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Patriarchat d'Occident

Publié : ven. 12 mai 2006 23:34
par Kazan
Que penser de ce texte paru sur le service Orthodoxe de presse:

http://www.orthodoxpress.com/document.p ... 307&page=3

Extraits:

Pour l'Église orthodoxe, engagée depuis vingt-cinq ans avec Rome dans un " dialogue de vérité " en vue de l'unité des Églises, loin de constituer un détail anodin, la portée oecuménique de la disparition de ce titre de " patriarche d'Occident " apparaît, au premier abord, considérable. Car si le nouveau pape Benoît XVI abandonne ce titre, c'est que le patriarcat dont il avait la charge n'a plus d'existence à ses yeux. Ce geste ne signifie-t-il pas dès lors que la juridiction romaine ne saurait se limiter au cadre de la circonscription traditionnelle de l'Église d'Occident, mais s'étend, de droit sinon de fait, au monde entier en toutes directions, empiétant donc sur le territoire canonique des patriarcats orthodoxes ? Les pasteurs et théologiens orthodoxes soucieux de l'unité des chrétiens auraient de quoi s'alarmer en souscrivant à une telle interprétation. On peut s'étonner, d'ailleurs, du manque d'explication d'une telle décision de la part de Rome, comme si la réaction orthodoxe n'était pas prévisible. En fait le concept de " patriarcat " fait l'objet d'une sorte d'amnésie en Occident et d'une hypermnésie en Orient. En ne tenant pas compte de l'évolution de l'Église occidentale, la lecture orthodoxe courante de cet événement risque fort de projeter, sur Rome, des catégories de l'ecclésiologie orthodoxe devenues depuis longtemps étrangères à l'Occident.
Il est vrai que le patriarcat de Rome et d'Occident a longtemps fait partie de la représentation ecclésiologique de l'Église entière au temps des conciles oecuméniques et des Pères, mais beaucoup plus en Orient qu'en Occident.

À la vérité, qu'on le veuille ou non, Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat, au sens que ce terme avait dans le système pentarchique. Les canons du concile de Sardique (343) établissant Rome comme instance de cassation étaient invoqués aussi bien par l'Orient que par l'Occident (comme en témoigne le conflit entre Hincmar de Reims et le pape Nicolas Ier au 9e siècle). Un droit patriarcal comme tel ne s'est jamais développé à Rome tandis que croissaient les aspirations de l'évêque de Rome à une juridiction universelle. L'effort du pape Nicolas Ier – face aux carences du monde carolingien en déclin – pour subordonner au siège romain tous les évêques en s'appuyant sur les Fausses Décrétales, puis celui du pape Grégoire VII (11e s.) pour affirmer, par ses dictatus papae, la suprématie du pontife romain sur le pouvoir temporel constituèrent deux moments historiques décisifs qui vidaient de toute réalité le concept de patriarcat d'Occident.

Plus profondément, le pape Benoît XVI pourrait, par ce geste, vouloir dégager sa primauté morale universelle de toute juridiction patriarcale, aussi bien dans l'administration quotidienne de l'Église catholique que dans le dialogue avec l'orthodoxie. Il y a trente-cinq ans, le professeur Joseph Ratzinger constatait avec lucidité : " C'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui […]. La tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine " (Le Nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 56-68).
Si la suppression du titre de patriarche d'Occident avait en vue, conformément à ce voeu, de faciliter aussi bien l'exercice d'une primauté pontificale non omnipotente que la création de nouveaux patriarcats au sein même de l'Église romaine, l'Église orthodoxe n'aurait qu'à se féliciter de cette démarche. Le pape pourrait-il à nouveau, comme dans l'Église ancienne, exercer sa primauté universelle sans nommer systématiquement les évêques orientaux ni même les évêques occidentaux, puisqu'il semble vouloir s'affranchir de sa juridiction patriarcale sur l'Occident ? L'avenir nous dira si cette orientation est la bonne.
Face à la perspective d'un retour à l'unité avec l'Église orthodoxe, le pape Jean-Paul II avait récemment laissé entendre qu'il désirait " la communion et non pas la juridiction ". De même le professeur Joseph Ratzinger a écrit : " Rome ne peut exiger de l'Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté, plus qu'il n'a été formulé et vécu durant le premier millénaire " (Les Principes de la théologie catholique, 1982).

Re: Patriarchat d'Occident

Publié : sam. 13 mai 2006 1:40
par Claude le Liseur
Kazan a écrit :Que penser de ce texte paru sur le service Orthodoxe de presse:

http://www.orthodoxpress.com/document.p ... 307&page=3

Extraits:

Pour l'Église orthodoxe, engagée depuis vingt-cinq ans avec Rome dans un " dialogue de vérité " en vue de l'unité des Églises, loin de constituer un détail anodin, la portée oecuménique de la disparition de ce titre de " patriarche d'Occident " apparaît, au premier abord, considérable. Car si le nouveau pape Benoît XVI abandonne ce titre, c'est que le patriarcat dont il avait la charge n'a plus d'existence à ses yeux. Ce geste ne signifie-t-il pas dès lors que la juridiction romaine ne saurait se limiter au cadre de la circonscription traditionnelle de l'Église d'Occident, mais s'étend, de droit sinon de fait, au monde entier en toutes directions, empiétant donc sur le territoire canonique des patriarcats orthodoxes ? Les pasteurs et théologiens orthodoxes soucieux de l'unité des chrétiens auraient de quoi s'alarmer en souscrivant à une telle interprétation. On peut s'étonner, d'ailleurs, du manque d'explication d'une telle décision de la part de Rome, comme si la réaction orthodoxe n'était pas prévisible. En fait le concept de " patriarcat " fait l'objet d'une sorte d'amnésie en Occident et d'une hypermnésie en Orient. En ne tenant pas compte de l'évolution de l'Église occidentale, la lecture orthodoxe courante de cet événement risque fort de projeter, sur Rome, des catégories de l'ecclésiologie orthodoxe devenues depuis longtemps étrangères à l'Occident.
Il est vrai que le patriarcat de Rome et d'Occident a longtemps fait partie de la représentation ecclésiologique de l'Église entière au temps des conciles oecuméniques et des Pères, mais beaucoup plus en Orient qu'en Occident.

À la vérité, qu'on le veuille ou non, Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat, au sens que ce terme avait dans le système pentarchique. Les canons du concile de Sardique (343) établissant Rome comme instance de cassation étaient invoqués aussi bien par l'Orient que par l'Occident (comme en témoigne le conflit entre Hincmar de Reims et le pape Nicolas Ier au 9e siècle). Un droit patriarcal comme tel ne s'est jamais développé à Rome tandis que croissaient les aspirations de l'évêque de Rome à une juridiction universelle. L'effort du pape Nicolas Ier – face aux carences du monde carolingien en déclin – pour subordonner au siège romain tous les évêques en s'appuyant sur les Fausses Décrétales, puis celui du pape Grégoire VII (11e s.) pour affirmer, par ses dictatus papae, la suprématie du pontife romain sur le pouvoir temporel constituèrent deux moments historiques décisifs qui vidaient de toute réalité le concept de patriarcat d'Occident.

Plus profondément, le pape Benoît XVI pourrait, par ce geste, vouloir dégager sa primauté morale universelle de toute juridiction patriarcale, aussi bien dans l'administration quotidienne de l'Église catholique que dans le dialogue avec l'orthodoxie. Il y a trente-cinq ans, le professeur Joseph Ratzinger constatait avec lucidité : " C'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui […]. La tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine " (Le Nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 56-68).
Si la suppression du titre de patriarche d'Occident avait en vue, conformément à ce voeu, de faciliter aussi bien l'exercice d'une primauté pontificale non omnipotente que la création de nouveaux patriarcats au sein même de l'Église romaine, l'Église orthodoxe n'aurait qu'à se féliciter de cette démarche. Le pape pourrait-il à nouveau, comme dans l'Église ancienne, exercer sa primauté universelle sans nommer systématiquement les évêques orientaux ni même les évêques occidentaux, puisqu'il semble vouloir s'affranchir de sa juridiction patriarcale sur l'Occident ? L'avenir nous dira si cette orientation est la bonne.
Face à la perspective d'un retour à l'unité avec l'Église orthodoxe, le pape Jean-Paul II avait récemment laissé entendre qu'il désirait " la communion et non pas la juridiction ". De même le professeur Joseph Ratzinger a écrit : " Rome ne peut exiger de l'Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté, plus qu'il n'a été formulé et vécu durant le premier millénaire " (Les Principes de la théologie catholique, 1982).
Que cela fait des siècles que l'on a créé des "nouveaux patriarcats" au sein de "l'Eglise romaine": Venise, Lisbonne, Goa, sans parler des patriarcats uniates. Je ne vois pas que cela ait changé la face du monde.

La question de la juridiction pontificale me semble tout de même bien secondaire par rapport aux autres points de désaccord entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholiqeu romaine.

Publié : sam. 13 mai 2006 8:14
par Kazan
Oui, Claude, je sais bien que cela ne change rien aux points de désaccord et qu'ils sont l'essentiel du problème

Ce qui a surtout motivé mon interrogation, c'est la phrase:
"en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine"
Comment faut-il comprendre cette phrase ?

Publié : dim. 14 mai 2006 19:00
par Jean-Louis Palierne
Il y a, dans cette problématique des patriarcats, quelque chose qui est excessivement gonflé. On raisonne comme si l’Église orthodoxe était comme “composée de patriarcats”. Non, elle est composée d’Églises locales, c’est-à-dire de communautés réunies chacune autour de son évêque qui, lui siège ”au lieu et à l’image du Christ”. Chaque évêque, par le charisme qui lui est conféré par l’ordination épiscopale, est le représentant du Christ, siégenat au centre de la communauté qu’il préside dans la célébration eucharistique. Dans la communauté que constitue l’Église locale se trouvent tous les charismes : le charisme central de l’évêque, le charisme sacerdotal qui l’entoure au service de l’Autel, le charisme diaconal et ses sous-multiples, les clercs mineurs, au service de l’Assemblée, le charisme des laïcs et le charisme ascétique (monastique). Tout cela constitue l’Église locale.

Il n’y a pas d’évêque qui n’appartienne à un synode local (plus exactement il ne devrait pas y avoir d’évêque etc.). C’est ce synode qui l’élit et qui l’ordonne (Canon 1 des Canons apostoliques). Les évêques-membres doivent y participer régulièrement, l’informer de leurs décisions, et le synode peut également arbitrer un conflit et même condamner un évêque. Il n’y a pas de vie synodale possible sans un président, et il n’y a pas de président sans vie synodale (il ne devrait pas y avoir…). L’Église calque ses circonscriptions sur le découpage des provinces civiles, et le président est l’évêque du chef-lieu de la province (on disait la “métropole”).

Un synode provincial d’évêques orthodoxes devrait par définition être autonome, c’est-à-dire qu’il devrait choisir lui-même ses membres, y compris l’évêque-président, le métropolite. Il y avait besoin d’une instance supérieure pour

- confirmer l’élection du métropolite et en informer les Églises voisines,

- juger en appel les conflits irrésolus,

- authentifier et recommander auprès des pouvoirs civils les démarches des évêques (qui ont toujours été sensibles à la tentation de “jouer un rôle” auprès du pouvoir),

- modifier les découpages,

et ces diverses tâches ont amené à créer des instances supra-provinciales. Juistement l’empereur Diclétien venait de créer, pour l’ensemble de l’Empire romain, un découpage à deux niveaux : 15 grands diocèses civils (le mot a changé de sens et de dimension à notre époque) et deux à trois cents petites provinces. Pour l’Église, c’est au niveau des grands diocèses civils que les tâches super-provinciales ont été prises en charge (par exemple, la Gaule, l’Égypte, l’Afrique (en fait le Maghreb), l’Illyrie, le Pont (le Nord de la Turquie) etc. Nous avons conservé par exemple une série d’Actes des conciles de certaines provinces, qui ont joué un rôle important dans son histoire.

Mais pour la vie de l’Église il fallait aussi que cette instance supra-provinciale soit supportée par la continuité d’une grande agglomération, et qu’à ce niveau on puisse trouver des hommes éminents, et à un niveau correspondant au niveau des décisions civiles. D’où la création des cinq Patriarcats : Rome, Alexandrie, Antioche, puis Constantinople et Jérusalem.

Mais il faut bien noter que toutes ces structures étaient conçues comme un service rendu à la vie synodale des synodes provinciaux et des Églises locales (épiscopo-centriques) qui les composaient.

Puis Rome est sortie de l’Orthodoxie, réduisant à quatre le nombre des Patriarcats. Puis les conquêtes musulmanes, arabes puis ottomanes, ont réduit les Patriarcats orientaux au silence et amené à leur quasi-disparition pour plusieurs siècles. Puis les Nations-États émancipées par leur libération du joug ottoman ont réclamé leur indépendance aussi sur le plan ecclésiastique et ont proclamé des “Patriarcats”. Puis elles se sont donné des structures modernistes pyramidales bien éloignées de l’ordre canonique.

Et nous arrivons aujourd’hui à une organisation très occidentalisée, qui fournit au Vatican un excellent terrain pour ses manœuvres diplomatiques.

Publié : lun. 15 mai 2006 10:04
par Antoine
XB!
Jean-Louis Palierne a écrit : Patriarcats : Rome, Alexandrie, Antioche, puis Constantinople et Jérusalem.
Mais il faut bien noter que toutes ces structures étaient conçues comme un service rendu à la vie synodale des synodes provinciaux et des Églises locales (épiscopo-centriques) qui les composaient.
Si elles ont été conçues telles peut-on dire qu'elles ont correctement fonctionné de la sorte? Les rivalités entre Antioche, Alexandrie, Constantinople par exemple montreraient que la structure de l'Eglise a vite été détournée de sa mission première.
Le patriarcat n'était -il pas en fait un moyen pour l'empereur d'instrumentaliser l'Eglise de par la concentration administrative et autoritaire que le patriarcat représentait au sein même de l'Eglise?

Puis elles se sont donné des structures modernistes pyramidales bien éloignées de l’ordre canonique.
Alors dans ce cas qu'est-ce qui doit prévaloir: les canons anciens et non appliqués(donc désuets) ou ces nouvelles structures que se donne l'Eglise? Qui décide de ses structures; les anciens canons ou l'Eglise?En vertu de quoi? de quelle autorité qui lui serait supérieure?

Qui osera taxer le patriarcat de Moscou* d'hérésie ecclésiologique suite à la modication de ses statuts qui proclament:
« La juridiction de l’Église orthodoxe russe est étendue :
– aux personnes de confession orthodoxe résidant en URSS [1988] ; résidant sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe [2000], ainsi que
– aux personnes qui résident à l’étranger et qui acceptent volontairement sa juridiction » (Article I, § 3, Charte statutaire de l’Église de Russie-1988 et 2000) .


<<aux personnes qui résident à l’étranger et qui acceptent volontairement sa juridiction >>: On voit là que la notion de territoire a disparu et que nous sommes plus que dans le simple phylétisme; la chasse est ouverte puisque tout le monbde est invité à se rattacher "volontairement" à Moscou. A-t-on vu une seule Eglise rompre la communion avec Moscou à cause de ces nouvelles dispositions statutaires? Quand vous écrivez: << L’Église calque ses circonscriptions sur le découpage des provinces civiles, et le président est l’évêque du chef-lieu de la province (on disait la “métropole”). >> Ne peut on en conclure que cela était correct sous l'administration de l'Empire mais qu'aujourd'hui l'Empire n'existant plus les règles sont caduques et l'Eglise peut décider d'autres formes d'organisation qui lui conviennent mieux et indépendantes des fluctuations frontalières? N'êtes vous pas attaché à ces canons comme d'autres sont attachés au calendrier julien? (Et ne me répondez pas que le calendrier Julien n'a, lui, jamais fait l'objet de canons, je ne le sais que trop bien. Ce qui est en cause ici, c'est la validité ou la caducité de certains canons.)

* Signalons que Chypre a pris les mêmes dispositions. Constantinople elle vit également sous cette fausse ecclésiologie. Quant à L'ERHF nous avons vu (rubrique ERHF: communion eucharistique en voie de rétablissement) qu'elle adoptait également une structure phylétiste figeant sa notion de diapora au détriment de la notion d'Eglise Locale. Alors Jean-Louis, où est l'Eglise?

Publié : lun. 15 mai 2006 19:08
par Jean-Louis Palierne
Antoine cite ce que j’ai écrit dans mon précédent message :
Patriarcats : Rome, Alexandrie, Antioche, puis Constantinople et Jérusalem. Mais il faut bien noter que toutes ces structures étaient conçues comme un service rendu à la vie synodale des synodes provinciaux et des Églises locales (épiscopo-centriques) qui les composaient.
Cz qui l’amène à me demander:
Si elles ont été conçues telles peut-on dire qu'elles ont correctement fonctionné de la sorte? Les rivalités entre Antioche, Alexandrie, Constantinople par exemple montreraient que la structure de l'Eglise a vite été détournée de sa mission première.

Le patriarcat n'était -il pas en fait un moyen pour l'empereur d'instrumentaliser l'Eglise de par la concentration administrative et autoritaire que le patriarcat représentait au sein même de l'Eglise?
Je crois que la structure de l’Église a été altérée (mais non détruite) mais pas aussi vite et aussi tôt que cela.

Les très vives discussions qui ont opposées des fractions et des factions dans l’Église sur les questions christologiques, sotériologiques et triadologiques n’étaient pas des qurelles de pouvoir. Il y était avant tout question du culte véritable que nous devons rendre à Dieu. Bien sûr elles ont opposé des hommes avec toutes leurs faiblesses. Mais par la grâce de Dieu la vérité a vaincu les erreurs. La triarchie initiale des patriarcats a été instituée avant la pression impériale. Le patriarcat de Constantinople a été créé lorsque Constantin créa une ville pratiquement artificielle pour gouverner l'Empire. Son patriarche était l'interlocuteur de l'empereur, le porte-parole de l'Église. C'est surtout l'Empire ottoman qui a accéléré la hiérarchisation de l'Église.

C’est pour obéir à sa nature profonde que l’Église s’est structurée en synodes provinciaux. C’est pour répondre à son devoir que l’Église a créé des des structures supra-provinciales, car il ne serait pas possible de réunir un concile œcuménique annuel, ni même décennal ! C’est par une juste appréciations des réalités de l’histoire profane que l’Église a investi un petit nombre de “patriarcats” de fonctions permanentes de conciliation, d’appel, de confirmation des élections métropolitaines et des découpages provinciaux, et je dois en oublier. De nos jours, malgré l’extraordinaire développement des techniques de transport et de télécommunication, nous voyons bien que les structures internationales, non seulement mondiales, mais même européennes, restent très au-dessous de leurs tâches. Devons-nous donc reprocher aus structures d’Église leurs imperfections ?

Ce n’est pas sous le poids des dures réalités de dominations totalitaires que ces structures supra-provinciales se sont vu attribuer des fonctions de pouvoir autoritaire, c’est en raispn de l’essor des idéologies qui, depuis l’époque des Lumières, ont fait du “despotisme éclairé”, puis de la “Nation”, puis du “socialisme”, puis, à notre époque, de la “société civile”, l’arbitre de toutes les valeurs de la vie humaine. Pour sauvegarder son existence, l’Église a cru nécessaire de se doter d’une structure rationnelle, adaptée, calibrée, organisée en fonction d’objectifs précis. Mais la notion même d'objectifs est étrangère à l'exxlésiologie.

Le sommet avait été atteint, peu avant le Concile de 1923 à Constantinople (celui qui a adopté d’autorité un certain nombre de bouleversements tels que le nouveau calendrier) par le Concile russe de 1917 réuni à Moscou qui, avant d’être dispersé par les bolcheviks, avait adopté toute une structure pyramidale où les paroisses de toute la Russie se fédéraient en une Église nationale. Les doyennés et les diocèses en représentaient les degrés d'encadrement administratif. Chaque niveau était administré par des Conseils clérico-laïcs, où le clergé n’assumait qu’un rôle cultuel et présidentiel. Et cet énorme corps pensait pouvoir assumer des fonctions d’enseignements et d’assistance publique. Il devait être gouverné au sommet par un Saint Synode restreint présidé par le Patriarche nouvellement réinstauré. Et il avait son propre échelonnement d’instances judiciaires, distinct de la fonction épiscopale.

Il s’agissait bien d’une véritable altération de la structure que la Tradition de nos Pères dans la foi a donnée à l’Église du Christ. Cette structure réformée n’était pas le fruit d’une pression du Pouvoir civil, elle résultait du mouvement des esprits à l’époque moderne. Par rapport à cet ensemble d'altérations, la question du calendrier apparaît comme bien mineure.

J’avais écrit :
Puis elles se sont donné des structures modernistes pyramidales bien éloignées de l’ordre canonique.
Et Antoine pose la question :
Alors dans ce cas qu'est-ce qui doit prévaloir: les canons anciens et non appliqués(donc désuets) ou ces nouvelles structures que se donne l'Eglise? Qui décide de ses structures; les anciens canons ou l'Eglise?En vertu de quoi? de quelle autorité qui lui serait supérieure?
Les canons anciens et non appliqués ne sont pas “désuets” pour autant. Celui qui a créé la nature humaine la connaît mieut que personne et l’a modelée précisément en vue de la libre incorporation de chaque personne au Corps unique de l’Église. Les canons qu’il nous a transmis sont toujours valables. Les statuts nouveaux que l'Eglise s'est donnés sont d'invention humaine. Ils nient la réalité des charismes qui sont la substance même de l'Église

Chaque Église locale rassemble (devrait rassembler) tous les baptisés vivant en un lieu donné, en une assemblée unique, quelle que soit leur origine. L’ethnophylétisme a été providentiellement condamné au XIXème siècle, et cette condamnation reste toujours valable. Le jour où il y aura une Église orthodoxe locale au Pôle sud (;-))) elle devra comprendre tous les pingouins orthodoxes, qu’ils soient d’origine grecque, serbe ou russe, eskimo ou autre, autour d’un unique évêque, peu importe qu’il soit grec ou russe etc.

La prétention de l’Église russe est inacceptable, tout autant que les prétentions des autres Églises locales. L’Église de Chypre au moins a cette excuse que bien qu’elle ait inscrit ce même principe dans ses statuts, elle ne fait aucun effort pour l’appliquer, par exemple en Grande Bretagne, où ils sont assez nombreux (passé colonial explique), les Chypriotes vont en général à l’église grecque, mais ne refusent pas “d’aller chez les Russes”. Le Patriarcat œcuménique devrait avoir un grand prestige, mais il en nie toute la signification en se limitant au rôle d'encadrement de l'émigration grecque. Le Synode qui l'entoure n'est qu'une réunion de chefs de bureau, et l'intégration (récente) de hiérarques de l'émigration grecque accentue le parallèle avec le Collège des cardinaux du Vatican. Un synode ne peut être mondial.

J’avais ajouté :
L’Église calque ses circonscriptions sur le découpage des provinces civiles, et le président est l’évêque du chef-lieu de la province (on disait la “métropole”).
Et Antoine joue au tentateur :
Ne peut on en conclure que cela était correct sous l'administration de l'Empire mais qu'aujourd'hui l'Empire n'existant plus les règles sont caduques et l'Eglise peut décider d'autres formes d'organisation qui lui conviennent mieux et indépendantes des fluctuations frontalières? N'êtes vous pas attaché à ces canons comme d'autres sont attachés au calendrier julien?
D’abord il n’existe pas de canon décidant d’adopter les frontières des provinces civiles. L’Église l’a adopté comme une évidence : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Donc c’est l’État qui détermine à quel niveau on discute et on décide les affaires. Et puis l’Église a su adapter ses provinces aux circonstances, aux tourments de l’Histoire qui balaient les provinces et les pouvoirs. C’est seulement depuis la fin du XIXème siècle que le phylétisme a fait des ravages dans l’Église. La “pseudomorphose” de l’Église orthodoxe est malheureusement plus ancienne. Elle a commencé avec la réception de la théorie des “sept sacrements”, avec la fondation des séminaires pour la formation d’un clergé “savant” nourri de théologie scolastique, avec l’adoption de l’iconographie “de style Renaissance” et d’une musique italo-palestrinienne, avec le culte de la critique “textuelle” etc.

Mais l’Église orthodoxe est toujours le Corps du Christ qui la conduit à travers les vicissitudes de l’histoire sur les sentiers du réapprentissage de la Tradition.

Publié : mar. 16 mai 2006 12:38
par Kazan
Merci à Jean-Louis Palierne et à Antoine de cet échange qui permet au néophyte de mieux appréhender le problème de l'organisation ecclésiale de l'orthodoxie.
En effet, il est bien évident que ce n'est pas ce qui amène un converti à l'Orthodoxie et c'est un aspect des choses qu'il découvre à postériori et qui lui parait assez complexe de prime abord.

Publié : mar. 16 mai 2006 19:40
par Jean-Louis Palierne
On croit généralement en Occident que la principale différence entre les chrétiens est celle qui sépare ceux qui croient en la vertu intrinsèque des “sacrements” et ceux qui n’y voient que des signes révélateurs de la prière communautaire.. Et en particulier les premiers parlent de la présence réelle du Christ dans la Communion. En pratique cette différence sépare les les catholiques et les protestants.

La plupart des occidentaux, en tout cas de ceux qui ont été formés dans le catholicisme, qui se dirigent vers l’Église orthodoxe voient en elle; tout au moins au début de leur parcours, une Église “à présence réelle”, comme l’Église catholique (mais permettant en plus aux fidèles de communier sous les deux espèces), mais complétée par plus de vie spirituelle (donc avec plus de prière) et moins d’automatismes hiérarchique (à commencer par l’infaillivilité du Pape).

Mais en réalité c’est l’Église elle-même, en tant que Corps du Christ, qui est par excellence le siège de la présence réelle du Sauveur, le Dieu-homme. Et elle est présente d’abord par la présence personnelle de l’évêque au centre et à la tête de l’Assemblée eucharistique, “au lieu et à l’image du Christ“, comme disent les Pères. C’est l’évêque qui invoque le Saint Esprit, le priant de descendre sur l’unique Autel pour transformer le Pain et le Vin en le Corps et le Sang du Christ, car c’est l”évêque qui préside l’Assemblée. C’est l’évêque qui bénit le Myron où est présent le Sainr Esprit. Mais aussi c’est lui qui assure la Communion de l’Église locale avec l’ensemble des Églises locales répandues sur toute la terre en participant au synode provincial des évêques qui l’ont élu et qui lui ont imposé les mains. Et enfin c’est l’évêque qui possède le charisme personnel du discernement par lequel il exerce le ministère de Thérapeute, de Pasteur et de Maître.

On peut être tenté de n’y voir qu’un aspect très “technique”. Certes mais dans l’Église nous faisons l’expérience très concrète de la réalité de ce corps étonnant formé par la communion d’une multitude de personnes. En chaque Église locale est présente la totalité de l’Église qui est répandue sur tous les points de la terre, et la totalité également de l’Église depuis ses origines jusqu’à son accomplissement final.

Les canons ne sont pas des procédés qui ont été inventés par la sagesse humaine pour permettre à l’Église de vivre dans un monde hostile et de se développer. Ils sont l’expression de la nature même de l’Église.

Publié : mer. 17 mai 2006 0:36
par Jean-Louis Palierne
Avec retard je m’aperçois que le message initial de Kazan posait un problème très intéressant que j’ai oublié en cours de route. Il ne peut pas y avoir de vie ecclésiale orthodoxe authentique sans que les évêques d’une province donnée aient une vie synodale. Les questions de rattachement à un patriarcat ou à un autre, une “super-province”, se posent réellement, mais en deuxième plan. Il s’agit “seulement” de savoir qui approuvera l’élection du métropolite, c’est-à-dire du président du synode, et qui ébentuellement arbitrera les inévitables conflits internes. Mais il faut en tout état de cause une (ou un jour des) métropole(s) orthodoxe(s) en Europe occidentale.

La question n’est pas aussi lointaine et irréaliste qu’on pourrait le penser. L’Europe ne pourra pas indéfiniment absorber des immigrés de l’Est, en grande majorité orthodoxes, que les Églises-mères prétendent encadrer en les séparant par ethnique. Un jour ou l’autre elle se posera ce problème. C’est probablement aux autorités civiles qu’il reviendra de rappeler aux Églises orthodoxes aux respect des canons de la Tradition orthodoxe. C’est à propos des immigrations que le problème sera posé. Les “convertis” que nous sommes pèseront peu dans ce débat. Mais que ce soit du point de vue des autorités civiles ou du point de vue “des” Églises orthodoxes, aucune solution ne pourra être trouvée sans la construction d’une métropole orthodoxe unique, avec un certain nombre de diocèses, mais tous strictement locaux, français, britannique, allemand, etc, Ce sera à ces diocèse et à cette métropole d’offrir aux immigrés la possibilité d’avoir des communautés et des prêtres de leur ethnie, et/ou de s’adresser à des communautés locales accueillant tout le monde de toute origine (ce qui devrait être le comportement local pour un orthodoxe, qui n’est de nulle part, mais chez lui partout. Il n’y a qu’une difficulté, c’est celle de la langue.

En fait les immigrés venant des pays de tradition orthodoxe dans un pays d’Europe occidentale, dans leur très grande majorité ne participent pas à la vie de leurs Églises ethniques. Ils viennent y jeter un coup d’œil de temps en temps, ne s’en occupent pas, n’apportent rien, ignorent tout et ne demandent rien. Et les filiales en Occident de ces Églises-mères n’ont rien à leur apporter. Ils sont totalement absorbés par leurs difficultés d'insertion.

Publié : mer. 17 mai 2006 9:40
par Antoine
XB!
En chaque Église locale est présente la totalité de l’Église qui est répandue sur tous les points de la terre, et la totalité également de l’Église depuis ses origines jusqu’à son accomplissement final.
Ce que nous écrit Jean-Louis est la bonne formulation qui traduit le terme "catholique". Il faut garder toute cette périphrase pour rendre compte de la signification du terme "catholique".
Kath' olon = selon le tout
("Catholique romain" est en soi antinomique. "Romain" est tellement réducteur en temps et en espace qu'il détruit la catholicité ce qui reflète hélas la réalité. Une Eglise qui n'est plus catholique n'est plus l' Eglise)
Mais en réalité c’est l’Église elle-même, en tant que Corps du Christ, qui est par excellence le siège de la présence réelle du Sauveur, le Dieu-homme.
C'est effectivement la seule acceptation orthodoxe possible de l'expression "présence réelle". Vous répondez d'un coup à plusieurs débats à la fois, qui ont eu lieu sur ce forum.

Par ces deux propositions vous permettez l' accès au mystère de l'Eglise "une, sainte catholique et apostolique".

L'ordo du credo est ainsi parfaitement compréhensible qui décline l'indissociabilité de : Foi en un Dieu Tri-unique/Eglise-Royaume.

Je crois
En un seul Dieu Père tout puissant,
En un seul Seigneur Jésus Christ Fils Unique consubstantiel,
En l'Esprit Saint, Seigneur qui donne la vie, adoré avec le Père et le Fils,
En l'Eglise en laquelle nous sont offerts: Baptême, résurrection et Royaume.

Publié : mer. 17 mai 2006 10:41
par Glicherie
Jean-Louis Palierne a écrit :En fait les immigrés venant des pays de tradition orthodoxe dans un pays d’Europe occidentale, dans leur très grande majorité ne participent pas à la vie de leurs Églises ethniques. Ils viennent y jeter un coup d’œil de temps en temps, ne s’en occupent pas, n’apportent rien, ignorent tout et ne demandent rien. Et les filiales en Occident de ces Églises-mères n’ont rien à leur apporter. Ils sont totalement absorbés par leurs difficultés d'insertion.
Jean-Louis, avez-vous visité les paroisses roumaines, qu'elles soient francophones ou roumanophones ? Saint Sulpice, par exemple ? ou les Saints Archanges ? Les roumains, même parfois totalement démunis et en situation irrégulière non seulement participent aux offices, mais à la vie paroissiale, et du doyenné français de la Métropole. La plupart s'investissent, et ça se voit vraiment. Les moines et moniales sont d'ailleurs presque tous roumains.
Je pense que Claude doit constater la même chose en Helvetie ?

Publié : jeu. 18 mai 2006 14:34
par Anne Geneviève
Jean Louis Palierne a écrit :D’abord il n’existe pas de canon décidant d’adopter les frontières des provinces civiles. L’Église l’a adopté comme une évidence : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Donc c’est l’État qui détermine à quel niveau on discute et on décide les affaires. Et puis l’Église a su adapter ses provinces aux circonstances, aux tourments de l’Histoire qui balaient les provinces et les pouvoirs.
C’est à la fois très vrai et un peu faux. Il y a quand même eu un impact historique de l’empereur sur l’Eglise qu’on ne peut pas négliger. Je l’ai déjà plusieurs fois mentionné mais j’y reviens. Lorsque, en 314, Constantin réunit le premier concile impérial en Arles pour régler la crise donatiste, il ne convoque que les évêques de l’empire d’occident. Son but est clair : stopper le désordre dans l’empire. Dans son empire. Il ne s’agit pas pour lui de définir une position théologiquement juste mais d’avoir une majorité nette qui permette à l’empereur de sanctionner les agités minoritaires. Déjà l’empereur Aurélien pourtant peu favorable au développement de l’Eglise et adepte, en ce qui le concernait, du culte impérial solaire comme le sera Dioclétien, avait décidé lors de la condamnation synodale de Paul de Samosate que les biens immobiliers (i.e. les bâtiments épiscopaux d’Antioche) devait appartenir à « ceux qui sont en communion avec les évêques de Rome et d’Italie ». On ne peut pas suspecter Aurélien d’avoir étudié les propositions théologiques des uns et des autres ! Mais Rome et l’Italie, c’est le cœur de l’empire.
Cette idéologie impériale culmine lors de la convocation de Nicée en 325. Constantin considère qu’il s’agit d’une crise interne à l’empire d’orient, analogue à la crise donatiste réglée, de son point de vue, en Arles. Nicée I, lors de sa convocation, n’était pas œcuménique ; c’est sa réception par les Eglises locales extérieures à l’empire d’orient qui l’a rendu tel. Et je ne parle pas que de l’Afrique, des Gaules, de l’Espagne ou de l’Italie mais aussi des Royaumes Arabes, de la Perse et des communautés isolées perlées tout au long de la Route de la Soie. Malheureusement, ce système des conciles impériaux qui, d’ailleurs, favorise selon les jours les hérésies autant que l’orthodoxie, pensons au « brigandage d’Ephèse », a trouvé sa limite à Chalcédoine. La confession de foi de Chalcédoine est juste ; sa réception ne dépassera pas les frontières de l’empire pour des raisons qu’on ne peut se contenter de balayer d’un revers de main, en particulier parce qu’un certain nombre d’Eglises locales situées hors du limes refusent que les seuls évêques hellénophones de l’empire d’orient soient habilités à débattre et à définir la foi de toute l’Eglise. Cette revendication d’une réelle œcuménicité me semble légitime ; malheureusement, elle s’est faite au détriment de la plénitude de l’orthodoxie. On en est donc arrivé à une situation qui, pour ma part, me pose problème : les conciles œcuméniques suivants, tous convoqués dans le cadre de l’empire romain d’orient, ont abouti à préciser la foi orthodoxe dans sa plénitude et sa justesse ; il n’est pas sûr que, sans la subsistance de l’empire en orient, ils aient pu se réunir ; mais en même temps, ce cadre impérial a contribué à rejeter hors de l’Eglise des Eglises locales entières. Y compris les Gaules et Rome, dont les dérives augustiniennes n’ont jamais été examinées quand il aurait été encore temps. A l’époque de saint Photios, c’était trop tard !
Or la pentarchie est née dans et de ce système dans lequel les limites de l’Eglise et de l’empire (ou de l’idéologie impériale) ne sont pas clarifiées. Lorsque, après le sac de Rome par Alaric en 410 puis l’installation des Goths en Italie et en Espagne, des Burgondes autour des Alpes et des Francs dans le reste des Gaules, l’évêque de Rome est convoqué aux conciles impériaux, c’est parce que l’empire garde des territoires en Italie et les a rattachés à l’ancien empire d’orient. Si ce rattachement administratif n’avait pas eu lieu, exit le patriarcat romain ! Il est assez significatif que, alors que l’organisation de l’Eglise dans les Gaules, en Britannia et en Espagne suit effectivement les divisions administratives de l’empire avec des synodes provinciaux autonomes si ce n’est autocéphales, les présidents de ces synodes ont toujours porté le titre d’archevêque ou de métropolite et n’ont jamais été reconnus comme patriarches même quand leur territoire dépassait largement en taille celui de Rome. Au plus, on va désigner comme primats l’évêque de Vienne et celui d’Arles. Le titre primatial suggère la réunion de plusieurs métropoles mais, comme le titre de catholicos en Arménie, n’a pas de résonance impériale.
Autre problème : l’Irlande et, plus généralement, l’Eglise celtique. On sait que la mission de saint Patrick a été préparée dans l’Eglise d’Auxerre ; il semble d’ailleurs, à scruter l’histoire, que saint Germain d’Auxerre exerçait un rôle de primat sur une bonne partie du nord des Gaules puisqu’on le voit en tandem avec saint Loup de Troyes, puis intervenir à Paris par deux fois pour soutenir sainte Geneviève et être écouté du clergé local. Enfin, mandaté par un concile « des Gaules », il avait été envoyé en Grande Bretagne pour régler la crise pélagienne. La préparation de Patrick, né en Grande Bretagne, s’inscrit dans la logique d’un patriarcat ou d’un primatiat de fait sinon de nom.
A cette époque, l’Irlande possède une civilisation d’éleveurs semi-nomades et de marins pirates. Il n’y a pas de villes au sens habituel du terme. Les « capitales » des cinq royaumes, en particulier Tara, le royaume du centre dont le rôle est de fédérer les quatre régions, ne sont pas des centres administratifs mais des lieux de rassemblement pour les assemblées saisonnières. Je ne sais si c’est Patrick lui même qui eut une idée géniale, si elle a été discutée dans le synode d’Auxerre ou si cela s’est progressivement mis en place après Patrick mais l’Eglise, effectivement, s’est adaptée à cette situation nouvelle : elle a créé des points fixes, les monastères dont l’évêque était aussi l’abbé ; les villes actuelles d’Irlande sont nées de la sédentarisation progressive de paysans et d’artisans laïcs autour de ces monastères ; et parallèlement elle a institué des évêques itinérants dont le territoire se confondait avec le territoire de nomadisation de leur peuple. Moyennant quoi, un siècle plus tard, toute l’île est chrétienne, orthodoxe, développe une civilisation brillante et envoie des missionnaires en Grande Bretagne et dans toute l’Europe païenne.
Que croyez vous qu’il arriva ? Des hurlements de la part d’Eglises habituées à des structures héritées de l’empire, en particulier de la part de Rome. Il y avait, bien sûr, la paschalie archaïque mais surtout l’absence de sièges sédentaires et urbains, incompréhensible. Tandis que les Gaules mérovingiennes et les deux Bretagne accueillaient avec joie les missionnaires irlandais, pour la plupart évêques itinérants. L’accord avec les évêques locaux, à la manière du partage des tâches avec les évêques abbés en terre celtique, semble s’être fait sans conflit majeur, en tout cas on n’en trouve pas trace dans les vies de saints.
Inutile de dire que ces structures très bien adaptées à la mission chez les « Barbares » ont été balayées dans les réformes carolingiennes – quitte à retrouver l’indispensable nomadisme missionnaire sous le vocable de « tournée pastorale ». Je pense bien entendu aux missions carolingiennes en Germanie.
Comme il n’existe plus vraiment aujourd’hui d’éleveurs semi-nomades, le modèle « sédentaire » de l’Eglise locale pourrait s’appliquer partout. Et, comme nous le savons bien, ce n’est pas le cas. Ou plus exactement, c’est le cas dans les pays de vieille prédominance orthodoxe mais pas dans les pays dits de diaspora. Le plus grave, c’est que ces pays, dont notre France, ne sont pas considérés comme des pays de mission. Voir le fil sur les basiliques où j’avais posté une interview révélatrice d’Alexis II. Voir la crise actuelle en Angleterre autour du diocèse de Souroge et de l’évêque Basile, désireux de changer de juridiction et de rejoindre le patriarcat œcuménique. Aux dernières nouvelles (sur orthodoxie.com), le patriarche Alexis II a retiré à l’évêque Basile la juridiction de Souroge (au fait, c’est où, Souroge, en Angleterre ?) sans lui permettre de quitter le PM. Et là, je fronce les sourcils. Alexis II aurait-il une image à la romaine de la fonction patriarcale, serait-il le pape de toutes les Russie ? Supérieur aux évêques et pouvant de son chef les déplacer, les nommer ou les jeter ?
Parce que si c’est le cas, les questions de juridiction dans un pays de « diaspora » (grr) comme chez nous ne seraient pas si anodines.
Inutile de dire que je n’ai pas de recette miracle, je n’ai même pas de certitude absolue sur ce que l’Eglise devrait être du point de vue organisationnel mais l’expérience historique nous a montré ce que la hiérarchisation rigide d’une Eglise pouvait entraîner. On l’a vu avec Rome et l’écrasement de l’occident resté orthodoxe. Or nulle instance n’est à l’abri d’une bourde théologique mais la structure hiérarchisée tend à la cristalliser en hérésie. On l’a vu chez nous et le cœur nous en cuit encore. J’espère que l’Eglise de Russie ne va pas plonger dans les mêmes conneries, et pardonnez moi ce mot un peu fort. Mais c’est devant ce risque que le principe de conciliarité prend toute sa valeur.

Publié : ven. 19 mai 2006 19:36
par Jean-Louis Palierne
Antoine citait ce que j’avais écrit :
Patriarcats : Rome, Alexandrie, Antioche, puis Constantinople et Jérusalem.
Mais il faut bien noter que toutes ces structures étaient conçues comme un service rendu à la vie synodale des synodes provinciaux et des Églises locales (épiscopo-centriques) qui les composaient.
Et il exprimait son scepticisme quant au fonctionnement réel de ces patriarcats :
Si elles ont été conçues telles peut-on dire qu'elles ont correctement fonctionné de la sorte? Les rivalités entre Antioche, Alexandrie, Constantinople par exemple montreraient que la structure de l'Eglise a vite été détournée de sa mission première.
Le patriarcat n'était -il pas en fait un moyen pour l'empereur d'instrumentaliser l'Eglise de par la concentration administrative et autoritaire que le patriarcat représentait au sein même de l'Eglise?
Je crois que très longtemps les patriarcats n’ont pas été des structures pyramidales de commandement, au sens que nous avons aujourd’hui donné au mot “hiérarchique”. Pas à Antioche, qui était partagée difficilement entre des groupes assez divers (avant qu’Antioche ne disparaisse du fait de diverses catastrophes). Pas à Rome, dont l’autorité très lontemps n’a pas beaucoup dépassé le Latium. Constantinople assez lontemps est resté une ville artificielle sans personnalité propre, et longtemps ses évêques venaient d’ailleurs. Ce n’est qu”avec la renaissance de l’empire roméique aux IXème-Xème siècles que Constantinople commence à jouer un rôle original, un rôle de synthèse.

Par contre Alexandrie a très tôt affirmé un rôle éminent dans toute l’Égypte, et Carthage dominait vigoureusement ce qui est maintenant le Maghreb. Mais même ces deux patriarcats “africains” (“africains” au sens moderne) n’avaient pas créé une pyramide de commandements emboîtés les uns dans les autres.

Mais les débats, les innovations, les missions extérieures, le développement des fes formes liturgiques, le développement du monachisme, se déroulaient dans le cadre des provinces et des “diocèses civils” (super-provinces. L’Empire roméïque (c’est-à-dire byzantin), essayait d’être extrêmement centralisé, et c’est l’Église qui seule était capable de jouer le rôle des corps intermédiaires (d’où la fréquence des interventions épiscopales à la cour impériale).

Puis Antoine me cite à nouveau :
Puis elles se sont donné des structures modernistes pyramidales bien éloignées de l’ordre canonique.
Et il commente en posant la question de la validité des canons :
Alors dans ce cas qu'est-ce qui doit prévaloir: les canons anciens et non appliqués(donc désuets) ou ces nouvelles structures que se donne l'Eglise? Qui décide de ses structures; les anciens canons ou l'Eglise?En vertu de quoi? de quelle autorité qui lui serait supérieure?
Je reviens sur la réponse que j’ai faite un peu plus haut. Les canons expriment la nature profonde de l’Église. Mais un grand nombre d’entre eux ont été formulés en fonc tion des circonstances hic et nunc. Les lieux et les temps varient. Il faut cependant s’efforcer de conformer la pratique de l’Église à la norme canonique.. Le service rendu à la vie synodale est assumé, me semble-t-il, par deux types d’instances, qui ne coïncident que rarement. D’une part les évêques membre de divers conciles provinciaux se rencontrent pour débattre de questions majeures de la vie de l’Église, entre deux conciles œcuméniques.

D’autre part trois, puis quatre sièges, puis cinq, ont été choisis comme instances d’arbitrage. L’Église n’aurait pas pu supporter qu’il n’y en eût qu’un seul. L’unique autorité s’imposant à l’ensemble de l’oikoumène de l’époque (et d’ailleurs pas aux Églises des pays barbares) était celle de l’empereur). Mais il ne s’agissait pas de l’autorité d’un chef d’armée. Il s’agissait de l’autorité d’un surveillant-conciliateur-juge d’appel et de cassation et d’un “aimable intermédiaire auprès du pouvoir civil.

Le concile œcuménique n’est pas le niveau suprême de la vie de l’Église. C’est un événement, qui est reçu comme tel, ou pas reçu par l’Église. L’Occident fut bien convoqué à Nicée, mais très peu y allèrent. Cependant Ossius de Cordoue fut une des figures marquantes du Concile. ìl fallu une intervention probablement très pressante e’t vigoureuse de l’empereur pour que les occidentaux consentissent à se réunir à Sirmium (- Sofia, alors à la limite de la zône latine et de la zône grecque) sous la présidence d’Ossius de Cordoue pour soutenir l’œuvre du Concile de Nicée, et du coup ils en profitèrent pour ajouter un certain nombre de canons.

Le concile d’Éphèse de 461 était convoqué comme Concile œcuménique, et il le fit. Le second concile de 449 fut convoqué de la même manière, mais il ne le fut pas. Il est passé à la postérité sous le nom de “brigandage d’Éphèse” et fut reçu comme tel par l’Église. Le Concile de Constantinople n’avait été convoqué qu’en tant que “concile local” et se voulait tel. Il sera néanmoins reçu comme œcuménique par la Tradition ecclésiastique, probablement parce qu’il a soutenu énergiquement les conclusions du Concile de Nicée, rejeté même les solytion semi-ariennes, mais il a également complété le Symbole de Nicée pour confesser la divinité su Saint Epsprit. Et pour ces Conciles que je viens de rappeler, la réception n’a pas été le fruit d’un vote immédiar, elle a fait l’objet d’un processus d’un processus parfois long et retardé en certains lieux.

On voit que les Conciles œcuméniques ne représentent pas une instance, une institution de la vie de l’Église, mais sont des événements de sa vie, ce sont les conciles épiscopaux qui forment la trame de la vie quotidienne. Les instances supra-provinciales (conciles des diocèses civils ou primats et patriarches) ne sont qu’au service de la vie des synodes provinciaux et de leurs métropolites. Et s’il n’y a pas de vie synodale sans présidence, il ne saurait y avoir de présidence détachée d’une vie synodale.

Nous sommes habitués à considérer comme néfaste et nécessairement anti-ecclésiale toute intervention du pouvoir civil dans la vie de l’Église. Je crois que c’est une erreur profonde erreur. Nous connaissons également le propension innée des prêtres et des évêques à vivre en cercle fermé et à prendre leurs décisions sans tenir compte de l’opinion des laïcs; ce fut parfois bon et parfois mauvais. Les laïcs en ont parfois été réduit à user de moyens spectucalaires, et parfois même de violence; ce fut parfois bon et parfois mauvais. Les pouvoirs publics, pro-orthodoxes mais aussi non-orthodoxes, ont parfois imposé leurs volontés; ce fut parfois bon et parfois mauvais.

L’Église n’est jamais que le Corps unique de l’unique Christ. C’est lui qui en règle la vie. De nos jours nous constatons qu’un effarant désordre canonique règne dazns l’ensemble de l’Église. Nous pensons surtout ici à l’ethnophylétisme et à la très catastrophique conception de la “diaspora” ou de la “Tradition russe”. Mais il y a aussi le conception des Églises administratives, et plus récemment la conception d’une totale autarcie épiscopale. Il est difficile à l’Église de retrouver un fonctionnement canoniquement correct. Notre siècle est riche en tentations diverses.

J’ai bien l’impression que ce sont les pouvoirs politiques occidentaux (j’entends d’Europe occidentale) qui obligeront l’Église orthodoxe à être fidèle à ses canons.

Je doute fort que les explications du type géo-ethniques, par grandes masses étatico-culturelles aient une réelle pertinence. Et l’explication “politique” de l’institution de la pentarchie ne me paraît pas du tout convaincante. Elle consiste à projeter sur l’Église de l’Antiquité un schéma d’explication qui lui était alors étrangère, le schéma du découpage de l’œkoumène entre cinq Patriarches à des fins de “centralisation”. Les Patriarches avaient un rôle d’arbitres-juges d’appel-conciliateurs. Ils étaient aussi patriarches de leurs diocèses. Ni l’Espagne, ni l’Illyrie, ni l’Arménie “n’appartenaient” à un patriarcat. Les “découpages” ne sont apprues que plus tard.

Ce n’est pas l’Empire roméïque” (- byzantin) qui a joué dans le sens du découpage, c’est l’Empire ottoman, puis l’Empire de Pierre le Grand. Peut-être l’Europe post-moderne jouera-t-elle un rôle ausdsi positif dans l’histoire de l’Église que jadis Dioclétien. Je reprends la conclusion de mon précédent post : Les canons ne sont pas des procédés qui ont été inventés par la sagesse humaine pour permettre à l’Église de vivre dans un monde hostile et de se développer. Ils sont l’expression de la nature même de l’Église.

Publié : sam. 20 mai 2006 8:17
par Antoine
XB!
Jean-Louis a écrit :Je reviens sur la réponse que j’ai faite un peu plus haut. Les canons expriment la nature profonde de l’Église. Mais un grand nombre d’entre eux ont été formulés en fonction des circonstances hic et nunc. Les lieux et les temps varient. Il faut cependant s’efforcer de conformer la pratique de l’Église à la norme canonique
C’est bien de ce « hic et nunc » qu’il s’agit et de cette « nature profonde de l’Eglise » lorsque je parle à la rubrique "Les canons" de ce contexte historico- transtemporel. Il y a dans la nature même de l'Eglise une transtemporalité de l’Eglise en tant qu'elle est le lieu et le temps du déroulement de l’Economie divine à notre égard. Elle est un absolu qui se déroule dans le temps de la Révélation, c'est à dire dans le temps de l'anticipation du Royaume et dans celui de sa réalisation qui n'est déjà plus un temps.
Le contexte historique, lui, concerne le « Hic et nunc » , l'adapation du mode de propagation d'un message absolu aux circonstances dans lesquelles il doit être annoncé.
[Si nous prenons le calendrier, nous voyons bien que la fête de la Résurrection est une fête mobile, que l'on suive le calendrier Julien ou non ce qui est encore un second plan de relativisation. La mobilité de la fête de pâque est une rencontre de l'absolu dans le temps de l'économie.Si nous suivions les propositions qui voudraient faire de Pâque une fête fixe, nous serions dans l'arbitraire et non plus dans l'absolu et nous porterions atteinte à une expression de la nature profonde de l'Eglise. (De même en absolutisant le calendrier Julien, les VCO tombent dans l'arbitraire au détriment de l'absolu. L'outil devient l'Oeuvre. Ils créent un temps arbitraire antinomique de la nature de l'Eglise.)]
Antoine a écrit :<<La fonction des canons est de préserver l’unité de l’Eglise dans l’unicité de la foi. Les canons sont donc toujours inséparables du rapport qu’ils entretiennent avec le contenu de la Révélation. Dans ce cadre certains canons ont plus ou moins d’envergure ( et non pas plus ou moins d’autorité) selon qu’il traitent d’un problème général qui concerne la totalité de l’Eglise ou d’un problème spécifiquement local. Mais dans tous les cas il s’agit toujours de préserver la plénitude de la foi de toute déviation. C’est pour cela que pour une interprétation correcte chaque canon doit être replacé dans le contexte historico-transtemporel qui a prévalu à son élaboration théologique que celle ci apparaisse d’une façon explicite ou implicite. Ce sera donc la réception ecclésiale du canon par l’Eglise guidée par l’Esprit saint qui en fera l ‘interprétation ecclésiale. Ainsi nous ne trouverons pas forcément dans chacun des canons une adéquation immédiate entre le contenu du canon et la plénitude du contenu de la foi, mais en revanche nous trouverons, face un problème ecclésiastique précis pour un lieu et temps historique donné, une adaptation de l’Eglise, dans sa nature divino-humaine, au contenu de la foi .
C’est cette conscience de l’Eglise manifestée dans les canons qu’il nous est donné de retrouver lorsque nous les étudions. […]
Un canon est l’expression ecclésiale que la conscience ecclésiale guidée par l’Esprit Saint a de son ecclésialité .Il ne peut donc en aucun cas être coupé, du caractère sotériologique et eschatologique de la mission de l’Eglise vécu dans la transtemporalité dynamique du message de salut en Christ. |…]
La Tradition de l’Eglise est dynamique et se réactualise sans cesse. Une Tradition figée serait une Tradition morte.>>

Publié : sam. 20 mai 2006 12:32
par Claude le Liseur
Glicherie a écrit :
Jean-Louis Palierne a écrit :En fait les immigrés venant des pays de tradition orthodoxe dans un pays d’Europe occidentale, dans leur très grande majorité ne participent pas à la vie de leurs Églises ethniques. Ils viennent y jeter un coup d’œil de temps en temps, ne s’en occupent pas, n’apportent rien, ignorent tout et ne demandent rien. Et les filiales en Occident de ces Églises-mères n’ont rien à leur apporter. Ils sont totalement absorbés par leurs difficultés d'insertion.
Jean-Louis, avez-vous visité les paroisses roumaines, qu'elles soient francophones ou roumanophones ? Saint Sulpice, par exemple ? ou les Saints Archanges ? Les roumains, même parfois totalement démunis et en situation irrégulière non seulement participent aux offices, mais à la vie paroissiale, et du doyenné français de la Métropole. La plupart s'investissent, et ça se voit vraiment. Les moines et moniales sont d'ailleurs presque tous roumains.
Je pense que Claude doit constater la même chose en Helvetie ?

Le phénomène est peu sensible en Suisse, pour les raisons que je vais dire.
Chaque pays européen a sa propre politique d'immigration. Vous savez qu'en France, il est presqu'impossible d'immigrer légalement si l'on vient pour travailler (les travailleurs ne représentent que 5% de l'immigration légale) et que, de fait, la voie de l'immigration légale est pratiquement réservée aux Africains et Maghrébins venant par la voie du regroupement familial.
La Suisse ayant fait d'autres choix de civilisation que la France a une politique radicalement différente en matière d'immigration. A l'heure actuelle, l'immigration légale comme travailleur n'est plus possible que pour les ressortissants des pays d'Europe occidentale (même pas certains pays membres de l'UE comme la Pologne ou la Hongrie), des Etats-Unis, du Canada, du Japon, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Il est pratiquement impossible pour un Roumain d'immigrer légalement en Suisse comme travailleur. Les Russes obtiennent plus facilement des permis de travail, à cause de leur place dans le négoce de pétrole dont Genève est le centre mondial.
Cette politique pose naturellement beaucoup de difficultés, parce que les immigrants venus d'Europe occidentale se concentrent dans certains secteurs économiques. D'autres secteurs, faute de trouver des travailleurs conformes à la politique officielle, emploient souvent des travailleurs venus d'Amérique latine ou des Philippines dont la régularisation est rendue difficile par la rigidité du système.

Il y a 15 ou 20 ans, il n'en était pas ainsi, et la politique d'immigration suisse reposait sur le système dit des trois cercles. L'immigration la plus désirée venait du premier cercle, c'est-à-dire l'Europe occidentale et les pays anglo-saxons. Ensuite, on acceptait l'immigration du deuxième cercle, c'est-à-dire essentiellement la Turquie et la Yougoslavie titiste. L'immigration du troisième cercle (= le reste du monde) n'était en général pas autorisée. De ce fait, par le biais du regroupement familial, il y a encore une immigration de Turcs et de ressortissants de l'ex-Yougoslavie.

Naturellement, toute personne qui passe à Genève ou à Lausanne se rendra compte que les gens que l'on peut rencontrer dans la rue ne reflètent pas la politique officielle d'immigration. C'est que les ressortissants de certains pays, sachant qu'ils n'ont aucun espoir d'obtenir un permis de travail, viennent en Suisse comme réfugiés. Parfois, ils arrivent à disparaître dans la nature. Très souvent, ils sont pris en main par les réseaux du trafic de stupéfiants, et ces demandeurs d'asile devenus trafiquants - souvent malgré eux - représentent une grosse partie de nos nominations comme défenseurs d'office. Je parle d'expérience.

Bien sûr, on n'entrera même pas en matière sur une demande d'asile déposée par une personne originaire d'Europe centrale. On peut ainsi dire qu'il est pratiquement impossible d'immigrer en Suisse si l'on n'est pas originaire d'Europe occidentale, du monde anglo-saxon, de la Turquie, de l'ex-Yougoslavie ou d'Afrique noire. Un ressortissant du Libéria peut venir sans problèmes en Suisse comme demandeur d'asile politique. Un Roumain ou un Bulgare ne peut pratiquement pas venir comme travailleur, même s'il a déjà un employeur sur place.

Donc, en pratique, l'immigration en provenance des pays de tradition orthodoxe est limitée à un ruisseau en provenance de Serbie et à un mince filet d'eau en provenance de Russie. Les Grecs, qui peuvent venir sans difficultés, ne viennent plus; ils sont quelque 8'000 et ont la particularité d'être les seuls à marquer leur enracinement dans le pays en construisant des églises dès qu'ils le peuvent.

La grande majorité de la communauté serbe que nous avons en Suisse est totalement déchristianisée et qui plus est en général encore d'orientation titiste. Vous pouvez rencontrer des jeunes femmes suisses d'origine serbe, qui occupent des fonctions importantes dans l'économie capitaliste, et qui vous disent tranquillement qu'elles ne sont pas baptisées et ne le seront jamais parce que la tradition familiale est le communisme! Il semblerait que le titisme, en voie d'extinction en Serbie même si Slobodan Milošević s'était obstiné à faire perdurer l'athéisme d'Etat communiste et à étouffer l'Orthodoxie jusqu'à sa chute, se soit transmis dans l'émigration, du moins en Suisse.

Par conséquent, la présence orthodoxe en Suisse, très inférieure en réalité au nombre de ceux qui se déclarent orthodoxes lors des recensements (je rappelle que la confession est indiquée dans les recensements de la population en Suisse) est surtout le fait de communautés grecques et russes arrivées il y a longtemps et qui ont connu une forte déperdition avec le temps. Quoique les communautés grecques soient encore très vivantes.

Pour parler de ce que je connais mieux, donc des Roumains, les paroisses orthodoxes roumaines, à part quelques convertis, comprennent surtout des réfugiés politiques de l'époque communiste et leurs descendants et des étudiants. Ce profil très particulier est dû au fait que l'on accorde les permis pour les étudiants alors qu'on ne les accorde pas aux travailleurs. C'est bien sûr une situation déséquilibrée. Mais, d'un autre côté, il n'est pas désagréable de servir dans une paroisse avec une aussi forte surreprésentation des jeunes entre 18 et 30 ans. Les étudiants roumains qui viennent ici conservent en majorité leur pratique religieuse et sont très actifs dans la vie paroissiale. C'est même assez réjouissant. De ce que j'observe dans ma paroisse, les arrivants roumains récents sont plutôt des pratiquants réguliers.

Si l'on veut vraiment voir un pays où l'immigration en provenance d'Europe centrale a modifié le paysage religieux, il suffit de tourner les yeux vers l'Italie. Contrairement à la France et à la Suisse, l'Italie a favorisé l'immigration de travailleurs en provenance des anciens pays du bloc communiste, et en particulier des Roumains. Il doit y avoir quelque 300'000 immigrés roumains dans la péninsule, et ils ont une vie orthodoxe très active, avec la fondation de nouvelles paroisses chaque année, et la construction d'églises comme à Monza. Curieusement, alors que la Grèce n'est plus vraiment un pays d'émigration, les paroisses grecques en Italie se développent aussi ces dernières années. La paroisse orthodoxe grecque de Milan édite ainsi une revue théologique en italien, Simposio cristiano.

Ce que j'ai dit pour l'Italie vaut aussi pour la péninsule ibérique. Une banlieue de Madrid comme Alcalá de Henares est fortement peuplée de Roumains, et il y a eu beaucoup de Roumains parmi les morts des attentats islamistes de Madrid du 11 mars 2004. L'Espagne et le Portugal ont aussi une présence assez forte d'immigrants russes et ukrainiens, qui ont aussi ouvert de nouvelles paroisses ces dernières années. A noter toutefois que le travail missionnaire en Espagne est presqu'exclusivement le fait de l'Eglise serbe et que ce travail se fait en Catalogne et au Pays basque, pas vraiment en Castille.

Je n'ai donc pas l'impression que les immigrations récentes en provenance des pays orthodoxes en Italie, en Espagne et au Portugal aient le même désintérêt vis-à-vis de la vie religieuse que celui que Jean-Louis a observé en France.