Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES
Publié : dim. 10 janv. 2010 14:25
Claude le Liseur a écrit : La réponse réside sans doute dans une comparaison avec l'usage arménien.
Dans son remarquable livre déjà cité à plusieurs reprises sur le présent forum Η Αγία Αποστολική Εκκλησία των Αρμενίων (La Sainte Église apostolique des Arméniens), Parousia, Athènes 2001, p. 83, l'évêque arménien Yeznik (Petrossian) indique que les Arméniens anti-chalcédoniens sont passés du calendrier julien au calendrier grégorien le 1er janvier 1924 (encyclique du catholicos suprême de la Sainte-Etchmiadzine du 6 novembre 1923). Toutefois, le calendrier julien est resté en vigueur dans le ressort du patriarcat arménien de Jérusalem, ainsi que pour quatre diocèses arméniens qui dépendent du catholicat d'Etchmiadzine: Géorgie, Nor-Nachičevan, Caucase du Nord et Astrakhan. Il faut rappeler que le livre de Mgr Yeznik date de 2001, et que cela ne correspond plus exactement à la désignation des diocèses du ressort d'Etchmiadzine. Dans les dernières listes (publiées par l'Ostkirchkiches Institut de Ratisbonne en juin 2009), je ne trouve pas trace d'un diocèse d'Astrakhan, et il semble que le diocèse du Caucase du Nord porte maintenant le nom de diocèse de Russie du Sud (siège à Krasnodar). Le diocèse de Nor-Nakhitchevan a son siège à Moscou et a juridiction sur le reste des communautés arméniennes de Russie. Il ya en outre un diocèse arménien d'Ukraine (siège à Lviv, naguère Lvov, jadis Lemberg, et encore Leopol) dont Mgr Yeznik ne parle pas.
Il est dès lors facile de comprendre pourquoi les diocèses arméniens énumérés par Mgr Yeznik ont gardé le calendrier julien. Il s'agit de diocèses qui regroupent la diaspora arménienne de Géorgie et de Russie. Or, dans ces deux pays, la religion la plus importante est l'Orthodoxie, avec deux Églises locales (patriarcat de Moscou et catholicat de Tbilissi) qui, contrairement à la plupart des autres Églises locales, ont conservé le calendrier julien. Depuis la chute du communisme, un certain nombre de fêtes religieuses orthodoxes sont redevenues fériées, et ces jours fériés sont calculés selon le calendrier julien. On peut donc supposer que les diocèses arméniens de Russie et de Géorgie ont conservé le calendrier julien pour des raisons pratiques.
Il doit sans doute en aller de même avec les paroisses assyriennes de Russie et de Géorgie. Bien que dépendant du diocèse de Duhuk qui a adopté le calendrier grégorien, la paroisse cathédrale assyrienne de Moscou fête Noël selon le calendrier julien: on peut supposer une attitude parallèle à celle des diocèses arméniens de Russie et de Géorgie, un souci de s'aligner sur la pratique de la confession la plus importante du pays.
En sens inverse, on notera que c'est exactement une des raisons pour lesquelles le patriarche de Constantinople Mélèce IV avait proposé la révision du calendrier ecclésiastique en 1923: afin de permettre aux orthodoxes émigrés en Amérique du Nord et en Europe occidentale de pouvoir aller à l'église le jour de Noël, jour férié accordé le 25 décembre dans ces pays.
Mutatis mutanda, le raisonnement doit aussi être valable pour le patriarcat arménien de Jérusalem, qui a sans doute conservé l'usage du calendrier julien parce que le patriarcat orthodoxe l'a lui-même conservé.
Toutefois, concernant les Arméniens, un autre facteur doit jouer. Si je comprends que les Assyriens nestoriens de Russie suivent le calendrier julien pour que leur célébration de Noël coïncide avec celle des orthodoxes russes et donc avec un jour férié russe, les Arméniens ne sont pas sujets à ce raisonnement-là.
Il faut en effet se souvenir du fait - peu connu - que l'Église apostolique arménienne est la seule chrétienté qui n'a pas connu la dissociation entre une célébration de la naissance du Christ le 25 décembre et une célébration du baptême du Christ le 6 janvier. En clair, le 6 janvier, les Arméniens continuent à célébrer à la fois Noël et la Théophanie, comme le rappelle un manuel d'arménien oriental fort instructif.
Cela aboutit qu'à Jérusalem, malgré l'observation du calendrier julien par le patriarcat arménien, on a trois célébrations successives de la naissance du Seigneur - ce qui fait sourire l'entourage juif et musulman. Les catholiques romains et les protestants le 25 décembre, les orthodoxes, mais aussi la plupart des miaphysites (Coptes, Éthiopiens, Syriens) le 7 janvier, et le Սուրբ Ծնունդ (Sourp Tzenound) des Arméniens le 19 janvier, le jour où les orthodoxes célébrent la Théophanie, avec laquelle la fête arménienne coïncide d'ailleurs en partie, puisqu'elle célébre à la fois la naissance et le baptême du Christ.Noël, en arménien, se dit Սուրբ Ծնունդ (Sourp Tzenound) - "Sainte Nativité" - et se célèbre le 6 janvier, en même temps que l''Épiphanie et le baptême du Christ (qui donne lieu, à l'église ou dans la rivière la plus proche, à un rite spécial de bénédiction des eaux). Les Arméniens, ayant toujours été isolés du reste du monde chrétien, n'ont souvent pas suivi les réformes de celui-ci. Ils n'ont notamment pas accepté la réforme qui adopta le 25 décembre comme jour de la Nativité du Christ, pour faire coïncider ce jour avec la fête païenne du solstice d'hiver. (Quant aux autres chrétiens, notamment les orthodoxes, qui célèbrent Noël le 7 janvier, c'est uniquement à cause du décalage de 13 jours entre les anciens et nouveaux calendriers.) (Rousane et Jean Guréghian, L'arménien sans peine, Assimil, Chennevières-sur-Marne 2001 (1re édition 1999), p. 111).
Un ami arabe orthodoxe qui vit une partie de l'année à Amman m'a appris que les Églises de Jordanie s'étaient mises d'accord pour éviter ce genre de ridicule en se ralliant à une situation qui correspond en fait à l'usage actuel du patriarcat de Constantinople: tous les chrétiens de Jordanie fêtent Noël le 25 décembre, mais ils fêtent tous Pâques selon la date retenue par les orthodoxes (donc selon la paschalie de saint Denys le Petit), et pas selon la date du calendrier grégorien.