Antoine écrit :
Je sais où est l’Eglise, je ne sais pas où elle n’est pas, car l’Esprit souffle où il veut, et nous sommes bien incapables de Le voir.
On ne peut pas d’un côté affirmer que seule l’Eglise orthodoxe est l’Eglise du Christ et d’un autre côté affirmer que l’on ne sait pas où l’Eglise n’est pas. On ne peut pas réciter le « je crois en l’Eglise une » et affirmer qu’on ne sait pas où cette unicité se trouve et où elle ne se trouve pas.
Que l’Esprit souffle où il veut n’est en aucun cas une définition de l’Eglise et encore moins une relativisation de son unicité. L’Esprit souffle effectivement aussi en dehors de l’Eglise pour amener à l'Eglise ceux qui n’y sont pas et en l’Eglise pour y garder ceux qui y sont. L’administration des mystères est une autre chose. Seule l’Eglise peut dispenser ses mystères par l'Esprit et l'Esprit les dispense par l'Eglise, en l'Eglise à ses membres. Cela ne l’empêche nullement de prier pour tous : c’est même grâce à cela que sa prière pour tous est recevable.
Je maintiens que l’Esprit souffle où Il veut, même au-delà des limites visibles de l’Église. Des païens avaient cru en Jésus sans avoir été même baptisés. Pierre les rencontra et constata qu’ils avaient reçu l’Esprit. Il dit donc : “comment pourrais-je leur refuser le Baprême, s’ils ont déjà reçu l’Esprit ?” Aussitôt il les baptisa. Il en fut d’ailleurs de même plus tard pour Saül sur la route de Damas. Et aussotôt il demanda à recevoir le Batême. L’Esprit peut très bien pousser un homme à demander le Baptême, qui vient compléter, régulariser et formaliser la Grâce qu’il a déjà reçue.
Ce qui est accompli en dehors de l’Église, on ne sait pas ce que c’est. L’Esprit le sait. Ce qui est accompli dans l’Église, nous savons ce que c’est. La difficulté pour nos intelligences humaines, c’est que potentiellement elle est tout l’univers, car l’Esprit est partout orésent et emplit tout. Mais c’est aussi un groupe visible d’hommes concrets, et confié à leur administration. C’est seulement dans ce qui s’y accomplit que nous savons avec certitude ce qui se passe, et dès l’instant où nous le savons, nous ne devons pas négliger ce trésor.
L’eucharistie des catholiques romains est vide, il n’y a pas de transformation des espèces, leurs hosties ne deviennent pas le corps du Christ et leurs calices ne contiennent pas le sang du Christ.
Ai-je dit autre chose ? On pourrait d’ailleurs raisonner de la même manière pour le Baptême et la Chrismation. Ce que font les hétérodoxes est vide. Mais nous ne savons pas ce que fait l’Esprit. Si une personne y participe avec foi et crainte de Dieu, je ne sais pas ce que l’Esprit lui accorde. Non pas à cause de la mauvaise cérémonie catholique, mais à cause de sa prière. Et effectivement nous voyons des chrétiens encore tout ruisselants de catholicisme venir vers l’Orthodoxie. Quelle que soit la force de malfaisance des organisations religieuses qui se prétendent Églises, il reste encore “quelque chose” dans le peuple qu’elles tentent d’illusionner. Et l’Esprit, bien entendu, n’est pas insensible à ce “quelque chose”. Irait-il jusqu’à leur donner des pierres au lieu de pain ?
L’Église possède la plénitude de la vie. Mais elle ne flotte pas dans le vide. Les hommes qui sont autour d’elle ont la possibilité de s’adresser à elle parce qau’ils portent en eux l’image de Dieu, souillée certes, ternie, mais jamais totalement absente.
C’est déjà une forme de communion.
Un homme descendait de Jérusalem (= du Paradis) à Jéricho (vers cette terre où Satan nous éprouve. Il fut assailli par les brigands qui le laissèrent à demi mort, mais à demi seulement. Jésus passa, car c’est Lui le Bon Samaritain. Il le soigna. Cet homme n’était pas encore dans la plénitude des saints Mystères, mais le divin Maître le confia à l’aubergiste, qui est l’Église, qui put parfaire sa guérison. Et il donna à cet aubergiste la somme nécessaire pour que l’homme à demi mort pût revenir à la vie en attendant son Retour. Ce sont les saints Mystères du Baptême, de la Chrismation puis de l’Eucharistie.
De même, comme le rappelle Antoine,
La repentance du bon Larron l’a mené au Royaume. Il n’était pas baptisé, n’était pas chrismé et n’avait pas communié. Il s’est greffé à la croix du Christ sans appartenir à l’Eglise. L’entrée dans le Royaume aura été sa première et ultime communion au corps du Christ.
Mais lorsqu’il dit « Seigneur, souvuens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume », il le dit déjà par le souffle de l’Esprit, ce qui est déjà une première forme de communion au salut apporté par le Christ..
Dire qu’il n’y a certes pas la plénitude dans une eucharistie hétérodoxe mais quand même un petit quelque chose d’on ne sait quoi est un langage ampoulé qui ne recouvre aucune réalité. Ou il y a corps du Christ ou il n’y a rien. En matière d’eucharistie il n’y a pas de demi mesure. Seule la totalité est présente et la présence est totalité.
Mais cette totalité n’est pas exclusive. La plénitude de la réalité mystérique de l’Église ne signifie pas qu’il ne se passe rien en dehors des limites visibles de l’Église.
Job a beaucoup souffert. Il vivait en dehors des limites visibles de l’Église, et même en dehors de l’Église de l’Ancienne Alliance, car il n’était pas juif. Cependant il s’est écrié : « Je sais que mon Rédempteur vit » Comment aurait-il pu faire une aussi belle confession de sa foi sans une certaine forme de communion ? Lorsque les Pères reconnaissent que la Loi de Moïse est l’ombre des choses à venir, et même que le saint Esprit n’est révélé dans l’Évangile que d’une manière voilée, ils refusent d’affirmer que Seule la totalité est présente et la présence est totalité.
Antoine rappelle ma question
Alors comment le Seigneur répond-il aux prières de ceux qui le prient (en dehors de l’Église orthodoxe) ? Je ne sais.
en répliquant :
Le Seigneur écoute et répond avec miséricorde selon la sincérité de chacun. Mais la réalité eucharistique ne dépend pas de la sincérité de celui qui la célèbre ou la reçoit. Il faut qu’elle soit célébrée en Eglise. Sinon elle n’opèrerait jamais car tout ministre et tout fidèle en est indigne.
La plénitude des mystères de l’Église orthodoxe implique certes entre autres que le Seigneur obéit à la prière d’un prêtre indigne. Mais ce n’est pas de cela que je parlais. Je voulais dire que le Seigneur peut parfois s’approcher d’un homme qui le prie bien qu’il se trouve en dehors de l’Église. Il peut faire entrer cet homme invisiblement dans la plénitude de l’Église — mais sitôt que cet homme a perçu la plénitude du don que le Seigneur a fait à son Église, la plénitude de la Grâce présente dans les saints Mystères accomplis par l’Église qui est son Corps, aussitôt il doit se précipiter pour demander à faire totalement, visiblement, concrètement, explicitement, publiquement partie de cette Église.
Mais je n’ai pas du tout dit que ce qui est célébré hors de l’Église présente une sorte de semi-réalité. Ce petit quelque chose qui subsiste dans le peuple des régions où les ex-Églises d’Occident ont fait leurs ravages, ce petit peu n’est pas le néant, et nous pouvons voir que toujours subsuste en Occident le souvenir que quelque chose d’autre pourrait exister, devrait pouvoir revivre. Ce qui n’est encore que rarement “conscientisé” c’est que cela suppose un retour à la Tradition orthodoxe qui subsiste toujours ailleurs.
À la réflexion je crois que ce qui a trompé Antoine sur la portée de mes propos sur la condition spirituelle des hommes vivant en dehors de l’Église orthodoxe, c’est que j’ai employé le terme de “communion”. Mais ce terme n’est pas réservé à l’usage eucharistique, il peut être beaucoup plus général. Je reste persuadé que dans le cœur des chrétiens d’Occident il subsiste une certaine forme de communion dans la vérité avec l’Église. Les hérésies et les schismes, les persécutions et les falsifications dont se sont rendus coupables les hiérarchies, les ordres militants, les pouvoirs civils et la diplomatie vaticane n’ont jamais eu assez de pouvoir pour effacer toute trace de l’Évangile. Lorsqu’ils veulent faire des diverses dénominations chrétiennes une forme de religion à côté d’autres, les pouvoirs publics et les suppôts du prêt-à-penser moderne se trompent lourdement.
Sylvie-Madeleine pose la question :
C'est une affirmation choc que de dire qu'il n'y a plus de grâce sacramentelle dans les Églises hétérodoxes.
Depuis quand demande Thomas ? Est-ce qu'on peut vraiment donner un instant précis ? Est-ce lorsqu'il y a eu les bulles d'excommunications ? Ou était-ce avant, dès qu'il y a eu volonté de conserver le Filioque dans le Credo par l'Église Romaine ? Dieu le sait. Confions cela à Sa Miséricorde.
Pourtant je crois que lorsqu’on voit à quel point les catholiques sont embourbés dans leurs propres contradictions, lorsqu’on les voit faire un virage à 180°, ressortir le dais du Saint Sacrement (je l’ai vu passer sous mes fenêtres, le jour de la Fête-Dieu autour du Sacré Cœur), faire des yeux doux aux intégristes etc. On comprend qu’ils ont réussi à comprendre que les soi-disantes réformes prophétiques de Vatican II sont allées droit dans le mur.
En fait je crois qu’il y a bien longtemps que l’Esprit s’en est retiré. Je serais toutefois moins précis sur les dates que Claude, car je suis frappé de voir avec quelles énormes difficulté le papisme a pu s’imposer. Mais je ne suis vraiment pas historien et pas capable de développer la question.
Et maintenant je vois que Thomas demande à Claude :
Vous savez qu'il y a eu des rencontres au Moyen Age entre théologiens grecs et latins, lors du concile de Lyon ou celui de Florence par exemple. Si je ne me trompe, nulle part je n'ai lu que les théologiens orthodoxes niaient la validité de l'Eucharistie des latins. Comment l'expliquez-vous ?
Je ne sais pas ce que Claude dira, mais je crois que c’est justement l’illustration de ce que je disais : il est très difficile, dans le cas de l’Église catholique de déterminer une date exacte de rupture. Au concile de Ferrare-Florence, bien que Photius eût une claire conscience de toute l’hérésie latine, il accepta à l’ouverture de prier avec eux. Par la suite il fut très tranchant, il fut hélas le seul, refusa de signer et ne dut son salut qu’à un sauf conduit délivré sur l’intervention instante de l’empereur.
Admettons une seconde que Rome revienne à l'orthodoxie. Son Eucharistie redeviendrait-elle de facto valide ?
Enfin, j'ai cru comprendre que les Eglises orthodoxes n'étaient pas toutes d'accord au sujet de cette question de la validité de l'Eucharistie latine. Est-ce vraie ? Et si çà l'est, comment expliquer ce flottement ?
Si Rome revenait à l’Orthodoxie, il faudrair qu’elle abandonne le
Filioque, qu’elle restaure l’épiclèse, qu’elle restaure la formule d’ordination, etc et qu’elle renonce au prétendu dogme de l’Immaculée Conception, au prétendu dogme de l’infaillibilité pontificale etc, etc. et qu’elle les abjure publiquement et par écrit.
Toutes questions préalables réglées (et il y en a bien d’autres) il est probable que l’Église orthodoxes serait fidèle à ses règles et commencerait par réadmettre les évêques dans l’Église l’un après l’autre séparément par réadmission à l’autel, quitte à leur demander à eux de recevoir leurs fidèles et leur clergé par des procédures analogues.
Cela paraît certes un peu irréel à vue humaine, mais il n’est pas impensable qu’un jour arrive où certains évêques catholiques, peut-être même conduisant leurs fidèles, fasse la démarche.
Je pense que toutes les Églises orthodoxes sont d’accord pour nier la validité des “sacrements” (les orthodoxes ne devraient d’ailleurs pas employer ce mot) de l’2glise latine. Les velléités d’œcuménisme sont retombées et il n’a plus que quelques partisans en Occident.