroissial et rassemble, dans la joie pascale, toute la famille chrétienne, comme un signe préalable du Royaume à venir. D'où la nécessité de tisser des liens et de vivre en harmonie avec les paroisses voisines... "Seigneur qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères, tous ensemble" (Ps 132). "Que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous" (Rm 12,10). Que serait une paroisse sans cette plénitude d'amour, sans réconciliation et sans pardon ? Une association d'individus ? Un centre culturel ? Un ghetto ? Alors qu'elle est le lieu privilégié où le cœur de pierre, le cœur intellectuel, le cœur théologique, se transforme en cœur qui bat vraiment, en cœur de chair. Ce qui revient, notamment, à écouter, dialoguer, respecter les opinions sans froisser, sans asséner notre vérité comme seule valable au lieu de cheminer ensemble. Ce qui amène, aussi, à rejeter toutes formes de tensions, de ragots et de polémiques qui, par l'action du Malin, atomisent les communautés. Apprendre à accueillir, avec discernement, toutes les personnes. Il s'agit, parfois, d'un accueil délicat et douloureux au regard de l'hospitalité eucharistique, dont les justes exigences théologiques ne nous autorisent pas, cependant, par des mots simplement légalistes, à meurtrir la personne qui ne comprend pas ce que la communion exige et engage. […] Car le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action. Il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes, dans la douce profondeur de la tendresse humaine. […]
C’est très joli, mais derrière ces paroles se cache une rupure avec la Tradition de l’Église. Dan l’Orthodoxie, ce qui attire tant de nos contemporains, ce n’est pas l’ouverture affective vers le prochain — rien n’est d’ailleurs moins évident dans la réalité concrète — c’est le “sens du sacré”. Un visiteur catholique, venu en simple curieux assister à à un culte orthodoxe est souvent immédiatement bouleversé de découvrir et que ce sens du sacré est présent dans l’Église orthodoxe, et que son Église y a volontairement renoncé, au profit de la présence au monde. Ce qu’on nous propose comme remède-miracle pour renouveler l’Église orthodoxe, c’est précisémént ce dont les catholiques ont fait l’expérience depuis cinquante ans et dont ils ne veulent plus.
[…] Qu'on le veuille ou non, pour ce qui est de l'Église orthodoxe, le temps de la "diaspora" s'achève et une des missions de la paroisse au seuil de l'an 2005 est de participer, activement, à la construction, en Occident, d'une Église canonique une, à l'ecclésiologie territoriale, impliquant une catholicité conciliaire, selon l'esprit du 34e canon des saints apôtres, qui n'est pour l'instant pas respecté chez nous, en Occident. On y voit, en effet, persister des cloisonnements juridiques, antinomiques de l'Église une et indivise, et de l'esprit des grands conciles, cloisonnements caractérisés, notamment, par la présence - "parallèle" - de plusieurs évêques en un même, lieu.

[…]Dieu a besoin des hommes et non de fonctionnaires de la foi. De même que l'Église a besoin d'évêques, et non de préfets ou d'ambassadeurs. Or, pour le monde, étranger aux mystères et particulièrement à celui de l'Incarnation, l'Église apparaît trop souvent - il faut en être conscient - comme une administration avec ses interdits et ses permissions, que la société contemporaine a rejetée comme archaïque et aliénante, et parfois même comme inhumaine.
J’ai l’impression que non seulement cette Église se veut locale parce qu’elle se croit paroissiale, mais qu’elle se voudrait être une Église capable d’apporter les valeurs propres de l’Occident aux Églises des pays de tradition orthodoxe.
[…]Pour ce qui est de l'Église orthodoxe aujourd'hui en Occident, la communauté paroissiale est en train de devenir chez nous, selon des modalités diverses d'ailleurs, propres à chaque situation locale, une communauté "poly-ethnique" et "poly-culturelle", autour d'un véhicule linguistique identique, compréhensible par tous, qui est, en général, celui du pays où l'on vit. Et à côté, nous avons - et nous créons encore, pour les besoins des nouveaux arrivants notamment - des paroisses "mono-ethniques". La pluralité et la diversité que nous vivons est un signe d'intelligence spirituelle, à condition d'éviter l'écueil qui nous guette tous, quel que soit le profil de notre paroisse : l'écueil de la paroisse close, qui se garde pour elle-même, notamment au nom d'une "tradition nationale", cherchant à asseoir ici une présence "nationale", bien sûr, Église et État intimement liés… C'est une forme de régression qui resurgit parfois aujourd'hui et nous menace ici ou là… Non, l'unique critère commun à toutes nos paroisses en un lieu donné, c'est notre ecclésialité, c'est-à-dire amour, communion, unité et ouverture. Et alors notre diversité est doublement bénéfique.

À nos frères orientaux ou venant d'Europe de l'Est nous avons à donner ce que notre formation occidentale peut avoir de positif ; nous avons aussi à les aider dans leur insertion ici. Et d'eux-mêmes nous avons à recevoir beaucoup, notamment l'aide à transfigurer notre rationalité, en faisant descendre l'intelligence dans notre cœur spirituel. La complémentarité des différences relève avant tout de l'expérience spirituelle ecclésiale et humaine des prêtres et des fidèles. Et elle se manifeste tout naturellement dans une évolution organique des événements. Le respect des différences n'implique pas une étanchéité ("juridictionnelle") qui empêcherait collaboration, services réciproques et actions communes.

[…]C'est pourquoi le peuple des paroisses doit rappeler que l'institution n'est pas la source de l'Église, mais son moyen d'expression et d'équilibre. C'est à ce peuple que revient le rôle et la vocation de rappeler cette vérité, afin de vivre dans une Église où tous sont concernés, une Église de célébrants, où souffle l'Esprit qui nous invite à un travail spirituel - ecclésial et personnel - de créativité, qui empêche la paroisse de s'enfermer, celle-ci ne pouvant devenir prisonnière d'aucun système, car tout système est réducteur de la vérité. […]
Je voudrais rappeler ici les informations qui nous ont été données sur le Concile pan-russe de 1917-1918 par le livre d’Hyacinthe Destivelle, informations que j’ai présentées un peu plus haut dans ce fil. Dans un cas comme dans l’autre nous avons à faire à une altération de l’ecclésiologie orthodoxe. Et j’avais longuement développé la Tradition orthodoxe sue la fonction épiscopale dans un message du 24 juin dernier dans le fil “Mémoire de saint Sébastien le 18 décembre”.

Ce qu’on nous propose pour renouveler l’Orthodoxie en Occident, ce que Maxime appelle “le programme de l’Exarchat pour l’Église locale”, c’est cette Église de militantisme d’action sociale que les catholiques rejettent, alors qu’ils sont attirés par “le sens du sacré” conservé dans l’Orthodoxie.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
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