Patriarchat d'Occident
Publié : ven. 12 mai 2006 23:34
Que penser de ce texte paru sur le service Orthodoxe de presse:
http://www.orthodoxpress.com/document.p ... 307&page=3
Extraits:
Pour l'Église orthodoxe, engagée depuis vingt-cinq ans avec Rome dans un " dialogue de vérité " en vue de l'unité des Églises, loin de constituer un détail anodin, la portée oecuménique de la disparition de ce titre de " patriarche d'Occident " apparaît, au premier abord, considérable. Car si le nouveau pape Benoît XVI abandonne ce titre, c'est que le patriarcat dont il avait la charge n'a plus d'existence à ses yeux. Ce geste ne signifie-t-il pas dès lors que la juridiction romaine ne saurait se limiter au cadre de la circonscription traditionnelle de l'Église d'Occident, mais s'étend, de droit sinon de fait, au monde entier en toutes directions, empiétant donc sur le territoire canonique des patriarcats orthodoxes ? Les pasteurs et théologiens orthodoxes soucieux de l'unité des chrétiens auraient de quoi s'alarmer en souscrivant à une telle interprétation. On peut s'étonner, d'ailleurs, du manque d'explication d'une telle décision de la part de Rome, comme si la réaction orthodoxe n'était pas prévisible. En fait le concept de " patriarcat " fait l'objet d'une sorte d'amnésie en Occident et d'une hypermnésie en Orient. En ne tenant pas compte de l'évolution de l'Église occidentale, la lecture orthodoxe courante de cet événement risque fort de projeter, sur Rome, des catégories de l'ecclésiologie orthodoxe devenues depuis longtemps étrangères à l'Occident.
Il est vrai que le patriarcat de Rome et d'Occident a longtemps fait partie de la représentation ecclésiologique de l'Église entière au temps des conciles oecuméniques et des Pères, mais beaucoup plus en Orient qu'en Occident.
À la vérité, qu'on le veuille ou non, Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat, au sens que ce terme avait dans le système pentarchique. Les canons du concile de Sardique (343) établissant Rome comme instance de cassation étaient invoqués aussi bien par l'Orient que par l'Occident (comme en témoigne le conflit entre Hincmar de Reims et le pape Nicolas Ier au 9e siècle). Un droit patriarcal comme tel ne s'est jamais développé à Rome tandis que croissaient les aspirations de l'évêque de Rome à une juridiction universelle. L'effort du pape Nicolas Ier – face aux carences du monde carolingien en déclin – pour subordonner au siège romain tous les évêques en s'appuyant sur les Fausses Décrétales, puis celui du pape Grégoire VII (11e s.) pour affirmer, par ses dictatus papae, la suprématie du pontife romain sur le pouvoir temporel constituèrent deux moments historiques décisifs qui vidaient de toute réalité le concept de patriarcat d'Occident.
Plus profondément, le pape Benoît XVI pourrait, par ce geste, vouloir dégager sa primauté morale universelle de toute juridiction patriarcale, aussi bien dans l'administration quotidienne de l'Église catholique que dans le dialogue avec l'orthodoxie. Il y a trente-cinq ans, le professeur Joseph Ratzinger constatait avec lucidité : " C'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui […]. La tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine " (Le Nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 56-68).
Si la suppression du titre de patriarche d'Occident avait en vue, conformément à ce voeu, de faciliter aussi bien l'exercice d'une primauté pontificale non omnipotente que la création de nouveaux patriarcats au sein même de l'Église romaine, l'Église orthodoxe n'aurait qu'à se féliciter de cette démarche. Le pape pourrait-il à nouveau, comme dans l'Église ancienne, exercer sa primauté universelle sans nommer systématiquement les évêques orientaux ni même les évêques occidentaux, puisqu'il semble vouloir s'affranchir de sa juridiction patriarcale sur l'Occident ? L'avenir nous dira si cette orientation est la bonne.
Face à la perspective d'un retour à l'unité avec l'Église orthodoxe, le pape Jean-Paul II avait récemment laissé entendre qu'il désirait " la communion et non pas la juridiction ". De même le professeur Joseph Ratzinger a écrit : " Rome ne peut exiger de l'Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté, plus qu'il n'a été formulé et vécu durant le premier millénaire " (Les Principes de la théologie catholique, 1982).
http://www.orthodoxpress.com/document.p ... 307&page=3
Extraits:
Pour l'Église orthodoxe, engagée depuis vingt-cinq ans avec Rome dans un " dialogue de vérité " en vue de l'unité des Églises, loin de constituer un détail anodin, la portée oecuménique de la disparition de ce titre de " patriarche d'Occident " apparaît, au premier abord, considérable. Car si le nouveau pape Benoît XVI abandonne ce titre, c'est que le patriarcat dont il avait la charge n'a plus d'existence à ses yeux. Ce geste ne signifie-t-il pas dès lors que la juridiction romaine ne saurait se limiter au cadre de la circonscription traditionnelle de l'Église d'Occident, mais s'étend, de droit sinon de fait, au monde entier en toutes directions, empiétant donc sur le territoire canonique des patriarcats orthodoxes ? Les pasteurs et théologiens orthodoxes soucieux de l'unité des chrétiens auraient de quoi s'alarmer en souscrivant à une telle interprétation. On peut s'étonner, d'ailleurs, du manque d'explication d'une telle décision de la part de Rome, comme si la réaction orthodoxe n'était pas prévisible. En fait le concept de " patriarcat " fait l'objet d'une sorte d'amnésie en Occident et d'une hypermnésie en Orient. En ne tenant pas compte de l'évolution de l'Église occidentale, la lecture orthodoxe courante de cet événement risque fort de projeter, sur Rome, des catégories de l'ecclésiologie orthodoxe devenues depuis longtemps étrangères à l'Occident.
Il est vrai que le patriarcat de Rome et d'Occident a longtemps fait partie de la représentation ecclésiologique de l'Église entière au temps des conciles oecuméniques et des Pères, mais beaucoup plus en Orient qu'en Occident.
À la vérité, qu'on le veuille ou non, Rome n'a jamais eu vraiment conscience de constituer un patriarcat, au sens que ce terme avait dans le système pentarchique. Les canons du concile de Sardique (343) établissant Rome comme instance de cassation étaient invoqués aussi bien par l'Orient que par l'Occident (comme en témoigne le conflit entre Hincmar de Reims et le pape Nicolas Ier au 9e siècle). Un droit patriarcal comme tel ne s'est jamais développé à Rome tandis que croissaient les aspirations de l'évêque de Rome à une juridiction universelle. L'effort du pape Nicolas Ier – face aux carences du monde carolingien en déclin – pour subordonner au siège romain tous les évêques en s'appuyant sur les Fausses Décrétales, puis celui du pape Grégoire VII (11e s.) pour affirmer, par ses dictatus papae, la suprématie du pontife romain sur le pouvoir temporel constituèrent deux moments historiques décisifs qui vidaient de toute réalité le concept de patriarcat d'Occident.
Plus profondément, le pape Benoît XVI pourrait, par ce geste, vouloir dégager sa primauté morale universelle de toute juridiction patriarcale, aussi bien dans l'administration quotidienne de l'Église catholique que dans le dialogue avec l'orthodoxie. Il y a trente-cinq ans, le professeur Joseph Ratzinger constatait avec lucidité : " C'est une tragédie que Rome ne soit pas parvenue à détacher la charge apostolique de l'idée patriarcale, de telle sorte qu'elle a présenté à l'Orient une revendication qui, sous cette forme, ne pouvait être admise et n'avait pas à l'être par lui […]. La tâche à envisager serait de distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du successeur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux patriarcats détachés de l'Église latine " (Le Nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 56-68).
Si la suppression du titre de patriarche d'Occident avait en vue, conformément à ce voeu, de faciliter aussi bien l'exercice d'une primauté pontificale non omnipotente que la création de nouveaux patriarcats au sein même de l'Église romaine, l'Église orthodoxe n'aurait qu'à se féliciter de cette démarche. Le pape pourrait-il à nouveau, comme dans l'Église ancienne, exercer sa primauté universelle sans nommer systématiquement les évêques orientaux ni même les évêques occidentaux, puisqu'il semble vouloir s'affranchir de sa juridiction patriarcale sur l'Occident ? L'avenir nous dira si cette orientation est la bonne.
Face à la perspective d'un retour à l'unité avec l'Église orthodoxe, le pape Jean-Paul II avait récemment laissé entendre qu'il désirait " la communion et non pas la juridiction ". De même le professeur Joseph Ratzinger a écrit : " Rome ne peut exiger de l'Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté, plus qu'il n'a été formulé et vécu durant le premier millénaire " (Les Principes de la théologie catholique, 1982).