Comme je suis partiellement alité ces jours-ci, j'ai laissé passer une telle flopée de messages sur ce fil que j'ai l'impression de le regarder de loin, du haut de mon balcon pendant que le cortège défile dans la rue en dessous. Cela me donne presque le vertige.
D'où la petite réponse suivante pour Antoine - qui écrivait (une bonne dizaine de messages plus tôt, je crois!) :
.../... Dans le passé, beaucoup de nos intervenants catholiques romains sont devenus très agressifs après quelques messages, parce qu'ils se rendaient compte que leurs arguments prosélytes ne faisaient pas mouche ou parce qu'ils se rendaient compte que nous ne les renforcions pas dans leur soumission au Pape. Je pense que ces personnes auraient dû se poser la question de ce qu'elles cherchaient vraiment sur ce forum et se seraient rendu compte qu'elles pouvaient trouver sur des dizaines de forums kto ce qu'elles ne pouvaient pas trouver sur le présent forum..../...
Tu négliges une catégorie plus importante, Antoine. Celle des catholiques qui veulent
vraiment que l'Église soit une, mais qui faute de savoir ce qu'est l'Église - et
qu'elle est déjà UNE ( et ...sans eux...)car sinon elle ne serait pas, ou plus, l'Église! - en arrivent à croire de bonne foi qu'il est de leur devoir (à eux, tout seuls comme des grands) de "faire quelque chose" pour hâter cette UNION.
Car ils parlent encore en termes d'UNION et pas vraiment d'UNITÉ. Ce ne sont pas vraiment des prosélytes au sens banal du terme ( il est devenu péjoratif, alors qu'en soi, il définit un état spirituel très beau), et ils sont d'une certaine manière encore imprégnés de thomisme - même si le thomisme n'est plus de mode. Ils sont intérieurment conformés par un mode de pensée conditionné par le
"sed contra" - et c'est par un processus de conciliation entre deux différences en forme de contraires qu'ils sont persuadés d'aboutir à cette UNION ( l'union de ce qu'ils considèrent fondamentalement comme
deux églises, en somme, puisqu'ils reconnaissent la qualité d'église à l'Orthodoxie, ce que je ne peux plus, pour ma part, reconnaître à la communauté des catholiques romains).
Hegel dirait peut-être que ce sont des idéalistes ? Mais tu es mieux placé que moi pour Hegel...
J'ai commencé, après ma conversion au Christ, à chercher Son Église, et la recherche a duré près de 30 ans. Mais cette conversion m'a d'abord mené vers le catholicisme romain:
- parce qu'en France on l'appelle "L'Eglise" (même quand on est anti-chrétien) et donc, c'est là qu'on va en premier quand on cherche où Il est
- parce que la plupart de mes ancêtres, des deux côtés, en étaient - et que l'amour de la famille crée un sens des responsabilités qui parfois vous met dans de beaux draps !
- parce que celui qui m'avait révélé la prière était catholique romain, et même papiste - et ne faisait naturellement rien pour m'empêcher de suivre sa trace.
Or, j'avais 24 ans et en 1952 le catholicisme français était encore thomiste; pour éclairer un peu le tableau, j'étais embourbé dans le milieu de Maritain, de Bardet, du journal
"L'Homme Nouveau", de Madiran, de la revue
"La Cité Catholique", des pères de Chabeuil, de Bruno Cornacchiola, de Marthe Robin, etc. etc...
On n'y croisait pas des stigmatisés à chaque réunion, bien sûr. Mais des "mystiques", presque à tout coup.
En pleine réunion, dans le salon de ces Mme Swetchine new look (c’était un terme à la mode !), on pouvait parfois entendre un homme grave, réputé et écouté comme un mentor par les autres "sommités" présentes, dire posément : "Marie m'a confié cette nuit, pendant l'oraison, que X. doit se mettre rapidement à apprendre le papou : après les Trois Jours de Ténèbres, il deviendra évêque et sera envoyé là-bas pour les baptiser, car il y aura une abondante récolte, et peu d'ouvriers..." Et après un silence méditatif des présents, cette question : "Où va-t-on pouvoir lui trouver un prof de papou ? Aux Langues O, peut-être ?"
C'était une autre époque, çà c'est sûr!
L'un de ces catholiques, et non des moindres (lui et sa femme étaient des amis personnels du nonce apostolique qui allait devenir Jean XXIII) me conseilla de lire les "
Récits d'un Pèlerin Russe", qui venaient d'être traduits en français depuis une dizaine d'années. Un jour que je lui disais mon peu de chaleur pour un certain piétisme russe - et plus particulièrement mon haut-le-cœur devant le chapitre du petit serviteur que son maître fouette chaque fois qu'il s'arrête de répéter la Prière du Nom de Jésus, et qui finit "logiquement" par mourir de faim et de froid, mais en odeur de sainteté, (ce qui fait trrrès Rrrrusse, évidemment) - il commença une longue digression sur ce thème ... qui est un peu celui de ce fil, en somme.
Pour résumer, c'était quelque chose comme :
"Nous catholiques, nous avons le Pape Infaillible, c'est un puissant secours, et c'est à cela que nous devons cette surabondance de grands saints mystiques, de stigmatisés, de miracles, etc. Puis nous avons Marie avec nous, c'"st indubitable : La Salette, Beaurain, Lourdes, Fatima, etc... Mais eux, les pauvres, ils n'ont que leur piété, qui est immense dans le petit peuple et très mariale heureusement (c'est ce qui les sauvera) , mais qui s'arrête là ! Ils n'ont jamais eu ni st Thomas d'Aquin, ni François d'Assise, ni Padre Pio, ni st Jean de la Croix... Et à part ceux des quatre ou cinq premiers siècles, tous les Pères de l'Eglise sont catholiques, c'est évident ! D'ailleurs, ils contituent d'immenses masses quasiment dans le petit peuple analphabètes, à part une certaine bourgeoisie qui est plus qu'athée, depuis longtemps, même avant le bolchevisme. C'est l'impasse!"
Un kto français d'aujourd'hui, comme "Ivan", par exemple, se récrierait devant un tel discours - mais c'était à l'époque celui de la plupart des ktos d'un certain niveau - ou d'un certain milieu. Si on leur avait dit que ce "petit peuple" de moujiks analphabètes était devenu l'un des peuples les plus alphabétisés de la terre, ils vous auraient accusé d'être un agent secret du KGB !
Pour mieux me faire comprendre ce qu'il en était, il me cita donc la référence suprême - le témoignage d'une "grande mystique" qu'il connaissait : patriote gaulliste, résistante quoique cloîtrée, qui avait sauvé un sous-marin français en pleine guerre par une apparition - une bilocation, apparemment - et pour lequel fait d'armes De Gaulle l'aurait faite décorer. Cette religieuse lui avait relaté une de ses "visions". Le Christ lui était apparu, tenant dans ses mains un bébé nouveau-né, non pas langé mais tout enserré dans des bandelettes étroites (comme l'est l'Enfant des Icônes de la Nativité) et pour qui elle devrait beaucoup prier désormais : c'était l'Église Orthodoxe.
Cette notion d'une Église Orthodoxe encore dans la petite enfance, immobilisée par des bandelettes qui lui interdisent tout mouvement, toute progression, toute "modernisation" en somme - c'est une conception qui n'est caricaturale que pour nous; pour les ktos, elle traîne souvent au fond de tous leurs non-dit.
Certes, ils admirent "la spiritualité" orthodoxe, les Icônes orthodoxes, les staretz orthodoxes, l'Eglise du silence orthodoxe ... mais comme on admire la naïve piété d'un petit enfant. En même temps, ils brûlent du désir pieux de nous "déniaiser", et de nous prouver leur amour fraternel en nous aidant (délicatement, sur la pointe des pieds, car il ne faut pas brusquer ni inquiéter les tout petits) à nous débarrasser de nos terribles bandelettes - pour nous permettre enfin de grandir comme eux, et d'atteindre notre pleine taille adulte, sous le soleil bienfaisant de l'infaillibilité pontificale de leur souverain de là-bas - sur sa
sedia gestatoria.
Ils ont un peu le sentiment qu'en agissant ainsi, ils vont être accueillis par nous comme les soldats étasuniens auraient dû, selon Bush, être accueillis par le peuple irakien : sous les acclamations émues d'esclaves qu'on libère de la tyrannie.
Alors, quand au lieu de les remercier chaleureusement de vouloir faire notre éducation chrétienne de grandes personnes, nous leur disons de manière à peine voilée qu'ils sont des grands couillons et que leurs papes sont de belles crapules, ils ne peuvent pas comprendre. Ils pensent à des années lumières de la pensée orthodoxe - comme les Bush et autres Kennedy pensent à des années lumière des autres peuples de la terre.
Quel dialogue pouvons-nous avoir, au fond ?
Ni "Ivan", ni la plupart des autres ne sont psychiquement mûrs pour s'enquérir sereinement de la VRAIE doctrine de l'Église VRAIEMENT EGLISE DU CHRIST. Ils en sont à souhaiter que l'UNION ratée à Florence se fasse enfin, mais cette fois étendue à la grande centaine de communautés qui se réclament du Christ et qu'ils considèrent manifestement comme une centaine ou deux de poumons d'un même corps... Elles sont toutes, dans leur idée, des Églises. Et dans la foule, nous leur faisons l'effet d'une peuplade de barbus fanatiques, qui couchent l'hiver sur un poêle au milieu d'une isba de terre battue. Avec de belles icones sur les murs de rondins...
S'il m'a fallu trente ans pour me débarrasser de mes vieux habits, il leur en faudra peut-être la moitié - ...mais guère moins, sauf volonté expresse de Dieu. Parce que dans ce cas-là, il n'y a plus de temps ni d'espace : la dernière à qui c'est arrivé est Madeleine, c'est vrai - mais on ne peut pas prendre sa démarche à elle comme schéma-type. Et elle aussi a longtemps cheminé avant d'arriver à l'Eglise.
Par exemple : sommes-nous capables de nous imaginer ce que cela peut représenter de déchirure intérieure pour un kto
qui aime Dieu,
qui communie (parfois) tous les jours avant d'aller à son travail,qui se donne un mal de chien pour vivre chaque jour comme un ascète malgré toutes ses tentations,
qui "reçoit" parfois la consolation d'une "communion sensible" ... et qui aime l'Eglise au point de vouloir nous aider malgré notre caractère buté et nos croyances d'un autre âge ... quand il lit dans une de nos réponses exaspérées qu'il n'a pas plus l'Eucharistie que les autres schismatiques qui adhèrent à la doctrine hérétique du Vatican ? Qu'il n'a, en somme JAMAIS reçu le Corps et le Sang du Christ ?
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Au fond,
je crois que nous devrions écarter, d'une manière ou d'une autre, toute discussion de ce genre à l'avenir. Nous leur faisons mal inutilement. Ceux qui posent des question sans arrières-pensées, simplement
pour entendre la réponse de l'Eglise et la méditer (en la confrontant avec l'enseignement qu'ils ont reçu jusque là) seront toujours très rares; à ceux-là nous avons le devoir de répondre, certes, mais sans entrer dans une discussion dont le niveau ne peut pas être le même des deux côtés - dont la langue même ne peut pas encore être com-prise par eux tant que le Saint Esprit n'a pas au préalable levé une partie du voile qui brouillait leur vue, et n'a pas répandu dans leur cœur le désir d'écouter - comme l'enfant Samuel se levait la nuit pour le faire.