retour sur la question des azymes

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Claude le Liseur
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retour sur la question des azymes

Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :Je pense qu'il ne faut pas non plus négliger une possible influence arménienne dans l'apparition des azymes dans le rite dit latin. Les Arméniens monophysites utilisent en effet les azymes dans leur liturgie. C'est un des points qui les distingue des autres monophysites (Coptes, Ethiopiens, Erythréens, Syriaques et Malankars) dont les pratiques liturgiques sont beaucoup plus proches des nôtres. J'ignore si, parmi les Eglises monophysites, l'Eglise celtique de Saint-Dolay utilise les azymes ou le pain levé.


Je ne sais malheureusement pas comment le faire, mais je pense qu'il faudrait recopier du fil "Profession de foi d'un catholique-romain" et transférer dans ce nouveau fil les messages relatifs à la question des azymes.

En tout cas, pour éviter la confusion et faciliter la lecture du forum, j'invite les personnes intéressées à poursuivre ici la discussion sur la question des azymes.

A titre personnel, je ne suis pas du tout sûr que ce soit la pratique arménienne des azymes qui aient influencé l'arrivée de l'azymisme en Occident.

Je n'ai aucune connaissance en histoire de la liturgie arménienne, mais un élément me trouble.

J'ai sous les yeux les canons du concile Quinisexte de 692. On sait qu'à cette époque, une partie notable de l'Eglise arménienne avait rejeté le monophysitisme du concile de Dwin et était retournée dans le sein de l'Eglise orthodoxe. Trois des canons de Quinisexte concernent la correction de certains usages de l'Eglise arménienne qui étaient devenus incompatibles avec son retour dans l'Orthodoxie. Le canon 33 demande aux Arméniens de renoncer à réserver l'admission dans les rangs du clergé à ceux qui sont d'ascendance sacerdotale. Le canon 56 leur demandait d'adopter la même discipline du carême que l'Eglise orthodoxe, en renonçant aux oeufs et aux laitages les samedis et dimanches du Carême. Le canon 99 leur demande de renoncer à offrir des viandes cuites dans le sanctuaire. Il est frappant à mes yeux qu'aucun canon n'évoque la question des ayzmes. Soit il y avait des Tzaths (Arméniens orthodoxes) qui utilisaient le pain levé, mais avaient gardé trois usages que le concile leur demande d'abandonner, soit l'Eglise arménienne dans son ensemble ne connaissait pas encore l'utilisation des azymes.

En attendant qu'une personne plus éclairée que moi et qui connaisse l'histoire de la liturgie arménienne m'apporte la preuve du contraire, je me sens en droit de penser que les Arméniens de la fin du VIIe siècle n'étaient pas encore azymites.

On sait par ailleurs que les azymes ne sont apparus dans l'Eglise franque qu'à la fin du IXe siècle.

Cela me paraît un laps de temps court pour que cette pratique condamnable s'implante dans l'Eglise arménienne et, de là, passe dans l'Eglise franque.

Il est ainsi tout à fait possible que les azymes soient apparus en même temps et indépendamment dans l'Eglise arménienne et dans l'Eglise franque.

Et même, on sait que la liturgie arménienne a fait beaucoup d'emprunts au rit dit romain (en fait carolingien). Mais on place ces emprunts plus tard dans le temps, à partir du XIIe siècle. Et, tout à coup, je me pose la question: et si ces emprunts avaient commencé dès la fin du Xe siècle? Si les Arméniens avaient emprunté l'usage des azymes aux Carolingiens, plutôt que l'inverse?

Bien sûr, tout ceci n'est que spéculation et je pourrais être facilement réfuté, si je me trompe, par un spécialiste de la liturgie arménienne. Mais le témoignage du concile In Trullo me paraît intéressant.
Antoine
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Message par Antoine »

Lecteur Claude a écrit : Il faudrait recopier du fil "Profession de foi d'un catholique-romain" et transférer dans ce nouveau fil les messages relatifs à la question des azymes
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Je mets en caractères gras dans ces messages qu'une coupure rendrait inintelligibles les passages qui traitent spécifiquement du pain azyme, afin permettre au lecteur un repérage plus rapide.
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Report d’un Message de lecteur Claude Posté le: Mar 14 Fév 2006 15:37

Thomas m. a écrit :A partir de quel moment de l'histoire l'Eucharistie de l'Eglise romaine devient-elle "invalide" ?
Pour Rome même, on a un terminus ad quem: 1054 au plus tard, quand les occupants de ce siège se sont anathématisés eux-mêmes. Mais quel est le terminus a quo? Le patriarcat de Constantinople, qui était confronté au problème de la déviation azymite, par exemple, dans les églises latines qui se trouvaient dans son ressort (Italie du Sud et Constantinople même) a été d'une grande patience et 1054 a été l'échec d'une tentative de ramener à l'unité de l'Eglise filioquistes et azymites. Disons que ce terminus a quo, le moment à partir duquel on peut avoir des doutes sérieux sur la validité de l'eucharistie à Rome, doit se situer probablement en 1014, quand l'empereur germanique Henri II a imposé le Filioque à Rome. A ce moment-là, il y avait plus de deux siècles que le Filioque souillait certaines Eglises locales, ayant été imposé pour la première fois à la chapelle de Charles le Petit (pardon, Charlemagne) à Aachen / Aix-la-Chapelle. Mais aucun patriarche de Rome, même pas Nicolas Ier, même pas les papes aux moeurs peu édifiantes du Xe siècle, même pas les papes imposés par les Ottoniens à partir de l'intervention des Allemands dans les affaires d'Italie, n'avait inséré le Filioque dans le Credo au sein de l'église locale de Rome.

En dehors de Rome, cela peut être variable selon les lieux, la Papauté centralisée créée par Grégoire VII ayant eu des difficultés à rallier tout le monde à ses vues. Il y a des lieux où on a été azymite et filioquiste avant que Rome ne le devienne, et des lieux où l'on ne l'est devenu que sous la pression centralisatrice. Certaines Eglises locales ont particulièrement résisté: Milan, Paris, la Provence, la Hongrie... Pour l'Irlande, il fallut même organiser en 1155 une croisade confiée au roi d'Angleterre, ce bon apôtre. On peut dire qu'à la fin du XIIe siècle, tout l'Occident est devenu officiellement papiste, officiellement filioquiste, officiellement azymite. Je dis officiellement, parce qu'il y a toujours eu une grande partie des populations pour refuser cette triple doctrine: il y a eu des orthodoxes en Italie jusqu'au XIVe siècle, et partout, il y a eu des dissidences d'autres natures. Par exemple, quand nous pensons au mouvement vaudois, cela ne nous évoque plus que 15'000 protestants ralliés au méthodisme dans les vallées vaudoises du Piémont; on oublie facilement les 15'000 Vaudois du reste de l'Italie, en grande partie produits de la mission du XIXe siècle, et les 15'000 Vaudois émigrés en Uruguay et en Argentine. Mais on oublie encore plus facilement qu'au Moyen Âge, il y eut des Vaudois dans tous les territoires sous domination spirituelle de la Papauté, ou peu s'en faut. Donc, après la période où certaines Eglises locales ont résisté au nom d'un souvenir au moins résiduel du passé orthodoxe, il y a eu des dissidences un peu partout, sans avoir toujours une idée très claire de ce pour quoi elles luttaient.

Je vous invite au passage à utiliser la fonction "Rechercher" à propos du pape Jean XV Philogatos, de la bulle Laudabiliter ou du concile de Szabolcs; vous aurez ainsi des exemples des luttes par lesquelles le filioquisme, l'azymisme et la centralisation pontificale se sont imposées en Occident.

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Report d’un Message de lecteur Claude Posté le: Mar 14 Fév 2006 19:37

Thomas M. a écrit :Vous savez qu'il y a eu des rencontres au Moyen Age entre théologiens grecs et latins, lors du concile de Lyon ou celui de Florence par exemple. Si je ne me trompe, nulle part je n'ai lu que les théologiens orthodoxes niaient la validité de l'Eucharistie des latins. Comment l'expliquez-vous ? Admettons une seconde que Rome revienne à l'orthodoxie. Son Eucharistie redeviendrait-elle de facto valide ? Enfin, j'ai cru comprendre que les Eglises orthodoxes n'étaient pas toutes d'accord au sujet de cette question de la validité de l'Eucharistie latine. Est-ce vraie ? Et si çà l'est, comment expliquer ce flottement ?
Alors, excusez-moi de vous signaler que vous ne vous êtes pas assez renseigné sur les discussions entre théologiens catholiques romains et théologiens orthodoxes au Moyen Âge. La discussion sur les azymes a été constante. De même que la discussion sur la communion sous les deux espèces. Ou la discussion sur l'épiclèse. Cela fait tout de même trois points relatifs à la validité de l'eucharistie.

Il ne faut pas non plus s'illusionner sur le fait que beaucoup de catholiques romains doutaient eux-mêmes de la validité de leur eucharistie. Je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises: ce forum est un forum consacré à l'Orthodoxie, et nous n'avons pas pour but d'expliquer aux catholiques romains leur propre théologie et l'histoire de leur Eglise. Même si tel théologien belge, par exemple, nous y a contraints, ou si tel autre intervenant catholique romain nous a amenés à lui citer le Coran pour démentir quelque affirmation fort hasardeuse sur la théologie islamique de la guerre sainte. Vous connaissez donc assez bien l'histoire de votre Eglise pour connaître l'aventure du mouvement utraquiste en Bohême. Et il me semble que toute l'aventure utraquiste est bien significative du fait que beaucoup de gens membres de l'Eglise catholique romaine (par choix ou par contrainte) doutaient fort de la validité de la communion telle qu'elle leur était donnée. Et que ces doutes avaient, en une vaste région, soulevé le peuple. Vous pensez aussi bien que c'est de ces doutes plus que légitimes sur la validité de l'eucharistie catholique romaine qu'est née la position protestante sur la question: si Luther affirme la présence réelle, il rejette la doctrine scolastique de la transsubstantiation et rétablit la communion sous les deux espèces. Malheureusement, Calvin sera plus radical (présence spirituelle réelle) et d'autres en arriveront au symbolisme.
[…]
Je ne vois donc pas pourquoi l'eucharistie d'une Italie suburbicaire utilisant le pain levé, distribuant la communion sous les deux espèces, disant l'épiclèse, professant la foi orthodoxe et faisant partie du plérôme ne serait pas valide non seulement de facto, mais aussi de jure. Je ne partage pas une telle hostilité à l'égard de l'Italie suburbicaire!

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Report d’un Message de lecteur Claude Posté le: Mar 14 Fév 2006 21:06
"THomas M." a écrit :Vous savez qu'il y a eu des rencontres au Moyen Age entre théologiens grecs et latins, lors du concile de Lyon ou celui de Florence par exemple. Si je ne me trompe, nulle part je n'ai lu que les théologiens orthodoxes niaient la validité de l'Eucharistie des latins. Comment l'expliquez-vous ?

Pour expliquer un fait, encore faudrait-il que ce fait existât.
Voilà, je suis de retour chez moi, j'ai les textes sous la main.

Quand vous dites que l'on ne niait pas la validité de l'Eucharistie des filioquistes dans les discussions théologiques du Moyen Âge, je vous réponds que nous n'avons sans doute pas lu les mêmes sources.

Car le problème de la validité de l'eucharistie azymite est clairement posé, côté orthodoxe, dans la lettre de Léon d'Ohrid à Jean de Trani fin 1052-début 1053. Si ce n'est pas assez explicite à vos yeux, cela l'est au moins, et pour laisser le lecteur seul juge, je cite le passage pertinent dans la traduction française du romano-catholique RP Jugie:


"L'honneur de Dieu et un bienvieillant intérêt nous ont déterminé à écrire à Ta Sainteté et par elle à tous les évêques et prêtres de Francs (NdL: et non des Latins! Il appelle un chat un chat!), à leurs moines et à leurs laïques et au très digne pape, au sujet de l'azyme que vous vous obstinez malheureusement à conserver comme font les Juifs. Il est vrai que l'azyme et les sabbats ont été introduits chez les Juifs par Moïse, mais notre Pâque à nous est le Christ. Le Christ, certes, en voulant observer la loi tout entière, a célébré encore l'ancienne Pâque, mais aussitôt après il a célébré notre Pâque... (NdL: tiens, cela répond aussi aux questions de luzortodoxa.) Il a appelé le pain son corps. Pain se dit chez vous panis, et chez nous artos. Ce dernier mot vient de airein, élever, et signifie le pain élevé au moyen du levain. Le pain sans levain est au contraire semblable à une pierre sans vie ou à de l'argile sèche ou à une brique. Moïse a ordonné aux Juifs la manducation annuelle du pain sans levain, symbole de la tristesse; mais notre Pâque est joyeuse, elle nous soulève au-dessus de la terre, comme le levain soulève le pain... (NdL: on croirait lire le vieil Enfariné, "lo pepin vielh", dans le livre de Boudou!)". (Cité in Professeur Charles Munier, Le Pape Léon IX et la Réforme de l'Eglise, Editions du Signe, Strasbourg 2002, pp. 219 s.)

De son côté, Pierre d'Antioche considérait que le seul motif de la chute de la Papauté hors de l'Eglise était à ce moment-là le Filioque et il était prêt à tolérer par extrême économie l'usage des azymes. Toutefois, la question ne se posait plus en pratique, du fait du maintien de l'insertion du Filioque, qui était un obstacle à la réintégration de Rome dans l'Eglise.
En revanche, côté catholique romain, on n'était prêt à aucune concession sur la question du pain levé, comme on verra quelques lignes plus bas en lisant le texte de l'anathème contre les orthodoxes.


Maintenant, je vous répète que ce n'est pas à moi de vous apprendre l'histoire de votre Eglise, que vous connaissez d'ailleurs si bien. Vous savez donc que l'homme qui poussait le plus à la destruction de l'Orthodoxie en Europe occidentale, le cardinal Humbert de Moyenmoutier (du côté de Senones dans les Vosges), l'homme qui finit par s'anathématiser lui-même le 16 juillet 1054, était le porte-parole d'une fraction de vos coreligionnaires qui considérait que la fidélité des orthodoxes à l'eucharistie traditionnelle rendait invalide leur communion. Cela figure expressément dans le texte de l'anathème lancé par la Papauté contre les orthodoxes le 16 juillet 1054, rédigé par le cardinal Humbert, mais endossé par les papes successeurs de Léon IX jusqu'en 1965: "(...) comme les Manichéens, ils (les orthodoxes, NdL) déclarent entre autres choses que le pain fermenté est animé..."
Donc, la position de votre Eglise, à cette époque-là, et probablement jusqu'à la création des Eglises uniates pour des raisons tactiques à la fin du XVIe siècle, était que l'eucharistie orthodoxe s'apparentait à un rite manichéen.

Ainsi, contrairement à votre assertion, la question de la validité de l'eucharistie se trouvait posée dès 1052, avant même qu'à la question finalement secondaire sur le plan liturgique (mais ô combien révélatrice sur le plan symbolique et spirituel) des azymes ne s'ajoutent la question de la communion sous une seule espèce et celle de l'absence d'épiclèse. Sans compter le problème qu'il ne peut pas y avoir de sacrements sans la foi qui fonde la succession apostolique. Raison pour laquelle je pense que l'eucharistie à Rome même (et non dans les Eglises locales d'Europe occidentale qui refusaient le Filoque) était probablement invalide depuis 1014.

[…]
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Report d’un Message de Lecteur Claude Posté le: Mer 15 Fév 2006 20:33

La correspondance entre Léon d'Ohrid et Jean de Trani appelle quelques remarques intéressantes.
En grec moderne, le terme άρτος ne s'emploie plus que pour désigner le pain eucharistique. Pour le pain de la vie normale, on dit ψωμί. Avantage de la langue grecque qui peut puiser dans un fonds plus archaïque pour désigner certaines réalités culturelles ou religieuses. Ce qui fait qu'un Hellène d'aujourd'hui est moins tenté que nous par une traduction aussi faible que "notre pain quotidien" (cf. tout ce qui a été écrit sur le forum à propos de la traduction du Notre Père).
A noter que, d'une manière curieuse, les autres orthodoxes ne semblent pas avoir repris cette différence, alors qu'ils auraient pu intégrer dans leur langue le άρτος de l'Evangile et de la liturgie. En russe, on a хлеб aussi bien pour le pain eucharistique que pour le pain ordinaire. En roumain, idem avec pâine. Et si la langue russe a repris άρτος, c'est pour en faire артос, qui ne désigne pas le pain eucharistique, mais un pain bénit béni par le prêtre à la fin de la liturgie de Pâques et distribué aux fidèles le samedi suivant.

Encore un point dans la lettre de Léon d'Ohrid qui fait écho aux questions de notre ami luzortodoxa. A ma connaissance, Anne-Geneviève a été la seule sur ce forum à parler de la véritable judaïsation qu'a connue l'Eglise franque sous Charlemagne et ses successeurs. Lorsque le métropolite d'Ohrid reprochait aux Francs de reprendre des usages juifs comme si la Pâque chrétienne n'avait pas eu lieu, il ne faisait que se baser sur un certain nombre de coïncidences si troublantes qu'elles ne sont plus des coïncidences.
Pourquoi les azymes apparaissent-ils en Occident au IXe siècle - donc à la même époque que le Filioque et la doctrine de la Papauté?
Pourquoi commence-t-on à remplacer le jeûne orthodoxe du mercredi, pratiqué depuis le temps de l'Eglise primitive (car c'est un mercredi que le Christ fut livré) par le jeûne du samedi, à l'imitation des Juifs, quelques décennies avant la rupture définitive? Raoul Glaber datait le début de cette pratique du jeûne du samedi de l'an 1033.
Cette influence du judaïsme peut s'expliquer par une raison pratique et une raison plus profonde. En ce qui concerne la raison pratique, l'économie de l'Etat de Charlemagne et de Louis le Pieux était fondée sur le trafic des esclaves slaves. Les consommateurs étaient les califats musulmans de Cordoue et de Bagdad. Ce commerce qui supposait de conduire les esclaves depuis les pays slaves encore païens via l'Etat carolingien vers les pays musulmans était entre les mains des Juifs raddanites, seuls intermédiaires possibles entre Islam et chrétienté. C'était la principale ressource de l'Etat carolingien et beaucoup de négociants juifs avaient ainsi acquis une influence prépondérante à la cour d'Aix-la-Chapelle. On a le témoignage intéressant de saint Angobard à propos de ce trafic dont Lyon était un des points de passage. On sait aussi que ce trafic a été ruiné quand les Suédois (les Varègues) ont découvert la voie des fleuves russes et ont pu conduire les esclaves slaves vers la mer Noire et vers la Caspienne par le Dniepr et la Volga, brisant l'activité des Raddanites et portant sans doute un coup fatal aux finances carolingiennes.
La raison plus spirituelle doit être que les Carolingiens, contrairement à leurs prédécesseurs mérovingiens qui étaient des admirateurs de la culture éclatante de l'Empire romain d'Orient, avaient fini par identifier le peuple franc à un peuple élu: Gesta Dei per Francos. D'où cette tentation inévitable de substituer la Loi à la Grâce que l'on retrouve chaque fois qu'un peuple chrétien succombe au messianisme politico-religieux. Le monde contemporain, outre-Atlantique, nous en offre un éclatant exemple. Cet orgueil national était humainement compréhensible; il l'était dans le cas des Francs comme dans celui de bien d'autres peuples passés ou présents; il était justifié par l'éclatante réussite de ce royaume qui avait survécu à tous les autres royaumes germaniques du continent et avait résisté à tout - même à la marée de l'Islam. Terrible tentation que ce messianisme national, et il est bien difficile d'y résister; dans le cas présent, il a eu des conséquences qui se font encore durement sentir de nos jours.

Je pense qu'il ne faut pas non plus négliger une possible influence arménienne dans l'apparition des azymes dans le rite dit latin. Les Arméniens monophysites utilisent en effet les azymes dans leur liturgie. C'est un des points qui les distingue des autres monophysites (Coptes, Ethiopiens, Erythréens, Syriaques et Malankars) dont les pratiques liturgiques sont beaucoup plus proches des nôtres. J'ignore si, parmi les Eglises monophysites, l'Eglise celtique de Saint-Dolay utilise les azymes ou le pain levé.


Comme les autres erreurs qui ont été à l'origine de l'éclipse de l'Orthodoxie en Europe de l'Ouest, l'azymisme est aussi un processus qui s'est étendu sur plusieurs siècles: l'usage des azymes a commencé à se répandre vers la fin du IXe siècle et n'a triomphé que vers le milieu du XIe.
Enfin, quant à l'accusation de manichéisme lancée par la Papauté contre les orthodoxes, on voit mal le lien entre l'usage du pain levé et le manichéisme. Il me semble plutôt que le manichéisme ayant été mal vu partout (sauf dans l'Empire ouïgour dont il fut un temps la religion), c'était vraiment l'accusation que l'on pouvait lancer sans risques dès lors que l'on était à court d'argument contre un adversaire.

Il est frappant de voir que cela continue de nos jours. Confronté aux intéressantes similitudes entre le bouddhisme (surtout celui du Vajrayana) et le christianisme, les chrétiens d'autrefois réagissaient en classant le Bouddha Gautama Sakyamuni parmi les précurseurs du Christ, ceux qui avaient préparé leur peuple à recevoir un jour l'illumination. Et, de même que les orthodoxes d'autrefois peignaient des frises des philosophes avec Socrate, Cicéron et autres sages de l'Antiquité qui avaient préparé l'avènement du Christ sur les murs extérieurs des églises, ils avaient christianisé la figure du Bouddha sous le nom de saint Joasaph ou Josaphat, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises sur ce forum et sur l'ancien.
Que font les chrétiens contemporains face à ces troublantes similitudes dans lesquelles les chrétiens d'autrefois voyaient les semences du Verbe et la préparation à la vraie Lumière? Malgré toutes les preuves archéologiques qui confirment que le sage des Sakya, alias notre saint Josaphat prince de l'Inde, a bien vécu au VIe siècle avant NSJC, une école particulièrement hargneuse dans la dénonciation de tout ce qui n'est pas thomiste comme relevant du gnosticisme (y compris saint Grégoire Palamas et Blaise Pascal) a lancé le bobard que le bouddhisme ne serait qu'un déguisement asiatique du manichéisme (lui-même supposé gnostique), qu'il n'y aurait aucune trace du bouddhisme avant le IIIe siècle de notre ère, etc. Même dans le milieu catholique intégriste dont fait partie cette école, il s'est trouvé un prêtre courageux comme l'abbé Grégoire Celier pour essayer d'appeler ces auteurs à un peu plus de respect de la vérité historique. Alors, que dois-je penser quand je vois des orthodoxes eux-mêmes reprendre ce bobard qui est un véritable défi à la science historique et archéologique sur tel ou tel site orthodoxe belge?

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Report d’un message de Lecteur Claude Posté le: Lun 27 Fév 2006 11:22

A propos de la question des azymes, un correspondant me fait remarquer qu'il ne l'a pas trouvée parmi les points de désaccord discutés dans le remarquable ouvrage publié en 1993 à L'Âge d'Homme par deux prélats paléohimérologites, NNSS. Photios (Terestchenko) et Philarète (Motte), Le nouveau catéchisme contre la foi des Pères.

La première remarque qui s'impose est que cet ouvrage, de par sa petite taille, ne pouvait prétendre à l'exhaustivité.

La deuxième remarque est que la question des azymes a fait l'objet d'une discusssion et d'une décision concrètes dans l'Eglise orthodoxe au XXe siècle.

J'ai indiqué dans un message antérieur que, dans sa correspondance de 1054 avec le patriarche oecuménique Michel Cérulaire, le patriarche Pierre d'Antioche avait indiqué que, par extrême économie, on pourrait éventuellement tolérer l'usage des azymes dans l'Eglise franque (abusivement dite romaine) si celle-ci abandonnait l'insertion du Filioque.
Cette ouverture était restée théorique, puisqu'il n'y avait pas abandon du Filioque, obstacle dogmatique insurmontable. Pendant des siècles, les filioquistes qui sont retournés à l'Orthodoxie l'ont fait dans le sein de paroisses orthodoxes existantes, qui avaient toutes le rit byzantin. L'usage de rits occidentaux dans l'Orthodoxie prend fin à la fin du XIIIe siècle avec l'abandon du monastère orthodoxe italien des Amalfitains au Mont Athos. (Le Mont Athos s'est toujours voulu multiculturel. Mais si, aujourd'hui, ce multiculturalisme se traduit par l'existence de monastères russe, bulgare et serbe et de skites roumains à côté des monastères et skites grecs, il se traduisait au Moyen Âge par l'existence d'un monastère arménien, Vatopaidi, devenu aujourd'hui grec; d'un monastère géorgien, Iviron, devenu aujourd'hui grec; d'un monastère italien - et non pas italo-grec - , Amalfion, abandonné au plus tard vers 1287.)

Mais on sait que, depuis le temps d'Overbeck, il y a eu un mouvement pour la création, au sein de l'Eglise orthodoxe, de paroisses utilisant des rits occidentaux. Je n'aborderai pas ici la question du rit dit de saint Germain de Paris promu en France par l'ECOF et aujourd'hui utilisé de temps à autre par un certain nombre de paroisses orthodoxes: ce rit se veut une reconstitution d'un rit gallican qui fut liquidé par Pépin le Bref et Charlemagne, et il a été complété par de nombreux emprunts au rit byzantin.

Mais nous savons qu'il existe aux Etats-Unis (et maintenant dans l'Ontario) et qu'il a existé en Grande-Bretagne un certain nombre de paroisses orthodoxes utilisant des rits occidentaux plus récents: le rit dit de saint Grégoire le Grand, qui est une orthodoxisation du rit tridentin, et le rit dit de saint Tikhon, qui est une orthodoxisation du Book of Common Prayer anglican.

Je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises sur ce forum. A propos de l'usage des rits dits occidentaux dans l'Eglise orthodoxe, il y a deux questions bien différentes, qui sont celles de leur opportunité et celles de leur légalité.

Sur la question de l'opportunité, j'estime pour ma part que cet usage n'est pas opportun, et ce pour au moins quatre raisons: (1) le rit byzantin est universel et transmet déjà toutes les richesses de la foi, et il me paraît plus urgent de le traduire et de l'enraciner que de faire des expériences liturgiques limitées; ce qui a été possible pour les Japonais ou à plus forte raison pour les Estoniens est possible pour les Romands ou les Californiens; (2) ces paroisses orthodoxes de rit occidental doivent dépenser une énergie considérable pour faire passer dans leur rit des propres de saints orthodoxes du deuxième millénaire ou des enseignements qui ne sont conservés que dans le rit byzantin; (3) ces paroisses orthodoxes de rit occidental doivent aussi dépenser beaucoup d'argent pour se procurer des ornements et des objets liturgiques qui, tout en n'étant pas ceux du reste des orthodoxes, ne sont plus en usage chez les catholiques romains, les vieux-catholiques ou les anglicans; (4) et surtout - mais cela vaudrait un post entier, reprenant la lettre de Khomiakov à Palmer et répondant d'avance aux vaines questions sur ce qui se passerait si "Rome" ou "Cantorbéry" décidait ceci ou cela - l'Orthodoxie n'est pas une idéologie et on n'entre pas dans le Corps du Christ comme on adhère à un parti politique.

L'opportunité est une chose et est affaire d'opinion et, sur ce point, la mienne ne vaut pas plus a priori que ceux des prêtres du rit occidental aux Etats-Unis.

Sur cette question, force est de constater que l'Eglise orthodoxe a fait preuve d'une extrême ouverture et a accepté des rits et des pratiques liturgiques fort éloignées de la tradition dite byzantine. Le souci de distinguer ce qui était la Tradition dogmatique, liturgique et spirituelle des traditions nationales et culturelles a été poussé très loin - trop loin à mon avis, mais c'est une autre discussion.

La légalité est une autre chose. J'entends ici par légalité la question suivante: quelles étaient les conditions nécessaires pour que des adaptations du rit tridentin ou du rit anglican soient recevables dans l'Eglise orthodoxe? Autrement dit, qu'est-ce qui, dans le rit tridentin ou le rit anglican, portait la marque des évolutions, qui à partir du IXe siècle, conduisirent au schisme, ou qui, pire encore, était la marque d'une évolution dogmatique contraire à l'Orthodoxie après le schisme?

Il s'agissait de l'insertion du Filioque (dès 792 à Aix-la-Chapelle / Aachen, en 1014 à Rome), de l'utilisation des azymes (apparue à la fin du IXe siècle et généralisée à la fin du XIe), de la communion sous la seule espèce du pain (apparue au XIe siècle et généralisée au XIIe) et de la disparition de l'épiclèse à cause de la théologie du prêtre agissant in persona Christi.

Et bien, nous avons la réponse, puisqu'il y a maintenant, et depuis 1958, des paroisses orthodoxes utilisant la liturgie dite de saint Grégoire le Grand ou la liturgie dite de saint Tikhon sous la juridiction du patriarcat d'Antioche, du patriarcat de Moscou et de l'Eglise russe hors frontières.

La plupart des lecteurs savent que l'Eglise orthodoxe, pour adapter ces liturgies à l'ethos et à la foi orthodoxes, a imposé l'ajout du Trisagion (question non dogmatique, mais il fallait bien une prière qui soit commune à tous les rits), la suppression de l'insertion du Filioque et le rétablissement de l'épiclèse et de la communion sous les deux espèces.

Ce que tout le monde ne sait pas, c'est qu'à cette occasion, on a aussi imposé l'abandon des azymes.

Je me permets de reproduire ici un extrait d'un article de l'évêque Isaïe de Denver (Colorado), de l'Archevêché orthodoxe grec des Amériques (Patriarcat oecuménique de Constantinople), publié en février 1995 dans les Diocesan News for Clergy and Laity (Moniteur diocésain pour le clergé et le peuple) du diocèse de Denver, et reproduit sur le site Internet des partisans du rit occidental à l'adresse http://www.westernorthodox.com/greekdenver . Voici le passage relatif à la question des azymes:

"The ancient question that continues to divide the Roman Catholic and Western Churches from the Orthodox Church regarding the use of leavened or unleavened bread in the Eucharist had to be resolved when the Western Rite parishes were received into the Orthodox Church. The host used in Western Rite liturgies resembles the unleavened wafer used by Roman Catholics and Episcopalians, but in fact it is leavened—although flattened—bread. The use of leavened bread in accordance with Orthodox theology, was required by Metropolitan Philip when he recieved these parishes into Orthodoxy. Interestingly, antidoron is also blessed and distributed at these Liturgies. " (NdL: souligné par moi)

Ma traduction:

"Au moment de la réception dans l'Eglise orthodoxe des paroisses du rit occidental, il fallut résoudre la vieille question qui continue de séparer l'Eglise orthodoxe et les Eglises romano-catholique et occidentales à propos de l'usage du pain levé ou des azymes dans l'Eucharistie. Le pain eucharistique utilisé dans les liturgies du rit occidental ressemble à l'hostie azymite utilisée par les catholiques romains et les épiscopaliens, mais en fait elle est du pain avec du levain - quoiqu'aplati. L'usage du pain levé conformément à la théologie orthodoxe fut exigé par le métropolite Philippe (NdL: il s'agit du métropolite Philippe [Saliba] du patriarcat d'Antioche) quand il reçut ces paroisses dans l'Orthodoxie. (NdL: souligné par moi.) Fait intéressant, l'antidoron est aussi béni et distribué lors de ces liturgies."

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Report d’un message d’Anne Geneviève Posté le: Jeu 02 Mar 2006 15:01

[…] Juste un mot pour compléter ce que vous dites des azymes, Claude. Lorsque les frères Kovalevsky ont voulu reconstituer le rit des Gaules, une de leurs premières décisions fut de remplacer les azymes par une prosphore tout ce qu’il y a de plus orthodoxe. On peut discuter à l’infini des qualités et des défauts d’Eugraph Kovalevsky mais sur cette question des azymes, il n’a pas eu la moindre hésitation.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :Encore un point dans la lettre de Léon d'Ohrid qui fait écho aux questions de notre ami luzortodoxa. A ma connaissance, Anne-Geneviève a été la seule sur ce forum à parler de la véritable judaïsation qu'a connue l'Eglise franque sous Charlemagne et ses successeurs. Lorsque le métropolite d'Ohrid reprochait aux Francs de reprendre des usages juifs comme si la Pâque chrétienne n'avait pas eu lieu, il ne faisait que se baser sur un certain nombre de coïncidences si troublantes qu'elles ne sont plus des coïncidences.
Pourquoi les azymes apparaissent-ils en Occident au IXe siècle - donc à la même époque que le Filioque et la doctrine de la Papauté?
Pourquoi commence-t-on à remplacer le jeûne orthodoxe du mercredi, pratiqué depuis le temps de l'Eglise primitive (car c'est un mercredi que le Christ fut livré) par le jeûne du samedi, à l'imitation des Juifs, quelques décennies avant la rupture définitive? Raoul Glaber datait le début de cette pratique du jeûne du samedi de l'an 1033.
Cette influence du judaïsme peut s'expliquer par une raison pratique et une raison plus profonde. En ce qui concerne la raison pratique, l'économie de l'Etat de Charlemagne et de Louis le Pieux était fondée sur le trafic des esclaves slaves. Les consommateurs étaient les califats musulmans de Cordoue et de Bagdad. Ce commerce qui supposait de conduire les esclaves depuis les pays slaves encore païens via l'Etat carolingien vers les pays musulmans était entre les mains des Juifs raddanites, seuls intermédiaires possibles entre Islam et chrétienté. C'était la principale ressource de l'Etat carolingien et beaucoup de négociants juifs avaient ainsi acquis une influence prépondérante à la cour d'Aix-la-Chapelle. On a le témoignage intéressant de saint Angobard à propos de ce trafic dont Lyon était un des points de passage. On sait aussi que ce trafic a été ruiné quand les Suédois (les Varègues) ont découvert la voie des fleuves russes et ont pu conduire les esclaves slaves vers la mer Noire et vers la Caspienne par le Dniepr et la Volga, brisant l'activité des Raddanites et portant sans doute un coup fatal aux finances carolingiennes.
La raison plus spirituelle doit être que les Carolingiens, contrairement à leurs prédécesseurs mérovingiens qui étaient des admirateurs de la culture éclatante de l'Empire romain d'Orient, avaient fini par identifier le peuple franc à un peuple élu: Gesta Dei per Francos. D'où cette tentation inévitable de substituer la Loi à la Grâce que l'on retrouve chaque fois qu'un peuple chrétien succombe au messianisme politico-religieux. Le monde contemporain, outre-Atlantique, nous en offre un éclatant exemple. Cet orgueil national était humainement compréhensible; il l'était dans le cas des Francs comme dans celui de bien d'autres peuples passés ou présents; il était justifié par l'éclatante réussite de ce royaume qui avait survécu à tous les autres royaumes germaniques du continent et avait résisté à tout - même à la marée de l'Islam. Terrible tentation que ce messianisme national, et il est bien difficile d'y résister; dans le cas présent, il a eu des conséquences qui se font encore durement sentir de nos jours.

Pour ceux qu'étonnerait cette mention que je faisais le 15 février dernier du prestige du judaïsme à la cour carolingienne en raison des liens entre les Carolingiens et des marchands juifs d'esclaves slaves, je cite un petit article de Philippe Simonnot, professeur d'économie du droit à Paris X, d'abord publié dans Le Nouvel Economiste en 2000 et repris in Philippe Simonnot, Vingt et un siècles d'économie, Les Belles Lettres, Paris 2002, pp. 101-110: "Verdun, capitale du trafic d'esclaves".

L'auteur rappelle que la ville épiscopale du Barrois, glorieuse entre toutes et qui n'aura jamais autant justifié son nom (Verum Dunum = la Vraie Forteresse) que lorsqu'elle fut l'objet de la plus grande bataille de l'Histoire en 1916 (je conserve encore dans mon bureau la médaille d'un arrière-grand-père qui s'y est battu parmi tant de centaines de milliers de Français et d'Allemands), était du VIIIe au Xe siècles un très grand centre du trafic d'esclaves slaves. Il mentionne le rôle éminent joué dans ce commerce par les marchands juifs, que leur religion, minoritaire partout et donc neutre dans les conflits religieux, rendait capables se se mouvoir à l'aise aussi bien dans les pays slaves païens (pays d'origine des esclaves) que dans le royaume franc chrétien en voie de filioquisation (pays de transit) et dans le califat musulman de Cordoue (pays de destination). Cela amène le professeur Simonnot à évoquer l'importance de certains de ces marchands à la cour de Louis le Pieux:

"Vers 825, par les Formules impériales, Louis le Pieux permet à deux juifs, le rabbin Domat et son neveu Samuel, de ne pas acquitter les taxes perçues sur le négoce itinérant. Elles leur accordent le droit d'acheter des esclaves étrangers et de les vendre à l'intérieur de l'Empire. Les Formules interdisent aux autorités ecclésiastiques de tous ordres d'essayer de convertir au christianisme les esclaves en possession des juifs. Domat et Samuel sont ainsi mis sous la protection de l'empereur. Celui qui tramerait leur mort ou les assassinerait serait frappé d'une énorme amende de dix livres d'or. A la même époque, Abraham de Saragosse se réclame lui aussi de la protection de l'empereur pour vendre des esclaves en Espagne musulmane. Il faut voir dans ces mesures l'importance cruciale du trafic d'esclaves pour l'économie européenne de l'époque." (Simonnot, op. cit., pp. 105 s.)

Nuançons en disant que le trafic d'esclaves avait une importance cruciale pour l'Etat carolingien mal administré et mal géré (mais cela avait aussi été le cas de l'Etat mérovingien après la mort de Dagobert Ier en 639). C'était même de loin la première source de revenus des Carolingiens. On peut donc supposer que le judaïsme professé par des partenaires en affaires qui étaient pour eux "d'une importance cruciale" devait exercer sur les cours carolingiennes une influence beaucoup plus grande que le lointain Empire chrétien. Cela peut être une explication prosaïque à cette soudaine judaïsation du christianisme franc (apparition des azymes, messianisme national, jeûne du samedi remplaçant celui du mercredi).
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

je me pose la question: et si ces emprunts avaient commencé dès la fin du Xe siècle? Si les Arméniens avaient emprunté l'usage des azymes aux Carolingiens, plutôt que l'inverse?
Peut-être que cet article ci-dessous pourra apporter un élément de réponse à la question que Claude se pose. D'après un autre article issu du même magazine, les arméniens avaient une vénération du peuple juifs, et le texte que je publie ici montre l'attachement de l'Eglise arménienne à Jérusalem et à ses Lieux saints. Peut-être que ce faits ont favorisé l'adoption de l'utilisation du pain azyme dans la liturgie. J'ai mis en gras ce qui me parraissait digne d'intérêt à ce propos.

Article paru dans Le Monde de la Bible n°136, juillet-août 2001;
L'Arménie mémoire de la Bible, pp. 27-31.

Par Charles Renoux; Bénédictin, abbaye d'En Calcat.

Les Arméniens et la liturgie de Jérusalem

Les relations dans le domaine de la liturgie entre l’Eglise d’Arménie et l’Eglise de Jérusalem, au IVe et au Ve siècle, se révèlent de plus en plus étendues, à mesure que s’approfondit la connaissance des textes liturgiques anciens, arméniens, grecs et géorgiens.

L’invention de l’alphabet arménien, aux environs de l’année 400, permit à l’Eglise arménienne, qui célébrait auparavant en rite grec ou syriaque selon les régions, de se constituer des livres liturgiques propres afin de prier dans sa propre langue. Un lectionnaire hiérosolymitain des années 419-439, dont l’existence de l’une ou l’autre partie est déjà perçue dans les Homélies sur 1 Samuel prêchées par Origène lui-même à Jérusalem en 240-241, les Catéchèses baptismales de Cyrille de Jérusalem prononcées en 350 et l’Itinéraire de la pèlerine Egérie, qui séjourna dans la ville sainte au cours des années 381-384, fut traduit en arménien au début du Ve siècle. Ce texte rythma désormais le déroulement annuel des assemblées liturgiques de l’Eglise arménienne, en même temps qu’il leur apportait ses psaumes et ses lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament. Du 6 janvier, fête de la seule Nativité du Seigneur appelée Epiphanie, jusqu’au 29 décembre, commémoration des deux frères apôtres Jacques et Jean, le calendrier de ce document unique, conservé fidèlement par trois manuscrits des Xe-XIIe siècles, déploie un cycle encore succinct de célébrations qui forment toujours la trame du rite arménien actuel. Aux fêtes du Seigneur- Epiphanie, Pâques, Ascension et Pentecôte, précédées ou suivies de périodes destinées à les préparer ( temps du carême) ou à les prolonger (semaine pascale) - s’ajoutent des commémorations concernant non seulement quelques saints de l’économie ancienne et nouvelle (prophètes, Mère de Dieu, apôtres, martyrs et confesseurs), mais aussi d’illustres personnages dont la bienveillance s’exerça en faveur de Jérusalem. C’est ainsi, entre autres exemples, qu’au calendrier de l’Eglise arménienne figure encore la mémoire des Empereurs Constantin (le 22 mai) et Théodose (le 19 janvier), tous deux constructeurs et bienfaiteurs des lieux saints au cours du IVe siècle. Ce caractère local de l’année liturgique hiérosolymitaine apparaît aussi dans les textes, toujours au programme du rite arménien, de ses célébrations. Psaumes et lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament furent fréquemment choisis, en effet, en fonction des divers lieux, basiliques et églises de la Ville sainte où, selon les jours et l’objet de la fête, se réunissait l’assemblée des fidèles. Le mercredi de Pâques, par exemple, jour où la liturgie eucharistique était célébrée à l’église de la Sainte-Sion, le psaume 147 du début de la célébration avait pour refrain : “Jérusalem, loue le Seigneur, et bénis ton Dieu, Ô Sion” (Ps 147, 1). Et le jour suivant, puisque la communauté hiérosolymitaine se déplaçait à l’église du mont des Oliviers, le psaume 98 était chanté avec le refrain: “Exaltez le Seigneur notre Dieu, adorez-le sur sa sainte montagne” (Ps 98, 9). L’intention des compositeurs anonymes du Lectionnaire de Jérusalem de choisir des textes adaptés aux lieux où se déroulait la liturgie affleure ainsi sans cesse, comme le constatait déjà la pèlerine Egérie dont les pages de son Itinéraire consacrées à Jérusalem sont émaillées de ce refrain : “on dit des hymnes et des antiennes appropriées au jour et au lieu”.

Le Lectionnaire de Jérusalem en Arménie

Quelque trois cent cinquante manuscrits, copies, dérivées et modifiées de l’archétype de ce document traduit en arménien au début du Ve siècle, sont conservés dans de nombreuses bibliothèques réparties dans le monde. Pareille masse de témoins manifeste amplement que l’Eglise arménienne ne s’est jamais départie au cours des siècles de l’enracinement hiérosolymitain de sa liturgie. Dès le VIe siècle, cette origine est reconnue par le catholicos Yovhannes II Gabelean (557-574) dans les pages de son opuscule sur l’ Epiphanie, lorsqu’il affirme, de manière trop exclusive sans doute, que “les fêtes, les lectures et les psaumes du lectionnaire ont été établis pa Cyrille de Jérusalem”; et un siècle plus tard, le savant computiste (qui dresse un calendrier des fêtes) Anania Sirakac’i (615-690) attribuera lui aussi, dans son Traité sur l’Epiphanie, à l’évêque de la Ville sainte les dispositions du lectionnaire. Tout au long des siècles, et jusqu’au XVIIIe encore, des copistes continueront à retranscrire, en tête des textes bibliques destinés aux célébrations de l’eucharistie ou d’autres assemblées, les noms des églises de Jérusalem où la communauté de la Ville sainte se réunissaient au IVe et au Ve.
L’organisation de l’année liturgique hiérosolymitaine et celle des textes de ses célébrations sont ainsi passées et demeurées dans la prière de l’Eglise arménienne, alors même qu’elle était contrainte d’adapter partiellement un rite profondément marqué par les lieux et l’époque où il se célébrait autrefois. On ne s’étonnera donc pas, par exemple, que le rite arménien ne possède toujours pas de fête de Noël, ou encore qu’il ne célèbre la Présentation de Jésus au Temple que le 14 février : la solennité du 25 décembre n’était pas encore inscrite dans le Lectionnaire hiérosolymitain des années 419-439, archétype des manuscrite arméniens postérieurs et du calendrier arménien actuel. La Nativité du Christ, comme primitivement en Orient, était toujours célébrée le 6 janvier, et sa Présentation au Temple quarante jours après.
En ce qui concerne les textes bibliques, psaumes et péricopes de l’Ancien et du Nouveau Testament choisis pour les célébrations, la fidélité du rite arménien actuel vis-à-vis de ses origines hiérosolymitaines est également totale. Il suffit de passer en revue quelques étapes du cycle arménien pour s’en rendre compte. Au début de l’année liturgique, le deuxième jour de l’Epiphanie (le 7 janvier), pourquoi le rituel arménien prescrit-il toujours la lecture du récit du martyre de saint Etienne (Actes 6,8 - 8,2) que les fidèles ont déjà entendu le 26 décembre, jour de la commémoration du protomartyr? Ce jour-là, la liturgie eucharistique de l’Eglise de Jérusalem, au Ve siècle, se tenait au Martyrium de Saint-Etienne et comportait tout naturellement en ce lieu la lecture de l’arrestation, du discours et de la lapidation du saint diacre; et le choix de la péricope évangélique du même jour (Jean 12,24-26: “si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas {...}”), tout à fait étrangère au thème de l’Epiphanie, n’a d’autre raison que d’évoquer également le martyr d’Etienne. Le quatrième jour de l’Epiphanie (le 9 janvier), le chant du psaume 131, avant la proclamation de l’Evangile: “Seigneur, souviens-toi de David{...}”, rappelle aussi l’ancien rituel de Jérusalem: ce jour-là, en effet, l’assemblée se tenait à l’église de la Sainte-Sion regardée comme l’héritière du siège de la royauté davidique.
Au cours de la période quadragésimale du rite arménien actuel, psaumes et péricopes bibliques du mercredi et du vendredi de chaque semaine sont toujours ceux que chantaient et écoutaient les fidèles de Jérusalem en ces deux seuls jours d’assemblées hebdomadaires dans la Ville sainte au IVe et au Ve siècle. Les lectures di livre de l’Exode, le rappel des préceptes du Seigneur avec le Deutéronome, les exhortations à la conversion lancées par les prophètes Isaïe et joël, et enfin les souffrances de Job préfigurant celles du Christ sont autant de textes qui préparent assurément d’une manière adéquate à la fête de Pâques. Mais, au cours des siècles, la célébration étant devenue quotidienne durant les semaines de carêmes, il a fallut pour les lundis, mardis, jeudis et samedis, choisir d’autres péricopes bibliques qui ne correspondent pas à l’orientation thématique de celles du Lectionnaire du Ve siècle. Trois systèmes de lectures d’origines différentes, si l’on ajoute celui des dimanches que l’Eglise arménienne eut aussi pendant la période quadragésimale et créent le sentiment d’une dispersion.
Les cérémonies de la grande semaine revêtaient à Jérusalem un caractère local tout à fait adapté, du fait qu’elles se tenaient sur les lieux mêmes où le Christ était passé et avait souffert au cours des derniers jours de son existence terrestre. Lors de cette liturgie processionnelle, décrite pas à pas dans l’Itinéraire de la pèlerine Egérie et le Lectionnaire de Jérusalem, une trentaine de longue péricopes étaient lues du matin du jeudi-saint jusqu’au soir du vendredi-saint, textes empruntés aux prophètes annonçant la Passion, puis aux écrits du Nouveau Testament en montrant la réalisation; un nombres égal de psaumes étaient aussi chantés. Ces longs offices de psaumes et de lectures figurent toujours, au moins dans les livres liturgiques, au programme extraordinairement chargé de la Semaine sainte du rite arménien.
Tout au long de l’année, célébrations et textes bibliques manifestent ainsi l’enracinement de la liturgie arménienne dans celle du rite hiérosolymitain des IVe et Ve siècles. Il n’est pas jusqu’aux noms portés par de nombreuses églises arméniennes qui ne reflètent la topographie des Lieux saints: Surb-Yarut’iwn = Sainte-Anasthasis, Surb-Sion = Sainte-Sion, Surb-Nisan = Sainte-Croix, Surb- Step’anos = Saint-Etienne, Surb-Lazar = Saint-Lazarium.

L’hymnographie arménienne

Une nouvelle dépendance de la liturgie arménienne par rapport à celle de la Ville sainte est apparue depuis que sont connus les textes de l’hymnaire géorgien ancien, le iadgari publié à Tbilisi en 1980 - traductions d’hymnes grecques hiérosolymitaines et palestiniennes effectuées par des moines géorgiens qui dès le Ve siècle vivaient au couvent de Saint-Sabas. Ces compositions hymnographiques présentent de nombreuses ressemblances avec les textes du rite arménien actuel. ces derniers, que l’histoire littéraire arménienne revendiquait comme l’oeuvre des Pères de l’Eglise d’Arménie, proviennent manifestement de la même source que ceux de l’hymnographie géorgienne ancienne (exemple ci-dessous pour la semaine suivant Pâques).
Pareille identité textuelle entre strophes arméniennes et géorgiennes s’explique aisément. Lors de la création de leur rite au Ve siècle, les Eglises d’Arménie et de Géorgie empruntèrent l’une et l’autre à l’Eglise de Jérusalem son Lectionnaire qui comprenait non seulement les péricopes bibliques, mais aussi des hymnes de composition ecclésiastique. Le Lectionnaire de Jérusalem en version arménienne en conserve encore quelques fragments et, dans la version géorgienne du même document, de nombreuses pièces attestent l’importance de l’hymnodie dans la liturgie hiérosolymitaine ancienne. Les deux rites, arménien et géorgien, reçurent donc de la Ville sainte un matériau hymnographique commun que nous retrouvons dans les hymnaires en langue arménienne et en langue géorgienne. Les contraintes de la traduction à partir du grec et de la mise en musique ont nécessairement provoqué des divergences entre les textes des deux hymnaires, sans que disparaissent cependant, pour les hymnes des fêtes ancienne qui figurent dans le Lectionnaire de Jérusalem du Ve siècle, les ressemblances entre textes sont restés plus proches des textes grecs originaux, en particulier par leurs allusions fréquentes aux divres Lieux saints où ils étaient chantés; ces indications topographiques ont disparu des hymnes arméniennes.
L’exploration des manuscrits liturgiques géorgiens, grecs et arméniens, représentant trois traditions dépendantes de la liturgie de Jérusalem, permettra sans doute, par connexion, d’élargir encore l’étendue des relations du rite arménien avec celui de la Ville sainte des IVe et Ve siècles. De ce dernier, la liturgie actuelle de l’Eglise arménienne offre, dans l’état présent de nos connaissances, la manifestation la plus importante. Dans son calendrier, son lectionnaire et son hymnaire, le rite arménien est fondamentalement dépendant de la liturgie hiérosolymitaine de Ve siècle. Certes, il s’est développé et modifié par la suite, surtout à partir du XIe siècle, du fait de la présence, sporadique puis définitive au XIIe, du siège catholicossal arménien en Cilicie; là, les traditions byzantine et syriaque et, de manière plus dommageable, l’influence du rite latin avec l’arrivée des croisés et les relations avec Rome devaient l’altérer profondément. Mais au-delà de ces transformations tardives, on reconnaîtra sans peine la prière de l’Eglise mère de toutes les Eglises dans celle de cette Eglise du Caucase.

Exemple de l’hymne de la semaine suivant Pâques :

Texte géorgien
Toi qui es venu pour le salut du monde
Christ, Roi éternel,
Nous te bénissons, Dieu de nos pères.
Tu as subi volontairement la Passion en ton corps,
Christ, tu goûtas la mort, Nous te bénissons, Dieu de nos pères.
Tu fus scellé dans un tombeau, Toi qui fis mourir la mort,
Nous te bénissons, Dieu de nos pères.


Texte arménien
Toi qui es venu pour le salut du monde,
Christ, Roi éternel,
Nous te glorifions, Dieu de nos pères.
Tu as subi volontairement la Passion
Et, pour nous, tu goûtas la mort,
Nous te glorifions, Dieu de nos pères.
Tu fus scellé avec la pierre dans ton tombeau,
Et tu brisas le sceau mortel de la faute,
Nous te glorifions, Dieu de nos pères.


A LIRE

Le Lectionnaire de Jérusalem
par A. et C. Renoux, Patrologia Orientalis, t. 35, 1; 36, 2;
44, 4 et 48, 2 éd. Brepols, Turnhout/Belgique, 1969-1999.

Journal de voyage (Itinéraire)
Par Egérie, introduction, texte critique, traductions, notes, index et cartes
par P. Maraval, coll. “Sources Chrétiennes” 296, éd. du Cerf, Paris, 1982.

Langue et littérature arménienne
par C. Renoux, in Christianismes Orientaux, introduction à l’étude des langues et des littératures
de M. Albert et autres, éd. du Cerf, Paris, 1993.

“Confession religieuse et identité nationale dans l’Eglise arménienne
du VIIe au XIe siècle”
par J-P Mahé, in Des Parthes au Califat: Quatre leçons sur
la formation de l’identité arménienne,
éd. N. Garsoïan,
J-P.Mahé éd.De broccard, Paris, 1997, pp.59-78

L’Eglise arménienne et le grand schisme d’Orient
par N.G. Garsoïan, Corpus scriptorium christianorum orientalium
vol. 574, Subsidia, tome 100, éd. Peeters, Louvain, 1999.

Les Hymmnes de la Résurrection
I. Hymnographie liturgique géorgienne,par C. Renoux, introduction, traduction et annotation des textes du Sinaï 18,
coll. “Sources liturgiques” 3, éd. du Cerf, Paris, 2000.
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Que les Arméniens soient un peuple très enraciné dans l'Ancien Testament, c'est une chose que personne ne conteste. Dans son remarquable ouvrage Η Αγία Αποστολική Εκκλησία των Αρμενίων (La Sainte Eglise apostolique des Arméniens), Parousia, Athènes 2001, p. 22, l'évêque Yeznik Petrossian (aujourd'hui à la tête du département des relations inter-ecclésiastiques auprès du catholicos de la Sainte Etchmiadzine) mentionne que le premier texte traduit en arménien par le saint archimandrite Mesrop Machtots après la mise au point de son alphabet et alors que l'Arménie était encore orthodoxe fut le 2e verset du 1er chapitre du livre des Proverbes ("pour connaître la sagesse et l'instruction, pour discerner les paroles d'intelligence"); dans d'autres contextes culturels, on aurait peut-être commencé par l'Evangile.

Mais si les Arméniens ont une tradition "vétérotestamentaire", sont-ils vraiment pour autant ceux qui ont introduit l'usage des azymes?

A l'adresse internet http://u2.u-strasbg.fr/upresa7043/articles/27-erny.pdf , on peut trouver la reproduction d'un article paru en 2000 dans la Revue des sciences sociales, "La boulange sacrée", du professeur Erny de l'Université Marc-Bloch de Strasbourg. L'article est marqué au coin d'une certaine ironie et d'un relativisme pas très justifié, mais l'intérêt de cet article, dans le contexte de ce fil, est qu'il mentionne, p. 16, que l'on tend aujourd'hui à penser que les azymes n'ont en fait été introduits dans la liturgie arménienne que sous l'influence des Croisés au XIIe siècle.

Le professeur Krikor Beledian, in Les Arméniens, Brepols, Turnhout 1994, p. 127, laisse aussi entendre que l'usage des azymes est bien une influence franque qui s'est introduite dans l'Eglise arménienne, comme bien d'autres, au temps des Croisades: "Le pain eucharistique (nechkhar), sans levain et sans sel, selon l'usage latin (NdL: souligné par moi), est cuit le matin du jour de la liturgie."

Je répète aussi que le concile Quinisexte, qui avait demandé aux Arméniens retournés dans le sein de l'Eglise orthodoxe de renoncer à certains usages, ne mentionne pas celui des azymes, ce qui tend aussi à indiquer une introduction bien postérieure de cet usage dans l'Eglise arménienne.

Par conséquent, et jusqu'à plus ample informé, on est forcé de remonter à la cour carolingienne pour cette erreur là comme pour tant d'autres.
augustin717
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Message par augustin717 »

Christ est ressuscite!
Si je me souviens bien, j'ai lu dans un histoire de l'Eglise de l' Antiquite, ecrite par H.-I. Marrou qu'au cours du VI-eme siecle deja, le catholicos armenien ironisait le patriarche de Constantinople a cause de l'usage, chez les grecs, du pain a levain, en disant qu'il ne voulait pas "manger des brioches" avec le dit patriarche.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Il me semble que l'origine franque pour l'utilisation du pain azyme dans la liturgie arménienne est acceptée par beaucoup. J'ai trouvé un article sur un site canadien, qui va également dans ce sens; en voici un extrait :

"Les chrétiens orthodoxes orientaux (non chalcédoniens) au Canada sont d'origine arménienne, copte, syrienne, éthiopienne et d'Inde du Sud. Le diocèse canadien de l'Armenian Church of North America, fondé en 1898, est dirigé par une assemblée de laïcs et de prêtres, qui élisent un primat pour un mandat de quatre ans. Il est membre du Conseil canadien des Églises. L'Église relève du patriarche d'Ecmiadzine (en République d'Arménie), chef de l'Église arménienne, laquelle est historiquement rattachée aux patriarcats de Jérusalem et de Constantinople. La communauté arménienne du Canada a été fondée après la Première Guerre mondiale. Dans les années 50 et les années 60, il s'y ajoute une deuxième vague d'immigration provenant surtout de la Turquie, de l'Égypte, de la Syrie, du Liban et de l'Iran. Elle compte maintenant 50 000 fidèles répartis sur huit paroisses. Les deux plus anciennes sont celles de St. Catharines et de Hamilton en Ontario, les autres ont été formées à Toronto, à Montréal, à Ottawa, à Edmonton et à Vancouver. On y célèbre habituellement la liturgie de saint Basile en arménien classique.L'emploi du pain azyme pour la communion remonte à une brève période d'union avec l'Église romaine aux XIIIe et XIVe siècles.Les Arméniens suivent le calendrier julien, mais ils ont gardé l'antique coutume qui consiste à célébrer la nativité du Christ dans le cadre de la fête de l'Épiphanie."

voici le lien : http://66.249.93.104/search?q=cache:h1f ... =clnk&cd=1
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Stephanopoulos a écrit :Il me semble que l'origine franque pour l'utilisation du pain azyme dans la liturgie arménienne est acceptée par beaucoup. J'ai trouvé un article sur un site canadien, qui va également dans ce sens; en voici un extrait :

"Les chrétiens orthodoxes orientaux (non chalcédoniens) au Canada sont d'origine arménienne, copte, syrienne, éthiopienne et d'Inde du Sud. Le diocèse canadien de l'Armenian Church of North America, fondé en 1898, est dirigé par une assemblée de laïcs et de prêtres, qui élisent un primat pour un mandat de quatre ans. Il est membre du Conseil canadien des Églises. L'Église relève du patriarche d'Ecmiadzine (en République d'Arménie), chef de l'Église arménienne, laquelle est historiquement rattachée aux patriarcats de Jérusalem et de Constantinople. La communauté arménienne du Canada a été fondée après la Première Guerre mondiale. Dans les années 50 et les années 60, il s'y ajoute une deuxième vague d'immigration provenant surtout de la Turquie, de l'Égypte, de la Syrie, du Liban et de l'Iran. Elle compte maintenant 50 000 fidèles répartis sur huit paroisses. Les deux plus anciennes sont celles de St. Catharines et de Hamilton en Ontario, les autres ont été formées à Toronto, à Montréal, à Ottawa, à Edmonton et à Vancouver. On y célèbre habituellement la liturgie de saint Basile en arménien classique.L'emploi du pain azyme pour la communion remonte à une brève période d'union avec l'Église romaine aux XIIIe et XIVe siècles.Les Arméniens suivent le calendrier julien, mais ils ont gardé l'antique coutume qui consiste à célébrer la nativité du Christ dans le cadre de la fête de l'Épiphanie."

voici le lien : http://66.249.93.104/search?q=cache:h1f ... =clnk&cd=1
Mille mercis pour cette information.
Je me permets toutefois de donner le lien d'une manière plus accessible:

http://www.thecanadianencyclopedia.com/ ... 1SEC855502
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Merci à toi Claude!

Sur le fil "Honnorius III et la 4ème croisade" tu disait : "Mais la véritable cause de l'effondrement final réside dans l'Union de Florence. Je reviendrai à l'occasion sur ce point."

Pourrais-tu s'il te plaît développer ce point, dans un autre fil, qui a une grande importance à mes yeux? Je te remercie mille fois à mon tour!
Stephanopoulos
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Message par Claude le Liseur »

Stephanopoulos a écrit :Merci à toi Claude!

Sur le fil "Honnorius III et la 4ème croisade" tu disait : "Mais la véritable cause de l'effondrement final réside dans l'Union de Florence. Je reviendrai à l'occasion sur ce point."

Pourrais-tu s'il te plaît développer ce point, dans un autre fil, qui a une grande importance à mes yeux? Je te remercie mille fois à mon tour!
Mon cher Stephanopoulos,

Je te prie de bien vouloir me pardonner si je ma réponse n'est pas trop longue. Je vais devoir m'absenter du forum pour cause de fiançailles. Je poste encore deux messages aujourd'hui, mais tu comprendras bien que je dois reporter au ouiquende prochain la reprise d'une participation active au forum. Parce que la semaine de 50 heures + les fiançailles, cela devient chargé et le forum passe au second plan.

Tu verras que, curieusement, la réponse se trouve là où on ne l'attend pas: dans un livre du professeur Olivier Clément.

Le docteur Jean Besse parle du séjour de saint Manuel II Paléologue à Paris.
"Jamais il n'envisagea, comme ses successeurs Jean VIII et Constantin XI, de sacrifier l'Orthodoxie à des calculs politiques pour gagner l'appui des Latins contre les Turcs. Même s'il n'obtint à Paris qu'une aide dérisoire, ses successeurs, promoteurs et partisans, malgré saint Marc d'Ephèse, de l'Union de Ferrare-Florence, n'obtinrent rien de plus d'un Occident inconscient et hostile, nostalgique de l'empire latin d'Orient. Olivier Clément, dans son excellent essai sur Byzance et le christianisme (1964), reconnaissait: "Si l'Empire orthodoxe se prend pour une fin en soi, et tente d'asservir ou d'utiliser l'Eglise, il perd sa raison d'être et s'effondre. (...) Au contraire, sous un empereur fidèle comme Manuel II, la situation se rétablit par miracle: en 1399 comme en 1422, les Turcs doivent abandonner le siège de Constantinople et l'on parle d'une apparition salvatrice de la Vierge, le jour de l'assaut" (Olivier Clément, Byzance et le christianisme, Paris 1964, p. 103). " (Jean-Paul Besse, Un précurseur: Wladimir Guettée. Du gallicanisme à l'Orthodoxie, Monastère orthodoxe Saint-Michel, Lavardac 1992, p. 41.)

A la décharge de Jean VIII Paléologue, rappelons quand même que, pris de remords pour ce qu'il avait fait, il empêcha le pape Eugène IV de faire brûler vif saint Marc d'Ephèse.

Les historiens hostiles à l'Orthodoxie comme le professeur Louis Bréhier, farouche défenseur de l'union de Florence, se trouvent bien empruntés quand il s'agit d'évoquer ce fait difficilement acceptable pour eux que le Ciel est venu au secours d'un confesseur de l'Orthodoxie comme saint Manuel II Paléologue et qu'il n'y a pas eu la moindre manifestation venue d'en-haut en faveur des unionistes Jean VIII et Constantin XI. Cela donne des passages comme celui-ci, où l'apparition de la Théotokos est travestie en "panique inexplicable":
"Un illuminé, vénéré de tous, le scheik Seïd-Bokhari, de la famille du Prophète, avait prédit que la ville tomberait aux mains des musulmans le lundi 24 août [1422]. L'assaut général fut donné ce jour-là et la bataille avait été longue et acharnée, lorsque les Turcs furent pris d'une panique inexplicable, brûlèrent leurs machines de guerre et battirent en retraite, mais non sans laisser quelques troupes devant la ville." (Louis Bréhier, Vie et mort de Byzance, 3e édition, Albin Michel, Paris 1992, p. 396; la première édition est de 1946.)

Pourtant, tout ceci ne devrait pas étonner de vrais chrétiens, a fortiori des chrétiens orthodoxes. La leçon de l'Ancien Testament n'est-elle pas que le peuple de Dieu doit placer sa confiance en Dieu seul? En perdant leur Empire et en risquant de perdre l'Eglise du Christ dans leurs combinaisons unionistes avec la Papauté, Jean VIII Paléologue et Constantin XI Dragasès oubliaient le Psaume 145, versets 3-6 (traduction de l'archimandrite Placide Deseille):

"Ne mettez point votre confiance dans les princes,
dans les fils des hommes, qui ne peuvent sauver.

Leur esprit s'en ira, ils retourneront à leur poussière,
en ce jour-là périront toutes leurs pensées.

Bienheureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob,
et qui met son espérance dans le Seigneur son Dieu,

lui qui a fait le ciel et la terre,
la mer, et tout ce qu'ils renferment;
qui garde éternellement la vérité."
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Aucun souci Claude, merci mille fois, et heureuses fiançailles!
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

augustin717 a écrit :Christ est ressuscite!
Si je me souviens bien, j'ai lu dans un histoire de l'Eglise de l' Antiquite, ecrite par H.-I. Marrou qu'au cours du VI-eme siecle deja, le catholicos armenien ironisait le patriarche de Constantinople a cause de l'usage, chez les grecs, du pain a levain, en disant qu'il ne voulait pas "manger des brioches" avec le dit patriarche.
Cher Augustin,

Votre grande érudition me confond. Après de longues recherches, j'ai en effet trouver trace de cette histoire à la page 268 du livre de Nina Garsoïan. Toutefois, il n'est pas sûr que ce soit une allusion aux azymes, mais il semblerait plutôt que cela voulait dire que les Arméniens monophysites ne reconnaissaient pas la validité des sacrements des orthodoxes.
Je viens de vivre une journée riche en émotions et il me faut beaucoup plus de temps pour saisir les textes écrits en caractères grecs qu'en caractères latins. Il est à noter que la phrase attribuée au catholicos arménien Moïse ne figure pas dans une source écrite en arménien, mais dans un source écrite en grec.
Permettez-moi de revenir dans quelques jours sur cette source intéressante que vous avez trouvée.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Aux fiancés : beaucoup d'années !
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Anne Geneviève a écrit :Aux fiancés : beaucoup d'années !
Justine et moi vous remercions de tout coeur. Et un grand merci à Antoine, et à Grégoire pour les fleurs.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :
augustin717 a écrit :Christ est ressuscite!
Si je me souviens bien, j'ai lu dans un histoire de l'Eglise de l' Antiquite, ecrite par H.-I. Marrou qu'au cours du VI-eme siecle deja, le catholicos armenien ironisait le patriarche de Constantinople a cause de l'usage, chez les grecs, du pain a levain, en disant qu'il ne voulait pas "manger des brioches" avec le dit patriarche.
Cher Augustin,

Votre grande érudition me confond. Après de longues recherches, j'ai en effet trouver trace de cette histoire à la page 268 du livre de Nina Garsoïan. Toutefois, il n'est pas sûr que ce soit une allusion aux azymes, mais il semblerait plutôt que cela voulait dire que les Arméniens monophysites ne reconnaissaient pas la validité des sacrements des orthodoxes.
Je viens de vivre une journée riche en émotions et il me faut beaucoup plus de temps pour saisir les textes écrits en caractères grecs qu'en caractères latins. Il est à noter que la phrase attribuée au catholicos arménien Moïse ne figure pas dans une source écrite en arménien, mais dans un source écrite en grec.
Permettez-moi de revenir dans quelques jours sur cette source intéressante que vous avez trouvée.
Dès maintenant, voici le texte évoqué par Augustin717 et cité par Nina Garsoïan:

102. `O δέ καθολικός Mώσής σύ nρoσέσχε τoiς npoσταχθεiσι, λέγων• `Oú μή παρέλθω τόν noταμóv 'Aζάτ oúδ" σύ μή φάγω φoυρvιτάpιv oúδ' σύ μή niω Θερμόv'.

Traduction et commentaires suivront ultérieurement (j'ai beaucoup de travail en retard aujourd'hui). Je prie nos honorables lecteurs de se contenter pour le moment de l'original grec, et de remercier Augustin717 pour les ressources de sa grande érudition.
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