quelques précisions sur l'Orthodoxie dans les pays tchèques

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

quelques précisions sur l'Orthodoxie dans les pays tchèques

Message par Claude le Liseur »

Le 16 septembre, l'Eglise fait mémoire de deux saints tchèques, sainte Ludmilla et saint Procope de Sazava.

Cela me paraît l'occasion d'un retour sur un sujet que nous avons déjà abordé sur l'ancien forum, à savoir l'histoire mouvementée de l'Eglise orthodoxe chez les Tchèques.


On sait que saint Procope de Sazava (mort en 1053) fut l'un des derniers témoins de l'Orthodoxie en pays tchèque.

Depuis l'interdiction du culte en slavon en 885, la Bohême et la Moravie penchaient de plus en plus vers l'Eglise romaine. Le romano-catholicisme était à la fois une cause et une conséquence de la domination germanique de plus en plus forte. Le culte en slavon ne réapparut dans l'histoire tchèque médiévale qu'en deux circonstances: au monastère de Sazava de 1032 à 1097, puis au monastère d'Emmaüs fondé par Charles IV en 1347.
A noter que saint Procope était un bénédictin orthodoxe, espèce qui a survécu au mont Athos au monastère des Amalfitains jusqu'au XIIème siècle avant de réapparaître en France au XXème siècle avec le père Denys (Chambault) dans la juridiction du patriarcat de Moscou.

L'histoire du monastère de Sazava a été particulièrement agitée: établie en 1032 par saint Procope dans l'esprit de saints Cyrille et Méthode, la liturgie slavonne y fut interdite en 1055 sous la pression allemande, rétablie en 1061 par le roi de Bohême Vratislav II (qui ne parvint jamais à obtenir l'approbation du pape Grégoire VII - celui de Canossa) et définitivement interdite en 1097 sous Bretislav II. On peut donc dire que l'Orthodoxie en terre tchèque s'arrête en 1097.

Les Tchèques seront vite mécontents de leur nouvelle religion catholique romaine, pour eux synonyme de germanisation. Ils auront donc une longue tradition de dissidence religieuse: Hussites (qui, bien loin d'être tous des précurseurs du protestantisme, avaient envoyé un de leurs prêtres à Constantinople pour essayer de s'unir à l'Orthodoxie en 1451 - mais la date était mal choisie...) dès 1415, puis succès éclatant du protestantisme, finalement écrasé par les Habsbourg qui imposeront la Contre-Réforme. Les pasteurs calvinistes et ceux de l'Unité des Frères (héritiers des hussites ralliés à la Réforme) seront expulsés en 1621, les pasteurs luthériens en 1622, Comenius partira pour l'exil en 1628, et tout s'achèvera par la conversion obligatoire au catholicisme romain des derniers dissidents en Bohême en 1650 et en Moravie en 1654. Il en restera cependant un ressentiment durable à l'égard du papisme dans une partie du peuple tchèque. Cette histoire est bien connue.

J'ai cependant eu la surprise de trouver dans un livre roumain, publié à Arad en 1925, des précisions intéressantes sur le retour de l'Orthodoxie en pays tchèque, que je situais en 1918-19 après la chute des Habsbourg. Or, il semble que le mouvement ait commencé plusieurs décennies plus tôt.
Le livre en question, Manual de drept bisericesc ortodox oriental, du docteur Nicolas Popovici, est accompagné de la traduction roumaine, publiée deux ans plus tard à Arad par le protoprêtre Urosh Kovintchitch et Nicolas Popovici, d'un ouvrage serbe du professeur Radovan Kazimirovitch, publié en 1926 à Belgrade comme supplément à une nouvelle édition du manuel de droit canonique de Mgr Nicodème (Milash) de Zara. Ce supplément dresse un intéressant état des lieux de l'Eglise orthodoxe en 1926, dans un esprit assez panslaviste et anti-Constantinople, avec des détails sur la renaissance de l'Orthodoxie dans la République tchécoslovaque, détails que je crois intéressants, même si je fais ici une traduction au carré. Ne lisant pas le serbe, je ne peux pas me référer à l'original et je travaille à partir de la traduction roumaine.

Le professeur Kazimirovitch fait une distinction entre la situation dans les quatre parties de la Tchécoslovaquie d'alors: Bohême et Moravie d'une part, Slovaquie et Ruthénie subcarpathique d'autre part. On sait que la Ruthénie subcarpathique a été annexée par l'Union soviétique en 1945 et qu'elle fait aujourd'hui partie de l'Ukraine. Les trois autres pays ont fait partie de la Tchécoslovaquie jusqu'à son éclatement en Tchéquie et en Slovaquie le 1er janvier 1993. Je me contente de résumer ici ce que Kazimirovitch écrit à propos de l'Orthodoxie dans les pays tchèques de Bohême et de Moravie.

Revenons en arrière. En 1781, l'inoubliable empereur Joseph II accorde la liberté religieuse dans l'Empire des Habsbourg, d'ailleurs plus pour apaiser les calvinistes hongrois et les orthodoxes roumains que pour plaire aux Tchèques. En 1848, le métropolite primat serbe de Karlowitz vient à Prague pour célébrer une liturgie à laquelle assistent de nombreux Tchèques. Cependant, Vienne interdit les conversions du catholicisme à une autre religion jusqu'à la chute de Bach en 1859. Après cette date, les conversions de Tchèques à l'Orthodoxie deviennent possibles, mais le gouvernement autrichien interdit la constitution de paroisses orthodoxes tchèques. Les convertis tchèques devront donc fréquenter les chapelles desservies par le prêtre rattaché au consulat russe de Prague. D'autres Tchèques s'étaient rattachés à la communauté orthodoxe serbe de Vienne.

Après la chute des Habsbourg et la création de la Tchécoslovaquie (28 octobre 1918), environ 800'000 Tchèques (près de 12% du peuple tchèque!) se séparèrent de l'Eglise catholique romaine et se constituèrent en Eglise nationale. Au cours de deux assemblées générales (8-9 janvier et 28-29 août 1921), cette Eglise décida de rejoindre l'Orthodoxie. Le 20 septembre 1921, le synode de l'Eglise orthodoxe serbe désigna trois prêtres tchèques pour être les évêques de la nouvelle Eglise. Le docteur Matthieu Pavlik fut consacré évêque à Belgrade le 25 septembre 1921 sous le nom de Gorazd: on sait comment il mourut martyr en 1942 et fut ensuite canonisé (cf. la rubrique "Etienne de Hongrie" de l'ancien forum). Or, d'après Kazimirovitch, le patriarcat de Constantinople aurait aussitôt sacré "archevêque de Tchécoslovaquie" l'archimandrite Savatie, entraînant donc un schisme et le départ vers le protestantisme de l'écrasante majorité des fidèles de l'Eglise nationale tchécoslovaque. L'Eglise orthodoxe tchèque dirigée par saint Gorazd ne comptait selon Kazimirovitch que 11 paroisses, malgré sa reconnaissance officielle par le gouvernement tchèque.

Pour le reste, on sait que l'Eglise fondée par saint Gorazd passa de la juridiction du patriarcat de Belgrade à celle du patriarcat de Moscou en 1945, avant d'en recevoir l'autocéphalie en 1951. Si cette Eglise compte semble-t-il aujourd'hui 160'000 fidèles, il s'agirait de 80'000 immigrés ukrainiens, de 60'000 ex-uniates slovaques et de seulement 20'000 Tchèques héritiers de la mission de saint Gorazd, ce qui est peu en regard des 800'000 Tchèques qui avaient rompu avec Rome en 1918-19. Or, d'après Kazimirovitch, ce relatif échec s'expliquerait par le spectacle décourageant donné par les divisions juridictionnelles des orthodoxes...
Répondre