Le sujet déplaisait déjà depuis longtemps dans les milieux catholiques romains, mais une gêne larvée commence aussi à se faire sentir dans les milieux orthodoxes ou proches de l’Orthodoxie, au moins en Occident. La différence essentielle entre ce dédain kto et cette gêne orthodoxe tient sans doute à ce que les Latins, eux, ont depuis longtemps trouvé la parade adéquate : l’Apocalypse serait écrite en langage codé, l’apôtre Jean le Théologien étant un fin diplomate dont l’intention n'était à tout prendre que de mettre la jeune Église en garde contre l’Empire Romain persécuteur - sans s'exposer à la censure impériale...
Et ses terribles visions des Derniers Temps ne seraient qu’une analyse prophétique des persécutions qui attendaient ses contemporains, plus particulièrement sous le règne de Néron. Avec une telle base sous-jacente, il est clair que toute personne considérant l’Apocalypse ici et maintenant ne peut plus être qu’un illuminé du plus mauvais genre – ou encore une sorte d'analphabète de l'Ecriture Sainte, confondant un passé déjà largement révolu avec un futur mythique. Un tel préalable est mortel, dans nos pays occidentaux: qui voudrait passer pour un demeuré?
Pourtant, je ne crois pas qu'aucun Père aie jamais considéré l’Apocalypse de cette manière - mais au contraire, comme elle est écrite : la vision de Jean de Patmos est avertissement pour les disciles des derniers temps, et concerne les derniers combats qui attendent les derniers serviteurs du Christ dans un monde qui approche de sa fin - presque totalement soumis à Satan.
Du reste, les Pères de l’Église me semblent avoir une tendance bien fâcheuse à croire à l’existence de Satan – même si un certain clergé orthodoxe vivant en Occident apporte une grande attention à ne jamais aborder ce « sujet qui fâche ». Rien n’est plus efficace, dans ce sens, que la peur d’être ridicule. Ou pire : de ne pas avoir l’air suffisamment « assimilé ».
En gros, "on" ne voudrait pas passer (aux yeux de collègues prêtres ou théologiens de la communauté vaticane, par exemple) pour des ploucs mal dégrossis, en provenance d’un Orient culturellement sous-développé, et donc demeurés passéistes et suffisamment superstitieux pour croire encore au Diable.
J'invite d'ailleurs ceux qui ne me croiraient pas à faire une petite expérience, en citant par exemple le chiffre 666 de manière non distanciée, c'est-à-dire tout bêtement comme il en est parlé dans le texte de saint Jean :
Ensuite, croyez-moi, il n’y a plus qu’à laisser vos interlocuteurs s'exclamer pour être édifiés - notamment sur l’intérêt qu’ils portent au Livre : la plupart vous parleront du New Age, des sectes étasuniennes ou autres qui font leurs choux gras de ce nombre de 666 – mais en grattant un peu, vous constaterez vite qu’ils n’ont jamais, ou à peine, lu l’Apocalypse. J’ai raconté, ici même, mon étonnement lorsque j’ai rencontré pour la première fois (et sur un tout autre sujet) une catholique cultivée, munie d’un diplôme diocésain de catéchiste mais qui n’avait encore jamais lu aucun des quatre Évangiles – à plus forte raison des Epîtres ! Il eut été bien inutile de lui demander ce qu’elle pouvait bien penser de l’Apocalypse…« .../...il lui fut donné de donner la respiration à l’image de la Bête afin que l’image de la Bête parlât même, et qu’elle fit que tous ceux qui ne rendraient pas hommage à l’image de la Bête fussent mis à mort. Et elle fit qu’à tous, petits et grands, et riches et pauvres, et libres et esclaves, on leur donne une marque sur leur main droite ou sur leur front ; et que personne ne peut acheter ou vendre, sinon celui qui a la marque, le nom de la Bête, ou le nombre de son nom.
Ici est la sagesse : que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la Bête, car c’est un nombre d’homme ; et son nombre est six cent soixante six…/… »
Mais mon intention n’est pas d’entrer ici dans une exégèse qui me dépasse : d’autres que moi, sur ce Forum, s’en acquitteraient beaucoup plus sûrement.
Mon intention est bien plus terre à terre. Je crois plus facilement ce que je constate... je veux parler ici de la mainmise de la Bête sur le commerce international, c’est à dire : de ce que Jean nous dit d’une impossibilité générale d’acheter ou de vendre qui sera étendue alors à quiconque n’aura pas reçu jusque dans sa chair la marque exigée - petit ou grand, riche ou pauvre, libre ou esclave.
Ce qui se passe en ce moment dans l’ Irak occupé par la coalition occidentale me paraît fournir un exemple déjà visible de la future réalisation de ces caractéristiques prétendument «néroniennes»…
Comme on le sait, l’Irak est le foyer historique de la plus ancienne tradition agricole du monde. C’est dans le Croissant Fertile que les plantes qui sont encore à la base de notre alimentation ont été domestiquées pour la première fois. C’est là que les débuts de l’agriculture ont apporté (comme une conséquence inévitable) le développement de la civilisation qui est encore aujourd’hui la nôtre. Il y a plus de 10 mille ans que le froment, l’orge, les lentilles, le seigle, le mouton, la chèvre, le porc ont été peu à peu mis au service de l’être humain, sélectionnés d’abord, puis élevés, amendés, développés, cultivés sur ce sol qui est en partie l’Irak moderne. C'est le foyer initial du blé sauvage et de la plupart des variétés de céréales qui ont ensuite été exportées et adaptées sur toute la terre. Notre pain quotidien, c'est là-bas que Dieu nous l'a donné en tout rpemier lieu.
Les habitants de la Mésopotamie ont développé pendant des millénaires des systèmes parfaitement adaptés à leur terre et à son climat - pour pouvoir planter, faire croître et récolter leurs plants en dépit de l’aridité provoquée par un régime pluvial faible et un sol trop salin : les variétés locales de graines et de légumes ont été de tout temps magistralement adaptées aux conditions de cette terre - et ce depuis des millénaires. Tout récemment encore, l’agriculture irakienne pouvait se targuer d'un niveau mondialement reconnu pour la qualité de ses produits alimentaires. L’Irak est d'ailleurs une des sociétés les plus cultivées (sans jeu de mots) de cette région, et malgré sa relative pauvreté (en tout cas selon nos critères occidentaux) son paysannat assurait entièrement la subsistance de ses peuples. L'Irak était même devenu le numéro 1 des pays exportateurs de dattes. Près d'un tiers de son sol était remarquablement bien cultivé, la moitié grâce aux pluies saisonnières et le reste par une irrigation habilement conçue.
Or, selon l’Organisation mondiale des Nations Unies pour la Nourriture et l’Agriculture (FAO), 97 % des paysans irakiens continuaient en 2002 à utiliser des semences provenant de leurs récoltes de l’année précédente, ou achetées sur le marché local – et ceci malgré les sanctions étasuniennes et britanniques qui détruisirent lentement le secteur agricole de l’Irak après la guerre du Golfe. Un rapport de la même FAO signalait déjà dès 1997 que les restrictions imposées par l’embargo dans le domaine de la nourriture (et des vaccins nécessaire pour maintenir un cheptel de base), mais également du matériel agricole et technologique, amenaient une lente érosion des récoltes et partant, empêchaient la constitution des indispensables réserves pour le réensemencement annuel – de même que cet embargo inhumain contribuait à la détérioration inexorable de la qualité du sol.
Les experts du monde entier ont eu beau signaler les dangers, personne ne parvenait à comprendre pourquoi rien n’était fait par les deux puissances anglo-saxonnes dirigeantes pour rectifier ces conséquences catastrophiques - pour l’Irak, et de proche en proche pour toute la région. Les quelques décisions prises n'étaient que des façades, comme la politique dite « Oil for Food » (pétrole contre nourriture), et elles ont très vite montré leur vrai visage : une série de scandales à retardement sont en train d'éclater actuellement, et on constate que les énormes mouvements d’argent que cette politique a facilités ont servi à de gigantesques escroqueries dans lesquelles de hautes personnalités internationales seraient plus que mouillées.
L’un des coordinateurs de ce qu'on appelait alors une « mesure humanitaire », Denis Halliday, déclara fin 1998 devant les participants d’une session de l’Université Harvard : « Je suis parti en Irak en septembre 1997 pour superviser le programme « Oil for Food » des Nations Unies. J’ai très vite réalisé que ce programme humanitaire n’était qu’un cataplasme sur une jambe de bois. Le régime de sanctions de l’ONU tuait littéralement ce peuple. J’ai compris que la crédibilité morale des Nations Unies était sapée, et pour ne pas devenir complice de ce que je considérais comme une violation criminelle des Droits de l’Homme, j’ai démissionné au bout d’un an seulement… ». Denis Halliday ne cachait pas qu’il considérait ces sanctions comme génocidaires, face au nombre effarant d’enfants irakiens qu’elles faisaient mourir.
Mais tout récemment, le proconsul étasunien Paul Bremer, chef de l’Autorité Provisoire de la Coalition (CPA) vient de publier « 100 Orders » -c'est-à-dire cent ordonnances, ou décrets-lois en quelque sorte – visant à organiser le transfert de l’économie irakienne ainsi que la propriété légale des ressources de l’Irak entre les mains de grandes « corporations » (groupes privés) étasuniennes.
Tandis que parallèlement, l’administration Bush publiait un "executive order" (décret d'application ?) destiné non seulement à soustraire ces grands groupes privés à toute poursuite, le cas échéant, mais également à assurer la même protection aux soldats comme aux agents de sécurité privés ayant commis des crimes contre des citoyens irakiens. En examinant de plus près cette cynique conjonction juridique, on devine assez vite que la guerre d’Irak a peu de choses à faire avec les armes chimiques (qu’on n'a jamais retrouvées en Irak, soit dit entre nous), le terrorisme, la démocratie ou la libération des « victimes du régime Baath » - mais que son but pratique de plus en plus évident est la colonisation du pays conquis (et l’enrichissement des grands groupes étasuniens) aux dépens du peuple irakien.
Ces « 100 Orders » promulgués à point nommé par Paul Bremer purraient bien apporter un début d’éclaircissement sur les motifs réels d'un embargo (n'aurait-il été qu'un préalable ?) que le monde entier finissait par considérer comme une politique insensée…
En réalité la majorité de la population de l’Irak n’a plus aujourd’hui le minimum de calories quotidiennes permettant sa survie en bonne santé. Un récent Rapport d’Alerte du WFP (le Programme Alimentaire Mondial de l’ONU) révèle qu’il y a dans l’ensemble du pays une insuffisance dramatique de riz, de sucre, de lait et d’aliments infantiles, et que dans certains « gouvernorats », la pénurie chronique - voire la disparition - des produits de première nécessité se généralisent.
L’un des plus éminents sociologues suisses, Jean Ziegler, révèle dans son rapport à l’ONU sur les Droits de l’Homme que le taux de malnutrition aiguë des enfants âgés de 6 mois à 5 ans est passé de 4% avant l’invasion des troupes US à 7,7% depuis leur arrivée, tandis que plus de 25% des enfants irakiens n’atteignent même plus le plancher minimum de la ration alimentaire de base. Dans ses conclusions, M. Ziegler accuse du reste les forces étasuniennes et britanniques d’utiliser sciemment la nourriture et l’eau comme armes de guerre à l'encontre des cités assiégées en Irak.
A cela, la haute autorité sous la houlette de M. Paul Bremer oppose entre autres son Décret n° 81 - ouvertement destiné à protéger les intérêts des plus grands groupes mondiaux de semences agricoles, tels que Monsanto ou Syngenta, en forçant les paysans irakiens à planter (sous la surveillance d’inspecteurs envoyés par ces mêmes sociétés) leurs "semences agréées" en lieu et place des semences locales dont ils se servaient depuis toujours. Cela se fait sous le prétexte cousu de fil blanc que ces semences seraient des variétés « protégées », c'est-à-dire : « nouvelles, uniformes et stables » …ce qui cache à peine le fait qu’en réalité, elles ont été génétiquement modifiées…
Cela signifie en clair que les paysans irakiens n’auront plus d’autre choix que d’acheter des semences labellisées PVP (Plant Variety Protection), autorisant désormais l’introduction sur le sol irakien de GMOs (les trop fameux organismes génétiquement modifiés) au seul bénéfice des grands groupes de biotechnologie agricole étasuniens qui cherchent à en inonder le reste du monde.
Selon les termes du contrat d’agrément qu’ils seront obligés de signer avec les compagnies agréées, leur fournisseur pourra même contrôler l’application de ses directives par les acquéreurs, et aura de ce fait le droit d’investigation dans leurs propriétés ; mais par exemple, c’est le fermier irakien qui pourra être poursuivi dans le cas où une récolte (non-GMO) du voisinage venait à être polluée par sa propre plantation GMO … à lui vendue par la dite compagnie agréée ! En fait, les paysans irakiens, non contents de servir de cobayes obligatoires, deviendront à court terme de véritables esclaves des grands groupes de l'industrie agro-alimentaire, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. Et les paysans de l’Irak vaincu n’auront aucune possibilité de se défendre ou de manifester comme peuvent encore plus ou moins le faire, chez nous, les opposants aux semences génétiquement modifiées.
Ce sont des milliards de dollars de chiffre d’affaire qui sont en jeu; et que pèsent dans un tel domaine les droits d’un des plus anciens peuples d’agriculteurs du monde, ou la santé de tout une région dramatiquement soumise désormais à planter ce qu’on lui dit de planter, consommer ce qu’on veut qu’elle consomme, et d'une manière générale, faire ce qu’on lui dit de faire où et comme on lui dit de le faire.
En quoi sommes-nous concernés par ce drame, nous orthodoxes ? La réponse est que je crois que nous aurions tort de nous laver les mains de ce qui est en train d'arriver à ce petit peuple d'agriculteurs. La coercition traditionnellement exercée sur les vaincus par leurs vainqueurs n’est pas nouvelle : Vae victi !... Mais ici, c’est la modification (c'est-à-dire à moyen terme la destruction) de l’œuvre du Créateur qui est en jeu, pour des intérêts financiers qui se dissimulent de moins en moins. Et derrière ce triomphe imposé de Mammon, c’est de la santé et de la survie équilibrée des l'être humain qu'il s'agit. C'est l'homme créé à l'image et à laressemblance, lui et ses descendants pendant des milliers d'années (si Dieu nous accorde encore cette grande miséricorde) qui est systématiquement foulé aux pieds. Et cela se passe sur la terre de nos premiers ancêtres chrétiens – déjà infestée par des dizaines de milliers de tonnes de déchets d’ « uranium appauvri », de poussières mortifères, de napalm, d’armes chimiques, de bombes au phosphore, de mines anti-personnel, etc. La tragédie que nous avons connue avec la guerre du Kosovo est en train de devenir, sous nos yeux, une sorte de routine; une tactique de guerre militaro-industrielle de plus en plus efficacement maîtrisée par les armées « alliées » des pays les plus riches du monde. Et comme de bien entendu, pour écraser jsuque dans leur descendance les pays les plus pauvres de ce même monde. Les plus riches s'enrichissant de plus en plus, tandis que les plus pauvres descendent de plus en plus au fond de l'abîme.
Sans compter que ces mêmes paysans irakiens vont être de plus en plus contraints à acheter (…aux mêmes compagnies "agréées" par l’occupant !) des fertilisants chimiques, des insecticides, des herbicides, des pesticides - pour essayer de se défendre contre des maladies nouvelles, alors qu'elles surgissent spontanément de la perte de leurs défenses naturelles par des plants locaux qui étaient depuis des millénaires les plus parfaitement adaptés au climat et au sol qui les avait fait naître jadis. A titre d'exemple, avant la première guerre d'Irak, les récoltes moyennes se montaient à 1, 4 millions de tonnes pour les céréales, 400 000 tonnes pour les racines alimentaires et les tubercules, et 38 000 tonnes pour les légumineuses et légumes secs. Aujourd’hui, plus de la moitié du sol irrigable est déjà devenue stérile, ou inutilisable, et le secteur agricole irakien est de plus en plus dévasté.
Et demain… ?
Si nous n’y prenons garde, la planète entière se trouvera plus tôt que nous le pensons en état de faillite écologique, avec la dégradation génétique des espèces animales et humaine qui s’en suivra nécessairement. Faudra-t’il attendre ce point de non-retour pour relire l’Apocalypse ? Et pour la prendre enfin au sérieux ?