en souvenir de l'évêque orthodoxe chinois Siméon (Du)

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Claude le Liseur
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en souvenir de l'évêque orthodoxe chinois Siméon (Du)

Message par Claude le Liseur »

Image

Photographie tirée du livre du hiéromoine Damascène (Christensen), Christ the Eternal Tao, Valaam Books, Platina (CA) 1999, p. 20.

Mgr Syméon fut évêque de Changhaï de 1951 à sa mort en février 1965 et fut le véritable guide de l'Eglise orthodoxe de Chine pendant cette période. Contrairement à ce qu'affirme le hiéromoine Damascène, Mgr Syméon ne mourut pas martyr pendant la Révolution culturelle de 1966, mais mourut à l'hôpital après une cruelle maladie qui l'avait contraint à rester alité pendant deux ans. Il mourut ainsi une année avant la destruction totale de l'Eglise de Chine par le pouvoir communiste (cf. Kevin Baker, A History of the Orthodox Church in China, Korea and Japan, The Edwin Mellon Press, Lewiston / Queenston / Lampeter 2006, p. 211).

Je pense particulièrement à lui en ce jour du 11 juin où l'Eglise fait mémoire des deux cent vingt-deux martyrs orthodoxes chinois qui périrent par la main de la société secrète des Boxers à Pékin en 1900; l'icône des martyrs chinois est reproduite dans la rubrique "iconographie" de notre forum à l'adresse viewtopic.php?t=1373 .
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je me rends compte que le souvenir du premier (et dernier) évêque chinois de Changhaï ne suscite pas beaucoup d'intérêt.

Pourtant, j'ai pensé à lui en particulier parce que cette année la Pentecôte coïncidait avec la fête des martyrs de Pékin en 1900.

Mais aussi parce que cette année 2006 correspond au 40e anniversaire de la Révolution culturelle au cours de laquelle l'Eglise orthodoxe de Chine fut anéantie. Cette Révolution culturelle servit ensuite de modèle à l'Albanie de Enver Hoxha pour la suppression de toute forme de religion en 1967.

Mais l'Eglise d'Albanie a ressuscité (cf. le fil "Ngjalla!" sur le présent forum). Pas l'Eglise de Chine.

En fait, la persécution avait commencé bien avant, mais, ici et là, la vie religieuse normale avait pu continuer jusqu'en 1966.

La dernière liturgie de Pâques célébrée à Pékin remonte à 1957. La dernière liturgie célébrée à Wuhan remonte à 1958. La dernière liturgie de Pâques célébrée à Changhaï remonte à 1964.

Et 1966 a vu l'interdiction totale de la vie liturgique, la fermeture des églises et la liquidation physique du clergé.

Je ne sais même pas ce qu'est devenu l'autre évêque chinois, l'évêque de Pékin Basile. Je n'ai trouvé aucun renseignement sur son sort ultérieur.

Le professeur Baker donne dans son livre des noms de prêtres orthodoxes chinois qui périrent pendant la Révolution culturelle, en général battus à mort par les Gardes rouges. A l'occasion, je traduirai certains de ces récits. Et la déportation. Et le laogaï. Je sais que quelques prêtres ont survécu et que le dernier est mort en 2003. Je ne sais pas combien de martyrs il y a eu. Dieu seul le sait.

De toute façon, au cours de la Révolution culturelle, on a persécuté cent millions de personnes, record absolu en matière de persécution politique, même à l'échelle de la Chine. Des millions de personnes y ont trouvé la mort - même le président de la République populaire, Liu Shaoqi. On a essayé d'anéantir complètement la culture chinoise et Confucius et même les idéogrammes. Alors, la petite Eglise orthodoxe de Chine, ses 300 prêtres et ses 300'000 fidèles, au milieu d'une pareille tragédie, cela compte peu à vue humaine.

Il paraît qu'on a licencié aujourd'hui un grand journaliste français, grand admirateur de la Révolution culturelle de Mao, qui voulait jadis fonder une République soviétique en Auvergne pour en faire son Yenan, et qui dirigeait depuis un quotidien affublé du pouvoir de dire ce qui était démocratique et ce qui ne l'était pas. Il paraît qu'on le remplace par un admirateur de Trotski. Les vases sacrés n'ont qu'à bien se tenir.
Kazan
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Message par Kazan »

lecteur Claude a écrit :Je me rends compte que le souvenir du premier (et dernier) évêque chinois de Changhaï ne suscite pas beaucoup d'intérêt.
C'est vrai, Claude, nous devrions avoir honte d'être si mal touchés par ces martyrs lointains, comme si nous considérions, au fond de nous, que ces peuples lointains, culturellement éloignés, perdus dans un espace politique intouchable, devaient être passés par profit et pertes.
Cela en dit long sur la dureté de notre coeur et il faut vous remercier, veilleur, de nous les rappeler.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Après la prise du pouvoir par les communistes en 1949, la luttte contre les religions a d'abord pris un masque nationaliste en essayant de couper les Eglises de Chine du reste du monde.
Cela s'est traduit par l'expulsion des missionnaires, le regroupement de toutes les confessions protestantes en une seule Eglise nationale, et la création d'une Eglise catholique dite "patriotique", à peu près tolérée, face à l'Eglise catholique romaine soumise au Vatican et plus ou moins clandestine. (L'Eglise catholique patriotique est censée être considérée comme schismatique par le Vatican, mais cette condamnation semble beaucoup plus formelle que réelle, un peu comme la situation qui prévalait entre les catholicossats arméniens d'Etchmiadzine et de Sis.)

Dans cette première phase, l'Eglise orthodoxe de Chine était moins visée que les autres confessions chrétiennes, en raison de ses liens avec le patriarcat de Moscou: or, à l'époque, les relations sino-soviétiques étaient au beau fixe.

Les évêques russes qui étaient encore présents (il ne faut pas oublier qu'il y avait eu jusqu'à 100'000 émigrés russes installés en Chine avant 1945, dont 20'000 rien qu'à Changhaï) préparaient cependant la sinisation totale de l'Eglise orthodoxe de Chine, d'autant plus que la départ rapide des fidèles russes en faisait une Eglise entièrement chinoise pour ce qui était de ses fidèles.

Mgr Siméon (Du) fut le premier évêque chinois consacré, avec le titre de Tianjin, en 1950. Il fut ensuite archevêque de Changhaï de 1951 à sa mort en 1965. (Le premier prêtre orthodoxe chinois, saint Mitrophane Qi, avait été ordonné en 1881.) Il y eut ensuite un autre évêque chinois, Mgr Basile (Yao Fuan), archevêque de Pékin.

En 1956, l'Eglise orthodoxe de Chine se vit accorder le statut d'autonomie. Il ne lui restait pourtant plus que dix ans à vivre.

A cette époque, l'Eglise orthodoxe de Chine, relativement épargnée, put en particulier apporter son aide aux protestants.

Mais, dès 1957, la dégradation des rapports entre le Kremlin et Pékin mit fin à cette relative tolérance dont bénéficiait l'Eglise de Chine.

La dernière célébration de Pâques à Pékin eut lieu en 1957. La dernière liturgie à Wuhan eut lieu en 1958. En 1958, la revue Zheng Guang, éditée par le diocèse de Changhaï, fut interdite. La dernière célébration de Pâques à Changhaï eut lieu en 1964. Les portes de la cathédrale de Changhaï furent scellées par le gouvernement en février 1965, au moment de la mort de l'archevêque Siméon. (D'après d'autres sources, l'archevêque Basile était déjà mort en 1962.)

En 1966, le déclin était déjà marqué par rapport à la situation de 1952, quand l'Eglise de Chine comptait 300'000 fidèles. Par exemple, le diocèse de Harbin ne comptait plus que 10'000 pratiquants.

Puis, en 1966, la Révolution culturelle engagea la lutte contre toutes les formes de vie spirituelle.

Dans son livre, le professeur Baker rapporte quelques informations qui nous sont parvenues sur le martyrologe de l'Orthodoxie chinoise.



Citons quelques noms:

- Le prêtre Nicétas Wang, de Harbin en Mandchourie, fut battu à mort en 1966, selon la méthode plus tard reprise par d'autres communistes au Cambodge: la tête dans un seau (au Cambodge, ce serait dans un sac), et les coups de bâton jusqu'à ce que mort s'ensuive.

- Le prêtre Jean Du, de Tianjin, fut battu à mort en 1967, et son église profanée.

-Antoine Yao, neveu de l'archevêque de Pékin et diacre à Harbin, mourut de ses blessures peu après avoir été libéré de prison.

-Le diacre Pinna Du mourut suite aux mauvais traitements.

-Le diacre Fortilis Huo, de Pékin, fut tué en prison.

-Le prêtre Etienne Wu, en poste à Harbin, mourut des tortures endurées peu après sa sortie de prison en 1969.

-Le prêtre Antoine He, doyen du nord-ouest de la Mandchourie, mourut lors des troubles de 1966.

Le sort de la plupart des autres reste inconnu à ce jour.

En 1986, une seule paroisse fut autorisée à reprendre son fonctionnement normal, à Harbin.

Le gouvernement de la RPC a fait preuve à l'égard de l'Orthodoxie chinoise d'une hostilité particulière qu'il n'a pas eu à l'égard des autres confessions chrétiennes (allant jusqu'à attribuer d'anciennes églises orthodoxes aux "catholiques patriotiques") depuis la libéralisation commencée en 1979.

Le dernier prêtre est mort en 2003 et n'a toujours pas été remplacé.

La raison de cette hostilité particulière semble être la même qu'en 1957. Le patriarcat de Moscou considère qu'il est responsable des orthodoxes de Chine. Par conséquent, l'Orthodoxie est la seule confession chrétienne en Chine qui a un lien particulier avec un pays limitrophe. L'attitude du gouvernement chinois à l'égard des orthodoxes est donc tributaire des relations entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie. Ces relations ont été mauvaises pendant très longtemps.

En revanche, à Hong Kong, "région administrative spéciale" au sein de la Chine depuis le 1er juillet 1997, en vertu du principe "un pays, deux systèmes", il y a une petite communauté orthodoxe qui vit dans des conditions normales. En effet, le Patriarcat oecuménique de Constantinople (qui ne suscite de toute façon pas les mêmes suspicions à Pékin, puisqu'il n'a pas de liens particuliers avec aucun pays voisin de la Chine) a pu y établir le siège d'une métropole d'Asie du Sud-Est, qui comprend, outre les paroisses de Hong Kong, Taïwan et Singapour, les missions du Bengale occidental, de l'Indonésie et des Philippines.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Quand je pense à certaines Églises orthodoxes locales où l'on prend des risques à seulement évoquer la glorieuse page missionnaire de l'Église russe en Chine (tout le monde n'a pas le passé missionnaire glorieux de l'Église russe, tout le monde n'a pas le courage des missionnaires grecs en Afrique contemporaine, et certains ne voient pas pourquoi ils traiteraient les Chinois mieux que les francophones... ), je pense qu'un hommage à Mgr Syméon Du et aux martyrs orthodoxes de la période maoïste s'impose encore et toujours.
Fourmi_un
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Message par Fourmi_un »

Devons-nous en déduire que pour trop de personnes, l'intercession d'un saint Martyr chinois ne soit pas à la hauteur de celle d'un saint de leur culture ? A moins qu'ils ne pensent que le Christ des Chinois ne soit qu'un Christ inférieur, un ersatz, une copie "Made in China" ?
Et bien, puisque je parle de Lui, qu'Il nous pardonne.
"Mieux vaut voir régner dans notre Ville le turban des Turcs que la mitre latine"
Lucas Notraras
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Fourmi_un a écrit :Devons-nous en déduire que pour trop de personnes, l'intercession d'un saint Martyr chinois ne soit pas à la hauteur de celle d'un saint de leur culture ? A moins qu'ils ne pensent que le Christ des Chinois ne soit qu'un Christ inférieur, un ersatz, une copie "Made in China" ?
Et bien, puisque je parle de Lui, qu'Il nous pardonne.
Oui, vous avez bien déduit. Cela peut aller jusqu'à l'interdiction totale de parler, non pas des saints martyrs chinois de la période maoïste (interdiction qui pourrait s'expliquer, sans se justifier, de la part d'une prêtraille qui entretenait des rapports plus fraternels avec les organes de la sécurité communiste), mais aussi des martyrs chinois de la rébellion des Boxers. Alors, oui, on ne peut que penser que, pour le clergé de certaines Églises locales, l'intercession d'un saint chinois - ou gaulois, d'ailleurs... - ne soit pas à la hauteur de celle d'un saint de leur culture, et que le Christ des Chinois ne soit qu'un ersatz de Christ.

Toutefois, peut-être que cette attitude trouve aussi son origine dans une certaine hargne anti-russe. Et oui, tout le monde n'a pas le passé missionnaire de l'Église russe en Asie du Nord, tout le monde n'a pas le présent missionnaire des Églises orthodoxes de langue grecque en Afrique orientale.
Claude le Liseur
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Re: en souvenir de l'évêque orthodoxe chinois Siméon (Du)

Message par Claude le Liseur »

En ce 11 juin, comme chaque année, l'Orthodoxie (du moins Constantinople et Moscou, car il y a certaines Eglises locales où, semble-t-il, il vaut mieux ne pas évoquer le fait que certains saints puissent ne pas avoir leur passeport!) célèbre la mémoire des martyrs orthodoxes chinois qui périrent par la main des membres de la secte des Boxers le 11 juin 1900.

Je me permettrai d'y associer la mémoire de ceux qui luttèrent pour le maintien de l'Orthodoxie en Chine après la prise du pouvoir par les communistes en 1949 et de ceux qui périrent au cours de la Révolution culturelle de 1966.

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Anne Geneviève
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Re: en souvenir de l'évêque orthodoxe chinois Siméon (Du)

Message par Anne Geneviève »

Merci de ce rappel.
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Claude le Liseur
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Re: en souvenir de l'évêque orthodoxe chinois Siméon (Du)

Message par Claude le Liseur »

Le site orthodoxie.com nous annonce la première ordination d'un prêtre chinois dans l'Eglise orthodoxe russe depuis 60 ans:

http://orthodoxie.com/ordination-du-pre ... is-60-ans/

C'est une bonne nouvelle et peut-être un premier signe d'espoir pour une résurrection de l'Orthodoxie en Chine, mais l'article suscite un certain nombre de questions:

- Le nouveau prêtre, le RP Anatole Kun, a été ordonné prêtre pour Hong Kong. Dans la mesure où la République populaire de Chine (ci-après la "RPC") fait encore mine, pour le moment, de laisser une certaine marge de manœuvre à la Région administrative spéciale de Hong Kong, notamment en y laissant subsister une tolérance religieuse inconnue en RPC proprement dite, cela veut peut-être dire que le gouvernement chinois n'autorise toujours pas l'ordination d'un prêtre orthodoxe pour les régions où sont concentrés les quelque 10'000 survivants de l'Orthodoxie chinoise, à savoir la Mandchourie et le Xinjiang.

- On nous apprend que le RP Kun sera rattaché à l'Eglise orthodoxe autonome de Chine (Китайская Автономная Православная Церковь dans le texte original russe traduit par orthodoxie.com). Cette Eglise existe-t-elle encore, dans la mesure où elle n'a plus d'évêque depuis 1965?

- Enfin, les orthodoxes ne sont-ils pas en train d'étaler le spectacle lamentable de leur désorganisation administrative en Extrême-Orient comme ils l'ont fait en Europe occidentale, dans la mesure où il semble qu'on ait tenu aucun compte de l'existence de la métropole orthodoxe de Hong Kong dans la juridiction du patriarcat œcuménique de Constantinople (Mgr Nectaire)? Ladite métropole (http://www.omhksea.org/ ) a des paroisses à Hong Kong, à Taïwan et aux Philippines, mais précisément pas de paroisse en RPC. Ne serait-il pas plus sage de considérer que la RAS de Hong Kong, qui ne faisait pas partie du territoire de la RPC au moment de la proclamation de l'Eglise orthodoxe autonome de Chine le 23 novembre 1956, ne fait pas partie du territoire canonique de l'Eglise orthodoxe autonome de Chine, et que le reste de la RPC ne fait pas partie du territoire canonique de la métropole de Hong Kong?
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