Wladimir a écrit :Il n’est en effet pas facile de suivre le rythme. J’ai lu attentivement votre message et ai pensé à une réponse qui contribue à éclairer le débat au lieu de seulement ajouter nouvelle réfutation. Je ne suis pas sûr d'y être parvenu. Je vous prie à l'avance de pardonner ma franchise et de ne pas y voir un simple goût de la polémique, mais un effort, sans doute maladroit, de cerner notre désaccord.
Vous voudrez bien m'excuser de ma franchise, mais, à force de lire vos messages, je me demande bien ce que je peux y trouver d'autre qu'un goût de la polémique. Vous avez visiblement les moyens intellectuels et la culture pour nous apporter autre chose, mais il ne me semble pas avoir trouvé dans aucun de vos messages autre chose qu'une critique constante de ce forum et la répétition de votre programme, sans argumentation et avec beaucoup de jugements de valeur sur vos interlocuteurs. Tout le travail qui est fait sur ce forum en matière d'hagiologie, d'iconographie, de traduction, vous laisse visiblement totalement indifférent. Permettez-moi alors de vous dire que la polémique dans laquelle vous vous êtes engagé contre plusieurs membres de ce forum me laisse à mon tour totalement indifférent, et ce pour une simple raison: l'art est difficile, la critique est facile.
Wladimir a écrit :Quant à l’interprétation orthodoxe du filioque elle est bien attestée, elle existe (même si ce n’est pas celle-là que professe Rome) et le nier ne fait que compliquer les choses et affaiblir notre message. Je me range ici à l’avis du père Placide, qui pour moi a le grand mérite de tenir un discours rigoureux, mais dépassionné. Des termes comme « ânerie », franchement n’ont pas grand-chose à faire dans ce genre de discussions, dont je pense d’ailleurs qu’il ne faudrait pas abuser : la Sainte Trinité est un mystère, pas un prétexte à des règlements de compte inter- ou intra-confessionnels. Je ne crois pas qu’il y ait un sens à évoquer certaines matières sans au moins un minimum de précaution de langage et de sérénité.
Il est très facile de tuer tout en ayant de grandes précautions de langage. Il n'y a pas que les apparences extérieures qui comptent. Il y a aussi le coeur. "Là où est ton coeur, là est ton trésor." (Mt VI:21)
Je ne vois pas au nom de quelles prétentions totalitaire ou impérialiste nous viendrions imposer aux catholiques romains une interprétation orthodoxe du
Filioque. De notre côté, nous n'avons pas le
Filioque. De leur côté, ils ont publié depuis le début du XIIe siècle une masse d'écrits exposant en détail l'importance du
Filioque à leurs yeux (jusqu'à en faire la base de la civilisation occidentale chez certains auteurs contemporains), du
Filioque dans l'interprétation catholique romaine et protestante naturellement (et pourquoi, je le répète, une autre interprétation, puisqu'ils sont les seuls à avoir de la sorte défiguré le Credo?), et quelle conception de la sainte Trinité cela implique. C'est d'ailleurs sur ce point que votre texte se contredit: la sainte Trinité est un mystère parce que l'esprit humain ne peut pas la connaître par ses propres forces et que la Trinité ne s'est découvert à nous que par la Révélation, dépôt de la foi conservé inaltéré dans l'Eglise; cela n'empêche pas que l'Eglise a un enseignement très clair sur la Trinité, enseignement reçu du Verbe incarné Lui-Même - ce serait inquiétant autrement, puisque "le salut consiste dans la confession de la divinité trinitaire" (saint Justin Popovic) -, et que les partisans du
Filioque ont aussi un enseignement très clair sur leur conception de la Trinité. De grâce, ne présentez pas les filioquistes comme des niais; ils savent très bien quelle Trinité ils défendent. Et je ne pense pas seulement au temps de Thomas d'Aquin et de son
Traité contre les erreurs des Grecs; les
Cahiers de Chiré ont encore publié en 2004 une très longue apologie du
Filioque. (D'accord, les
Cahiers de Chiré sont publiés dans le Poitou, mais enfin, le monde ne s'arrête pas à Paris.) Il suffit de lire les écrits des hétérodoxes tels qu'ils les ont écrits et de prendre en compte leur opinion, et non pas l'opinion que nous voudrions qu'ils aient. Au lieu de la condescendance paternaliste qui aboutit à présenter les filioquistes comme des gens qui ne comprendraient même pas ce qu'ils professent, la tolérance consiste à prendre acte du fait qu'ils ont, par le biais du
Filioque, des croyances sur la Trinité qui sont différentes des nôtres, incompatibles avec les nôtres, et que ce sont des personnes adultes et responsables et de libres enfants de Dieu qui filioquisent en parfaite connaissance de cause. Comme d'ailleurs, dans nos sociétés où il est possible de changer de religion, on peut tout aussi, un jour, cesser de filioquiser en connaissance de cause et retourner dans le sein de l'Eglise orthodoxe, ce qui est le cas de beaucoup d'intervenants sur ce forum.
Wladimir a écrit :J’ai l’impression de ne lire que ce mot d’hérésie sur ce forum, employé dans le sens le plus large, sans précaution aucune, d’un ton souvent sans appel. Je ne peux partager cette façon de concevoir la vie de l’Eglise et je la trouve contraire à la Tradition, qui fait de l’unité de l’Eglise la source de toute vérité et qui nous engage à éteindre les querelles plutôt qu’à sans cesse les nourrir et les enflammer. C’est là, dans cette course à une orthodoxie exempte de toute erreur, qu’il y a, je crois, une grave illusion, ce que j’appellerai un « tropisme intégriste », qui ne peut que finir dans la désillusion et la désunion.
Précisément, j'ai peine à trouver un seul de vos messages qui ne cherche à encore enflammer les querelles, à passer en revue et à critiquer les opinions des autres, et ce au nom d'un autre tropisme dont je ne vois pas en quoi il vaut mieux que le "tropisme intégriste" que vous évoquez.
Que la Tradition fasse de l'unité de l'Eglise la source de toute vérité? Voilà qui m'étonne. Il me semble bien que saint Paul écrit le contraire (cf. I Cor XI:19) : il faut qu'il y ait des hérésies pour que les fidèles se rassemblent. Et il en a été ainsi depuis le Ier siècle.
Puisque vous aimez citer saint Cyprien de Carthage dans la traduction de Labriolle que l'on trouve sur le site Internet du hiéromoine paléohimérologite Cassien (Braun), je pense que ce passage-ci n'aura pas échappé à votre sagacité:
"Écoutons l'avertissement que l'Esprit saint nous donne par la bouche de l'Apôtre : "Il faut qu'il y ait des hérésies, afin qu'on reconnaisse ceux qui parmi vous sont vraiment surs" (1 Cor 11,19). C'est donc ainsi que les fidèles se font reconnaître, que les gens sans foi sont découverts; que dès ici-bas, avant même le jour du jugement, s'opère une discrimination entre les justes et les injustes et que la paille est séparée du froment."
(
De Catholicae Ecclesiae Unitate, 10)
Il me semble que c'est très clair: il ressort de tous les caractères de l'Eglise - unité, sainteté, catholicité et apostolicité - qu'elle enseigne la foi juste, déifiante et salvifique. Et ce sont précisément les hérésies et les schismes qui, au fil des siècles et depuis les temps apostoliques, n'ont cessé d'amputer le troupeau de l'Eglise. Si votre idée (que vous me permettrez de trouver assez proche de l'anglicanisme) selon laquelle l'unité de l'Eglise l'emporte sur la véracité de sa foi s'était vérifiée dans l'Histoire, alors, par exemple, nous aurions eu dès le IVe siècle une Eglise mixte mêlant des orthodoxes et des ariens. (Et les touristes d'aujourd'hui ne pourraient pas contempler à Ravenne le baptistère des orthodoxes et celui des ariens.) Or, cela n'a pas été le cas. Les ariens ont déformé la tradition reçue des Apôtres; ils ont refusé le rappel de cette tradition qui leur a été fait par le concile de Nicée; et, en conséquence logique, ils se sont séparés de leur plein gré de l'Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique-conciliaire et apostolique, pour créer une autre Eglise. Où était l'unité entre les orthodoxes et les ariens là-dedans?
Wladimir a écrit :N’y a-t-il pas tout de même une extraordinaire inversion des rôles quand un évêque, privé arbitrairement de son titre, se retrouve dans le rôle de surveillé, lui que l’Eglise a placé dans le rôle de surveillant (c’est en effet le sens du mot grec episcopos) ? Quel est ce « nous » qui se pose en instance d’arbitrage en sein de l’Eglise ? Sur quelle conception de l’Eglise se fonde-t-il ? Je ne crois pas qu’on aille dans la bonne direction en procédant ainsi et je pense qu’il est urgent de revenir à une ecclésiologie plus conforme à la Tradition.
C'est jouer sur les mots. Et c'est aussi jouer sur ce que vos interlocuteurs ont écrit en les présentant constamment comme des rebelles en mal de schisme. Or, la conception d'un papisme épiscopal d'évêques-policiers surveillant leur troupeau me paraît bien peu conforme à la liberté des enfants de Dieu et à la tradition de l'Eglise. Nous le savons, "c'est le peuple qui est le gardien de la foi" (
Encyclique des patriaches orthodoxes de 1848). Dans son livre
L'Orthodoxie, l'archiprêtre Serge Boulgakov explique bien que le conciliarisme du concile de Bâle est tout aussi étranger à la foi de l'Eglise que le papisme du Vatican.