Notre Père, suite
Publié : mer. 10 sept. 2003 11:24
Chère Katherine,
Après avoir refermé ce sujet, j’ai réfléchi (je suis souvent comme çà : c’est en redescendant l’escalier que je commence à comprendre !) à ce que vous aviez écrit : « Au moment où vous avez été arrêté par cette redoutable police politique, l’épreuve a déjà commencé pour vous, et vous n’avez plus de choix libre, personnel d’y être ou pas. Évidemment, vous pouvez prier le Seigneur de vous en libérer et Il le fera peut-être, mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié pour quelque chose qui vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement. »
Pardonnez-moi de commencer par la fin (« …vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement ») : si cela peut m’éviter la tentation de livrer mon frère, c’est déjà cela ! Si on ne peut pas avancer, au moins que nous ne reculions pas trop !
Mais ma réflexion touchait à un domaine plus essentiel. Celui du rapport entre la prière et le temps – ou si vous voulez, entre le temps de celui qui profère la prière et le temps de Celui qui l’a faite naître.
Lorsque je prie, ce n’est pas moi qui prie, mais l’Esprit qui prie en moi « par des gémissements ineffables ». Chaque fois que nous prions, c’est parce que le Dieu qui habite dans notre cœur « n’en peut plus » de notre « manque à prier », de notre absence de Son amour.
Mais s’Il fait sa demeure dans notre « chambre du fond », dans le lieu secret de notre « cœur » - le Dieu Un et Trine n’habite pas dans le temps. Il est l’Éternel, Celui qui transcende le Temps comme l’Espace.
Aussi bien, lorsque je prie, m’évadé-je du temps (dans le cadre duquel je dois vivre mon existence « momentanée » - sur la terre actuelle, puisque je suis soumis pour la durée de cette épreuve aux lois transitoires du Temps et de l’Espace) et je sors de ce temps pour entrer dans le non-temps de Dieu. Toute prière est déjà « ek-stase ». Je me souviens de ce vieux moine de Chèvetogne (kto) qui pleurait en silence pendant tout le temps des vêpres (et c’est un temps qui dure longtemps, n’est-ce pas ?). Debout, dos appuyé au mur (il avait plus de 80 ans, je crois), ses larmes ruisselaient comme d’une source, ininterrompues ; il reniflait un peu, simplement - et ses yeux grands ouverts souriaient avec un ravissement de petit enfant ; sans nous voir. Il était loin d’être gâteux, je vous assure. Il est mort quelques jours après ces Vêpres et je l’ai su trop tard pour aller l’embrasser ; j’étais déjà rentré en France.
Alors, si lorsque je prie, c’est bien « hors du temps » que je prie Celui que le Temps ne saurait contenir, qu’importe que je Lui demande de m’épargner une épreuve dans laquelle mon corps soumis au Temps se trouve déjà, est déjà entré ? !
C’est « hors du temps » qu’Il peut m’en dispenser. Qu’Il peut « encore » m’en délivrer. Comment Lui est-il possible de jongler avec le Temps, et agir sur une chose déjà passée ? Je n’en sais rien et cela ne me regarde plus : je Le prie, et c’est alors à Lui que je m’en remets : c’est du reste Sa prière que je Lui ai renvoyée ; Il en fera ce qu’Il avait déjà décidé de toute éternité d’en faire.
Parallèlement, combien de fois l’épreuve, voire même la tentation m’ont-elles été épargnées (à mon insu total) parce que quelqu’un d’autre avait prié pour moi (qu’il ne connaissait peut-être même pas) avant, pendant, ou après cette épreuve… J’ai reçu des grâces incroyables, improbables, imméritées, tout au long de ma vie, et dans des moments où je ne savais plus (ou ne voulais même plus croire) que Dieu existât. Je les ai peut-être reçues à cause de l’intercession (par exemple) d’un ancêtre qui priait plusieurs siècles avant ma naissance.
Ce sont des choses que nous ne saurons qu’après être passés de l’autre côté de la toile – et je crois que nous aurons alors beaucoup de gens à embrasser avec reconnaissance. De parfaits inconnus, aussi ; je le crois.
Comme vous l’écrivez si justement : « … mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié » ! Dame, oui.
Alors, chère Katherine, je ne suis pas aussi certain que vous que ces remarques fussent abstraites. Il me semble au contraire qu’elles touchent au Seul véritable concret : notre Maître. C’est le reste de notre vie, au contraire, qui se perd dans les sables de l’abstraction.
Jusques à quand, Seigneur et Maître de ma vie ?!
É.
Après avoir refermé ce sujet, j’ai réfléchi (je suis souvent comme çà : c’est en redescendant l’escalier que je commence à comprendre !) à ce que vous aviez écrit : « Au moment où vous avez été arrêté par cette redoutable police politique, l’épreuve a déjà commencé pour vous, et vous n’avez plus de choix libre, personnel d’y être ou pas. Évidemment, vous pouvez prier le Seigneur de vous en libérer et Il le fera peut-être, mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié pour quelque chose qui vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement. »
Pardonnez-moi de commencer par la fin (« …vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement ») : si cela peut m’éviter la tentation de livrer mon frère, c’est déjà cela ! Si on ne peut pas avancer, au moins que nous ne reculions pas trop !
Mais ma réflexion touchait à un domaine plus essentiel. Celui du rapport entre la prière et le temps – ou si vous voulez, entre le temps de celui qui profère la prière et le temps de Celui qui l’a faite naître.
Lorsque je prie, ce n’est pas moi qui prie, mais l’Esprit qui prie en moi « par des gémissements ineffables ». Chaque fois que nous prions, c’est parce que le Dieu qui habite dans notre cœur « n’en peut plus » de notre « manque à prier », de notre absence de Son amour.
Mais s’Il fait sa demeure dans notre « chambre du fond », dans le lieu secret de notre « cœur » - le Dieu Un et Trine n’habite pas dans le temps. Il est l’Éternel, Celui qui transcende le Temps comme l’Espace.
Aussi bien, lorsque je prie, m’évadé-je du temps (dans le cadre duquel je dois vivre mon existence « momentanée » - sur la terre actuelle, puisque je suis soumis pour la durée de cette épreuve aux lois transitoires du Temps et de l’Espace) et je sors de ce temps pour entrer dans le non-temps de Dieu. Toute prière est déjà « ek-stase ». Je me souviens de ce vieux moine de Chèvetogne (kto) qui pleurait en silence pendant tout le temps des vêpres (et c’est un temps qui dure longtemps, n’est-ce pas ?). Debout, dos appuyé au mur (il avait plus de 80 ans, je crois), ses larmes ruisselaient comme d’une source, ininterrompues ; il reniflait un peu, simplement - et ses yeux grands ouverts souriaient avec un ravissement de petit enfant ; sans nous voir. Il était loin d’être gâteux, je vous assure. Il est mort quelques jours après ces Vêpres et je l’ai su trop tard pour aller l’embrasser ; j’étais déjà rentré en France.
Alors, si lorsque je prie, c’est bien « hors du temps » que je prie Celui que le Temps ne saurait contenir, qu’importe que je Lui demande de m’épargner une épreuve dans laquelle mon corps soumis au Temps se trouve déjà, est déjà entré ? !
C’est « hors du temps » qu’Il peut m’en dispenser. Qu’Il peut « encore » m’en délivrer. Comment Lui est-il possible de jongler avec le Temps, et agir sur une chose déjà passée ? Je n’en sais rien et cela ne me regarde plus : je Le prie, et c’est alors à Lui que je m’en remets : c’est du reste Sa prière que je Lui ai renvoyée ; Il en fera ce qu’Il avait déjà décidé de toute éternité d’en faire.
Parallèlement, combien de fois l’épreuve, voire même la tentation m’ont-elles été épargnées (à mon insu total) parce que quelqu’un d’autre avait prié pour moi (qu’il ne connaissait peut-être même pas) avant, pendant, ou après cette épreuve… J’ai reçu des grâces incroyables, improbables, imméritées, tout au long de ma vie, et dans des moments où je ne savais plus (ou ne voulais même plus croire) que Dieu existât. Je les ai peut-être reçues à cause de l’intercession (par exemple) d’un ancêtre qui priait plusieurs siècles avant ma naissance.
Ce sont des choses que nous ne saurons qu’après être passés de l’autre côté de la toile – et je crois que nous aurons alors beaucoup de gens à embrasser avec reconnaissance. De parfaits inconnus, aussi ; je le crois.
Comme vous l’écrivez si justement : « … mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié » ! Dame, oui.
Alors, chère Katherine, je ne suis pas aussi certain que vous que ces remarques fussent abstraites. Il me semble au contraire qu’elles touchent au Seul véritable concret : notre Maître. C’est le reste de notre vie, au contraire, qui se perd dans les sables de l’abstraction.
Jusques à quand, Seigneur et Maître de ma vie ?!
É.