Le sort des juridictions russes en Occident

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serge maraite
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Message par serge maraite »

bonsoir à tous

Ose-je avec témérité placer quelques mots après ce riche apport - une fois de plus- de Mr Palierne.
Oui il a raison, ce qui a tué le christianisme et fait fuir bien des fidèles en occident est cette "action sociale" ou dimension quasi exclusivement horizontale de la vie ecclésiale, avec le vide spirituel qui en est le fondement et la conséquence, le départ et l'arrivée, hélas.

Permettez de laisser ma pudeur au vestiaire et de parler de ma petite expérience personnelle.

Ayant voulu fuir tout cela depuis longtemps (l'église catho de Belgique en est tres fortement marquée), et m'approchant tres lentement et depuis longtemps de l'orthodoxie, je vois tout autre chose.
Le hasard géographique ou la Providence ayant voulut que cela se fasse concrètement par deux paroisses, une de Daru et une de Vitaly hors hors frontière (on ne sait plus très bien ce qu'on doit dire).
Et bien, pour ma grande joie, la liturgie dans les deux m'enseigne et me nourrit de la même manière, même si je ne communie pas (ou pas encore). Ni traces de modernisme christo marxiste dans l'une, ni poussières muséales tsaristes nostalgiques dans l'autre.
La même dignité, la même beauté, la même liturgie dans les deux. Les fidèles se ressemblent, témoignent de la même ferveur. Les prêtres célèbrent à l'identique ou quasi, prennent leur temps, essentiellement en slavon avec un peu de français (Evangile en deux langues, homélie en franais ou en russe), font tout simplement leur saint boulot sérieusement et humblement.
A claude Lorrain ou dans des paroisses de Daru ou encore dans la cathédrale du PM à Bruxelles que j'ai fréquentées, le plus tout a fait catho et pas encore orthodoxe que je suis a fait les mêmes expériences. Ces expériences font taire les préjugés que j'avais, relativisent nos jugements souvent hâtifs qui ne sont bien souvent que des procès d'intention. Dans toutes ces églises (sauf peut-être une, mais je n'ai pas fait le tour d'Europe des paroisses orthodoxes), je n'ai vu que de sérieux prêtres, de belles liturgies même si parfois très simples (petite maison et petite chorale), des homélies solides.
Où sont ces horreurs que vous décrivez ?
Je crois que la situation est bien meilleure qu'on ne le croit.
Quant au "sacrement du frère": où est la déviance moderniste ? En quoi est-ce incompatible avec le respect des traditions ?
Une dernière question sur le "créativisme " que vous faites grief à N. Struve d'en reprocher l'absence à l'église HF: peut-être que vous ne parliez pas des mêmes choses et que lui faisait allusion à la grande tradition de l'église qui doit être et a toujours été vivante et non figée. Cela meriterait peut-être des développements. Je ne vois pas très bien dans vos propos quel est concrètement ce péril ou cette perversion moderniste, et comment (tout d'abord) vous la définissez.
Tres fraternellement,
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit :Lorsque j’ai publié le texte de Nikité Struve, mon but n’était pas de me focaliser sur sa critique de l’Église hors frontières, mais sur le critère employé par N. S. employant le critère de “créativisme” pour parler de l’avenir de l’Église en Europe occidentale. Ce qui nous permet de comprendre ce qu’est la véritable visée de ce projet moderniste qui cherche à s’imposer chez nous. Comme in ne peut pas verser du vin nouveau dans de vieilles outres, il faut faire preuve de créativité, cesser de tourner le dos au monde qui nous entoure et lui répondre en lui proposant de véritables communautés ouvertes et rayonnantes.

Le mérite de ce texte était de dire tout haut, explicitement et clairement, ce que peut être ce projet d’ecclésiologie moderniste. C’est bien pourquoi le site de l’OLTR s’est empressé d’utiliser cette traduction pour alimenter leur polémique contre les modernistes qui règnent rue Daru. Je n’ai aucun souci de soutenir la volonté du patriarcat de Moscou de mettre la main sur l’Archevêché de la rue Daru. Je suis très heureux que l’Archevêché (“rue Daru”) ait pu résister aux pressions du patriarcat. Mais mon intention n’était pas de rentrer dans ce type de problèmes.

La pointe n’était pas non plus de critiquer l’Église hors-frontières. dont je pense qu’elle a défendu l’honneur de l’Orthodoxie au cours des années difficiles. Je ne suis pas du tout convaincu par ses prétentions canoniques, mais c’est du passé, et ne nous pose plus guère de problème actuel, mais le problème de fond n’est pas celui des rapports avec l’Église hors frontières, c’est celui que pose le modernisme de “l’École de Paris”. Les rivalités juridictionnelles ou bien les tentatives de refondation des structures ecclésiastiques sont autre chose.

C’est bien le modernisme qui nous pose problème, comme l’ont très bien compris Tanios et Maxime. Je rappelle la description de Maxime :
j’ai enfin compris le programme de l’exarchat pour l’Eglise locale :

C’est très simple, juste un petit décor, un folklore pour touristes religieux français, mais « adapté » : il faut que ça fasse russe à l’extérieur pour attirer mais à l’intérieur ça doit être « bien français », autrement dit catho-moderne.
Dans le détail :

• Une jolie petite église russe en bois donc, en rondins, importée de « là-bas ». De l’authentique ! Avec un « look » très reconnaissable, « différente » - c’est comme ça qu’on dit, non ? D’apparence exotique donc, modeste et puis « écolo » en plus…tout pour elle ! Très attirante ! Quel témoignage cela fera !
• avec à l’intérieur, une iconostase minimaliste sans être véritablement un jubé, oh ! quelque chose de personnalisé, de sobrement français, « local », quoi ! Voyez, il ne faut pas faire mystère des mystères, oh pardon ! des sacrements comme on dit en bon français. On n’est pas des ésotéristes, nous les orthodoxes locaux, d’ailleurs les protestants nos frères voient de moins en moins de différences entre nous comme avec nos frères cathos, ils s’y retrouvent parfaitement dans nos assemblées de prière et ils baissent même la tête quand on le leur demande.
Je passe sur la suite de cette description et je n’aborderai pas le problème musical. Je reprends la fin du message de Tanios.
Je n’ai guère d’efforts à faire en revanche pour imaginer ce qui pourrait bien aller avec ce décor et ces costumes comme pratique de la scène ecclésiale sans préjuger de la réalité de la prière de chacun dans laquelle je ne m’immiscerai à aucun prix n’ayant là rien à dire.
Mais je suis obligé, pour ce qui est de la Communauté, de l’Eglise dite locale, de constater avec amertume que ce que j’avais vu venir depuis quelques années est maintenant là.
On en vient tout simplement à faire du même avec du différent, c’est la force de ce que je nommerai « l’Occident » faute de mieux, c’est à dire la civilisation du consumérisme où tout le monde pense être différent en achetant des marchandises personnalisées et où il importe de valoriser sa différence pourvu qu’elle soit dans le cadre et dans la case prévus par la machine totalitaire molle, démocratique représentative, écologiste, consensuelle, oecuméniste, droit-de-l’hommiste, humanitariste, etc. blabla moderniste quoi.

J’aurais pourtant désiré de tout mon cœur que l’Orthodoxie soit préservée, comme lieu et voie, de cette contamination. Non pas certes pour en faire un objet de musée.

Encore que ce soit une accusation drôlement gonflée de la part de modernistes qui pour le coup ont réellement relégué dans les musées dits d’art sacré des objets rituels qui n’étaient en rien destinés à la contemplation passéiste. L’Eglise catholique qui ne manque pas de musées du plus petit au plus grand, a perdu tout sens du sacré depuis longtemps avec son prétendu incontournable aggiornamento, et pas mal de fidèles par le fait, ne s’en est-on point aperçu chez les « orthodoxes locaux » ? L’air de l’extérieur, celui du monde (moderne ou pas) bien sûr, a contribué efficacement à vider les églises. Benoît XVI, dont les qualités intellectuelles impressionnent tout le monde, et qui a une vision claire de la situation, tente de réintroduire quelque tenue dans les lieux de culte et voudrait que ses prêtres deviennent maintenant « des spécialistes, des professionnels du spirituel » ( il faudrait consacrer toute une discussion à cette conception du sacerdoce). Et voilà que les Orthodoxes se proclamant locaux veulent commettre la même erreur que le Saint Père essaye de rectifier avec beaucoup de diplomatie ? Veulent-ils vider les églises eux aussi ? Quelle sorte de club essayent-ils de créer ?
J’ai reçu aussi - en mail privé - une réaction au texte de Nikita Struve que je trouve digne d’intérêt :
Merci d'avoir traduit et publié le texte de cet enseignant friand de créativisme comme le catalogue de la Redoute. Cette "créativité théologique" (ce sont les mots de ce texte) obsessionnelle n'a qu'un but : édulcorer le contenu du Nouveau Testament pour en faire une sauce hommiste, relativiste et arienne
universelle, compatible avec les néo-polythéismes, néo-panthéismes, et autres animismes branchés de la planète. Comme si le langage des Evangiles qui relatent un message fracassant avec des mots ordinaires, sobres et doux, n'était pas accessible tel quel ..

Ce créativisme n'est jamais qu'un "concentré d'orgueil néo-scolastique”.
Le bruit qu’a fait la traduction en français du texte de Nikita Struve a également amené plusieurs personnes qui étaient étrangères à notre Forum à le lire, comme ce russe de la deuxième génération qui a ainsi découvert mon émail et m’écrit, à propos du livre que j’avais publié il y a quelques années ;
J'ai lu et relu votre livre sur l'Eglise orthodoxe en France, et sur sa partie française édulcorée. Mon message n'a pas d'autre but que de vous signifier à quel point je me trouve en accord avec vos analyses.

[…]Votre livre fait progresser la compréhension de ce phénomène contemporain de la tentation moderniste de trop nombreuses paroisses, avec des analyses sociologiques, historiques et spirituelles particulièrement éclairantes.
En quoi consiste cette “tentation moderniste” ? Un texte de Claude Hiffler, qui a été publié par le SOP, le dit clairement. J’avoue que je ne l’avais pas remarqué sur le SOP, que je ne lis pas, mais il a été republié sur la revue “La Voile” que publie sur Internet Jean-Michel <http://home.scarlet.be/orthodoxe/revue.html>
Compte tenu de ses fondements eucharistiques et eschatologiques, la paroisse est appelée à une vocation historique et méta- historique. Sa mission est donc double, externe et interne. À la fois tournée vers le monde et dynamisée dans sa vie ecclésiale sans dissociation spirituelle, car ces deux aspects sont étroitement liés. Sa vocation externe est surtout liée à la turbulence du monde d'aujourd'hui qui oblige nos communautés à s'enraciner davantage dans l'Évangile où elles retrouvent leur dynamique prophétique.

[…] C'est pourquoi la responsabilité de tous est convoquée, notamment dans la lutte contre toutes les formes de cléricalisme, y compris celui des laïcs qui est souvent le plus pervers. Le cléricalisme est un fruit délicieux pour celui qui a le goût du pouvoir, mais extrêmement toxique pour l'Église. Il endort les fidèles sur le mol oreiller de la démission et de la soumission. Mais, Dieu merci, le peuple de Dieu est rebelle. Revêtu d'un habit de lumière par son baptême, il est d'essence royale et sacerdotale, et sa responsabilité est, donc, constamment requise pour la vitalité, la marche et l'épanouissement de la vie paroissiale.
La réception des décisions et des définitions des synodes épiscopaux est un élément essentiel du Mystère de l’Église. Mais c’est l’évêque qui exerce le ministère du discernement, qui lui est donné par le charisme épiscopal. On peut se demander à quel cléricalisme pense C. H. Il nous le révèle peu après :
[…] Ainsi, si l'évêque est le garant de la foi et de l'unité, le peuple des fidèles en est la plate-forme et le ciment. Dans l'ecclésiologie orthodoxe telle que vécue en Occident aujourd'hui - dont on préfère dire, pudiquement, qu'elle est en gestation lente, plutôt qu'en contradiction avec les canons -, c'est ce peuple, c'est-à-dire la paroisse qui, par sa liberté, doit pousser la barque vers l'avant, en se transformant en un lieu d'éveil et de création. Disons-le, avec force : la paroisse, aujourd'hui, est un creuset et une forge, où se manifeste l'unité de l'Église, plus qu'ailleurs, quelles que soient les questions ecclésiologiques, et au-delà des limites de juridiction.
Non : le peuple de Dieu c’est un ensemble d’Églises locales, chacune présidées par un évêque membre d’un synode provincial.

Il faut rappeler que la réalité de l’Église est présente lorsqu’elle est présidée par l’évêque et réunie autour de lui. C’est lui qui siège “à la place et à l’image du Christ. C’est lui qui assure la communion avec tous les évêques de tous les synodes orthodoxes. C’est lui qui fonde l’Église locale. C’est autour de lui que peuvent se réunir tous les charismes de l’Église : charisme de l’évêque, charisme sacerdotal, charisme des diacres, charisme des laïcs, charisme des moines. C’est encore l’évêque qui préside tous les mystères et les dispense, scellant l’autel du saint Chrême qu’il a consacré. C’est lui qui exerce le discernement des personnes, tant pour les promouvoir dans le clergé que pour réconcilier les pécheurs à la communaité s’ils en ont été écartés. Un groupe de chrétiens ne constitue pas une communauté sans la présence des ministères qui en assurent la vie, et l’évêque en est la pierre angulaire.

Cette réalité des mystères ne peut pas être substituée par un affect psychologique. Cependant c’est bien ce que nous propose Claude Hiffler :
[.…]Le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action, il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes

Unité vivante d'amour de l'Église du Christ, la paroisse doit témoigner sans cesse de la miséricorde et de la solidarité fraternelle, qui permettent à ceux qui sont dedans d'actualiser cette "vie nouvelle qui a surgi du tombeau au premier jour de la seconde création", comme l'écrit le père Alexandre Schmemann, et à ceux qui viennent pour voir, de dire : "Voyez comme ils s'aiment", ou encore : "Ils sont pleins de vin doux". Voilà pourquoi la vie liturgique et sacramentelle ne peut être localisée dans le temps et dans l'espace. Dans le temps, elle ne peut être réduite au seul dimanche et, dans l'espace, elle dépasse le simple foyer paroissial et rassemble, dans la joie pascale, toute la famille chrétienne, comme un signe préalable du Royaume à venir. D'où la nécessité de tisser des liens et de vivre en harmonie avec les paroisses voisines... "Seigneur qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères, tous ensemble" (Ps 132). "Que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous" (Rm 12,10). Que serait une paroisse sans cette plénitude d'amour, sans réconciliation et sans pardon ? Une association d'individus ? Un centre culturel ? Un ghetto ? Alors qu'elle est le lieu privilégié où le cœur de pierre, le cœur intellectuel, le cœur théologique, se transforme en cœur qui bat vraiment, en cœur de chair. Ce qui revient, notamment, à écouter, dialoguer, respecter les opinions sans froisser, sans asséner notre vérité comme seule valable au lieu de cheminer ensemble. Ce qui amène, aussi, à rejeter toutes formes de tensions, de ragots et de polémiques qui, par l'action du Malin, atomisent les communautés. Apprendre à accueillir, avec discernement, toutes les personnes. Il s'agit, parfois, d'un accueil délicat et douloureux au regard de l'hospitalité eucharistique, dont les justes exigences théologiques ne nous autorisent pas, cependant, par des mots simplement légalistes, à meurtrir la personne qui ne comprend pas ce que la communion exige et engage. […] Car le sacrement du frère ne se résume pas seulement à l'action. Il se manifeste aussi dans l'infini respect apporté aux personnes, dans la douce profondeur de la tendresse humaine. […]
C’est très joli, mais derrière ces paroles se cache une rupure avec la Tradition de l’Église. Dan l’Orthodoxie, ce qui attire tant de nos contemporains, ce n’est pas l’ouverture affective vers le prochain — rien n’est d’ailleurs moins évident dans la réalité concrète — c’est le “sens du sacré”. Un visiteur catholique, venu en simple curieux assister à à un culte orthodoxe est souvent immédiatement bouleversé de découvrir et que ce sens du sacré est présent dans l’Église orthodoxe, et que son Église y a volontairement renoncé, au profit de la présence au monde. Ce qu’on nous propose comme remède-miracle pour renouveler l’Église orthodoxe, c’est précisémént ce dont les catholiques ont fait l’expérience depuis cinquante ans et dont ils ne veulent plus.
[…] Qu'on le veuille ou non, pour ce qui est de l'Église orthodoxe, le temps de la "diaspora" s'achève et une des missions de la paroisse au seuil de l'an 2005 est de participer, activement, à la construction, en Occident, d'une Église canonique une, à l'ecclésiologie territoriale, impliquant une catholicité conciliaire, selon l'esprit du 34e canon des saints apôtres, qui n'est pour l'instant pas respecté chez nous, en Occident. On y voit, en effet, persister des cloisonnements juridiques, antinomiques de l'Église une et indivise, et de l'esprit des grands conciles, cloisonnements caractérisés, notamment, par la présence - "parallèle" - de plusieurs évêques en un même, lieu.

[…]Dieu a besoin des hommes et non de fonctionnaires de la foi. De même que l'Église a besoin d'évêques, et non de préfets ou d'ambassadeurs. Or, pour le monde, étranger aux mystères et particulièrement à celui de l'Incarnation, l'Église apparaît trop souvent - il faut en être conscient - comme une administration avec ses interdits et ses permissions, que la société contemporaine a rejetée comme archaïque et aliénante, et parfois même comme inhumaine.
J’ai l’impression que non seulement cette Église se veut locale parce qu’elle se croit paroissiale, mais qu’elle se voudrait être une Église capable d’apporter les valeurs propres de l’Occident aux Églises des pays de tradition orthodoxe.
[…]Pour ce qui est de l'Église orthodoxe aujourd'hui en Occident, la communauté paroissiale est en train de devenir chez nous, selon des modalités diverses d'ailleurs, propres à chaque situation locale, une communauté "poly-ethnique" et "poly-culturelle", autour d'un véhicule linguistique identique, compréhensible par tous, qui est, en général, celui du pays où l'on vit. Et à côté, nous avons - et nous créons encore, pour les besoins des nouveaux arrivants notamment - des paroisses "mono-ethniques". La pluralité et la diversité que nous vivons est un signe d'intelligence spirituelle, à condition d'éviter l'écueil qui nous guette tous, quel que soit le profil de notre paroisse : l'écueil de la paroisse close, qui se garde pour elle-même, notamment au nom d'une "tradition nationale", cherchant à asseoir ici une présence "nationale", bien sûr, Église et État intimement liés… C'est une forme de régression qui resurgit parfois aujourd'hui et nous menace ici ou là… Non, l'unique critère commun à toutes nos paroisses en un lieu donné, c'est notre ecclésialité, c'est-à-dire amour, communion, unité et ouverture. Et alors notre diversité est doublement bénéfique.

À nos frères orientaux ou venant d'Europe de l'Est nous avons à donner ce que notre formation occidentale peut avoir de positif ; nous avons aussi à les aider dans leur insertion ici. Et d'eux-mêmes nous avons à recevoir beaucoup, notamment l'aide à transfigurer notre rationalité, en faisant descendre l'intelligence dans notre cœur spirituel. La complémentarité des différences relève avant tout de l'expérience spirituelle ecclésiale et humaine des prêtres et des fidèles. Et elle se manifeste tout naturellement dans une évolution organique des événements. Le respect des différences n'implique pas une étanchéité ("juridictionnelle") qui empêcherait collaboration, services réciproques et actions communes.

[…]C'est pourquoi le peuple des paroisses doit rappeler que l'institution n'est pas la source de l'Église, mais son moyen d'expression et d'équilibre. C'est à ce peuple que revient le rôle et la vocation de rappeler cette vérité, afin de vivre dans une Église où tous sont concernés, une Église de célébrants, où souffle l'Esprit qui nous invite à un travail spirituel - ecclésial et personnel - de créativité, qui empêche la paroisse de s'enfermer, celle-ci ne pouvant devenir prisonnière d'aucun système, car tout système est réducteur de la vérité. […]
Je voudrais rappeler ici les informations qui nous ont été données sur le Concile pan-russe de 1917-1918 par le livre d’Hyacinthe Destivelle, informations que j’ai présentées un peu plus haut dans ce fil. Dans un cas comme dans l’autre nous avons à faire à une altération de l’ecclésiologie orthodoxe. Et j’avais longuement développé la Tradition orthodoxe sue la fonction épiscopale dans un message du 24 juin dernier dans le fil “Mémoire de saint Sébastien le 18 décembre”.

Ce qu’on nous propose pour renouveler l’Orthodoxie en Occident, ce que Maxime appelle “le programme de l’Exarchat pour l’Église locale”, c’est cette Église de militantisme d’action sociale que les catholiques rejettent, alors qu’ils sont attirés par “le sens du sacré” conservé dans l’Orthodoxie.


Cher Jean-Louis,

Mais c'est pour toutes ces raisons que j'ai traduit de l'italien le petit texte de Massimo Introvigne: le contraste avec l'interview de Nikita Struve que vous avez traduite du russe est une illustration de ce que vous soulignez.

Car ce que Massimo Introvigne, qui est un observateur extérieur, hétérodoxe de surcroît, et n'ayant à vendre aucune savonette idéologique de qualité inférieure, juge admirable dans l'Eglise russe hors frontières - en particulier le maintien de la vie monastique -, c'est précisément ce qui est condamnable aux yeux du club moderniste.

Faut-il rappeler une constatation que faisait l'archimandrite Placide Deseille? En Roumanie, le régime communiste n'a jamais anéanti la vie monastique, malgré le décret de 1958. En Russie, la vie monastique a été pratiquement anihilée au cours de l'année 1922 et elle n'a pu reprendre qu'à partir de 1941, sur une base très modeste.

Il est dès lors intéressant de faire le bilan spirituel des deux émigrations. L'émigration roumaine s'est beaucoup plus souciée d'agitation politique et d'attaques contre le patriarcat de Bucarest, sans souci de cohérence quant au choix de ses compagnonnages idéologiques, et avec un bilan spirituel limité à un seul couvent en Amérique (celui fondée par la princesse Hélène de Hohenzollern-Sigmaringen, devenue la Mère Alexandra), tandis que le monachisme se maintenait dans la "République pénitentiaire de Roumanie", comme l'appelait le RP Virgile Gheorghiu.

En revanche, l'Eglise russe hors frontières, elle, a maintenu la tradition du monachisme russe, à Jordanville, à Munich, à Provémont, et même au Chili. Et Jordanville a été un lieu important de publications théologiques, sans équivalent dans le reste de la diaspora russe - je pense par exemple au livre de l'archimandrite Amboise (Pogodine) sur le concile de Florence.

Je ne prends pas parti et je n'ai de toutes façons aucune raison de m'immiscer dans les affaires intérieures russes. Je serais bien en peine de conseiller aux Russes vivant dans les pays francophones sur le choix de leur organisation diocésaine.

A bien des égards, je suis à des années-lumière de ce que représente l'Eglise russe hors frontières, ne serait-ce que parce que je suis nouveau-calendériste ou parce que je m'occupe en priorité des questions relatives aux orthodoxes francophones (lesquels ne se trouvent pratiquement pas dans les juridictions russes, mais plutôt dans les diocèses grecs, roumains et serbes). En un certain sens, je suis donc aussi un observateur extérieur, mais moins extérieur que Massimo Introvigne qui n'est pas de notre religion. Or, je constate que ce que des observateurs plus ou moins extérieurs reconnaissent comme mérite à l'ERHF, c'est précisément ce que lui reprochent les modernistes. Il y a donc bien là une passion idéologique.


Il est d'ailleurs frappant que l'activité de l'émigration roumaine pendant toutes ces décennies se soit limitée à des attaques régulières contre le patriarcat de Bucarest, sans grand souci de préserver la tradition orthodoxe roumaine. L'agitation politique semble avoir eu bien plus d'importance que la vie spirituelle, et on a pu faire la comparaison après la chute du communisme.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Oui Serge, il y a partout dans nos Églises d’Occident des gens qui viennent pour croire et pour prier, pour étudier et pour assimiler, des gens qui duscutent entre euc, qui s’informent, qui visitent les monastères, qui lisent, et l’internet met à leur disposition une grande richesse d’informations, de sources, de textes divers et d’échanges. Il faut voir tout l’énorme effort qui est fait pour faire vivre des paroisses célébrant régulièrement, il faut construire, décorer, trouver et former un clergé, former des serviteurs de l’autel et du chant. Cependant ils n’ont que très difficilement accès à tout l’immense trésor de l’Orthodoxie, dans la mesure où la pensée orthodoxe est sévèrement filtrée et réduite à l’état de tisane. Les évêques se tournent prioritairement vers l’afflus des nouveaux migrants qui, eux, ne pensent qu’à faire leur trou dans la société française et n’apportent rien à la vie de leurs Églises. La pensée des Pères est cachée. On cherche à réduire la vie de l’Église orthodoxe à un groupisme paroissial, et l’évêque à un rôle de fonctionnaire administratif. Une censure (oui! en France, une censure ecclésiastique) bloque la diffusion d’ume plus authentique littérature orthodoxe. Cependant que “l’École de Paris” était florissante, qui a traduit les textes de l'hymnographie des offices orthodoxe ? À l’époque le père Denys Guillaume était un catholique. Les orthodoxes ne voulaient pas que l’on fasse durer les offices à l’Église au-delà d’une manifestation de chaleur groupiste. Les livres de Zizioulas, Popovitch, Florovsky sont bloqués ou étouffés. On enferme les caons au placard (et cependant les canons sont une part de la Révélation divine). On propose aux nouvelles paroisses de pratiquer un “groupisme” rendant obligatoires les réponses de l’ensemble du peuple, en réduisant les iconostases, La majorité des paroisses restent beaucoup plus proches des modes de célébration traditionnels mais traduisent, plus ou moins, ou en partie ou beaucoup, les paroles liturgiques et ont alors du mal à chanter. La traduction de la prière du Seigneur reste une traduction hétérodoxe. La formation théologique n’a intégré que très tard la tradition patristique, et les évêques ne cherchaient pas à former un clergé indigène. Il y eût fallu une longue et patiente pratique de sollicitations, de conseils, de contrôle, de promotion progressive, alors que les problèmes inter-juridictionnels accaparaient toute l’attention. Le résultat est que plus de la moitié du clergé est indigène, mais qu’il a été formé hors de l’Église orthodoxe cependant que le conseil diocésain de la rue Daru est recruté exclusivament dans le milieu russe parisien, c’est-à-fire dans l’iséologie moderniste.

Je crois aux fidèles qui prient, réfléchissent, lisent, vont dans les monastères etc... Ce sont eux qui feront l’avenir. Mais ils ont encore devant eux un long chemin, et ne sont pas aidés par les évêques. Ceux-ci sont comme tétanisé devant le prestige de la pensée moderniste russe, dont ils pensent qu’elle a su s’imposer dans le milieus cultivés d’Occident, alors que cette pensée moderniste russe n’est que le lointain reflet du modernisme occidental du début du XXème siècle. Cependant lorsque le prêtre russe prend la parole, le prêtre balkanique se tait, s’assoit et écoute. Ils sont comme tétanisés.

Le texte de Nikita Struve, comme le texte de Claude Hiffler montre que c’est à mon avis une tisane philosophico-idéologique que l’on nous présente sous le nom de religion orthodoxe, et les querelles triangulaires des églises de l’émigration russe ne présentent guère d’intérêt pour nous. Je doute fort que ni l’ERHF ni le patriarcat de Moscou représentent des alternatives crédibles au modernisme de “l’École de Paris”. J’ai eu tort de placer le 28 août un petit commentaire critique sur la canonicité de l’ERHF qui a fait dévier la discussion.

Le problème posé par le modernisme parisien n’est presque plus un problème russe. Il ne s’est imposé en dominateur absolu à l’Exarchat qu'au moment où celui-ci devenait une communauté essentiellement francophone. Mais le très important recrutement indigène de la rue Daru n’est pas du tout marqué par le modernisme. Ce sont des indigènes qui y viennent pour y retrouver ce sens du sacré, qui rend enfin possible la prière, ce dont les occidentaux sont depuis si longtemps cruellement sevrés. Il y a là une antinomie, encore peu consciente mais qui ne peut que s’aggraver. Je pense beaucoup plus à cela qu’aux querelles inter-juridictionnelles.

Vous rendez-vous compte de la gravité de cette censure qui pèse sur l’édition orthodoxe francophone ? Vous rendez-vous compte de l’anomalie canonique que présente la structure de l’Archevêché Daru ? Vous rendez-vous compte de la gravité des pratiques liturgico-groupistes ?
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Jean Louis Palierne a écrit :Cependant lorsque le prêtre russe prend la parole, le prêtre balkanique se tait, s’assoit et écoute. Ils sont comme tétanisés.
Ils ont bien tort ! L’Eglise de Grèce, comme nous l’avons vu avec les textes mis sur le forum par Claude, est en pointe pour les questions de bioéthique, questions fondamentales du monde actuel. Et ce n’est pas du « modernisme » qui leur a permis de l’être mais la grande tradition de l’Eglise. La tradition théologique serbe est superbe. Celle de Roumanie me semble tout aussi riche.

Cela dit, je ne vois pas en quoi le sens du sacré serait en soi antinomique de l’amour des frères (souvent difficile à pratiquer, certes, certes) ; ce n’est pas sur le même plan. L’amour du prochain et l’amour des frères, plus l’amour des ennemis, font partie des commandements du Christ et j’ai toujours un peu peur quand on en fait uniquement une lecture typologique ou symbolique. Mais qu’est-ce que cet amour ? Quel est son contenu ? C’est là où une interprétation « groupiste » comme dit Jean Louis ou purement sociologique, affective, etc., est réductrice car cet amour ne peut être uniquement horizontal et humain, trop humain. Le commandement, c’est « Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés », ce qui le place immédiatement dans une réalité divino humaine. Mais on ne va quand même pas dire que dans une paroisse, il serait bon d’être indifférent aux autres ou de laisser les conflits s’installer et pourrir toutes les relations du moment que la liturgie est bien célébrée ! Mystère liturgique et amour du frère, les deux sont importants, aucun ne remplace l’autre.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
serge maraite
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Message par serge maraite »

Bonsoir,

ceci est un humble appel à témoigner de sa foi et de ses connaissances.
Vous connaissez certainement le forum relatif à l'othodoxie russe en Occident http://fr.groups.yahoo.com/group/orthod ... eoccident/.

Je crois comprendre que la plupart des participants de ce forum-ci (forum-orthodoxe.com) sont soit non russes (ou liés à une juridiction russe), soit lassés des querelles, soit encore (et plus vraisemblablement), peu intéressés par le contenu et le niveau de ce forum.

Comme vous le savez tous très bien, les tensions sont importantes et l'actualité est hélas riche en querelles, proces et autres mésamours.

En ce moment, sur ce forum, le débat porte sur la résurgence du nationalisme, sur la russité et sur l'ethno-phylétisme. J'ai l'impression d'y lire n'importe quoi.

Il se fait qu'ils sont des milliers à le lire (pour se défouler?) et déjà près de 20.000 personnes s'y sont aventurées.

Je souhaiterais de tout coeur que les plus patients pédagogues d'entre vous aillent voir et, s'il échet, y participent.

Tout le monde y gagnerait à lire des infos précises, fondées et documentées.

Niet ?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Ce qui m’intéresse c’est l’Orthodoxie, qui nous est apportée, communiquée et présentée par la Tradition orthodoxe. Il apparaît que les personnes qui lisent le Forum"orthodoxierusseoccident" sont intéressées par la tradition russe. Je comprends parfaiteùent que des gens qui vivent loin de leur pays natal aiment à se retrouver entre eux et a respirer un peu l’air du pays. Je n’ai jamais connu personnellement cette situation, pas même comme migrant volontaire, mais je peus comprendre qu’elle comporte une part de souffrance et j’y compatis.

Mais je crois que la Tradition orthodoxe est infiniment plus. L’Église n’est ni russe, ni grecque, ni serbe, ni roumaine, ni géorgienne, ni antiochienne, ni… etc. Par contre sa version de référence est en langue grecque. Et de toute façon l’Orthodoxie, de par la volonté de son Fondateur, doit se réaliser dans une Église locale. L’Eucharistie qui est célébré en un lieu donné rassemble nécessairement tous les fidèles de ce lieu. Je ne vois donc pas en quoi une orthodoxie locale peut être "de tradition russe”, ou “de tradition grecque” ou toute autre.

J’avais suivi leurs discussions au début, puis j’ai vite cessé de le faire, puis ce forum "orthodoxierusseoccident" a connu une interruption, puis il est reparti, puis on m’a a demandé d’y participer, je suis retourné voir ce que c’était devenu, et j’ai conclu que les préoccupations des participants ne concernaient pas l’Orthodoxie en tant que telle, seul point de vue auquel je me place, mais la tradition et la culture russes. Alors j’ai décliné cette invitation. La boussole qu’ils utilisent, les critères de valeurs auxquels ils se réfèrent ne sont pas ceux de l’Orthodoxie.

Remarquez qu’ils n’ignorent pas pour aitant ce qui se passe ici, car ils lisent notre Forum, et ont très bien su reproduire la traduction que j’avais publiée ici d’un texte russe.
Jean-Louis Palierne
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serge maraite
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Message par serge maraite »

bonjour,
je comprends et partage votre point de vue.
En attendant, les conflits perdurent et sont vifs. N'est-il pas possible d'une manière ou d'une autre de contribuer charitablement à leur pacification?
Pardonnez moi, mais c'est mon côté boy scout peut-être ou Don Quichotte.

Permettez vous à l'occasion que je vous cite ?
Vous avez l'art de nous ramener à l'Essentiel.

Cela étant, je ne veux pas perdre mon temps ni mon âme à ces conflits, car il y a, dans ma situation, des lectures et activités bien plus importantes et urgentes. Revenir à l'Essentiel, je viens de le dire.

Ce forum y contribue un peu, et également tant d'autres lectures, rencontres etc.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

L’Église orthodoxe ignore toute forme de militantisme. C’est le Christ qui est la seule Tête de l’Église, et l’Esprit vien suppléer à toutes les faiblesses des chrétiens — comme il est dit lors des prières d’ordination. L’Église a vu à maintes reprises au cours de l’Histoire des hérésies, des schismes et toutes sortes de faiblesses défigurer son visage. Actuellement l’ethno-phylétisme déforme ses structures inter-épiscopales, cependant que le modernisme déforme son enseignement et le fonctionnement interne des Églises locales. Le Seigneur supporte ses conflits qui nous éprouvent et l’Église en sortira au jour qu’il a fixé, plus belle encore qu’avant. Quant à nous, efforçons-nous de retrouver la Tradition de nos Pères de la foi et de dire sereinement ce que nous savons.

Cela dit, Don Quichotte est une des plus puissantes créations littéraires du génie humain. Certes il perdait un peu trop de temps à se battre contre les moulins à vent, et il fut berné par des gens stupides, mais il ne faillit jamai à l’honneur et sut pénétrer dans la grotte de Montesinos, la grotte des secrets mystérieux. Je ne suis qu’un ridicule Sancho Pança.
Jean-Louis Palierne
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Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Je reviens sur cette question. Il est évident que tout au long de son histoire le visage de l’Église a connu bien des altération, du fait de diverses hérésies et8ou de schismes et autres faiblesses de la médiocrité humaine, dont ne sont exempts ni les fidèles ni les hiérarques. À notre époque deux faiblesses graves marquent le visage de l’Église orthodoxe. C’est d’une part l’ethno-phylétisme, qui lie étroitement l’Église orthodoxe à un destin national, ce qui nuit à la vitalité des relations inter-hiérarchiques et crée dans ce qu’on appelle à tort la “diaspora” une situation ecclésiale insupportable, mais c’est également le modernisme qui a aussi des conséquences ecclésiologiques et réduit le corps ecclésial à une fédération d’associations. Le Seigneur tolère temporairement ces faiblesses, comme il en a& tolérées bien d’autres dans le passé, et elles représentent une épreuve pour les chrétiens. Mais le Seigneur n’abandonne pas son Église et il demeurera en elle jusqu’à la fin des temps. L’Esprit souffle où il veut et produit parfois des retournements qui nous stupéfient. À nous il revient de rechercher la pureté de la Tradition de nos Pères dans la foi et de la proclamer sans relâche, en dépit de nos faiblesses et de celles qui nous entourent. Mais ne tentons pas de “changer la mentalité d’autrui”. L’Esprit s’en charge mieux que nous. Efforçons-nous d'être lucides et recherchons la Vérité.
Jean-Louis Palierne
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Je suis une fois de plus frappée en relisant l’ensemble de ce fil du mélange inextricable de pessimisme et d’optimisme de Jean Louis Palierne. Comment pouvez vous dire que la pensée des Pères est cachée alors qu’une collection comme les Sources Chrétiennes aux éditions du Cerf compte plusieurs centaines de titres ? Même si ce sont des cathos qui l’animent, la qualité des textes est évidente. Et quant aux Pères des époques postérieures, n’en avez-vous pas vous-même traduits quelques uns à L’âge d’homme ? N’est-ce pas l’un des soucis de Dimitriević que de les publier autant qu’il le peut ?
Je vous accorde, à vous qui êtes canoniste, qu’il manque une traduction française du Pidalion et que cela permet à des dérives de s’installer en toute ignorance.
Si certains évêques russes cultivent l’ethnophylétisme, je ne peux pas non plus accepter que « les évêques se tournent prioritairement vers l’afflux des nouveaux migrants qui, eux, ne pensent qu’à faire leur trou dans la société française et n’apportent rien à la vie de leurs Églises. » Si c’était vrai, ma paroisse ne serait pas aujourd’hui l’objet de l’attention si bienveillante de mgr Luka et je ne parle pas de tous les francophones réunis sous l’omophore de mgr Joseph.
Mais il est vrai que le nouvel afflux de migrants depuis la chute du mur de Berlin pose des problèmes de langue, de compréhension interculturelle, d’accueil qui ont de nouveau bouleversé le paysage des paroisses orthodoxes, ranimant un certain ethnophylétisme à Paris alors qu’en province, quand des orthodoxes de plusieurs origines se côtoient dans les 2 ou 3 paroisses existantes (toutes les villes ne sont pas Nice, Marseille ou Lyon !), la coexistence locale est occasion de frottements et de récriminations. Voyez Tours, absolument exemplaire ! Une paroisse unique et cinq nationalités au moins.
L’accusation de censure que vous lancez est grave. Elle signifierait qu’une camarilla ait des moyens de pression considérables sur la pincée d’éditeurs qui publient des textes orthodoxes. Je pense pour ma part que la réalité est plus triviale. Il n’y a effectivement que deux ou trois éditeurs pour publier des textes qui intéressent une infime minorité d’orthodoxes francophones ; dans un contexte économique difficile, si ces éditeurs sortent trois ou quatre livres théologiques par an chacun, sans doute moins d’une dizaine en tout, c’est qu’ils font un effort énorme qu’ils doivent compenser par ailleurs avec des textes plus vendables, des romans, voire des essais politiques ou des livres touristiques. Alors, peut-être l’un ou l’autre a-t-il écarté un ouvrage que vous défendiez pour en choisir un que lui recommandait tel ou tel professeur de Saint-Serge, auréolé de sa réputation universitaire ou médiatique. C’est bêtement humain (ou commercial). Si Dieu permet que l’Eglise orthodoxe croisse en France par l’arrivée de convertis francophones, d’autres vocations éditoriales se feront jour et progressivement le trésor de l’orthodoxie sera traduit. En attendant, il y a quand même beaucoup de choses sur Internet, en français comme en anglais que de plus en plus de gens peuvent lire.
Pour tout le reste, je suis en plein accord avec vous.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
milano
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Message par milano »

Une seule précision d'ordre géographique : à Tours il y a non pas une mais deux paroisses orthodoxes, l'une relevant du patriarcat d'Antioche l'autre de celui de Constantinople, exarchat russe. C'est surtout la première de ces paroisses qui voit se croiser des orthodoxes de plusieurs "traditions", assez éloignées les unes des autres. Mais tout semble s'y dérouler sans "frottements ni récréminations" pour reprendre les termes d'Anne-Geneviève. Bien au contraire, semble-t-il, puisque la paroisse paraît s'enrichir de cette pluri-ethnicité. Sur un autre sujet du forum, l'un des interlocuteurs (peut-être Jean-Louis Palierne ?) disait que la métropole d'Antioche à Paris était réservée aux seuls "antiochiens" de la diaspora, sans se soucier des autres orthodoxes. Dans cette paroisse, c'est loin d'en être le cas, semble-t-il.
serge maraite
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Message par serge maraite »

il semblerait effectivement, sur la base de ce que je vois, lis et entends, que beaucoup des paroisses orthodoxes (toutes juridictions) en France, Belgique (Suisse ?) soient tres mélangées. Chez les grecs, c'est, semble-t-il, un peu moins le cas, encore que l'Evêque auxiliaire du Metropolite grec du Bénélux (Panteleimon, Bruxelles) soit belge, flamand, sans parler de Mgr. K. Ware au R.U. qui est anglais de souche ou du nouvel Evêque français Mgr Marc (Alric) dans la Métropole orthodoxe roumaine d'Europe Occidentale.
Ces mélanges rendent bien vains ces querelles de juridictions.
M. Palierne a brillament montré qu'elles étaient d'ailleurs fort peu orthodoxes, en ce sens que les adjectifs "russe, grec, serbe", etc. ont bien souvent tendance à être au premier plan avec tous les dérapages nationalistes qui en découlent.
Malheureusement, ces conflits existent, se renforcent et empoisonnent la vie ecclésiale dans la mesure où on sent bien certains membres du clergé et certains Evêques clairement sur la défensive. Appelons un chat un chat: il y a des agresseurs et des agressés. Que faut-il faire ? la politique de l'autruche ou se défendre ?
Et si on changeait de sujet ?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

On a parlé des rapporta entre ethnophylétisme et structures mentales. À mon sens c’est mal poser le problème. L’Église orthodoxe à la fois enseigne à chaque peuple orthodoe à trouver sa véritable mentalité, sa propre culture, et bien souvent c’est la traduction des textes sacrés qui modèle la forme de la langue. L’histoire de l’Église en Afrique que vient de retracer Claude montre bien que la durabilité d’une Église vient pour une grande part de l’enracinement d’une Église locale.

Mais je ne peux être d’accord avec la présentation du rapport entre orient et occident comme le choc de deuc cultures, de deux structures mentales. Je ne peux que répéter ici ce que j’ai dit dans le fil sur la chrismation : Si parfois l’Orthodoxie nous étonne, c’est parce que les peuples alors fraichement soumis de l’Occident européen ont poussé à l’excès quelques défauts latents de la culture latine et ont construit une synthèse qui se voulait originale, mais qui ne fut en réalité qu’un “Catoblepas”, ue sorte de poupée-robot, une création de Frankestein, un golem vite échappé des mains de l’artisan, s’autonimisant dans une vie propre parasitaire, et c’est la naissance du monstre occidental. Orient et Occident ne sont pas deux constituants de base de la nature humaine, deux alternatives ontologiques pour la naissance de l’intelligence, deux directions divergentes pour la création de la culture. C’est l’Occident qui est une aberration, un enfant vagabond qui a échappé à sa mère, coupé ses racines et malfotmé son esprit. inventé une fausse rationalité.

La difficulté, l’étonnement, la gêne que certains occidentaux peuvent éprouver lors de leurs premiers contacts avec l’Orthodoxie n’est pas une gêne devant quelque chose de différent, mais devant la révélation que nous avions erré. C’est la gêne du retour à la normale.

Oui, les icônes ne sont pas que de belles peintures, ce sont des présences, mais le rationalisme ou l’esthétisme qui voudrait n’y voir que de belles peintures n’est pas un comportement normal de l’être humain, v’est un appauvrissement. Et l’Orthodoxie ne nous présente pas une autre mentalité, elle nous présente la découverte de notre errance. L’Occident n’est pas une valeur, c’est une erreur.
Jean-Louis Palierne
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serge maraite
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Message par serge maraite »

fort et bien dit !
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Orient/occident… mentalités… D’abord je m’associe à Jean Louis pour dire qu’il n’y a pas deux natures, propres l’une à un « orient » et l’autre à un « occident », fixées pour l’éternité par on ne sait quel décret de la géographie. S’il m’arrive de parler d’orient et d’occident dans l’antiquité tardive, c’est par allusion aux divisions administratives de l’empire et rien d’autre.
Mais ce poncif qui revient périodiquement renvoie à une question plus profonde : qu’est-ce qui modèle une mentalité collective et quel est son poids ? Quand le Christ, à l’Ascension, envoie ses disciples baptiser toutes les nations (ethnies), qu’est-ce qu’une nation ? En d’autres termes, c’est tout le problème identitaire, culturel, qui est posé et que l’on ne peut pas aborder de manière simpliste.
Gêne du retour à la normale, dit Jean Louis. Je m’interroge et je vais prendre un simple exemple, bien concret. J’ai vu des orthodoxes d’origine russe multiplier devant les icônes toute une gestuelle : plusieurs signes de croix, plusieurs touchers de terre, mais des gestes faits si rapidement et si machinalement qu’on n’a pas l’impression qu’ils sont présents dedans. On se demande même quelle invisible salière ils agitent ! Cela me rappelle plutôt la gestuelle des femmes italiennes devant les statues de la Vierge à l’enfant, gestuelle différente mais aussi multipliée, théâtrale et machinale. Dans les deux cas, je suis gênée. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que j’attends d’un geste liturgique qu’il soit sobre mais « habité » ? Ce n’est ni « occidental » ni « oriental », cela doit peut-être à la manière dont se tenait mon grand père lors des prières vespérales familiales. D’accord, mon grand père n’a rien connu d’autre que l’Eglise romaine, comme pratiquement tous les paysans de sa génération (il était né dans les années 1870), mais c’était un homme de foi profonde et de prière sincère. Et qui n’était pas le seul de son espèce dans nos campagnes. Je suis désolée mais je trouve son attitude sobre et présente plus conforme aux recommandations des pères du désert que l’agitation de salière.
Dire que « l’occident », en vrac, est une erreur m’interroge aussi. Je suis la première à dire que l’Eglise romaine est hérétique, que la Réforme n’a pas su trouver le chemin du retour à l’Eglise authentique. Je ne partage pas l’adogmatisme ni l’éventuel athéisme des Lumières. Mais la liberté de croyance, de pensée et d’expression qui fut conquise de haute lutte par certains de nos ancêtres, même si je ne partage pas leurs visions métaphysiques, cette liberté qui n’existe qu’en Europe, en Amérique et plus modérément en Russie qui sort d’une grosse chape de béton me semble une « valeur » essentielle. Dieu a créé l’homme libre et attend qu’il revienne librement à Lui.
Fausse rationalité ? Là encore, je vous avoue que je m’interroge. Il y a le rationalisme, fils du positivisme, fils de la version anglo-saxonne des Lumières (Hume, etc.) ; il y eut la scolastique et la manière dont elle s’est figée. Il y eut Feuerbach, Hegel, Marx. Tout cela représente la face d’ombre. Mais il y a l’usage fécond de la raison, toute la prodigieuse aventure scientifique fondée sur une méthode humble dans son principe. Plutôt que de mettre l’accent sur la rationalité, je le mettrais sur le surgissement de projets sur l’homme, projets qui s’opposent à celui de Dieu, sur des idéologies destructrices.
Il faudrait aller beaucoup plus loin dans la réflexion mais déjà ces quelques remarques peuvent-elles l’alimenter.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
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